Gouvernance et administration
Une société doit être gouvernée. Il faut
qu'on y établisse des règles et qu'on les fasse respecter.
Si un groupe n'a aucune cohésion, si on y entre et en sort comme
d'un moulin, ce n'est pas une société. C'est quand on y a
des choses en commun et qu'on y tient qu'un groupe apparaît comme
une « communauté ». On veut alors que cette communauté
perdure et de cette volonté de permanence dans l'association naît
un sentiment d'appartenance.
Pour que le groupe et donc la communauté perdurent, il faut que
les relations y soient ordonnées. Il faut qu'une part de la liberté
individuelle de chacun soit sacrifiée au bien commun, afin que l'ordre
y règne et que le groupe maintienne sa cohésion. Quand les
participants consentent ce sacrifice, on a une société. Le
processus global par lequel les relations sont ordonnées et la cohésion
du groupe maintenue constitue la gouvernance de la société.
Au sens strict, cette gouvernance, n'est qu'une séquence de décisions.
Décider ne suffit pas, cependant, pour que l'ordre règne
; il faut aussi s'assurer que les décisions sont appliquées.
Au service de ceux qui décident, il doit donc y avoir ceux qui exécutent
et les services de gouvernance au sens strict doivent être prolongés
par une structure de services administratifs et logistiques : une administration.
Dans une société pré-démocratique, quand
certains ont tout le pouvoir alors que d'autres n'en ont aucun, ceux qui
ont le pouvoir SONT l'État et les règles sont établies
et appliquées à leur discrétion. La gouvernance apparaît
alors comme pure contrainte et les services qu'elle rend n'apparaissent
qu'à un observateur attentif. La distinction entre gouvernance au
sens strict et administration reste donc académique, car il importe
peu à celui qui est fouetté de savoir s'il l'est par un gouvernant
ou un administrateur.
Quand la société se complexifie, toutefois, l'interdépendance
entre les sociétaires s'accroît et donc aussi le pouvoir
effectif de chacun, à la mesure de son utilité aux autres.
Le pouvoir devient plus diffus et un consensus de plus en plus large devient
nécessaire pour gouverner. On parle alors de démocratie.
La gouvernance de la société peut enfin se montrer sous son
meilleur jour, qui est celui de l'ensemble des services par lequel l'individu-citoyen
non seulement est gouverné, mais gouverne, créant et modifiant
sans cesse l'encadrement sociétal.
Quand on franchit le seuil de la démocratie, il importe dès
lors de distinguer ce qui est décisionnel de ce qui ne sert qu'à
interpréter ou appliquer les décisions qui sont prises désormais
avec l'accord des citoyens. Les mécanismes d'interface et les moyens
efficaces dont peuvent disposer ceux-ci pour s'assurer que leur volonté
soit faite, en effet, ne sont pas du tout les mêmes selon qu'il s'agit
de contrôler des décideurs ou de simples exécutants
Comment départager la gouvernance au sens strict, celle qui décide,
de la simple administration? Si, comme on peut l'espérer, une démocratie
est aussi un État de droit ce vers quoi la nécessité
d'un consensus large la force à tendre la distinction est
facile à établir, puisqu'elle recoupe les notions de pouvoirs
législatif et exécutif déjà identifiées
par John Locke, il y a plus de trois cents ans. Dans un État de
droit, la gouvernance au sens strict est l'apanage du législateur.
Le principe fondateur d'un État de droit, en effet, est que des
règles, les mêmes pour tous, sont établies qui régissent
de façon éminente TOUS les rapports entre sociétaires
; puisque tous les rapports entre sociétaires sont soumis à
des règles et que toutes les règles découlent des lois,
il est clair que toute décision émane finalement du législateur.
C'est lui qui représente le peuple.
Cela, si l'on est vraiment dans un État de droit, bien sûr.
On parle souvent d'un même souffle de démocratie et d'État
de droit, mais l'on voile ainsi ce qu'une démocratie peut avoir d'inachevé.
Une société démocratique n'est un État de droit
que dans la mesure où la majorité n'impose pas abusivement
sa volonté à ses minorités et ses dissidents, une
condition que les démocraties actuelles ne respectent pas toujours.
Inversement, tout autre forme de gouvernement peut bien être en pratique
un État de droit, si les lois s'y appliquent sans arbitraire.
L'avantage de la démocratie, ce n'est pas n'est pas tant d'être
plus propice à un État de droit que de faciliter la révocation
des gouvernements qui s'écartent des principes d'un État
de droit et ainsi de hâter la venue de celui qui enfin les respectera.
Une vraie démocratie doit faciliter ce droit de révocation
et ne peut donc être que « contractuelle » Section
6
C'est uniquement quand ce droit de révocation a une base juridique
qui ne soit pas soumise au pouvoir en place que l'État de droit
est solidement établi et bien protégé. L'État
de droit n'est donc réalisé que si est reconnue une éthique
transcendante et une autorité supérieure, extérieure
au processus démocratique, qui vienne coiffer la « pyramide
des normes » (Kelsen) et soit la source de la légitimité
de la démocratie elle-même comme de ses lois. Dans une Nouvelle
Société, cette autorité supérieure est celle
du Contrat Social (709)
Dans un État de droit, nul ne décide en dernier ressort
pour l'État et donc ne gouverne la société que le législateur,
les autres devant se borner à exécuter ses décisions,
sous peine d'être désavoués, ou à les interpréter
dans le sens qu'il le souhaite sous peine d'être contredits et corrigés.
On peut, comme aux USA, rédiger une constitution où, selon
la théorie des Trois Pouvoirs » de Montesquieu, le Législatif
décide des lois, l'Exécutif les applique, le Judiciaire les
interprète. Ces trois Pouvoirs se surveillent et disposent chacun
de moyens d'intervention qui limitent les pouvoirs des deux autres, de ces
limitations naissant l'équilibre et une bonne gouvernance.
C'est un système qui fonctionne de façon acceptable depuis
plus de deux cents ans en Amérique, mais, qui, quand on y regarde
de près, n'est qu'une manipulation du sens des termes. Si l'on rend
en pratique irréversibles et contraignantes pour l'avenir des décisions
de l'Exécutif ou du Judicaire, le principe de la primauté
du législateur n'en est pas remis en cause : on transforme seulement
en législateurs des administrateurs et des juges, et on le fait
sans le dire, ce qui n'est pas sans danger
C'est une approche qui n'est donc pas sans dangers, car si, comme
les juges de la Cour Suprême des USA, ces législateurs cachés
ne sont pas élus, on pèche contre la démocratie; s'ils
le sont, comme le Président américain, on risque un conflit
entre deux légitimités concurrentes, dont celle de l'Exécutif,
même démocratique, n'est pas compatible avec l'État
de droit si elle s'oppose au législatif, puisque ce n'est pas son
mandat de faire les lois.
Ce choc entre mandats démocratiques peut mener à une impasse.
C'est alors un cul-de-sac dont on ne sort que par des transactions occultes,
puisqu'un système de « checks and balance » intransigeant
et bien rodé ne permet pas que l'un des trois pouvoirs puisse légitimement
s'imposer.
La primauté du législatif sur les autres « pouvoirs
» a pourtant été affirmée par Madison dès
les débuts de l'Union. Elle est intellectuellement satisfaisante
et elle est encore soutenue par la plupart des politicologues. Pourquoi
avoir mis cette entrave à la primauté pourtant évidente
du législatif ? Pourquoi ce pavé dans la mare ?
C'est que cette primauté du législatif, indiscutable en
théorie, ne donne pas en pratique de la gouvernance une image conforme
à la réalité. Dans la réalité, le rôle
du législateur est battu en brèche. Plutôt que de s'ingénier
à rendre la réalité conforme aux principes, on a préféré
lui trouver une excuse pour s'en écarter et régler au cas
par cas quand une crise se présente.
Pourquoi le pouvoir législatif ne peut-il s'affirmer et occuper
la place qui est la sienne ? Parce qu'il est en otage de ceux qui doivent
lui obéir. Comme le droit est souvent en otage de la force et que
la pensée, au moment de vérité, est toujours tributaire
de l'action.
Pour que la gouvernance s'exerce au quotidien, il faut bien que l'information
requise soit obtenue, que les formules à remplir soient remplies,
que des permis soient accordés et que soient posés des gestes
aussi terre-à-terre, mais essentiels que l'enlèvement des
ordures. L'Exécutif s'en charge.
En principe, l'Exécutif n'a pas d'autre rôle que d'exécuter.
Les administrateurs, exécutants à tous les niveaux, n'ont
d'autre mandat formel que d'appliquer les normes et instructions qu'ils
ont reçues des gouvernants de droits, les législateurs. En
pratique, toutefois, les normes doivent s'adresser à des situations
générales, sont nécessairement larges, vagues, souvent
incomplètes, parfois ambiguës et doivent toujours être
interprétées.
Ce sont donc les juges pour une part, mais concrètement surtout
les administrateurs, qui interprètent et donnent son sens et son
effet à la loi, exerçant ainsi une fonction décisionnelle
et participant activement à la gouvernance au sens strict, se substituant
de facto au pouvoir législatif.
Au sein des composantes de gestion et d'exécution de ce qu'on
appelle l'administration publique se développe ainsi spontanément,
de haut en bas de la pyramide des fonctionnaires, un phénomène
de « crypto-gouvernance ». Au moment de vérité,
ce sont des fonctionnaires qui ne sont pas élus, mais nommés
et pratiquement inamovibles qui décident.
Cette usurpation de la gouvernance par les administrateurs est d'autant
plus sérieuse, que le citoyen est en relation avec les exécutants
de l'État bien plus souvent qu'avec l'État législateur
et est donc confronté au spectacle quotidien de cette usurpation.
Quand le rôle du législateur est usurpé, c'est la démocratie
elle-même qui est battue en brèche et quand le citoyen s'en
aperçoit c'est la foi en la démocratie qui s'étiole.
Cette usurpation de la gouvernance au sens strict par l'Exécutif
est une entorse à la démocratie et la preuve quotidienne que
nous n'avons pas encore atteint le niveau du véritable État
de droit. C'est une évidence, mais comment corriger cette situation
et atteindre l'État de droit ou du moins s'en rapprocher ? Les administrateurs
décident ; pourrait-on les en empêcher ? Doit-on même
chercher à les en empêcher ?
Ce sont les décisions des exécutants qui font tourner
les roues. La solution n'est donc pas de priver les administrateurs de
leur pouvoir de décision: ils DOIVENT décider. Ils continueront
de le faire dans une Nouvelle Société, pour deux (2) raisons.
La première, c'est que, dans un État de haute technicité,
des situations se manifestent de plus en plus qui exigent des connaissances
spécifiques. Au ras des pâquerettes, il ne s'agit plus seulement
de gérer selon les principes de la gestion, mais en tenant compte
de cette spécificité de chaque situation. À l'échelon
supérieur, pour que soient implantés les mécanismes
qui permettront de traiter ces situations spécifiques, il faut que
leurs spécificités à toutes soient comprises et perçues
comme un ensemble, complexe, mais cohérent. La gestion de cette
complexité devient elle-même une expertise spécifique.
Quoi qu'en disent les dirigeants politiques, qu'ils se réclament
de la branche exécutive ou législative, ce sont donc finalement
non seulement des experts de haut niveau qui doivent planifier les grands
systèmes et réseaux - système bancaire, émission
de la monnaie et, n'en déplaise à Clemenceau, les stratégies
militaires - mais aussi des experts de moindre niveau, des « spécialistes
», qui doivent les gérer constamment, au palier où ils
ont un impact sur les individus. Ce sont ces experts et spécialistes
qui doivent décider. Celui qui sait doit disposer du pouvoir. Si
on ne le lui donne pas, il faut au moins le lui prêter.
La deuxième raison pour que l'exécutant décide,
c'est que la transformation rapide de toutes les données techniques,
économiques et sociales rend chaque nouvelle situation littéralement
« inusitée », diminuant la valeur d'exemple des précédentes
et jetant toujours un doute sur la parfaite pertinence des règles
écrites elles-mêmes. Ce qui a déjà été
fait n'est presque jamais la meilleure chose à faire. Chaque décision
devient un cas d'espèce.
Quand chaque situation est subtilement différente de toutes les
autres, l'équité exige une constante casuistique. Le concept
de jurisprudence devient anachronique. Où alors situer la barre
entre la simple application des normes et leur interprétation ?
Une interprétation qui ne répondra adéquatement à
chaque cas que si elle est largement discrétionnaire et comporte
donc implicitement un pouvoir réel de décision ?
Cette question ne se pose pas seulement au faîte de la pyramide
des services administratifs, là où elle touche le pouvoir
politique, mais aussi, nous l'avons souligné, aux échelons
inférieurs du fonctionnariat, là où les exécutants
sont en contact direct avec les administrés pour qui ils représentent
l'État.
C'est l'employé au comptoir, celui qui recueille ou donne l'information
et doit aussi prendre des milliers de petites décisions, qui incarne
le mieux le rapport dynamique permanent entre l'administration et les administrés.
C'est par lui, au quotidien, que la gouvernance s'exerce. Il faut bien
qu'il décide de chaque cas à son mérite. Malheureusement,
mais inévitablement. Malheureusement parce que toute casuistique
ouvre la porte à l'arbitraire, mais inévitablement puisque
l'équité et le simple bon sens exigent cette casuistique.
Cette génération spontanée de pouvoir dans une
structure complexe n'est pas un fait nouveau. Depuis les scribes de la
Basse-Egypte, il y a toujours eu gouvernance par délégation
de pouvoirs à des administrateurs qui, dans la réalité,
deviennent ainsi des gouvernants de fait. Ce qui est nouveau, c'est que
cette mutation subreptice des exécutants en gouvernants de fait,
par l'effet de cette discrétion qu'ils détiennent d'interpréter
les normes établies par les gouvernants de droit, apparaît
bien plus odieuse dans une société qui veut devenir vraiment
démocratique.
Nous avons un dilemme, car, pour que l'équité prévale,
il faut, d'une part, qu'une approche casuistique remplace une rigidité
dans l'application des normes qui n'a plus sa place dans une société
en perpétuel changement ; il est donc impérieux d'accorder
à un nombre croissant d'administrateurs et d'exécutants un
large pouvoir décisionnel discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire
accordé à des fonctionnaires qui ne sont pas élus,
mais nommés, d'autre part et la morgue qui en suinte toujours
deviennent intolérables aux citoyens d'une vraie démocratie.
Comment résoudre ce dilemme ? Comment rendre EFFICACE la démocratie
D'abord, en reconnaissant l'existence du problème. La gouvernance
discrétionnaire par délégation se poursuivra, parce
qu'elle est inévitable. Elle deviendra même de plus en plus
présente dans une société qui va vers une plus grande
complémentarité. Il ne faut surtout pas tenter de cacher
ce pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires qui constitue le côté
sombre de la gouvernance de l'État.
Il ne faut pas le nier ni l'ignorer, car c'est surtout dans la mesure
où il est occulté qu'il est pernicieux. Une Nouvelle Société
ne pourra éliminer ce côté sombre, mais elle se fera
d'abord un devoir de l'éclairer. L'ayant fait, elle pourra mettre
fin à cette crypto-gouvernance en apportant au processus administratif
deux (2) correctifs complémentaires.
Le premier correctif à l'arbitraire de la décision administrative
est d'universaliser une procédure d'appels à multiples paliers
des décisions administratives même les plus anodines. Il faut
comprendre et accepter que le rôle du fonctionnaire qui applique un
règlement à une situation particulière est exactement
le même que celui d'un juge qui applique la loi à un cas précis
: l'un et l'autre interprètent une norme qui leur vient d'ailleurs
et l'adaptent.
L'adaptant ils la changent. C'est pour une bonne cause, car ils y introduisent
des éléments circonstanciels dont on doit penser que le législateur
aurait tenu compte si, en faisant les lois, il avait pu tenir compte d'une
infinité de circonstances. La loi ne le peut pas, juges et administrateurs
le font ; c'est leur rôle. La changeant, les administrateurs y introduisent
aussi, inévitablement, un peu de qui ils sont. Cet ajout est la plupart
du temps inconscient, mais ne sert pas la cause de l'équité.
Comment supprimer cet ajout ?
Qu'il s'agisse de juges ou d'administrateurs, ces ajouts personnels
que permet une décision discrétionnaire et qui trouvent leur
source dans les idiosyncrasies et les préjugés, voire la simple
empathie du décideur, se compensent et s'annulent si plusieurs décideurs
interviennent. C'est de cette notion qu'est née en justice la tradition
du jury, une notion qui, en administration, est devenue la collégialité.
Apparemment vertueuse, puisque elle est comme la démocratie une
recherche de consensus, la collégialité introduite en administration
comme parade à l'arbitraire est au contraire pernicieuse. Pourquoi
? Parce que la démocratie mène à des décisions
dont jouiront ou pâtiront aussi ceux qui les prennent. En administration,
la collégialité mène à des décisions
dont ce sont d'autres qui subiront les vraies conséquences, le risque
pour les décideurs se limitant à ce qu'ils puissent en être
blâmés.
La différence est énorme, car la même pulsion bien
humaine qui conduit le décideur vers ce qui le sert le mieux - et
qui l'incite en démocratie à chercher la meilleure solution
pour lui et les autres - l'incitera, quand comme administrateur il décide
en collégialité, à privilégier plutôt
la solution la moins discutable. La collégialité pipe les
dés en faveur de décisions sans surprises, alors que l'avenir
apportera bien des problèmes qui nous surprendront.
À la collégialité, une Nouvelle Société
préfère donc toujours la décision individuelle, celle
qui responsabilise. En administration, une procédure d'appels à
multiples paliers permet, sans renoncer à responsabiliser les exécutants
pour leurs décisions, de profiter tout autant que la collégialité
de ce principe simple que plusieurs têtes valent mieux qu'une et
dont en matière de justice le jury est l'exemple.
Il est vrai qu'à chaque palier l'arbitraire peut persister, mais
il tend à disparaître des décisions qui sont modifiées
par des appels successifs et les décisions finales deviennent plus
objectives ou du moins tendent à refléter le consensus social
de la population globale dont les décideurs sont issus. Qui se confondent
même à la limite avec ce consensus, puisque tout processus
d'appels judiciaire ou administratif d'une Nouvelle Société
culmine avec un appel direct au peuple, dans une pétition sur Internet
qui suit les règles référendaires.
Pour que le remède à l'arbitraire qu'offre un processus
d'appels successifs soit efficace, cependant, deux (2) conditions sont requises.
Il faut d'abord que la procédure d'appel soit extrêmement
simple ; il ne faut pas qu'il soit exceptionnel, mais facile et donc probable,
qu'il y ait appel de toute décision administrative dont la justesse
et la justice ne sont pas évidentes. C'est cette menace crédible
d'un appel qui suggère au décideur de ne pas céder
à l'arbitraire, mais de chercher objectivement la solution optimale.
Cette approche de la vérité par approximation est tout
à fait conforme aux valeurs d'une société démocratique,
tout en incorporant les éléments d'un temps de réflexion
et d'une révision dont on sait qu'ils sont utiles pour pallier ce
que peut avoir de trop émotif une décision populaire.
La deuxième condition est que, sans supprimer ce temps de réflexion,
il faut néanmoins éliminer les conséquences nocives
de l'effet dilatoire qui découle nécessairement d'une procédure
itérative. Une décision administrative dont il y a appel est
évidemment sous condition résolutoire, mais, sauf injonction
et donc dans des cas très rares, son application n'est pas sous condition
suspensive. Dans l'immense majorité des cas, une décision
administrative est immédiatement exécutoire, nonobstant appel.
Elle s'applique. Les contrôles sont ex-post.
La décision s'applique sans délai, mais de l'acte de gouvernance
lui-même qu'incarne cette décision, on peut dire qu'il est
en suspens d'être validé par tout le processus d'appel. Le
pouvoir de décision n'est en quelque sorte que « prêté
» au fonctionnaire, comme nous y faisions allusion plus haut, car
aussi longtemps que la décision finale n'a pas été
rendue, le législateur peut intervenir et imposer sa propre interprétation
de la loi. Même cette interprétation peut être contestée,
d'ailleurs, par un recours au peuple sur Internet, suivant des règles
référendaires que nous avons décrites Section
6
Même si d'application rarissime et qu'en pratique, il l'exerce
surtout par omission, la possibilité d'un ultime recours au peuple
garde sauf le principe de la souveraineté de ce dernier dans le cadre
du Contrat social, souveraineté que, dans un véritable État
de droit, il ne délègue à l'État qu'es qualité
de législateur.
Le peuple garde toujours son droit de regard et de correction des décisions
des administrateurs. Le processus d'appel de ces décisions étant
parfaitement transparent et laissant des traces, l'examen de tous ces appels
permet que le législateur, qui seul a le mandat de légiférer
pour le peuple, corrige les lois et les réoriente au besoin vers
l'équité.
Nonobstant appel, les décisions sont appliquées sans délais
; les contrôles viennent après. Cela rend encore plus indispensable
que soit apporté au processus administratif un deuxième correctif
qu'on aurait déjà dû y apporter depuis longtemps.
Il faut affirmer sans ambages les notions de responsabilité de l'État
et d'imputabilité de tout décideur.
Quand tous les appels possibles ont été entendus et que
la décision finale a été rendue, quiconque a souffert
un préjudice résultant de l'application immédiate d'une
décision qui a subséquemment été renversée
doit en recevoir pleine compensation de l'État. Cette responsabilisation
est aussi une condition indispensable de l'existence d'un véritable
État de droit. Le principe archaïque selon lequel le Roi ne
pouvait se tromper ni faire de mal est envoyé aux oubliettes. Le
Roi - l'État - PEUT faire du mal et, dans le monde actuel, nul n'en
fait autant ; il en est responsable et il doit en payer le prix.
Sans préjudice à son recours contre l'État, celui
qui a souffert un dommage d'une décision injuste peut aussi exiger
compensation du fonctionnaire qui a rendu cette décision, s'il prouve
qu'il y a eu chez ce dernier malveillance, grossière négligence
ou incompétence. Le fonctionnaire qui décide est responsable
de ses décisions.
Il n'est pas tenu responsable du montant du dommage subi de cela
l'État se charge mais d'un montant punitif qui correspond à
sa faute et dont aucune assurance ne viendra le rembourser. S'il lui est
insupportable de décider dans ces conditions, qu'il renonce à
exercer cette fonction de décideur, pour laquelle il est rémunéré
au vu de cette responsabilité qui lui incombe.
Quand l'administré est ainsi tenu parfaitement indemne des effets
de l'arbitraire administratif, on peut - à l'intérieur de
limites pré-établies, bien sûr - accorder beaucoup plus
largement un pouvoir discrétionnaire aux fonctionnaires des divers
paliers. Les normes peuvent devenir plus souples, la logistique plus fluide
pour répondre à des situations inédites. On peut adopter
cette approche casuistique dont nous croyons qu'elle est la seule raisonnable
dans un monde en transition.
Quel est l'impact de cette approche sur la structure de l'administration
? En acceptant que certains fonctionnaires disposent formellement d'un pouvoir
de décision et participent à la gouvernance, on enlève
le voile qui feignait de nous cacher cet accroc à la démocratie
et l'on voit apparaître, au sein des services d'administration et
de logistique, un clivage bien net entre deux (2) types de fonctionnaires
On a, d'une part, de simples « appliquants » à qui
tout pouvoir de décision est refusé et qui ne doivent plus
vraiment en avoir aucun. Ils constituent le squelette rigide de la structure
de l'État. Ils appliquent les instructions qui leur sont données
avec l'imperturbabilité de machines. Cette situation suggère
évidemment un processus d'abord de taylorisation, puis de mécanisation
de leurs fonctions. Dans toute la mesure où l'évolution
des techniques le permettra, les services administratifs et logistiques
qui ne donnent pas lieu à des décision autres qu'automatiques
seront bien, en effet confiés au plus vite à des machines.
(708)
D'autre part, toutefois, on a une pyramide de ci-devant crypto-décideurs
dont le droit à décider est désormais reconnu. Avec
le temps et la mécanisation, il ne restera finalement que ceux-ci.
La distinction entre ces administrateurs et les gouvernants ne tiendra
plus alors qu'à la manière dont ils entrent en fonction et
à la procédure à suivre pour leur demander des comptes.
Ils constitueront ouvertement une extension de la structure de gouvernance
de l'État, rendant visible le maillon manquant pour compléter
la chaîne de décideurs qui doit aller, sans solution de continuité,
du pouvoir politique élu à la population. Ce maillon est
évidemment un élément essentiel à la gouvernance
de toute société complexe.
Ces administrateurs-décideurs ne sont pas élus, c'est
ce qui les rend différents, mais ils ne sont pas une simple extension
neutre du pouvoir de celui qui les a nommés. Ils sont imputables
pour les gestes qu'ils posent et, par le biais des appels de leurs décisions
et de la transparence qu'on leur impose, ils sont soumis à un contrôle
populaire effectif qui n'est plus tellement différent de celui qu'une
démocratie permet aux citoyens sur ses législateurs.
En reconnaissant le pouvoir de fait de l'Exécutif, tout en le
laissant toujours subordonné à celui du législatif,
une Nouvelle Société met en place une structure de services
administratifs et logistiques infiniment plus efficace que celle que nous
avons. Elle crée aussi les conditions d'un meilleur équilibre
des forces entre les fonctionnaires en position de gouvernance et les citoyens,
ceux-ci étant toujours administrés dans le cadre d'une structure
où la relation de pouvoir est parfaitement transparente.
Transparente et beaucoup mieux balisée par des processus de contrôle,
puisque chaque décision administrative, en plus de son suivi interne
de routine, est soumise à des appels itératifs, à
examen occasionnel par un Protecteur élu (702B),
à un droit de regard total du judiciaire puis du législatif
et, finalement, au droit pour chaque administré, (sous réserve
de la confidentialité des faits impliquant des tiers), de rendre
publique toute décision administrative et donc d'en faire l'objet
d'une critique populaire qui en certains cas peut devenir contraignante.
Section 6 (702B)
À ces conditions, la gouvernance de l'État au sens large,
incluant l'administration, cesse dans une Nouvelle Société
d'apparaître seulement comme un faisceau de contraintes, tolérées
pour le bien commun. Elle revêt aussi l'aspect d'un véritable
SERVICE : le service qui donne à l'individu les moyens d'agir sur
l'encadrement sociétal et donc sur son milieu. Paradoxalement,
avec la liberté qui augmente, croît la demande pour des services
de gouvernance. Nous en parlerons dans un prochain texte.
Pierre JC Allard