07.02.26
La santé, le fric... et le bon sens
Pour le Québec, ce qui se passe en France est souvent prémonitoire
... et vice-versa. Ainsi, il y a présentement au Québec des
élections dont le sort se joue sur une crise des coûts de la
santé. N'avez-vous pas une impression de déjà vu ?
La « crise de la Sécu », la grosse baleine, ça
vous rappelle quelque chose ? Evidemment, la Sécu n'est pas morte...
Mais la France n'a pas pris le chemin de la solidarité.
Pendant que la France, la main sur le coeur, jurait qu'elle ne renoncerait
jamais aux acquis sociaux, on a mis tranquillement en place une stratégie
dont l'objectif clairement exprimé est de réduire de 25% en
20 ans les effectifs médicaux. Les connaissances médicales
doublant aux 8 ans, on ne sait plus trop qui appliquera tous ces nouveaux
outils de santé offerts d'une science qui aura tellement plus à donner.
Ou plutôt si, on le sait : la France va tout droit vers une privatisation
de la santé. Il ne s'agit plus que de trouver un nom accrocheur pour
le système de l'avenir.
Avec un peu de retard, le Québec a maintenant aussi des choix
à faire. En 1996, le Gouvernement du Québec a pris la décision
mal avisée de pousser vers la porte une partie non négligeable
des médecins en exercice. J'ai dit à l'époque tout
le mal tout le mal que je pensais de cette décision (Le Prix Mengele). Le Québec ne s'est jamaisremis de ce sabotage de l'excellent
réseau de santé que l'on avait mis une génération
à y bâtir à grands frais.
On a réduit le nombre des médecins au Québec, il
y a 10 ans, parce que les médecins, payés à l'acte,
y coûtaient trop cher. Un médecin payé à l'acte
fixe sa propre rémunération, puisqu'il peut compenser une
baisse du nombre de ses patients par une augmentation des actes médicaux
par client. L'État n'a donc pas de contrôle réel sur
le revenu d'un médecin. Pour diminuer les coûts, au poste de
la rémunération des médecins, l'État n'a pas
d'autre solution que d'en diminuer le nombre.
Diminuer le nombre des médecins, alors que les progrès
de la médecine exigeraient plus de ressources, signifie une détérioration
progressive des services. Aujourd'hui, on console les Québécois
du délabrement du système de santé en promettant une
hausse prochaine des effectifs. Bravo, mais penser que l'on va régler
ainsi le problème suppose qu'on a oublié pourquoi, il y a dix ans, on les avait
réduits, Augmentez les effectifs et les coûts de la médecine vont
augmenter et devenir intolérables. Après un intermède
qui permettra aux gouvernants actuels de terminer leur mandat et de prendre
leur retraite, on sera prêt pour le déluge. Le Québec
pourra alors choisir, définitivement, cette fois, la voie de la privatisation
Un État qui veut maintenir la gratuité et l'universalité
de la santé doit-il nécessairement choisir entre le sous-développement
ou à la ruine, ou y a-t-il une issu à ce dilemme? OUI ! Il
y en a une. La solution passe par une rationalisation de la rémunération
des ressources médicales et, si l'on veut un système de santé
gratuit et universel de qualité, en n'y consacrant que les ressources
qu'une société peut se permettre, il faut procéder
à cette rationalisation, en deux étapes.
Premièrement, pour les omnipraticiens et les spécialistes
dont l'intervention auprès de leurs patients est récurrente
ou de longue durée et devrait comporter une part de prévention,
il faut remplacer le paiement à l'acte par un régime de capitation.
Ce n'est pas une trouvaille, ce régime fonctionne un peu partout.
Même aux USA, où ce sont les assureurs qui en tirent parti
!
Pour mettre en place ce mode de paiement, chaque détenteur d'une
carte de santé s'inscrit aux cabinets du généraliste
et des spécialistes de son choix. Le montant de la capitation, pour
chaque type de patient, est fixé par négociation et chaque
médecin payé selon le nombre de ses clients inscrits. Puisque
l'on connaît la population inscrite, le budget de l'État est
sans surprises.
Il reste des spécialistes dont l'intervention est ponctuelle
et ils sont encore payés à l'acte, mais ce sont ceux dont
les « actes » sont bien identifiables. Les statistiques permettent
de fixer le coût des interventions pour assurer aussi à ces
spécialistes le revenu moyen que l'on souhaite.
Ayant rationalisé ainsi avec équité la rémunération
des médecins en place et respecté les droits acquis, on peut,
dans une deuxième étape, se doter pour l'avenir des ressources
médicales que va exiger une demande pour la santé que les
progrès de la médecine et le vieillissement de la population
vont faire exploser. Il ne faut pas tenter de répondre à cette
demande en créant plus de spécialistes à salaires faramineux
(9 fois le salaire moyen, au Québec !)
Une société n'en a pas les moyens et, surtout, ce n'est
pas nécessaire. Au lieu de spécialistes dont la rémunération
exorbitante est au moins en partie justifiée par une formation prolongée
- 6 à 10 ans, au Québec - il faut, dans une deuxième
étape, créer une nouvelle classe d'intervenants qui recevront,
DANS LE DOMAINE DE LEUR SPECIALITÉ, une formation identique à
celle des spécialistes actuels, mais dont la formation de tronc-commun
aura été réduite à un an.
On donnera à ces intervenants spécialisés le titre
que l'on voudra, mais, dans l'avenir, ils pourront prendre en charge l'immense
majorité des tâches des spécialistes actuels. Il est
bien difficile de croire que psychiatres, ophtalmologues et obstétriciens
doivent tous, pour être performants, passer 4 ou 5 ans à apprendre
la même chose
En allégeant ainsi les programmes, on ne réduit pas seulement
les coûts de formation ; on ramène surtout les attentes de
revenu des nouveaux spécialistes au niveau de celles des autres diplômés
universitaires formés en 4 ans. Si ce nouvel intervenant touche le
tiers ou la moitié de la rémunération d'un spécialiste
actuel, on peut en avoir deux ou trois fois plus.
On peut en avoir assez pour une médecine humaine, ouverte à
l'innovation. Les délais d'intervention et les listes d'attentes
disparaissent. La rareté disparaît. L'offre devient abondante:
c'est une nouvelle dynamique. On espère que, durant la présente
période électorale, les partis en lice diront aux Québécois
POURQUOI ils ne considèrent pas cette approche.
S'ils ne le font pas, on pourra penser que prévaut au Québec
la même situation qu'aux USA, où songer à réduire
le revenu des médecins est une idée séditieuse, blasphématoire....
puisque l'American Medical Association est la PREMIÈRE source de
financement des partis politiques ! Si le Québec, au contraire, en
discute sobrement et fait le choix de la solidarité, Il y aura peut-être
là une leçon à tirer pour la France
Pierre JC Allard
Pierre JC Allard
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