07.01.10
Les accommodements raisonnables
Vivant désormais à l'étranger, j'ai pris face au
Québec un certain recul. J'ai aussi plus souvent l'occasion de comparer
les problèmes qu'on y vit à ceux auxquels les autres sont
confrontés. Ce sont la plupart du temps les mêmes ­ - le
monde devient bien homogène ­ - mais en moins aigus, en plus tolérables.
De sorte que rien au Qu�bec n'est bien pénible, ni donc bien urgent
De sorte que rien ne va très vite. On peut penser pendant 20
ans à bâtir un pont et il faut toute une génération
pour que nos partis politiques, qui comme partout ailleurs sont nés à gauche et meurent à
droite, soient remplacés, même si au Qu�bec la distance qu'ils ont
à parcourir pour le faire est dérisoire. Nous sommes un pays
où il vaut mieux regarder le calendrier que consulter sa montre.
Un pays de révolutions tranquilles et de réactions discrète
: un pays heureux. Ah, si les Français, qui nous voient encore souvent
comme des coureurs des bois, savaient que nous sommes, au fond, un exquis
mélange de Belge et de Suisse ... !
Les Français ne s'en doutent pas, mais le message n'est pas perdu
pour tout le monde. Des millions et des millions de gens savent que nous
sommes gentils, que nous faisons les choses tranquillement et que nous sommes
un pays heureux. Nous sommes la seule nation dans l'histoire qui ait choisi
librement DEUX (2) fois de ne pas avoir un pays à elle, mais d'en
partager un avec son voisin. Nous nous sommes accommodés. Nous sommes
le peuple le plus accommodant du monde. C'est exactement ce qu'ils cherchent.
Il y en a donc des milliers, et des milliers qui viennent être heureux
avec nous. Reste à s'accommoder. Une loi nous parle maintenant d'accommodements
raisonnables.
« Raisonnablement », qu'on nous dit. Ça veut dire
quoi, un accommodement raisonnable ? Considérant que les Québécois
font des guerres qu'ils ne veulent pas faire, payent depuis toujours toute
l'éducation des minoritaires dans la langue de la minorité
et vont bient[ot bâtir pour celle-ci un hôpital qui coûtera
le meme prix de celui qu'ils construiront pour la vaste majorité
francophone, on peut s'attendre à ce qu'ils ne soient pas mesquins
dans l'accommodement. Ce sera une loi vague, mais de toute façon, les tribunaux
en décideront.
Rassurant. Mais la juge Cohen de Toronto vient de décider qu'il
fallait enlever un sapin de Noël d'un lieu public, pour ne pas heurter
la sensibilité des non-chrétiens qui pourraient s'en sentir
exclus. Est-ce raisonnable ? Dans le meme esprit, j'aimerais suggérer
qu'avec tout ce vacarme que font les cloches de Notre-Dame, il faudrait
permettre l'appel du muezzin du haut de la Tour Eiffel, rebaptisée
au besoin Tour Al Rasul, pour bien montrer qu'on est équitable.
L'intervention du judiciaire pour décider du raisonnable me rassurerait
davantage, si je n'avais été avocat durant si longtemps. L'opinion
de trois avocats, résumée dans le Journal du Barreau du Québec
de février, m'a conforté, d'ailleurs, dans l'opinion que c'est
l'essence même de la pensée juridique de pouvoir exprimer brillamment
des choses vraies indéfiniment, en évitant habilement de jamais
se rapprocher du coeur du problème.
Au coeur du problème des accommodements, il y a l'insoluble dilemme
que posent les migrations de masses, qui vont s'accélérant,
dans un monde où les inégalités sont croissantes et
les frontières de plus en plus poreuses. Des migrations naît
un multiculturalisme de fait - au Québec, mais aussi en France
et dans tous les pays développés - auquel on ne peut réagir
qu'en faisant un choix net entre deux attitudes, totalement incompatibles.
C'est le choix dont on veut éviter de ce rapprocher.
La première attitude, c'est de poser en dogme que notre culture
est la bonne, que les autres n'ont qu'à s'y adapter, que s'ils ne
le veulent pas ils ne sont pas les bienvenus chez-nous et que, de toute
façon, il ne faut en admettre que le nombre que l'on peut assimiler
sans difficulté.
La deuxième attitude, c'est de projeter sur les groupes les droits
des individus, de traiter toutes les cultures comme égales, d'accepter
que celle à laquelle nous nous identifions aujourd'hui n'a droit
à aucun traitement de faveur, et donc d'accepter qu'avec le temps
elle se fondra dans un magma culturel qui ne sera pas necessairement mauvais,
mais qui sera « autre chose ».
Chacune de ces attitudes est defendable. Celle que l'on choisit, toutefois,
peut - et doit - déterminer une panoplie de mesures cohérentes
efficaces. Ce qui est incohérent et inefficace, c'est de ne pas faire
le choix. Il n'y a pas d'opprobre à vouloir une fusion des cultures
; Francs, Lorrains et Burgondes ont bien dû laisser une part d'eux-mêmes
pour que naisse une culture française. Ce n'est pas une aberration,
d'autre part, de vouloir, comme les Japonais, rester ce qu'on est et évacuer
tout ce qui ne peut être totalement intégré. C'est un
choix.
C'est le non-choix - et la cohorte de déclarations et de
politiques contradictoires qui en découlent - qui est une aberration.
Comme est une sottise, par exemple, la notion qu'on va faciliter l'intégration
des immigrants, en accordant pleinement droit de cité à toutes
leurs coutumes. Cette politique abaisse, au contraire, le seuil a partir
duquel est atteinte la masse critique ou un groupe etranger devient inassimilable.
On ne peut plus discuter des couleurs; mais si on veut rester ce qu'on est,
il faut encore discuter des goûts.
Quelle que soit le choix qu'on fasse, la voie a prendre ne passe pas
par des « accommodements ». Dans le premier cas, c'est l'intransigeance
qui doit prévaloir et dans le second l'accommodation, c'est-à-dire
la pleine acceptation du multiculturalisme et de la métamorphose
culturelle qu'il annonce. Cette intransigeance, ni cette acceptation ne
sont des abstractions. La première ferme les frontières à
l'immigration et impose une vision restrictive des particularismes tolérés.
La seconde marque la fin d'une politique d'assimilation et se manifeste
immediatement par des regroupements scolaires qui tiennent compte des spécificités
ethniques et religieuses.
La population a droit de faire ce choix. Qu'on ne me parle pas, cependant,
dans le premier cas d'un devoir sacré d'accueil... ou alors que ceux
qui en parlent ouvrent un Resataurant du Coeur dans leur salon. Qu'on ne
me parle pas, dans le deuxième cas, de « ghettos ». Un
ghetto est un lieu où l'on repousse ceux qu'on ne veut pas avec soi
; c'est une grande malhonnêteté intellectuelle d'appeler ghetto
un lieu où les gens veulent et choisissent librement d'être
ensemble.
Que l'on propose un choix a la popukation et qu'on accepte son verdict.
IL FAUT QU'UN CHOIX SOIT FAIT. On peut dire que le problème au Québec
n'a pas l'acuité qu'il a ailleurs, mais avec le temps, il le deviendra.
Ce serait une grave erreur de tergiverser et de chercher a faire chaque
chose et son contraire, en esperant que le probleme se resoudra de lui-meme.
Ce n'est pas parce que le bât ne blesse pas au départ qu'il faut s'accommoder
d'être un âne.
Pierre JC Allard
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