Dès que des gens s'assemblent, on a une société.
Quand ils s'assemblent, ils peuvent avoir un projet commun et ils DOIVENT
partager certaines valeurs, mais ce qui nous intéresse ici, alors
que nous parlons production, c'est qu'ils mettent aussi alors a profit leurs
complémentarités et s'échangent des biens et services.
Une société constitue pour chaque sociétaire une machine
à rendre des services et un vaste souk. Il peut tendre la main et
on lui donnera - ou on lui vendra - les biens et services que cette société
peut offrir.
Ces biens et services sont les extrants de la production sous toutes
ses formes, laquelle est traditionnellement divisée en trois «
secteurs » : primaire, secondaire et tertiaire. Les biens sont dit
primaires si c'est la nature qui nous les offre, secondaires s'ils sont
produits par transformation de ces biens que nous offre la nature. Si, plutôt
qu'un quelconque support matériel, c'est le bénéficiaire
du service lui-même, ses circonstances ou son environnement qui sont
transformés par le travail accompli, on parle de « services
». C'est le secteur tertiaire.
Ce texte 713, qui traite du secteur tertiaire et des services est le
troisième et dernier volet d'une trilogie sur la production qui nous
a amenés précédemment à discuter des secteurs
primaire (711) et secondaire (712)
de l'économie. Nous avons dit du secteur secondaire qu'il était
au cur de notre société, dite justement « industrielle
» ; c'est dans le secteur tertiaire, au contraire, que se jouera le
sort de la société post-industrielle qui est maintenant à
se mettre en place.
En deux siècles, environ, l'industrialisation a apporté
l'abondance en biens matériels aux sociétés qui en
ont profité. Cette abondance acquise, c'est de services que l'on
a besoin. Les échanges de services liés au secteur tertiaire
doivent par définition - constituer l'activité économique
principale d'une société post-industrielle ; les activités
qu'on identifie au secteur tertiaires sont donc désormais les seules
qui prolifèrent et le tertiaire tend à occuper une importance
sans cesse croissante dans l'économie.
C'est en fonction du secteur tertiaire qu'une société
postindustrielle s'organise. Ce sont les services qu'une société
peut mettre à la disposition de ses membres qui constituent le meilleur
indicateur de son développement, ce sont la quantité et la
qualité des services qu'on y consomme qui sont les meilleurs indicateurs
de sa richesse, et c'est l'universalité de l'accès à
ces services qui est le meilleur signe de son évolution et de la
solidarité qui y prévaut.
Cette primauté du secteur tertiaire dans une société
post-industrielle est si écrasante, que la gestion du secteur tertiaire
y devient indissociable de la gestion de la société elle-même,
laquelle on peut dès lors définir comme une « société
d'économie tertiaire », de la même façon que l'essor
de l'industrie avait donné naissance à sa propre société
éponyme. Nous sommes en phase terminale de transformation de notre
société industrielle en société tertiaire. (*1)
Dans la première partie du présent texte, nous parlerons
de l'économie tertiaire. Nous verrons comment la prépondérance
du tertiaire constitue un élément-clef de l'évolution
de notre société, détermine une nouvelle problématique
du travail et de la consommation, exige un nouvel encadrement sociétal
et impose que l'on confie un nouveau rôle à l'État.
Dans la deuxième partie, nous tenterons d'identifier la spécificité
des multiples composantes d'un secteur tertiaire protéiforme qu'il
faut prévoir en croissance indéfinie et en mutation constante.
Nous proposerons, compte tenu de cette spécificité des divers
types d'activité qui constituent le tertiaire, les mécanismes
ad hoc qui nous semblent permettre de rendre et de recevoir au mieux ces
services variés, dans une société où la priorité
est devenue justement d'offrir ces services.
En décrivant même sommairement ce qui nous semble la meilleure
façon de rendre à l'individu les services dont il a besoin
et de permettre a celui-ci de les acquérir, nous ne ferons pas que
compléter notre trilogie sur la production. Vu l'importance des services
tertiaires dans le nouveau paradigme économique qui est à
s'établir, nous offrirons indirectement du même coup
sans insister, car nous y reviendrons ailleurs - un premier aperçu
de la vie quotidienne dans une Nouvelle Société.
PARTIE I : UNE SOCIETE D'ECONOMIE TERTIAIRE
Une société dont l'industrie a acquis la capacité
- sinon toujours la bonne volonté - de produire pour satisfaire tous
les besoins et les désirs légitimes de ses membres, devient
une société post-industrielle. Une société postindustrielle
est nécessairement une société d'économie tertiaire
: une société où l'activité économique
principale et prioritaire n'est plus l'échange entre sociétaires
de biens, mais de services. Que se passe-t-il quand une économie
devient tertiaire ?
Dans une économie tertiaire, une toute nouvelle dynamique est
créée entre les agents économiques. L'individu, comme
agent économique, demeure un travailleur et un consommateur, mais
il doit apprendre à travailler autrement. À obtenir autrement,
aussi, ce qu'il consomme, puisque cette nouvelle façon de travailler
modifie le rapport de forces entre les sociétaires entre eux dans
l'exercice par chacun de son double rôle de producteur et de consommateur.
Les paramètres de fonctionnement d'une économie tertiaire
doivent tenir compte de ce nouveau rapport de forces, de même que
de son impact sur la relation entre l'individu et la société
et donc entre l'État et les citoyens. Nous verrons d'abord comment
il en résulte une nouvelle problématique de la production
et de la distribution des services qui exige qu'on travaille autrement et
qu'on se les partage autrement. Nous verrons ensuite de quelle structure
l'on doit encadrer la production et la distribution des services dans une
économie tertiaire, quel rôle il faut y accorder à l'État
et quels sont les éléments à mettre en place pour que
cette structure fonctionne.
1. LA PROBLÉMATIQUE D'UNE ÉCONOMIE TERTIAIRE
1.1. LA NATURE DU TERTIAIRE
1.1.1. Le tertiaire envahissant
Le premier constat à poser, lorsqu'on parle du secteur tertiaire,
c'est qu'il tend désormais à occuper tout l'espace et à
se confondre avec la production tout entière. En 1955, il y avait
aux USA 55% de la main-d'uvre dans l'industrie manufacturière. Quand
a débuté le projet Nouvelle Société, en 1992,
il y en avait encore19% et j'avais annoncé que, vingt ans plus tard,
il n'en resterait pas 10%. Aujourd'hui, en 2005, à peine 13 ans ont
passé, mais il n'en reste déjà que 12 % et la transformation
s'accélère. Au cours de la prochaine décennie, le marché
du travail va poursuivre et quasi compléter la transition, initiée
vers 1950, d'une production qui, surtout orientée au départ
vers les biens industriels, le sera principalement en fin de période
vers les services du secteur tertiaire.
Quatre (4) travailleurs sur cinq (5), aux USA, sont déjà
affectés aujourd'hui à des activités du secteur tertiaire.
Les autres WINS (Western Industrial Nations) suivent le même chemin
et la même tendance se manifeste aussi partout ailleurs dans le monde.
Toutes les économies suivent inévitablement la même
voie, certains pays sous-développés passant directement du
primaire au tertiaire en contournant toute industrialisation significative,
ce qui n'est pas sans inconvénients et ne va pas toujours sans mal.
Globalement, Il semble que l'on tende vers un plancher, que l'on devrait
atteindre à l'horizon 2020, où de 6 à 7% des travailleurs,
seulement travailleront encore dans l'industrie. La moitié tout au
plus de ces travailleurs en industrie exerceront alors des tâches
encore directement reliées à la production. Ceux-ci seront
tous devenus des professionnels à compétence très pointue,
mais ils ne représenteront qu'une petite partie de la main d'uvre
professionnelle et pas plus de 2% à 3% de la main-d'uvre globale.
Le secteur primaire dans les WINS, généralement, n'en occupant
déjà pas plus, la maquette de production de notre société
sera devenue celle d'une économie tertiaire et donc profondément
différente de celle qui existait quand ont été mises
en places les règles qui régissent encore aujourd'hui le travail
et l'emploi.
Trois (3) sources alimentent la croissance du secteur tertiaire :
- d'abord, la demande pour les services dits « professionnels
» - les services qui exigent de celui qui les rend une compétence
spécifique et donc une formation significative augmente à
mesure que les progrès de la technologie permettent d'en offrir de
nouveaux et que, simultanément, le niveau de vie s'améliore,
permettant à une plus grande part de la population d'y avoir accès
;
- ensuite, la demande pour des services « non-professionnels »
est aussi en croissance, celle-ci stimulée par l'arrivée au
secteur tertiaire des travailleurs qui sont chassés du secondaire
par les gains de productivité et qui viennent offrir ce type de services
« non-professionnels » dans le cadre d'une myriade de petits
boulots; (*2)
- enfin, les nombreuses activités découlant des nouvelles
technologies et qui n'ont pas de similitude évidente avec les secteurs
primaire ou secondaire sont, la plupart du temps, assimilées par
défaut au secteur tertiaire. Le tertiaire devient ainsi la catégorie
résiduelle de ce qui n'est ni primaire ni secondaire. Il en va ainsi,
par exemple, des services que l'on obtient de systèmes hybrides travailleur/machine,
un type d'activités dont on verra de plus en plus d'exemples.(*3)
Tout concourre ainsi à l'essor du tertiaire. Alimenté
par ces trois sources, celui-ci occupe ainsi progressivement presque tout
l'espace économique et assure sa primauté dans la société
post-industrielle. Les activités de services foisonnent, c'est un
constat évident, mais par-delà le « comment »,
quel est le « pourquoi » de cette expansion irrésistible
du tertiaire ? Le tertiaire croît pour deux (2) raisons dont les effets
se cumulent.
1.1.2 Le tertiaire illimité
La première raison de la croissance du tertiaire tient à
la finalité même de l'activité tertiaire. Vus de Sirius,
les produits matériels dont un être humain a besoin et que
nous procurent les secteurs primaire et secondaire - nourriture, vêtements,
logement, etc. apparaissent bien modestes. Ils sont limités
et on les connaît. Dès que les machines sont devenues monnaie
courante et qu'on a pu s'atteler efficacement à la tâche de
satisfaire ces besoins, on a disposé vite de la capacité de
le faire.
Quand il s'agit de répondre à la demande pour les services,
au contraire - de la médecine aux loisirs en passant par l'information,
l'administration et les services domestiques il n'y a pas, comme pour
les biens matériels, de cibles objectives, permanentes et bien identifiées
à atteindre. C'est une satisfaction largement subjective qu'on cherche
à apporter. Une satisfaction subjective n'a pas de limites ; elle
fuit quand on veut y toucher. La demande pour les services est INSATIABLE.
Du seul fait que la finalité du service n'est pas de transformer
un objet mais de satisfaire un sujet - et ne pourra donc jamais être
complètement réalisée tous les efforts s'orientent
progressivement vers la satisfaction de cette demande de services à
mesure que les autres besoins sont satisfaits. Les services en viennent
donc inévitablement à occuper presque tout le champ de l'activité
économique et il est tout aussi inévitable que, tôt
ou tard, la quasi-totalité de la main-d'uvre se retrouve dans le
secteur tertiaire.
Cette seule raison suffirait à assurer la primauté du
tertiaire dans l'économie, mais il y en a une autre : le tertiaire
est le château fort des activités « non-programmées
».
On sait qu'un nombre sans cesse croissant de tâches de production
sont exécutées par des machines. On peut dire de ces tâches
que peuvent exécuter des machines sans intervention humaine constante,
qu'elles sont « programmées ». Programmer une tâche
a un but précis : réduire le travail et donc la quantité
de main-d'uvre requise pour l'exécuter, ce qui est la clef de l'enrichissement
collectif (712). Certaines tâches qui pourraient
être programmées ne le sont pas encore - on les dit «
non-programmées » -et, parmi celles-ci, il en est dont on pense,
à tort ou à raison, qu'elles ne peuvent pas l'être.
On dit de celles-ci qu'elles sont « inprogrammables » (ou non-programmables).
L'immense majorité des tâches programmées sont dans
les secteurs primaire et secondaire et constituent un bloc solide d'activités
dont on a, autant que faire se peut, exclu les travailleurs (701).
L'immense majorité des tâches que l'on n'a pas programmées,
qu'elles soient ou non programmables, sont au contraire dans le secteur
tertiaire. Ces tâches sont les seules auxquelles il soit encore raisonnable
d'assigner un travailleur plutôt qu'un robot ; il est donc normal
et tout à fait prévisible que les travailleurs migrent vers
le secteur tertiaire. Ils le font aux rythmes cumulés où,
d'une part, sont satisfaits ceux de nos besoins que peuvent satisfaire les
secteurs primaire et secondaire et où, d'autre part, se complète
l'automation intensive de ces secteurs.
Pour ces deux raisons, le tertiaire ne peut donc que grandir. À
long terme, le secteur tertiaire occupera nécessairement la quasi-totalité
de la main-d'uvre parce que c'est là qu'on cherche à satisfaire
les désirs qui ne peuvent être satisfaits; quand tout le reste
est fait, il ne reste à tenter que l'impossible. À court terme,
si la main-d'uvre se retrouve chaque jour davantage au tertiaire, c'est
simplement parce que c'est dans le tertiaire que se retrouvent les activités
qui ne sont pas programmées et où la main-d'uvre est requise.
1.1.3 Le dénominateur commun
Le secteur tertiaire envahit et va occuper presque tout l'espace économique
d'une société post-industrielle ; il faut en assurer prioritairement
la gestion. Les activités du tertiaire, toutefois, sont bien hétéroclites.
Si disparates, en fait, qu'on peut se demander si l'on a dit quoi que ce
soit d'instructif pour en assurer la gestion lorsqu'on a dit de ces activités
qu'elles étaient tertiaires. La réunion sous un seul vocable
d'activités aussi variées que la cueillette des données
et la cueillette des ordures, la recherche de fonds et la recherche fondamentale,
les communications et le mécénat n'a d'intérêt
que si ce regroupement en facilite la gestion commune.
Or, pour que le regroupement qu'on en fait devienne un outil de gestion
valable, il ne suffit pas d'appeler « tertiaire » toute activité
qui n'est ni primaire ni secondaire et de souligner la similitude qu'ont
les activités dites tertiaires de ne rien produire de tangible, définissant
ainsi le tertiaire, comme Dieu au Moyen-âge, uniquement par ce qu'il
n'est pas. Il faut aussi identifier clairement un dénominateur commun
entre ces activités « tertiaires », au palier de leur
production et de leur distribution.
Ce dénominateur commun peut-il être la concentration au
secteur tertiaire des activités non-programmées ? Si l'on
met en place des outils pour gérer les activités non-programmées,
n'aura-t-on pas les bons outils de gestion du tertiaire ? Oui et non. C'est
un critère opérationnel qui peut servir de fil conducteur
pratique pour organiser aujourd'hui la planification du secteur tertiaire
et donc la production et la distribution des services, mais ce n'est pas
un critère formel de définition. Pour deux raisons.
D'abord, dire que les activités du tertiaire ne sont pas programmées
n'est pas rigoureusement exact. La vaste majorité des activités
tertiaires, aujourd'hui, ne le sont pas, mais certaines le sont ; chaque
fois que votre ordinateur exécute vos instructions, c'est bien une
activité tertiaire qui est mécaniquement exécutée
Ensuite, parce que ce qui n'est pas programmé aujourd'hui. demain
pourra l'être. Tout ce que l'on peut mécaniser ne l'a pas été.
L'automation semble avoir rencontré des obstacles, mais elle les
contournera et ne s'arrêtera pas avant longtemps. Une activité
ne cessera pas d'être tertiaire du seul fait qu'une machine en prendra
charge.
On peut en pratique, sous toutes réserves, cerner les activités
du tertiaire en utilisant le critère opérationnel qu'elles
ne sont pas programmées, car si le tertiaire grandit et tend aujourd'hui
à occuper tout l'espace, c'est précisément parce qu'il
regroupe des activités que les machines n'exécutent pas. C'est
parce que les machines n'y sont pas que la main-d'uvre y est. C'est une
lapalissade
La distinction « programmé/non-programmé »
est un critère utile, puisque la quasi-totalité des tâches
programmées sont aujourd'hui dans les secteurs primaire et secondaire,
alors que les activités-vedettes et la vaste majorité des
tâches du secteur tertiaire ne sont pas programmées. Surtout,
c'est la caractéristique la plus visible de la majorité des
activités de service qui composent le tertiaire qu'elles ne sont
pas programmées et les difficultés les plus sérieuses
que pose leur gestion est qu'elles ne le sont pas. Il faut se souvenir,
cependant, que ceci n'est pas une approche rigoureuse.
Pour doter le secteur tertiaire d'une structure vraiment adéquate,
il faut en prévoir l'évolution. Il faut donc avoir en mémoire
un critère plus restrictif que « non programmé »
; c'est le « non-programmable » que recèle le tertiaire
qu'on doit identifier et structurer en se gardant bien de confondre «
activités tertiaires » et « activités non programmables
».
1.1.4 Le tertiaire et l'inprogrammable
Parce que tant d'activités tertiaires sont ou semblent être
inprogrammables et que, simultanément, il semble que presque tout
ce qui est inprogrammable aille se nicher au secteur tertiaire, il est facile
de confondre « tertiaire » et « inprogrammable ».
Il est bien clair, cependant, que ces termes ne sont pas équivalents,
mais désignent deux réalités bien différentes
L'activité tertiaire se définit par sa finalité.
C'est celle qui n'implique pas la transformation d'un support matériel,
mais dont c'est le bénéficiaire qui sort transformé
ou dont la satisfaction est accrue. L'activité inprogrammable se
définit par son exécution ; c'est celle dont l'essence ne
cessera jamais d'être le talent, la compétence et la bonne
volonté de celui qui l'exécute, même si les moyens deviennent
disponibles pour l'exécuter avec l'aide d'équipements divers.
Ces termes ne sont donc pas interchangeables. Toute activité
tertiaire et tous les aspects de toute activité tertiaire ne peuvent
pas être programmés - il y a des activités de créativité,
d'initiative et d'empathie qui sont inprogrammables mais certaines
activités tertiaires PEUVENT être programmées et certaines
composantes de toute activité tertiaire peuvent presque toujours
l'être.
Corollairement, tous les postes des secteurs primaire et secondaire
ne PEUVENT PAS être programmés. En parallèle à
la programmation progressive de certaines activités tertiaires, il
faut donc prévoir une mise en évidence croissante des aspects
inprogrammables des schèmes de travail du primaire et du secondaire,
au fur et à mesure que l'automation y devient plus parfaite.
À court terme, chaque poste de travail dans les secteurs primaire
et secondaire étant progressivement libéré de toutes
ses composantes programmables, la nature du travail dans ces secteurs va
se confondre avec celle du travail dans le secteur tertiaire, mettant aussi
l'accent sur le talent, les compétences et même les idiosyncrasies
du travailleur.
Ceci, comme nous y avons déjà fait allusion (712),
rend incontournable l'application éventuelle à toute la structure
de production du modèle de travail autonome qui sera d'abord appliqué
au tertiaire et que nous verrons ici plus loin. Il en est donc d'autant
plus important de bien distinguer entre tertiaire et inprogrammable si l'on
ne veut pas confondre production des biens et services.(*4)
Il faut établir clairement la distinction entre tertiaire et
inprogrammable et mettre en place une structure du secteur tertiaire qui
satisfasse aux exigences de la gestion de toutes les activités du
tertiaire, qu'elles soient ou non-programmées. Cette distinction
faite, toutefois, il ne faut pas s'étonner si la structure du tertiaire
est conçue principalement en fonction de la composante inprogrammable
de ces activités, puisque la primauté que le tertiaire acquiert
sur l'économie vient justement de ce qu'il recèle cette composante
inprogrammable.
C'est toujours l'inprogrammable qui doit être la priorité
d'une société post-industrielle et en fonction de cette composante
inprogrammable que la structure du secteur tertiaire doit être établie
puisque, quelle que soit la part des activités du tertiaire qui sera
éventuellement programmée, c'est toujours en fonction de la
part qui ne le sera pas que la structure de gestion de ce secteur devra
continuer d'être orientée.
Que se passera-t-il, en effet, lorsque sera programmée une activité
qui jusqu'alors ne l'avait pas été ? L'automation (programmation)
de quelque activité tertiaire que ce soit aura chaque fois, par définition,
l'effet de vider cette activité de presque toute sa main-d'uvre,
laquelle refluera vers le segment non encore programmé de l'économie.
Ce phénomène n'est pas neuf, il se manifeste depuis des siècles
!
La programmation de quelque activité tertiaire que ce soit ne
changera pas significativement la migration de la main-d'uvre vers les activités
inprogrammables, puisque les activités du tertiaire qui rejoindront
le bloc des activités programmées n'amèneront avec
elles qu'une toute petite part de la main-d'uvre. Une part d'autant plus
minime que cette programmation sera bien réussie. Même si un
nombre croissant des activités du tertiaire seront programmées,
ce sont les tâches non encore programmées qui continueront
seules d'occuper presque tous les travailleurs et qui exigeront une attention
prioritaire. (*5)
Il est bien improbable que le niveau de programmation du tertiaire puisse
jamais approcher celui du secondaire ; la nature des services ne semble
pas s'y prêter. Serait-ce même le cas, toutefois, dans quelque
futur imprévu et (relativement) éloigné, que la priorité
qu'il faut accorder à l'inprogrammable n'en demeurerait pas moins
inchangée.
1.1.5 Le tertiaire programmé
C'est toujours la gestion du reliquat des tâches non encore programmées
qui est délicate, mais il reste que le tertiaire est plus que l'inprogrammable.
Les nouveaux développements de l'automation, de la miniaturisation
et de l'intelligence artificielle permettront qu'un nombre croissant d'activités
tertiaires franchissent le seuil où il deviendra non seulement possible,
mais plus rentable, d'y affecter des machines que des travailleurs. Il va
se créer ainsi progressivement des poches d'activités programmées
au tertiaire. Il y en aura de plus en plus, forçant toujours la concentration
des ressources humaines dans les activités que seuls des humains
peuvent faire.
Heureusement, d'ailleurs - et l'on doit espérer que cette programmation
ira loin - car c'est la concentration des ressources humaines dans les activités
que seuls des humains peuvent faire qui est la voie royale vers le progrès
et la clef de l'enrichissement indéfini de la société.
C'est l'espoir qu'une large part des activités du tertiaire s'avèreront
programmables et seront éventuellement programmées qui permet
de croire que l'on disposera un jour d'une richesse en services comparable
à la richesse en biens matériels qu'a apportée l'industrialisation.
Une société ne sera vraiment riche en services que quand elle
aura réussi la programmation de tous les services qui peuvent être
programmés et elle le sera d'autant plus qu'une part plus grande
des tâches du secteur tertiaire l'auront été.
La problématique de la structure et du fonctionnement du secteur
tertiaire doit donc prévoir la programmation progressive de toutes
celles de ses activités qui peuvent l'être. Prévoir
donc aussi, à côté d'un volet d'activités qui
ne seront pas programmées et qui apparaîtront de plus en plus
comme inprogrammables, un volet d'activités qui auront été
programmées, mais dont la finalité restera celle du tertiaire
et dont il faudra donc gérer la production et la distribution dans
l'optique d'une transformation du sujet plutôt que d'un objet
La gestion du secteur tertiaire doit avoir pour priorité les
activités inprogrammables, mais la gestion du segment en croissance
des activités programmées n'en sera pas pour autant négligeable.
Parce que le tertiaire cherche à satisfaire les désirs au-delà
du possible et que l'inprogrammable, par définition, n'en peut satisfaire
que ce que permet une intervention humaine toujours rare et donc coûteuse,
c'est le champ des services tertiaires programmés qui va inévitablement
représenter tôt ou tard la masse des activités d'une
économie tertiaire.
Pas la masse en termes de main d'uvre, ni même en termes de en
valeur - car le coût de ces services programmés va diminuer
au rythme de leur programmation et tendre vers presque rien - mais, justement
parce que le coût en sera dérisoire, la masse des activités
en volume et en termes du temps que les utilisateurs vont y consacrer. C'est
l'activité tertiaire programmée qui va devenir omniprésente
dans une économie tertiaire.
C'est elle qui sera le foyer d'animation le plus ostensible dans la
vie quotidienne - même si on en vient pas accoutumance à ne
plus vraiment la voir, comme on ne voit plus tous ces gens l'oreille rivée
à leur cellulaire et, en dernier ressort, c'est l'activité
tertiaire programmée qui va mettre sa signature sur la société
et en devenir pour un temps le symbole.
Comment cette programmation progressive du tertiaire se présentera-t-elle
et quels en seront les effets ? Le tertiaire actuel consistant essentiellement
d'activités non-programmées se scindera en deux segments.
Il y aura, d'une part, un segment d'activités qui apparaîtront
de plus en plus indiscutablement inprogrammables, auxquelles s'ajouteront
des activités nouvelles correspondant aux aspects non-programmables
d'activités qui auront été presque entièrement
programmées.
Quels sont ces aspects non-programmables ? La part de l'humain est la
création, la décision et l'empathie. En médecine, par
exemple, la chirurgie par laparo montre la voie : l'humain décide,
la machine exécute. Ce n'est qu'une question de temps avant que l'intervention
physique directe du chirurgien dans le processus opératoire se limite
à des mesures correctives qui deviendront de moins en moins fréquentes
à mesure que la machine « apprendra ». La même
évolution se produira pour tous les services.
Il y aura, d'autre part, les activités qui seront programmées
et, peut-être, regroupant les aspects programmables de diverses activités
essentiellement inprogrammables, de nouveaux regroupements de tâches
en mini-activités qui serviront de soutien à ces activités
inprogrammables. Ici, c'est l'impartition qui peut servir d'exemple. De
même que les firmes industrielles tendent à sous-traiter tout
ce qui n'est pas essentiel à leur mission, de même les professionnels
autonomes que leur formation longue aura habilités à créer
et à décider confieront de plus en plus les aspects mécanisables
de leur activité à d'autres professionnels qui en gèreront
l'exécution quasi totale par des machines, ceux-ci franchissant sans
pudeur les frontières des occupations.
Les similitudes entre le segment programmé du tertiaire et les
activités des secteur primaire et secondaire qui ont déjà
vécu cette évolution et ont été programmés
font que l'on peut voir sans appréhension la gestion de ces services
programmés qui vont se multiplier. La gestion de ce segment du tertiaire
sera plus facile que celle des activités inprogrammables; sur un
autre plan, toutefois, les conséquences de cette occupation presque
complète de la vie quotidienne par des machines peuvent être
graves et poser d'autres défis.
Dans une société d'opulence, où la lutte pour la
vie sur le plan professionnel cesse d'être une absolue nécessité
pour devenir un choix, le loisir devient dominant et la prolifération
d'activités programmées ludiques, en symbiose avec des ordinateurs
et des automates, peut poser un problème. Nintendo remplaçant
les romans télévisés comme substitut à l'action
? Le résultat des tournois de jeux sur ordinateurs faisant la une
des journaux ? Ce site n'a pas pour objectif d'aborder ce genre de questions,
mais il faudra réfléchir au risque d'une immersion totale
dans l'insignifiance que constitue la disponibilité illimitée
de services-ersatz dont la programmation rend le coût dérisoire.
1.1.6 Une gestion à trois volets
En plus de gérer les activités programmées comme
inprogrammables, la structure du tertiaire devra aussi diriger la transformation
de celles-ci en celles-la et encourager la programmation incessante des
activités non programmées. Une société d'économie
tertiaire doit déployer tous ses efforts pour que soient identifiés
et programmés au plus tôt les nouveaux éléments
spécifiques à chaque service que la technique rend un à
un programmables.
Cet effort constant de programmation/automation - à l'opposé
des manuvres de la société actuelle, obnubilée par
le désir de préserver des emplois au profit de la structure
industrielle à laquelle elle s'identifie - constitue le troisième
volet essentiel de la gestion du secteur tertiaire. C'est le plus déterminant
dans ses effets à long terme. Il ne faut pas l'oublier. C'est aussi
le plus exigeant.
Chaque service programmé veut dire un exode de main-d'uvre, une
formation réadaptée, une rémunération revue,
un accès différent à ce service, une hiérarchie
sociale subtilement changée, un rôle modifié pour l'État
C'est une tâche ardue mais qui en vaut la peine, car la programmation
progressive des services est désormais la forme la plus visible que
prendra l'évolution de la société elle-même
La gestion correcte du secteur tertiaire implique que l'automation de
ces activités en instance de programmation et la plupart le
sont en partie, au-delà de ce qu'on en peut prévoir - se fasse
sans heurts. Celle-ci doit se faire au rythme des avancées technologiques,
mais aussi de la réceptivité sociale aux changements que cette
mutation signifie. Il faut bâtir une structure du tertiaire capable
d'accélérer cette programmation de tout ce qui peut l'être,
comme d'accommoder l'intégration des activités nouvellement
programmées à une structure de gestion des services, sans
nuire au fonctionnement de celles qui ne le sont pas encore ou ne le seront
jamais.
Une Nouvelle Société propose une structure d'agencement
des ressources humaines conçue essentiellement pour optimiser les
activités inprogrammables, mais qui veille aussi à ce que
soit vite programmé tout ce qui peut l'être et à ce
que soit ensuite géré efficacement tout ce qui l'aura été.
Nous verrons plus loin cette structure.
1.1.7 La pierre de touche
L'importance du tertiaire tient surtout à l'inprogrammable qui
s'y loge. Il semble facile de déceler l'inprogrammable et de lui
accorder l'attention qu'il mérite, mais le passé récent
a fourni bien des exemples où la machine a atteint de nouveaux sommets
et l'intelligence artificielle peut nous réserver des surprises.
J'ai dit souvent sur ce site que le propre d'une tâche digne d'un
être humain est qu'elle fasse appel à la créativité,
l'initiative et l'empathie. C'est vrai, mais le travail peut porter des
masques et la machine aussi. N'importe quel processus aléatoire peut
simuler ou émuler la créativité. L'initiative n'est
pas vraiment un obstacle pour les machines, seulement une frontière
qu'on leur impose, à la limite de ce qu'on prétend pouvoir
prévoir des effets des critères de décision qu'on insère
dans leurs programmes. Quant à l'empathie mieux vaut ne pas y penser.
Est-il possible d'avoir une pierre de touche strictement pratique pour
départager, sur le marché du travail, ce que l'on devrait
de ce que l'on ne devrait pas programmer ? J'en propose une, sous toutes
réserves : l'apport de la personnalité du travailleur au résultat.
Dans le secteur primaire ou le secondaire industriel, cet apport est
nul ou du moins présumé nul. Même si on peut en tirer
parfois un avantage de marketing, une pomme n'a pas à véhiculer
avec elle, à travers les réseaux de distribution, la marque
du travailleur agricole qui l'a cueillie, ni un stylo celle des ouvriers
qui l'ont fabriqué. Le produit est bon s'il sert sa fin ou il ne
l'est pas. S'il n'y a pas cette parfaite indifférence quant a la
façon dont la chose a été faite, on parle d'art et
non plus d'industrie.(*6)
Quand il s'agit des services du tertiaire, au contraire, quelles que
soient les normes auxquelles on tente de les assujettir, la satisfaction
qu'ils procurent et qui pour un service est une condition indispensable
de sa qualité - tient pour beaucoup à l'attitude, voire à
la personnalité de celui qui le rend. Une dent arrachée est
un problème réglé, mais le client a aussi d'autres
critères pour choisir son dentiste. Un garçon de café
peut travailler ou non de façon impeccable, et ceci ne dépend
pas entièrement des contrôles qu'on met en place pour vérifier
son travail, mais aussi de son désir de l'exécuter parfaitement.
En matière de services, la qualité dépend, pour
une part significative, du travailleur qui le rend et de sa façon
de le rendre. Si la valeur du service qui est créé et offert
dans le secteur tertiaire est indissociable du travailleur lui-même,
on est dans le domaine de l'inprogrammable. Si peu importe qui l'exécute,
ce service sera tôt ou tard programmé et le plus tôt
sera le mieux. Ceci est vrai de tous les cas et constitue une pierre de
touche pour l'inprogrammable. Dans la mesure, bien sûr, où
c'est l'utilisateur qui en juge
Conséquence de cette importance de la manière de rendre
un service? Une revalorisation du facteur travail, que l'industrialisation
avait relégué au rang d'une matière première.
Si le primaire ne pouvait mettre l'accent que sur la matière première
et l'industrie sur l'outil (capital), le tertiaire, dans la mesure où
il regroupe des activités non-programmables, doit le mettre sur le
travailleur.
Quand le secteur tertiaire envahit et occupe presque toute la structure
économique, comme il achève de le faire, le travail devient
I N E V I T A B L E M E N T le facteur crucial de la production. Il faut
accepter une nouvelle façon de travailler.
1. 2 LA PRODUCTION DES SERVICES DANS UNE ECONOMIE TERTIAIRE
Ce qui identifie une économie tertiaire, c'est le rôle
vedette qu'y prend le travail, face aux autres facteurs de la production.
Matière première, travail et capital sont toujours essentiels
à toute production (*7), mais il est clair
qu'une économie primaire est prioritairement axée sur la matière
première et une économie secondaire (industrielle) sur le
capital/équipement qui est le multiplicateur nécessaire pour
atteindre l'abondance. Une économie tertiaire prend la relève
de l'abondance matérielle et propose une nouvelle richesse qui prend
la forme de services rendus. Des services rendus par des travailleurs dont
chacun a sa compétence qu'on souhaite complémentaire à
celle des autres
Dans une économie tertiaire mature, le travail et cette compétence
spécifique du travailleur sont à la base de tout, puisque,
les travaux répétitifs de soutien à la gestion ayant
été programmés, la quasi-totalité des activités
économiques y consiste en services rendus DIRECTEMENT par un travailleur
es qualité de travailleur, à un autre travailleur es qualité
de consommateur. On veut que chacun soit compétent et responsable
du service qu'il offre. C'est de cette responsabilisation du travailleur
que dépend la satisfaction de tous. Les modèles de travail
favorisant la responsabilité, conçus d'abord pour le secteur
tertiaire où ils sont indispensables, en viennent à s'imposer
partout où il est possible de les introduire, même dans les
secteurs primaire et secondaire, simplement parce qu'ils sont plus performants.
(712) C'est donc dans tous les secteurs d'une économie
tertiaire qu'on en vient à travailler différemment.
1.2.1 Autonomie et sécurité
Dans une économie tertiaire, le mot-clef, pour optimiser le travail
est MOTIVATION. La motivation s'accommode mal de contraintes externes
menaces et même promesses et rien n'optimise tant la motivation
que l'internalisation des facteurs qui la suscitent. La relation employeur/employé
de l'ère industrielle tend donc à disparaître d'une
société post-industrielle (701). Un
peu tout le monde cherche à y devenir un créateur autonome
de valeur en y rendant un service.
Création et fourniture d'un service, mais aussi des services
connexes qui facilitent la création et la fourniture du service principal.
Souvent, dans une économie tertiaire, le créateur de services
assume aussi la fonction de publiciste, de distributeur et de vendeur du
service qu'il peut apporter.
Dans une société post-industrielle où c'est l'échange
de services qui prédomine, ce n'est donc plus le travailleur salarié,
mais le travailleur autonome, mieux motivé, qui devient nécessairement
la norme. La structure du travail doit refléter cette nécessité.
Le travailleur type n'a plus un patron, mais un -ou parfois une multitude
- de « clients ». Cette transformation de la relation entre
celui qui produit et celui qui consomme les conduit tous deux à adopter
des attitudes et des comportements différents.
Le travailleur type d'une société post-industrielle doit
assumer de nouvelles fonctions. Produisant dans une économie tertiaire
et devenu autonome, il doit recevoir une formation différente, exécuter
des tâches différentes et les exécuter autrement. Sa
relation au travail est complètement transformée. Il devient
un travailleur différent.
Comment une Nouvelle Société, dans sa relation avec les
travailleurs, s'adapte-t-elle à cette évolution vers une économie
tertiaire et l'autonomie ? Plus que tout, en lui apportant la SÉCURITÉ,
car la motivation qui peut aller de paire avec l'autonomie ne s'exprimera
pas correctement si elle est obnubilée par l'anxiété.
La sécurité que la société doit fournir
au travailleur, c'est celle d'avoir droit en tout temps à un emploi
salarié garanti et au revenu qui y correspond. Il peut accepter ou
refuser ce travail et le revenu correspondant, mais il ne perd jamais le
droit de les exiger : ils lui sont garantis. Cet emploi salarié,
s'il décide de l'accepter, ne l'occupe normalement qu'une fraction
de son temps. Moins de1 000 heures par année au départ, en
moyenne, et sans doute bientôt beaucoup moins. Cet emploi est sa contribution
minimale aux objectifs de production de la société, en échange
de laquelle il reçoit, quoi qu'il arrive, un revenu suffisant pour
vivre avec dignité (701)
Libéré d'une part considérable de la charge de
travail qu'on associe traditionnellement aux emplois salariés, le
travailleur d'une Nouvelle Société peut, dans ses temps libres,
poursuivre une activité autonome parallèle et en tirer un
autre revenu. C'est par cette activité autonome qu'il exprime son
ambition, sa volonté acharnée, son initiative et sa créativité.
Le point crucial est qu'il peut le faire sans renoncer à son emploi
salarié ni au revenu que cet emploi lui procure
Le travailleur n'est pas tenu d'exercer une activité autonome
parallèle. Même s'il le fait, d'ailleurs, il peut préférer
exercer une activité gratuite artisanale, artistique, intellectuelle,
voire strictement ludique. Beaucoup de travailleurs, cependant, se prévaudront
de cette discrétion pour mettre à profit à titre autonome
leurs talents, offrir au prix du marché un service qui répondra
alors naturellement à une demande effective en en retirer un revenu.
Les services ainsi offerts viendront satisfaire la demande croissante pour
des services professionnels et non professionnels dans une économie
tertiaire et ils représenteront une part significative de la production
globale. (701)
Le travailleur d'une Nouvelle Société a toujours droit
à un emploi salarié, soit, mais quel emploi lui offre-t-on
? Notons d'abord que dans l'optique du partage du travail salarié,
mesure expliquée au texte 701, le système ne manque jamais
d'emplois. Ceci étant acquis, on affecte le travailleur qui en fait
la demande à un poste de travail en tenant compte de ses circonstances
personnelles et de ses préférences (selon une pondération
préétablie en toute transparence), mais le premier critère
est de à faire la meilleure utilisation de ses compétences,
pour optimiser la production globale au profit de la collectivité.
On l'assigne à un emploi au vu de sa « certification professionnelle
», s'il en a obtenu une, ou au simple vu de ses compétences
dans le cas contraire. Qu'il s'agisse de plomberie ou de physique nucléaire,
la certification professionnelle fait de celui qui l'obtient un «
professionnel ». La certification est un outil essentiel de la gestion
des ressources humaines dans une Nouvelle Société.
1.2.2 Compétence et certification
Une Nouvelle Société distingue entre le diplôme
qui fait foi d'une compétence et la certification professionnelle
qui, prenant cette compétence pour acquise, est en fait in contrat
qu'accorde la société au diplômé pour l'utilisation
de ses services. Un contrat sous condition suspensive, qui créé
une responsabilité pour la société et une sécurité
pour le travailleur, mais ne prend effet que quand celui-ci le veut.
Au moment de cesser ses études à temps complet et d'accéder
au marché du travail, chaque individu /travailleur d'une Nouvelle
Société obtient du système d'éducation un diplôme
modulaire faisant foi des compétences qu'il a acquises. Au moment
de commencer formellement à travailler, il a une compétence
reconnue par diplôme. Ceci ne marque pas la fin de sa formation, loin
de là ; il pourra ensuite, tout au long de sa vie professionnelle,
augmenter indéfiniment sa compétence sans autres limites que
celles de ses aptitudes et de sa volonté de le faire, mais il a une
compétence reconnue.
La société doit mettre à la disposition de tous
les moyens de se réaliser par le savoir et donner à chacun
l'opportunité d'atteindre les plus hauts échelons de la compétence
professionnelle. Cela dit, il est impossible que les aspirations des individus
coïncident parfaitement avec les besoins de l'économie. Au droit
de l'individu de se former sans limites doit correspondre celui de la collectivité
de n'utiliser que les compétences dont elle a besoin.
Dans une économie libérale, c'est le marché qui
choisit ceux qui tireront profit de leur formation et ceux qui auront acquis
cette compétence en vain. Il le fait en fonction du prix qu'en demandent
ceux qui la possèdent. Avant que le choix ne s'effectue, la valeur
marchande de la compétence aura donc oscillé, celle-ci se
dévalorisant sans raison valable en démotivant tous ceux qui
ont fait le choix de s'y investir.
Une Nouvelle Société procède autrement. Elle informe,
bien sûr, les travailleurs qui veulent se former des besoins de la
société, avec autant d'anticipation que les techniques de
prévision le permettent, mais elle régularise aussi ce marché
des compétences où les travailleurs sont aujourd'hui assimilés
à une matière première. C'est la certification qui
régularise le flux de l'offre de travail et en maintient donc la
valeur. Le nombre des diplômés est illimité, mais celui
des travailleurs certifiés est bien contrôlé.
La certification professionnelle n'est pas un examen tous les
postulants sont déjà diplômés et donc compétents
- mais un concours où sont choisis les meilleurs ; la certification
est accordée au nombre précis de postulants qui correspond
à ce que l'on pourrait appeler la « demande effective »
de la société pour les divers agencements de compétences
qui constituent des professions. Le seuil de passage s'ajuste automatiquement
à la demande. Celui dont la compétence a été
reconnue par diplôme peut se présenter à des concours
périodiques fréquents pour obtenir sa certification.
La certification fait de celui qui l'obtient un « professionnel
». Elle garantit à son titulaire qu'en tout temps, s'il demande
un emploi, il sera rémunéré au niveau de salaire correspondant
aux postes pour lesquels cette certification le qualifie. Ceci, même
si le poste de travail qu'on peut alors lui confier ne fait appel qu'à
une partie de ses compétences et est de niveau inférieur à
celui dont fait foi sa certification (701).
Si, au contraire, le rapport de l'offre à la demande sur marché
du travail est tel que l'on doive affecter un travailleur non certifié
ou de certification inférieure à un poste de travail défini
comme exigeant une certification professionnelle supérieure, un concours
de certification approprié doit avoir lieu dans les trente (30) jours.
Les diplômés non certifiés à ce niveau ont l'occasion
de s'y présenter et, le seuil de passage s'ajustant automatiquement
à la demande, leurs chances de réussir ce concours sont d'autant
meilleures que le marché est alors en manque évident de professionnels
de ce type.
Un poste ne peut être accordé qu'à qui a réussi
le concours de certification et l'on doit accorder immédiatement
alors à celui-ci, avec sa certification, tous les avantages qui s'y
rattachent. Ceci est important, car le grand clivage dans la main d'uvre
d'une Nouvelle Société est entre les travailleurs professionnels
et les non-professionnels. On ne peut éviter que ce clivage existe
; on doit seulement s'assurer qu'il se crée et est maintenu en toute
justice. Ne pas obtenir une certification professionnelle ne doit toujours
être que partie remise ; c'est un contretemps qui ne doit jamais marquer
pour aucun travailleur la fin du progrès ni de l'espoir. (Ceci est
une brève explication que l'on pourra compléter en lisant
le texte 704)
La certification crée des professionnels et leur garantit un
standard de rémunération. Elle vise à en créer
davantage et, ultimement, à ce que tous les travailleurs soient des
professionnels. La certification augmente la sécurité des
travailleurs sans conduire la collectivité à la ruine, car
c'est toujours la demande effective telle qu'estimée qui détermine
le nombre de travailleurs auxquels est accordée la certification
dans une profession donnée et c'est toujours un arbitrage interprofessionnel
qui détermine les niveaux de rémunération (102).
Si la certification ne fait que du bien et ne coûte rien, pourquoi
ne pas supprimer la distinction qui apparaît presque vexatoire entre
travailleurs professionnels et non-professionnels ? Pour deux raisons.
La première, c'est que la certification vise à établir
une adéquation par catégories fines entre l'offre et la demande
de travail. La certification ne pourrait être exhaustive que si les
analyses de tâches et les estimations des besoins s'amélioraient
au-delà de ce que l'on peut aujourd'hui espérer. Si une occupation
n'est pas l'objet d'une certification, ce n'est donc pas parce qu'elle est
indigne de l'être, mais parce qu'il n'est pas possible d'en définir
le contenu cognitif pour fin de formation, que ce contenu varie trop rapidement
ou que l'estimation est impossible du nombre de travailleurs dont on a besoin
pour répondre à cette demande de travail. Ces conditions s'appliquent
à certaines tâches indifférenciées exigeant peu
de compétence, mais pas nécessairement à toutes ces
tâches et encore moins uniquement à celles-là !
La deuxième raison, c'est que tout travail ne peut pas être
analysé ni sa valeur évaluée. Le travail inprogrammable
ne peut pas l'être et la tendance lourde de la main-d'uvre va vers
l'inprogrammable. De plus en plus de travailleurs seront certifiés,
mais cette hausse constante du pourcentage de professionnels dans la société
ne reflètera pas tant une augmentation de la compétence générale
qu'une meilleure prévision des besoins. Surtout, cette hausse ira
de paire avec une perte d'importance relative du concept de professionnalisation,
à mesure que, dans une société de création et
d'initiative, la compétence de chacun deviendra de plus en plus unique
et indéfinissable et qu'une part croissante de l'activité
sera hors du cadre des emplois.
1.2.3 Les travailleurs professionnels
Une perte d'importance bien relative car, si pour quelques-uns la certification
ne sera qu'un coussin douillet permettant de mieux atterrir dans le filet
d'un emploi salarié quand ils auront raté le trapèze
d'une initiative comme travailleurs autonomes, pour d'autres c'est leur
travail autonome lui-même qui sera encadré et valorisé
par leur statut de professionnel.
Il faut donc distinguer entre professionnels salariés et autonomes.
Chez les salariés, il faut distinguer encore entre ceux dont le salaire
n'est qu'un en-cas en attendant mieux - et pour qui le statut professionnel
est une bonification - et ceux dont le salaire est vraiment la principale
source de revenu. En ce dernier cas, le professionnel salarié sera
généralement celui auquel des circonstances exceptionnelles
ne permettront pas que l'on offre une forme de compensation plus motivante.
Dans les secteurs primaire et secondaire, les salariés seront
généralement des experts à compétences très
pointues, irremplaçables, et dont on ne voudra à aucun prix
qu'ils désertent, ni surtout parfois qu'ils amènent ailleurs
des renseignements précieux. Si un partenariat à long terme
ne peut pas être conclu, une relation employeur/employé peut
parfois solidifier un lien qu'on veut permanent mieux qu'un simple contrat
de services. Le travail secrétarial représentera une part
importante du marché des professionnels salariés. Ces professionnels
salariés des secteurs primaire et secondaire seront peu nombreux,
toutefois, et leur nombre ne pourra que décroître dans une
structure où l'impartition et la sous-traitance deviendront les formes
privilégiées de travail, mais ils ne disparaîtront pas.
(712)
Au secteur tertiaire, les professionnels salariés, mis a part
le travail secrétarial et de soutien à la gestion, seront
les fournisseurs de services dont la nature des tâches est telle qu'on
ne peut pas faire dépendre leur rémunération de ceux
qui sont l'objet de leur attention - gouvernants, administrateurs publics,
juges, militaires, policiers, etc. ni d'une performance dont l'évaluation
ne pourrait être objective
Ces cas mis à part, il y aura peu de professionnels salariés
permanents. À titre temporaire oui, car professionnels comme nonprofessionnels
ont droit en tout temps à un emploi garanti, mais ils ne s'en prévaudront
qu'en cas de crise, puisque le taux de rémunération des heures
qu'ils devront alors consacrer à leur emploi sera inférieur
à ce qu'ils pourraient normalement retirer d'un travail autonome
durant le même temps.
La plupart des professionnels agiront donc comme travailleurs autonomes.
Qui sont les professionnels autonomes d'une Nouvelle Société
?
Certains professionnels fourniront les services qu'offrent aujourd'hui
les grands réseaux gérés par l'État : éducation
(704), santé (705), justice (*4)(702b)
et services administratifs divers (708). Aux services dont l'État
assure dès à présent le paiement, viendront s'en ajouter
d'autres à mesure que l'enrichissement de la société
le permettra et qu'un consensus social acceptera que soit haussé
le seuil minimal de ce qui est jugé essentiel. Dentistes, optométristes,
chiropraticiens seront sans doute intégrés vite au système
de rémunération par l'État, de même que les praticiens
de diverses médecines moins conventionnelles.
L'État prendra aussi en charge la rémunération
des professionnels de diverses autres disciplines dont on souhaitera que
chaque citoyen puisse bénéficier des conseils. L'État
assumera toujours le financement des services auxquels la société
jugera qu'en principe tout citoyen a droit. Elle le fera en prenant en charge
la rémunération de professionnels autonomes, mais, comme nous
le verrons dans un chapitre suivant, en s'assurant bien que soit établi
et maintenu le lien essentiel qui aujourd'hui parfois fait défaut
entre la satisfaction de celui qui reçoit un service et la rémunération
de celui qui le rend.
Les professionnels autonomes, toutefois, ne se limiteront pas à
ces seules activités payées par l'État. La majorité
d'entre eux, au contraire, exclusivement ou en parallèle à
un emploi, offriront leurs services à la population contre rémunération,
à titre privé et selon les termes des ententes dont ils auront
convenu. Quiconque le souhaite pourra offrir à la population, contre
paiement, tous les services légitimes qui trouveront preneurs, à
la seule condition de ne faire aucune fausse représentation quant
à sa compétence, sa certification, ses appartenances professionnelles,
les résultats qu'il a obtenus ou ceux qu'il s'engage à obtenir.
Certains d'entre eux offriront des services du même type que ceux
dont le coût est pris en charge par l'État, mais en s'adressant
alors à la demande pour la part de ces services qui excèdera
le seuil fixé par le consensus social en deçà duquel
ils seront jugés essentiels. D'autres innoveront, mais toujours conscients
que leur rémunération, dans le cadre d'un emploi éventuel,
ne peut être garantie à la hauteur des revenus qu'ils ont tirés
de leur innovation, mais seulement en conformité avec la certification
qu'ils ont obtenue.
1.2.4 Les travailleurs non-professionnels
Le pourcentage de travailleurs professionnels, nous l'avons dit, va
augmenter progressivement. C'est un avantage, mais il ne faut pas accorder
à ce phénomène une importance exagérée,
ni surtout se méprendre sur sa signification. C'est la certification
qui crée les professionnels et celle-ci, étant fonction de
la demande, devient une mesure des besoins estimés de main-d'uvre
par catégories professionnelles plutôt qu'un indicateur des
compétences disponibles. C'est la diplômation qui est un estimateur
efficace des compétences disponibles et donc du niveau d'éducation/formation
réel de la société.
C'est au palier de la diplômation qu'on pourra voir tous les progrès
réalisés. À ce palier, la main-d'uvre d'une Nouvelle
Société apparaîtra hyper éduquée et hyper
formée. Elle sera globalement surqualifiée, avec des effets
ambivalents. C'est le choix conscient d'une Nouvelle Société
que les compétences y soient surabondantes, tant pour encourager
un meilleur développement culturel de l'individu (704)que
pour réduire, comme nous le verrons plus loin, le pouvoir exorbitant
que pourraient acquérir sur le fonctionnement de la société,
à mesure que la division du travail se raffine, des groupes de plus
en plus restreints de spécialistes dont les exigences peuvent devenir
intolérables.
Le pourcentage de professionnels va donc augmenter, mais le pourcentage
de travailleurs diplômés va augmenter encore bien plus et,
même en faisant tous les efforts possibles pour définir des
catégories d'appartenance nouvelles permettant la professionnalisation,
il faudra accepter qu'une part décroissante du travail seulement
s'inscrive dans les catégories rigides des professions qu'on aura
identifiées.
Les travailleurs agiront donc de plus en plus hors du champ de leur
certification. Ce sera pour beaucoup l'occasion d'un dépassement
dans l'autonomie, mais beaucoup aussi parfois les mêmes dans
le cadre d'un emploi salarié - travailleront en deçà
du niveau auquel leur qualification professionnelle la plus élevée
leur permettrait d'accéder.
Ce phénomène s'appliquera aux professionnels comme aux
non professionnels, mais les conséquences monétaires de cette
surqualification seront corrigées pour les professionnels, puisque
leur rémunération d'emploi sera fixée par leur certification
la plus élevée. C'est justement c'est justement la limitation
de leur nombre par le processus de certification qui permettra à
la société d'assumer les frais de cette correction.
Cette correction n'existe pas pour le non-professionnel, auquel la sécurité
d'un emploi ne garantit qu'un revenu minimum. Il est dans une situation
moins confortable, même si ce revenu minimum est fixé au niveau
le plus élevé que permet la richesse de la société
et le consensus social.
1.2.4.1 Les non-professionnels surqualifiés
Les travailleurs diplômés, mais qui ne sont pas des professionnels
parce qu'ils n'ont pas réussi le concours ad hoc et obtenu une certification,
constituent le groupe emblématique des surqualifiés. Leur
échec, à un concours qu'on a voulu ni plus ni moins ardu que
ce qu'il faut pour départager le nombre de postulants correspondant
à la demande effective, ne signifie pas qu'ils soient incompétents
; ils possèdent, au contraire, une compétence reconnue par
diplôme bien similaire à celle de ceux qui l'ont réussi.
Ils n'ont simplement pas été « les meilleurs »
et la différence entre les meilleurs et les autres tend à
devenir bien mince, aléatoire même, quand les appelés
sont nombreux et les élus peu nombreux.
Ces non professionnels sont en attente de devenir des professionnels.
On peut penser que s'ils maintiennent leurs connaissances à jour
et persistent à se présenter aux concours, comme ils en gardent
toujours le droit, ils deviendront aussi, un jour, des professionnels certifiés,
pour tout ou partie des compétences qu'ils ont acquises, dès
que la demande ou une estimation différente de la demande le justifiera.
Peut-être.
Peut-être, mais ce n'est pas certain, car leur certification éventuelle
ne dépend pas tant d'une amélioration de leurs connaissances
que des fluctuations de l'économie et du nombre comme de la qualité
de ceux qui, malgré des taux de certification bas et la publicité
dissuasive qui en sera faite, n'en voudront pas moins obtenir le même
diplôme et tenter leur chance.
Ces non-professionnels dans les limbes de la professionnalisation et
donc surqualifiés sont dans une situation malheureuse. On ne peut
accepter cette situation que parce que les deux scénarios qui constituent
l'alternative sont pires. D'un côté, il y a le verrouillage
de la profession à l'entrée, ce qui ne permet pas la meilleure
sélection, puisque celle-ci ne peut alors tenir compte de la diligence
qu'auraient mise les postulants rejetés à acquérir
les compétences requises. De l'autre, il y a la certification universelle
des diplômés, encore pire, car elle sature l'offre et rend
utopique la mise en place d'un revenu garanti qui tienne compte des compétences,
une différentiation essentielle pour qu'existe la motivation pour
une formation permanente.
La situation du non-professionnel surqualifié est le moindre
des maux, mais elle est malheureuse. Comment l'adoucir ? En ne permettant
pas que l'échec au concours de certification n'interdise jamais à
quiconque possède le diplôme adéquat de pratiquer une
activité de niveau professionnel. Les diplômés qui ont
échoué le concours doivent pouvoir exercer à titre
autonome une profession qui exige normalement une certification, pourvu
qu'ils précisent CLAIREMENT aux utilisateurs de leurs services qu'ils
n'ont PAS obtenu cette certification.
Même ainsi, d'ailleurs, les inconvénients pour les diplômés
qui ne seront pas certifiés en attendant que peut-être,
un jour, ils le soient n'en sont pas moins lourds. Il y en a deux
(2) :
- Ils ne peuvent pas obtenir de l'État le paiement par capitation
qui, comme nous le verrons plus loin, est le moyen par lequel celui-ci assume
le coût des services essentiels rendus à la population. Il
est impossible d'en faire bénéficier ceux qui n'ont pas été
certifiés, puisque le premier but de cette forme de paiement est
justement de déterminer, par la certification, le nombre de ceux
qui peuvent obtenir cette rémunération et donc de permettre
l'équilibre du budget de l'État ;
- ils ne peuvent être affectés à des postes classés
comme exigeant une certification lorsqu'ils exercent leur droit de demander
un travail salarié. Leur revenu ne peut donc s'établir qu'au
seuil plus bas fixé par le consensus social pour les travailleurs
non-professionnels (non certifiés).
Même avec ces restrictions, certains non-professionnels diplômés
non certifiés offriront quant même à la population des
services de type professionnel. D'autres, à ces condition, ne le
voudront pas ; comme ceux qui n'ont pas obtenu la compétence que
confirme un diplôme, ils fourniront à la société
des services de niveau non-professionnels. Des services n'exigeant pas que
l'on ait reçu, après la fin du cycle général
d'éducation, une formation spécifique d'une durés égale
ou supérieure à trois (3) mois
1.2.4.2 Les non-professionnels à qualification courte
Les tâches qui n'exigent pas une formation spécifique d'une
durés égale ou supérieure à trois (3) mois,
après la fin du cycle général d'éducation, sont
dites à formation courte et réputées de niveau non-professionnel.
Elles ne requièrent pas de certification.(704)
Les travailleurs effectuant ces tâches de niveau non professionnel
seront présents dans les secteurs primaire et secondaire, où
ils s'acquitteront des tâches de type manutention, entretien simple
ou gardiennage, mais c'est surtout au secteur tertiaire, qu'on les retrouvera.
Effectuant tout ce qu'on appelle maintenant les « petits boulots »,
ils constitueront la masse de ceux qui travailleront partie comme travailleurs
autonomes, partie dans le cadre d'un emploi salarié
Est-ce à dire que tous les non-professionnels qui n'ont pas de
formation spécifique ègale ou supérieure à trois
(3) mois constitueront une masse de travailleurs interchangeables ? Ce serait
le cas si seule la formation contribuait à la qualité d'un
service, mais il est clair que la réalité est tout autre.
L'avenir, dans une société tertiaire, est aux fonctions autonomes
de créativité, d'initiative et d'empathie. Des fonctions largement
indescriptibles et donc « non-professionnelles », que peuvent
occuper indifféremment ceux qui ont ou n'ont pas été
certifiés
Les travailleurs de la créativité, de l'initiative et
de l'empathie n'ont pas à être certifiés. Ils ne peuvent
pas l'être et ils ne doivent pas l'être. Il ne faut donc pas
penser que les travailleurs non-professionnels occuperont nécessairement
le bas du pavé. La médiane des non-professionnels se situera
sans doute, tout comme aujourd'hui, à un niveau de prestige et de
revenu plus bas que la médiane des professionnels, mais dans une
Nouvelle Société, tout comme aujourd'hui et sans doute encore
plus, ce sont des travailleurs non certifiés, ou certifiés
mais n'agissant pas dans le domaine de leur certification professionnelle
artistes, sportifs, entrepreneurs divers qui occuperont le faîte
de la pyramide des revenus.
En reconnaissant un clivage entre professionnels et non-professionnels,
une économie tertiaire ne renonce pas à l'émancipation
sociale d'un vaste segment de la population ; elle prend acte d'une exigence
opérationnelle et donc d'une réalité, pour mieux agir
sur cette réalité. Quels sont les facteurs concrets d'émancipation
sociale qu'on peut souligner ?
D'abord, la condition des non-professionnels est grandement améliorée
par la garantie inconditionnelle d'un emploi à quiconque veut et
peut travailler et l'occasion toujours présente d'exercer simultanément
à cet emploi une activité d'appoint, autonome et légitime.
Dans le cadre d'un emploi industriel « à la chaîne »,
le non-professionnel ne pouvait être qu'un rouage de la machine ;
dans une Nouvelle Société, il a la sécurité
de revenu et son autonomie. Ceci ne lui donne pas seulement la possibilité
d'augmenter son revenu à la mesure de ses talents et de ses efforts,
mais lui donne aussi le TEMPS nécessaire pour se réaliser,
hors du domaine de la production et du travail.
Or c'est ce temps de sécurité et de liberté qui
est la véritable clef de l'émancipation. Personne n'a plus
à n'être qu'un producteur-rouage ; chacun peut être aussi
« autre chose » de son choix : c'est ça, le commencement
de l'émancipation. Au rythme où va croître encore l'abondance
dans une économie tertiaire et où deviendra plus trivial l'effort
requis pour la satisfaction des besoins, l'assimilation de la valeur de
l'individu à sa seule fonction productive va s'estomper et presque
disparaître. ((Crisis & Beyond) )
Il existe déjà aujourd'hui dans les tous WINS - et en
proportion directe de leur richesse - des sous cultures de non-travailleurs,
vivant volontairement de l'aide sociale, au sein desquelles des critères
de gratification et de valorisation se sont développés qui
ne doivent rien à ceux d'une majorité de la société.
Cette situation est aujourd'hui totalement malsaine, puisque ces sous cultures
ne contribuent pas à l'effort commun et abusent donc simplement des
travailleurs. La correction pourrait être brutale.
Dans une Nouvelle Société où, au contraire, chacun
doit fournir un apport, mais où la richesse de la société
permet que fournir cet apport puisse cesser d'être la principale préoccupation
de l'individu, c'est avec respect que seront traités ceux dont le
but dans la vie, lorsqu'ils ont fourni cet apport, sera de se réaliser
par « autre chose ». C'est ce respect qui complétera
leur émancipation et qui fera alors de ces travailleurs non conventionnels
une source de créativité et une richesse pour toute la société.
1.2.5 Les non-producteurs
Dans une économie tertiaire, ce n'est pas seulement les façons
de travailler et de produire qui changent, ce sont aussi celles de ne pas
travailler ou du moins de ne pas produire
Une société d'abondance doit accepter deux (2) principes
complémentaires dans sa relation au travail. D'abord, le principe
que tous doivent participer à l'effort collectif de production de
la société et que personne ne doit en être exclu sans
un motif sérieux. Ensuite, que la collectivité a une responsabilité
absolue envers ceux qui sont empêchés de travailler ou sont
dégagés pour juste cause de l'obligation de produire et que
cette responsabilité n'est satisfaite que si ces non travailleurs
involontaires jouissent de conditions de vie comparables à celles
de la population qui produit.
Dans une Nouvelle Société, tous les efforts sont faits,
pour que seul un minimum d'individus ne participe pas à l'effort
de production collectif. Seuls en sont exclus les handicapés physiques
ou mentaux inaptes au travail - dont ceux se situant à l'extrême
gauche de la courbe des aptitudes mentales et les mineurs jusqu'à
17 ans, âge où ils quittent le système d'éducation
général universel. (704)
Les vieillards ne sont pas exclus de la participation au travail, mais
ils en sont exemptés, à leur discrétion, à partir
d'un âge dont décide le consensus social, lequel détermine
aussi de la pension qui leur sera alors versée alors et qui leur
permettra de vivre dans la dignité. En sont de même partiellement
exemptés - et dotés d'un revenu d'appoint à la hauteur
de l'évaluation médicale qui en est faite - ceux qui souffrent
d'un handicap qui limite leurs activités.
Ces raisons de ne pas produire ou de moins produire sont celles qui
doivent prévaloir dans toute société civilisée.
Dans une économie tertiaire, toutefois, une nouvelle catégorie
de non-producteurs prend une importance énorme : celle de ceux qui
poursuivent leurs études initiales à plein temps après
17 ans, au-delà du cycle général et dans le cycle professionnel.
Ils sont nombreux et exercent donc un prélèvement significatif
sur le revenu global de la société, mais c'est une charge
qu'une économie tertiaire ne peut refuser.
Même dans une société industrielle, on peut soutenir
que la formation est importante, mais dans une économie de services
elle prime tout. Le travailleur formé EST à la fois le capital
fixe comme le travail qui permet cette production. La formation du travailleur
est l'équivalent de la mise en place de l'équipement et l'investissement
dans la formation est la condition sine qua non de la production d'un service
de quelque valeur. Le service est l'expression directe d'une compétence
et sans elle il n'existe pas. Dans une économie tertiaire dont la
quasi-totalité des activités économiques consiste en
services, la formation devient la plus importante de ces activités.
La croissance exponentielle des sciences et des techniques nous a menés
au point où un professionnel autonome consciencieux doit consacrer
au moins 20 % de son temps à la mise à jour de sa compétence.
On en arrivera donc vite au point où 20% de la main-d'uvre sera continuellement
en formation et nul ne sait où cette tendance devrait s'arrêter.
Il n'est pas dit qu'un jour on ne passera pas plus de temps à apprendre
qu'à appliquer ce que l'on aura appris.
Il serait trompeur d'assimiler ceux qui sont en formation à des
non travailleurs. La formation est une partie essentielle du travail, et
un investissement dont une Nouvelle Société, d'ailleurs, retourne
le coût à l'individu qui en est le principal bénéficiaire
(704). Il reste que la formation ne crée pas
une valeur qu'on peut consommer sur le champ et constitue donc une épargne
forcée puisqu'il faut en assurer le financement. L'étudiant
est un travailleur, mais dans l'instant présent il n'est pas un producteur.
Tout ce temps d'apprentissage pendant lequel il ne produit pas constitue
un déboursé énorme et l'une des nouvelles facettes
du travail dont il faut tenir compte lorsqu'on définit la structure
du secteur tertiaire.
Le financement de l'éducation professionnelle n'est pas la seule
responsabilité que doit assumer une Nouvelle Société.
Elle en a d'autres Elle a une obligation de prise en charge monétaire
des vieillards lucides tous ceux qui n'ont pas été déclarés
séniles ou autrement non lucides ainsi que de ceux dont le
handicap est seulement physique et qui ne souffrent pas de déficiences
mentales ont le plein exercice de leur liberté. L'État leur
paye une pension, pour cause de vieillesse ou d'invalidité totale
ou partielle, mais n'intervient pas dans la gestion de leurs affaires.
À côté de ces non travailleurs qu'elle doit seulement
prendre en charge monétairement, il y a ceux dont une société
doit aussi prendre soin : ceux qui n'ont pas le plein exercice de leurs
droits. Dans une Nouvelle Société, les mineurs et les handicapés
mentaux inaptes au travail sont toujours sous la protection d'une personne
ou d'un organisme qui assure leur sécurité et leur bien-être
(un tuteur), ainsi que d'une personne ou d'un organisme qui veille à
leurs intérêts (un curateur). La curatelle et la tutelle peuvent
être, mais ne sont pas nécessairement, confiées à
la même entité. (*8)(8)
Les mineurs, sauf intervention judiciaire, ont à la fois pour
gardien et tuteur celui de leurs parents dont ces deux-ci conviennent à
l'amiable. Sur demande de la Direction pour la protection de l'enfance et
de la jeunesse DPEJ - (704), toutefois, le
tribunal civil peut en décider autrement et attribuer alors ces fonctions
à qui il juge bon. Les handicapés mentaux, quant à
eux, incluant les vieillards déclarés inaptes par le tribunal,
doivent aussi, même s'ils sont sous la garde d'une institution (705), avoir un tuteur et un curateur qui peuvent être
ou ne pas être la même personne, à la discrétion
du tribunal et qui peuvent demander pour eux des comptes à l'institution
gardienne.
En exécution de son obligation de prendre la charge financière
des non-travailleurs, l'État verse au curateur de chaque mineur ou
handicapé mental un revenu mensuel dont le consensus social détermine
le montant. Un montant dont le curateur doit veiller à l'utilisation
pour le bien du bénéficiaire selon les règles prescrites
et dont il doit périodiquement rendre compte à l'État.
Cette nouvelle vision de la responsabilité de la société
envers ceux qui n'ont pas la capacité juridique est annonciatrice
d'une responsabilité sociale plus vaste à assumer envers ceux
de plus en plus nombreux qui ont besoin d'aide et de conseil dans une société
devenant de plus en plus complexe. Il faut aussi tenir compte de ce facteur
au moment de définir la structure du secteur tertiaire d'une Nouvelle
Société.
1. 3 . LE COMMERCE DES SERVICES DANS UNE ECONOMIE TERTIAIRE
On ne travaille pas de la même façon dans une économie
tertiaire. On n'y a pas, non plus, les mêmes patrons d'échange.
Le commerce des services obéit à d'autres impératifs
que le commerce des biens. Celui qui « produit » le service
est souvent celui aussi qui le vend à celui qui en profite. Il doit
l'être. S'il ne l'est pas, il se crée un ménage à
trois où l'intermédiaire est parfois le cocu, mais où
le bénéficiaire du service n'est jamais bien servi. La commercialisation
de masse des services est donc difficile. Nous reviendrons plus tard sur
une solution, mais comprenons d'abord le problème.
Corollaire de l'autonomie du travailleur, le consommateur d'une société
de services, à la différence du consommateur d'une société
industrielle, n'est plus inexorablement à la merci de quelques producteurs
qui constituent un réseau d'oligopoles de fait. Il est à la
fois le producteur et le consommateur. Cela n'était pas moins vrai,
dans une société industrielle, au palier des grands ensembles
« producteurs » et « consommateurs », lesquels regroupaient
blen aussi les mêmes personnes, mais, au niveau des individus, le
droit de cuissage du capital sur le produit du travail biaisait l'équation.
Dans une société de services, ce droit de cuissage du
capital cesse peu à peu d'être exercé, car c'est la
compétence qui constitue le vrai capital fixe. Le producteur qui
la possède et le consommateur qui en a besoin peuvent donc être
seuls, face à face, et ils n'ont alors personne à blâmer
pour les vicissitudes de leur relation. Ce qui ne signifie pas qu'ils soient
toujours d'accord, ni surtout égaux. En fait, ils ne sont jamais
égaux. L'élément rédempteur, qui n'existait
pas dans une économie industrielle, c'est que consommateurs et producteurs
s'échangent continuellement leurs rôles.
Le médecin qui, aujourd'hui, est Dieu dans son cabinet et voit
trembler le notaire son patient, peut n'être lui-même qu'une
victime anxieuse, le lendemain, dans l'étude de ce dernier, si toute
sa fortune dépend de l'interprétation d'un acte juridique.
Il en est toujours de même, avec des conséquences parfois moins
dramatiques, mais toujours bien visibles, dès qu'il s'agit de services.
Dans une économie tertiaire, la notion de pouvoir qui peut fausser
la relation producteur/consommateur n'est pas moins présente que
dans une économie industrielle. La différence est que l'on
n'a plus d'un côté le fort et de l'autre le faible, toujours
les mêmes. Dans le commerce des services, le pouvoir change de mains
selon le problème à régler et la compétence
requise, ce qui impose plus de respect. Il en ressort de nouvelles règles
d'échange.
1.3.1 La tyrannie de la compétence
Dans une économie tertiaire, il y a toujours des travailleurs
en position de producteurs qui peuvent jouir de circonstances de rareté
leur permettant d'abuser d'autres travailleurs en position de consommateurs.
Ce n'est pas l'inégalité permanente et incorrigible que la
société industrielle créait entre un shylock et un
travailleur, mais c'est une suite d'inégalités circonstancielles
qui peuvent aussi être odieuses. Dans une économie tertiaire,
Il se développe une tyrannie de la compétence.
Nous avons parlé souvent sur ce site de la complexification exponentielle
de la technologie qui oblige à une division plus raffinée
du travail. Une répartition plus fine des compétences qui
rend chacun de plus en plus irremplaçable et qui est le moteur de
l'évolution de la société vers la justice et l'équité.
Cette tendance conduit d'abord à un rééquilibrage des
forces et est donc bénéfique. Elle ne n'arrête pas,
cependant, quand un optimum est atteint. Chaque travailleur d'une société
complexe tend à se spécialiser de plus en plus et ce sont
des groupes de plus en plus restreints de travailleurs qui en viennent à
monopoliser la compétence requise pour répondre seuls efficacement
à chaque besoin bien précis.
Ce phénomène se manifeste dans tous les secteurs
et un nombre significatif de postes de l'industrie ne pourront éventuellement
être remplis chacun que par un nombre bien restreint d'experts !
mais, la quasi-totalité de la main-d'uvre se déplaçant
vers le secteur tertiaire, c'est là qu'est le plus apparente cette
évolution vers le « travailleur indispensable », l'expert
dont le pouvoir devient énorme pour un temps, du simple fait que
le nombre de ceux qui peuvent faire ce qu'il peut faire - et qui doit être
fait ! devient tout à coup, aujourd'hui, MAINTENANT, insuffisant
pour répondre à la demande pour les services qu'eux seuls
peuvent rendre.
Le cas limite est naturellement celui où, à une catégorie
de demande, ne correspond qu'un seul expert. Celui-ci constitue alors à
lui seul toute l'offre sur ce marché et peut donc, indépendamment
des efforts réels qu'il lui en coûte, fixer son prix, à
ce que vaut pour l'utilisateur la satisfaction du désir que lui,
l'expert, est ainsi le seul à pouvoir satisfaire. Un cas purement
théorique ? Il existe une foule d'exemples bien concrets de cette
situation d'une offre qui domine totalement la demande.
C'est la situation des artistes, comédiens, sportifs, courtisanes
et vedettes en tout genre, qui bénéficient depuis toujours
d'un tel rapport de forces, parce qu'ils ne sont pas perçus comme
interchangeables ; la demande perçoit chacun d'eux comme unique.
Alors que la majorité d'entre eux peuvent avoir grand peine à
trouver preneurs pour ce qu'ils offrent, pour quelques-uns, la demande est
donc insatiable. À n'importe quel prix. C'est l'anecdote d'Albani
(ou était-ce La Melba ? ) - obtenant le salaire d'un amiral
pour chanter devant le Czar.
La technologie moderne a mené ce phénomène à
son paroxysme prévisible. Sur les marchés de l'art et du spectacle,
où les moyens de communication permettent maintenant à quiconque
devient LA vedette de satisfaire la demande d'une immense masse de consommateurs,
la sujétion totale de la demande a l'offre est affaire faite. La
vedette peut obtenir pratiquement tout qu'elle veut, puisque la valeur marchande
de son travail, multiplié par les moyens modernes de reproduction,
augmente indéfiniment avec le nombre des consommateurs. La meilleure
façon de devenir milliardaire, dans le monde en devenir, est de vendre
à tout le monde un petit rien qui ne coûte pas grand-chose
mais que vous êtes le seul à pouvoir offrir.
Qu'un joueur de soccer ou un chanteur de rock puissent commander autant
de fric que tout un petit pays du tiers-monde peut présenter un problème
éthique, mais ce n'est pas notre propos. Ce phénomène
ne crée pas de drames, puisque la somme totale de ce que peuvent
recevoir l'ensemble des chanteurs de rock ne peut pas excéder la
somme totale de ce que veulent bien leur donner les consommateurs de musique
de rock. Les amateurs payent ce qu'ils veulent. Les artistes se le disputent
entre eux, mais les marchés sont étanches et l'on est au palier
du superflu. Le vrai problème se pose si les marchés ne sont
pas étanches si l'argent du pain passe en drogues, par exemple
ou, parlant de services, si l'on quitte le palier du superflu pour
passer à l'essentiel.
Le problème se pose, surtout, si l'effet multiplicateur n'existe
pas et qu'une prestation de service exige une attention personnalisée.
On tend déjà vers cette situation dans bien des domaines.
En chirurgie, en particulier, des consensus se bâtissent, que véhiculent
d'abord le bouche-à-oreille des initiés, puis la rumeur publique,
qui conduisent à créer un brutal déséquilibre
entre une demande quasi infinie et une offre strictement limitée.
Une situation malsaine est alors créée où il n'y a
plus d'autres limites à ce que peuvent exiger ceux qu'on dit les
« meilleurs » que leur vision personnelle de l'éthique
et la richesse de ceux qui requièrent leurs services.
Dans la mesure où les techniques se ramifient et où chaque
service rendu inclut une composante d'interface personnelle entre l'usager
et son fournisseur de service, ce sont des groupes de plus en plus restreint
de travailleurs autonomes qui disposent seuls - ou sont perçus comme
disposant seuls - de la compétence pointue pour répondre à
un besoin. Le prix d'un service essentiel, au moment où il est essentiel,
peut donc tendre vers l'infini. Concrètement, il peut tendre, comme
un hold-up ou un chantage, vers tout ce que peut donner celui qui éprouve
le besoin. 77% des faillites personnelles aux USA ont aujourd'hui pour cause
immédiate la présentation d'une facture médicale.
1.3.2 Hold-up et surabondance
Le propre des services, c'est que chaque travailleur/consommateur peut
se retrouver, à tour de rôle, en position de force ou de faiblesse,
selon que l'offre pour sa compétence propre est insuffisante ou surabondante.
Chacun peut avoir son heure de gloire, mais c'est surtout dans son rôle
de consommateur, toutefois, que le travailleur/consommateur est faible.
Ce rapport de force est inquiétant et une Nouvelle Société
va faire l'impossible pour que personne ne soit jamais indispensable.
Le consommateur de services, dans une économie tertiaire, peut
vite devenir victime d'un chantage déguisé et être forcé
de payer un prix outrancier pour un service qui lui est indispensable ;
une situation d'autant plus difficile à accepter que celui qui l'exploite
n'est plus un lointain shylock, mais un autre travailleur, son voisin. Pistolet
sur la tempe, le consommateur paye, mais à charge de revanche, bien
sûr, puisque le pouvoir se déplace selon les circonstances.
Le risque est donc bien réel, dans une économie tertiaire,
d'une séquence ininterrompue de chantages, chaque groupe de travailleurs/fournisseurs
de services tentant d'améliorer sa position au détriment de
celle des autres et forçant donc les autres groupes à utiliser
le même procédé, un à un, simplement pour ne
pas reculer en termes relatifs.
On a alors une projection de la situation actuelle de négociations
par grèves et lock-out que nous avons déjà dénoncée
(102), mais en plus inquiétant, puisque l'on
est dans un contexte d'achat-vente et qu'il n'y a pas le contrat cadre d'un
emploi pour modérer les conditions de chaque transaction par une
vision à long terme d'une relation continue. L'ennemi est partout
et c'est vous, aussi, le maître chanteur.
Parce que ce ne sont plus toujours les mêmes qui dominent, mais
tantôt les uns, tantôt les autres, selon les circonstances -
et toujours des travailleurs - la solution définitive à cette
extorsion, dans une économie tertiaire, ne peut certainement plus
être une « guerre des classes », que l'on croit ou non
que cette solution ait jamais été la bonne. La solution doit
revêtir la forme d'un accommodement continu entre travailleurs. Des
travailleurs tous indispensables, dont l'avantage concurrentiel des uns
sur les autres est toujours précaire et qui doivent apprendre à
ne pas en abuser.
Pour réaliser cet accommodement, une Nouvelle Société
s'efforce d'augmenter le pouvoir du travailleur/consommateur pour qu'il
compense celui du travailleur/producteur. Elle fait donc tout en son pouvoir
pour garder SURABONDANTE l'offre pour quelque service que ce soit. Elle
le peut, puisque si les exigences techniques de l'acquisition des compétences
pertinentes à la satisfaction d'un besoin sont hors de son contrôle,
les agencements qu'on peut en faire sont multiples et découlent de
simples décisions politico administratives.
Les temps d'apprentissage vont augmenter et taxer les limites de ce
que l'humain peut retenir et mettre à profit, mais l'offre de service
peut demeurer aussi surabondante qu'on le souhaite, si on met à profit
les innombrables agencements et substitutions de compétences qui
découlent implicitement d'une formation modulaire.
Dans la façon la plus simple de remédier à ce déséquilibre
systémique entre offre et demande, on peut se borner à garder
l'offre surabondante face à la demande, en réaménageant
simplement les limites des professions, en en créant de nouvelles
et en augmentant le nombre des titulaires de la certification qui correspond
à chacune d'entre elles. Un exemple de ce procédé,
appliqué globalement à la médecine, est décrit
au texte 705. (*9)
On peut corriger le problème d'une relation inégale entre
le producteur et le consommateur de services par une action sur l'offre
objective de compétences, mais on ne lacorrige toujours alors qu'en
partie seulement. En partie seulement, car on ne peut pas contrer l'évaluation
subjective que fait le consommateur du professionnel à la mode, ni
le biais systématique, positif ou négatif, qui vient avec
la familiarité et crée une forme d'assuétude : tout
chiro n'est pas MON chiro, tout professeur de français n'est pas
le professeur de français de mes enfants. Chaque professionnel est
différent et, comme l'artiste, constitue à lui seul l'offre
de services tout entière sur un marché où ne se négocient
que SES services
En pratique, donc, quelles que soient les manipulations des professions
auxquelles on recourre, la demande pour un fournisseur de services est aussi
vaste que sa compétence est perçue et que la notoriété
dont il a pu s'affubler. Cette situation est indissociable de la nature
même d'une économie tertiaire. On ne pourrait y mettre fin
qu'en limitant la liberté de choix du fournisseur de service par
les utilisateurs, ce qu'une Nouvelle Société juge inacceptable.
Une Nouvelle Société qui prévoit ce phénomène
de chantage larvé cherche donc plutôt à en réduire
les dommages. Comment ?
D'abord, sur le marché des services essentiels, comme nous le
verrons plus loin, l'État n'est pas un monopsone, mais il est certainement
l'acheteur de premier recours ; le prix qu'il offre pour un service donné
n'est pas imposé, mais ce prix s'impose pratiquement de lui-même
si l'offre est surabondante. On peut donc optimiser la concurrence, sans
variation des prix et en laissant au consommateur sa pleine liberté
de porter un choix. Un choix qu'on veut éclairé, mais sur
lequel chacun n'en peut pas moins porter le regard qu'il veut. Nous verrons
plus loin comment.
Pour les services non essentiels, la société, sans en
assumer le coût, doit néanmoins, en plus d'assurer la surabondance
objective de l'offre par rapport à la demande en manipulant les frontières
des professions, veiller à ce que prévale une perception de
surabondance. C'est cette impression subjective de ne pas être à
la merci d'un fournisseur unique qui permet au consommateur la possession
tranquille du service auquel il a droit. L'État favorise donc : a)
un quadrillage dense du territoire en services divers qui facilite au consommateur
l'accès à divers fournisseurs d'un même service, et
b) des mécanismes d'information qui rendent ce quadrillage parfaitement
transparent. On ne supprime pas ainsi les écarts, entre les prix
de services de même nature, mais on rend ces écarts tolérables.
Quant aux écarts traditionnels entre services de natures diverses,
on ne tente pas de les gommer d'un coup, ce qui serait une source de grande
frustration pour beaucoup et un coup bas meurtrier porté à
toute motivation. (*10). On cherche plutôt,
dans une Nouvelle Société, à réduire la prime
de rareté pour chaque type de services en augmentant l'offre jusqu'à
ce qu'elle s'ajuste à la demande (701). Le
plus grand obstacle à cette approche, même aujourd'hui, est
le corporatisme militant des professionnels en place qui impose des contingentements
à la formation des ressources nécessaires, mais ce n'est pas
le seul : il y a un aspect motivationnel dont il faut tenir compte.
Cette marche vers l'égalité par le nivellement des valeurs
traditionnelles des types de travail est donc entreprise sans délai,
mais elle est gérée en y mettant le temps qu'il faut. Elle
est conduite en toute lucidité, sachant qu'une parfaite égalité
ne sera jamais atteinte. Les rémunérations de ceux qui rendent
les divers services ne sont pas artificiellement égalisées,
mais on laisse plutôt l'arbitrage entre travailleurs (102) lisser
la courbe des variations de valeur des divers types d'expertise, dans le
cadre d'un consensus social auquel s'ajuste la décision politique.
Les rémunérations tendent donc à converger vers une
moyenne. Simultanément, on conditionne le mot est choisi à
dessein - par une éducation appropriée, les travailleurs que
nous sommes tous à accepter que la valeur du travail puisse tendre
vers cette moyenne de convergence.
Ce scénario de contrôle de la consommation des services,
qui privilégie la solidarité après avoir fait le constat
de l'interdépendance, garde les prix des services à l'intérieur
d'une fourchette qui protège le consommateur, mais fournit au fournisseur
la motivation nécessaire pour maintenir son effort. Ce scénario
garde du même coup les écarts de revenus entre les travailleurs
qui sont aussi les fournisseurs de services, ne l'oublions pas - autour
de cette moyenne de convergence dont la valeur réelle, en termes
absolus, augmente sans cesse, néanmoins, au rythme du progrès
économique.
C'est par un consensus social que doivent être fixés les
prix des services, les écarts entre ces prix et cet effort de convergence.
C'est donc par le biais de décisions politiques, souvent modifiées
ou formellement reconduites, que s'exprimera, dans une Nouvelle Société
d'économie tertiaire, ce qui deviendra dans les faits un arbitrage
continu entre les travailleurs/consommateurs eux-mêmes.
Dans une société démocratique, où cette
question de nivellement et surtout de l'échéance qu'on lui
fixe devient sans doute la plus importante cause de désaccord, ce
sont les individus qui finalement doivent décider s'ils seront payés
plus comme travailleurs pour leurs services - et écoperont de la
facture comme consommateurs - ou si, au contraire, ils se consentiront des
aubaines comme consommateurs, ce qui ne pourra que conduire à une
baisse du prix de leur travail.
Cette décision des citoyens aura un impact récurrent
lié aux échéances électorales et pas toujours
à sens unique - sur la gestion de la consommation des services, celle
de la structure du secteur tertiaire et finalement celle de la société
dans son ensemble.
Dans le chapitre suivant, nous verrons la mutation de notre économie
en économie tertiare, par une évolution selon deux grands
axes: la complémentarité des activités et l'autonomie
des travailleurs. Dans le reste de cette Partie I, verrons ensuite le rôle
qui doit échoir à l'État dans une économie tertiaire,
puis une structure d'encadrement des services ainsi que les éléments
qui permettent d'en assurer le fonctionnement satisfaisant.