SAUVER L'AFRIQUE

 

 


 

La pseudo colonisation

 

Avec sa pauvreté, sa dépendance totale envers le monde développé qui ne soustrait de son exclusion que quelques secteurs économiques où il est encore possible de l'exploiter, son impuissance manifeste à susciter en son sein le leadership qui pourrait la sortir de son malheur, l'Afrique subsaharienne ne permet pas aujourd'hui vraiment d'espoir.

Pas d'espoir chez ceux qui y sont ou en sont, pas d'espoir non plus chez ceux qui lui veulent du bien. On est passé de la sympathie à la condescendance, de la condescendance à la pitié puis, peu à peu, même cette pitié a fait place à un profond découragement et à un certain agacement.

Avec la prolifération de la misère dans une population qui se multiplie à un rythme effarant, l'avenir de l'Afrique paraît encore plus désolant que son présent. Pourquoi tout un segment du tiers-monde ne progresse-t-il pas, mais régresse?

On cherche souvent les causes de cette catastrophe dans la colonisation. Ce pourrait être une explication que son évidence rendrait assez futile, puisqu'elle ne change rien à la situation actuelle. Elle ne sert, en fait, qu'à aviver, chez la population des pays développés, un sentiment de culpabilité, dont on n'est plus sûr s'il permet que l'on fasse de meilleure grâce des cadeaux à l'Afrique, ou s'il n'est pas devenu plutôt une incitation à fermer les yeux, pour ne pas voir les conséquences navrantes des gestes qui ont été posés.

Cette dénonciation du colonialisme n'est pas seulement futile, cependant, mais nocive, car elle fausse le diagnostic du sous-développement de l'Afrique subsaharienne, biaise la lecture du syndrome et conduit à prescrire un traitement inapproprié.

OUI, la « colonisation », au sens restrictif où nous l'entendons ici de la conquête du monde entier par l'Occident, durant la période allant environ de 1825 à 1950, a certes contribué à la genèse du sous-développement que nous voyons aujourd'hui en Afrique. Dans certaines régions, le hiatus ainsi introduit a interrompu le développement naturel de la culture locale, particulièrement de la culture sociétale qui n'est jamais arrivée à maturité.

Ceux qui normalement auraient pu se réclamer de cette culture en ont été privés et ont dû s'en remettre à d'autres modèles, importés d'ailleurs, renonçant donc à vraiment façonner l'évolution de leur destin. Acceptons avec lucidité que cette rupture des liens de continuité avec leur histoire et leurs traditions, qui auraient permis qu'y naissent et s'y développent un ou des modèles originaux de développement, a eu sur les sociétés colonisées une influence néfaste. Cela étant dit, toutefois, on n'a pas tout expliqué.

Dans une perspective historique, la colonisation 1825-1950 a été un feu de paille. En Afrique subsaharienne, l'occupation en moyenne n'a duré que deux à trois générations. Tombouctou n'a été occupé qu'en 1893, libérée avec le reste du Mali en 1958. J'y ai rencontré, en 1974, un vieux marabout qui prétendait se souvenir de la région AVANT la présence française.

Durant cette période 1825-1950, toutefois, il serait plus exact, de dire que le monde a été « asservi » plutôt que colonisé, puisque la colonisation, au sens strict implique d'occuper un territoire pour y installer ses propres gens, n'a pas été la plupart du temps le but premier de l'entreprise dite colonisatrice. Les vraies démarches de peuplement, comme en Algérie, ont été l'exception.

L'Inde n'a été vraiment qu'administrée, la présence anglaise y demeurant une mince pellicule sur la vaste population locale ; la Chine, Hong Kong ou Macao mis à part, n'a été à cette époque ni colonisée ni même administrée, seulement soumise et exploitée ; le Japon même pas soumis, seulement rendu de force un peu plus accueillant

L'expansion occidentale, au XIXe et XXe siècle, contrairement à celle des siècles précédents, a été une conquête presque sans colonisation. Il est parti vers les USA, pendant, la période où a eu lieu cette pseudo colonisation, 20 fois plus d'émigrants qu'on n'a mis de colons dans toutes les colonies. Pourquoi cette dernière vague de « colonisation » si superficielle semble-t-elle avoir laissé des séquelles si négatives ? Ne serait-ce pas, justement, parce qu'elle n'a pas eu lieu ?

 

Kulturkampf

 

Coloniser est une entreprise ardue. Les Hébreux ont commencé la colonisation du pays de Canaan, il y a environ 3 500 ans, avec la prise de Jéricho. Il y a eu des accalmies, mais la colonisation du pays de Canaan est toujours en cours et la ville de Jéricho n'est pas encore pacifiée.

Les êtres humains se colonisent allégrement les uns les autres sans répit. La colonisation est l'une des facettes du choc des cultures. Sauf quant elle présuppose l'extermination des autochtones pour faire place aux colons, ce qui aurait été le plan de Hitler pour l'Ukraine, la colonisation n'est pas la manifestation la plus brutale du choc des cultures.

Une culture, c'est un ensemble de valeurs et de points de repère historiques qui servent d'identifiants. Entre gens qui se perçoivent de même culture, naît un sentiment d'appartenance, une solidarité qui va au-delà de l'intérêt immédiat. Cette solidarité permet de former un groupe, de bâtir un clan, une société. C'est entre cultures qu'on se colonise.

Quand on doit côtoyer des gens d'autres cultures, s'il existe un intérêt à ne pas les exterminer, comme celui tout simple qu'ils fassent une partie du chemin et du travail, pour qu'on puisse échanger avec eux ce qu'on a en trop contre ce qu'ils ont et que nous n'avons pas, on apprend à les supporter.

Les cultures se côtoient dans les foires et marchés, les points d'eau où elles font la trêve, le temps de s'abreuver en biens et en idées. Le contact peut être rapide, littéralement furtif, mais on peut aussi avoir intérêt à ce qu'il soit permanent. Des villes multiculturelles se développent aux points de rencontre, où les cultures cohabitent et semblent se tolérer.

Illusion. Les gens peuvent se tolérer, c'est l'indice que la civilisation n'est pas qu'un concept philosophique, mais les cultures ne se tolèrent jamais. Une culture veut occuper toute la place. Elle ne veut pas toujours conquérir, mais inconsciemment elle veut toujours assimiler. Elle ne conçoit sa relation avec d'autres cultures que si celles-ci sont à genoux, inoffensives et ayant valeur de divertissement, sans plus. Si une culture n'a pas cette arrogance, elle apprend des autres et évolue sans perdre son identité jusqu'à ce qu'elle l'ait développée ou elle se résigne et disparaît.

Quand des cultures cohabitent, chacune, selon sa force, veut s'imposer aux autres. Il y a des avantages communs à la cohabitation, toutefois ; les habitudes et les comportements des uns comme des autres vont donc se modifier pour permettre cette cohabitation. Des accommodements puis des sacrifices sont consentis pour maintenir ce qui devient une société nouvelle. Cette société engendre son propre sentiment d'appartenance, sa CULTURE propre qui tient des cultures d'origine des participants, mais qui pour chacun se surimpose à la sienne.

L'apport de chaque culture d'origine à la nouvelle culture varie, selon ce que chacune pouvait avoir à offrir ou avait la force d'imposer. Certains s'identifieront à la culture nouvelle en se sentant radicalement transformés, d'autre en ne se rendant même pas compte qu'ils ont changé.

Ils n'en sont pas moins peu à peu changés, et le jour vient où leurs vrais semblables ne sont plus leurs congénères d'origine, mais ceux avec qui ils cohabitent dans cette société nouvelle, dont la culture ne se surimpose plus, mais se substitue à leur culture de départ. Ils développent une solidarité. C'est ainsi que des Anglais sont devenus des Américains.

Cette genèse consensuelle d'une société et d'une culture nouvelle n'est cependant pas le seul scénario. L'intérêt qu'on peut avoir à ne pas exterminer « les autres » n'implique pas qu'on veuille toujours s'en faire des amis. Quand on a la force pour soi, on peut pousser la porte, s'asseoir au salon, mettre le téléviseur au poste qu'on préfère et envoyer les premiers occupants tondre la pelouse. On peut coloniser.

La colonisation signifie un autre partage des décisions et des tâches, mais ne supprime pas tous les effets d'une cohabitation. Les autres sont là. Les circonstances sont différentes, parfois bien meilleures, parce que les autres sont là. Il se crée donc une identité coloniale, bien différente de celles d'origine du colonisateur comme du colonisé. Deux identités distinctes, puisque le rapport de force entre eux crée au départ cette distinction évidente, mais les circonstances extérieures sont les mêmes et les intérêts convergent.

Avec le temps, colonisateurs et colonisés ne peuvent que devenir, les uns pour les autres, les alliés les plus sûrs. La société coloniale développe sa propre culture, qui s'inspire inégalement des cultures d'origine, mais qui, dans la société nouvelle, en arrive tôt ou tard à les supplanter. Ce qui conduit, en deux siècles, à la situation où ce sont de purs Espagnols, à peine aidés de quelques métis et indiens, qui vont prendre l'initiative de réclamer et d'obtenir de l'Espagne l'indépendance de l'Amérique hispanophone.

Une colonisation qui suit son cours normal est un mariage qui peut commencer par un rapt, mais où l'affection et l'amour peuvent apparaître. Elle réussit, si elle se termine par l'indépendance du territoire colonisé et la naissance d'une nouvelle culture hybride. Parfois, le pouvoir colonisateur transmet presque intégralement ses gênes à cette nouvelle culture, comme les Arabes l'ont fait au Moyen-Orient. Parfois, le résultat est plus mitigé, comme au Mexique, au Pérou, en Bolivie. Quelquefois, c'est la culture du colonisé qui prévaut, comme celle des Grecs sur celle des Romains, ou celle des Chinois sur celle des Mongols.

Si une nouvelle culture hybride ne naît pas d'une colonisation, cette colonisation a été un échec. Quand la période de cohabitation interculturelle est trop courte ou que les ingrédients ne sont pas là en proportions acceptables, la mayonnaise ne prend pas. L'envahisseur se retire sans avoir fertilisé la culture des colonisés, ni s'y être rallié. Il n'a pour sa peine que le butin qu'il en a tiré. Le colonisé, pour sa part, se retrouve au point de départ, sans avoir été vraiment inséminé, ne gardant que des bribes de la culture des colonisateurs, dont il ne pourra tirer parti que si sa culture propre est assez forte pour accepter ce greffon.

La dernière vague de colonisation de l'Occident a été un échec, parce cette «colonisation » n'a pas vraiment eu lieu, non plus que la fertilisation qui aurait dû l'accompagner. L'Occident a déferlé sur le monde en profitant d'un avantage militaire, pas pour le coloniser, sauf en quelques rares endroits, mais pour l'asservir et l'exploiter. Quand il a trouvé une façon plus efficace de poursuivre cette exploitation, il s'est retiré.

L'occupation par l'Europe de l'Afrique subsaharienne n'a été qu'un chapitre de cette pseudo colonisation, un intermède assez sordide, qui a eu non seulement la brutalité d'un viol, mais la stérilité d'un coït interrompu.

 

La culture avortée

 

La colonisation 1825 ­1950 est venue puis a cessé. Les pays de vieilles cultures, comme la Chine, l'inde, la Corée, le Vietnam, ont retenu en souvenir de l'aventure coloniale quelques technologies et théories sociopolitiques, puis ont repris sans trop de mal le cours de leur Histoire, dans le sens de leur évolution antérieure : ils sont « en voie de développement ». L'Afrique subsaharienne, non. L'Afrique noire n'est pas en voie de développement.

Après les incursions de l'Occident, l'Afrique noire, comme les autres pays colonisés, est retournée au statu quo ante. Contrairement à d'autres, elle n'a pas retrouvé en elle-même une culture qui lui aurait permis de poursuivre un développement satisfaisant, parce qu'une telle culture n'y était pas quand la dernière vague de colonisation occidentale a débuté.

En Afrique, au milieu du XIXe siècle, quand a débuté la mise sous tutelle intensive de l'Afrique qui a reçu sa consécration au Traité de Berlin, il n'existait pas une culture « africaine » commune, mais une myriade de petites cultures, en processus de sédimentation par la conquête les unes des autres, dont aucune ne semblait en mesure de s'unir à la culture occidentale pour produire une culture hybride dans laquelle l'Afrique aurait pu se reconnaître.

Prenant acte de cette absence d'une culture africaine partenaire, le colonisateur a donc mis en place les outils d'acculturation, dont la scolarisation est le plus puissant, en en excluant si totalement la réalité locale qu'aucune transfertilisation ne pouvait en résulter, seul un passage réussi ou raté à la culture dominante. L'alternative d'une culture hybride a été simplement écartée.

Normalement, dans une relation aussi inégale, l'Afrique se serait mise totalement à la culture occidentale. Elle n'en a pas eu le temps. Pas le temps, parce que l'occupation effective de l'Afrique a été bien brève, mais surtout parce que la population occidentale ­ les colons ­ n'y ont jamais été assez nombreux pour qu'ils constituent vraiment, hors des villes, un élément significatif de la population.

Le choc des cultures a été ainsi réduit à sa plus simple expression, évitant les frictions, mais aussi l'acculturation spontanée qui découle d'une simple familiarité. Pour l'ensemble des territoires dits colonisés, la présence européenne était presque mythique, tout entière incarnée dans le fonctionnaire n'intervenant qu'en situation officielle.

Les populations rurales africaines n'ont jamais eu avec les Européens des contacts autres que fonctionnels, les contacts inévitables que doit avoir une population conquise avec une force d'occupation. L'Occident a violé l'Afrique par inadvertance, il ne voulait même pas la toucher. Conséquence de cet apartheid de fait, ce n'est que dans les villes, plus précisément dans les capitales, que le contact a été suffisant pour qu'en résulte le passage à la civilisation occidentale d'un nombre significatif d'Africains.

En toute fin de colonisation et durant les années qui ont suivi, on pouvait voir, dans les rues de Dakar, de Brazza et d'Abidjan, des Africains de classe moyenne et même modeste, s'identifiant comme Sénégalais, Congolais ou Ivoiriens, mais tout à fait occidentalisés. Ce sont ces Africains, en apparence totalement occidentalisés qui, avec le temps, introduisant peu à peu dans la culture importée la spécificité venant d'une adaptation aux circonstances et aux conditions locales, en aurait fait une culture hybride propre au pays et à ses gens.

Pour qu'ils y parviennent rapidement, il aurait fallu qu'ils soient nombreux. Pour qu'il y en ait eu assez, il aurait fallu l'influence de centaines de milliers de colons occidentaux en Afrique.., mais on n'a pas vraiment colonisé l'Afrique. On aurait pu avoir le même résultat avec très peu de colons, puisqu'une culture ne diffuse pas tant des gènes que des memes - les conquistadors n'étaient pas si nombreux ! ­- mais il aurait alors fallu du temps. Des siècles.

C'est l'impact cumulé du nombre trop restreint de colons et d'une période d'occupation trop brève qui a fait que l'embryon de ce qui aurait pu devenir enfin, après des siècles d'interrègne, une culture africaine fonctionnelle, se soit retrouvée au lendemain de la décolonisation, dans une situation de grande faiblesse et ne pouvant compter sur l'amour de personne.

 

La pilule du lendemain

 

Au départ du colonisateur, personne en Afrique ne ressentait d'affection pour une culture hybride. En l'absence d'une telle culture hybride qui soit acceptable et acceptée, chaque Africain, au départ précipité du colonisateur, a donc dû faire le choix de s'identifier à l'Afrique ou à l'Occident.

Les riches ont choisi l'Occident. Ils ont choisi pour les autres que ces derniers restent Africains. Ils ont imposé leur choix par une coupure plus ou moins subtile avec les sources de cultures occidentales, parfois même par une régression vers une éducation en vernaculaire. Quand ce dernier pas est franchi, il consomme la rupture et confirme la classe autochtone bourgeoise, riche, éduquée et occidentalisée dans son rôle d'intermédiaire obligée entre l'Occident et « les autres » qu'on a ainsi retranchés de l'Occident. On a voulu donner à l'Afrique la pilule du lendemain, pour que ne naisse PAS une culture hybride.

Dans chaque État d'Afrique subsaharienne, la population a donc été scindée en deux groupes de tailles inégales. D'un côté, une petite élite transfuge qui ne demande qu'à se laver des quelques bribes qui lui colleraient encore à la peau d'une culture africaine, pour s'identifier totalement à la civilisation occidentale. De l'autre côté, une plèbe qui ne peut réaliser cette assimilation et dont les options sont l'émigration ou une paupérisation constante.

Quand on parle de sous-développés, c'est de cette plèbe que l'on parle. Au moment de la décolonisation, cette Afrique du monde ordinaire s'est retrouvée en marge de la civilisation occidentale et sans la véritable option de retourner à ses cultures antérieures, puisque aucune de celles-ci n'avait l'envergure de se présenter en relève de la culture occidentale pour devenir la culture dominante. Le segment riche et le segment pauvre des pays décolonisés d'Afrique ont pris des voies bien distinctes.

Pour les élites déjà occidentalisées, un choix semblait se poser entre le soutien à une intelligentsia qui développerait une culture vraiment autochtone et une acculturation accélérée à la civilisation occidentale. Choix biaisé, car quand sa survie immédiate passe par une maîtrise plus approfondie de la culture, des coutumes et des techniques de la civilisation occidentale, comment penser qu'une intelligentsia locale ne s'intéressera pas davantage à cette maîtrise qu'au développement d'une culture autochtone originale ?

La première option aurait impliqué des sacrifices et une solidarité qui n'existait pas. On a prétendu parfois faire ce choix, mais c'est toujours la deuxième option qui a prévalu. Partout, en Afrique subsaharienne, le désir d'acculturation à l'Occident des élites est aujourd'hui aussi clair que faire se peut, la rupture avec la plèbe aussi tranchée que possible. Les élites visent l'intégration à une culture occidentale, sans nul apport local.

Seule une infime minorité, pourtant, réalise ce rêve et le plus souvent cette minorité s'expatrie. Pour le reste de ces élites, souvent condamnées à demeurer en Afrique pour en extraire la richesse et y exercer le pouvoir qui en fait des « élites », la culture occidentale locale dans laquelle elles baignent ne peut satisfaire cet idéal. En l'absence d'une « colonisation » au sens strict, qui amènerait en Afrique un fort contingent d'Occidentaux, cette culture occidentale locale ne peut être alimentée au quotidien que par des autochtones, sans autre contact avec la réalité du véritable Occident que par le biais des médias. Prenant le télévisuel comme modèle, la culture qu'ils y développent ne peut donc que devenir une copie, voire une caricature de cette image d'Épinal que projette le petit écran.

Cette culture n'est pas consciemment hybride, puisqu'elle ne se veut qu'une seule hérédité. Devant s'adapter aux conditions locales, cependant, elle doit tolérer des accommodements, Ceux-ci sont d'abord considérés comme autant d'imperfections, mais peu à peu, ils la marquent et y laissent des traces, en faisant peu à peu une culture hybride dont ces « imperfections » deviennent la seule spécificité.

Inéluctablement, il se crée donc, partout en Afrique, des mini-cultures locales, hybrides sans l'avouer, qui n'évoluent que par leurs imperfections et sont ainsi subtilement médiocrisées, confirmant le statut de deuxième classe permanent de leurs habitants. Chaque membre de l'élite d'un pays sous-développé, nourri à ce type de culture ersatz, se retrouve, face au monde occidental, dans la situation d'un jeune provincial du XIXe siècle montant faire carrière à Paris. Ce n'est pas une partie perdue, mais ce n'est pas une partie facile.

Si les élites s'expatrient ou se médiocrisent, la situation est bien pire pour le deuxième segment de la population africaine. L'Africain de classe modeste, non occidentalisé, s'est retrouvé au départ du colonisateur, sans aucune culture de référence et donc sans identité. Sans rien qui puisse susciter en lui une volonté d'appartenance à l'Afrique et encore moins à l'un ou l'autre des États artificiels qu'on a dessinés sur l'Afrique.

Sous prétexte de créer un sentiment d'appartenance envers des entités nationales artificielles - auxquelles eux-mêmes ne s'identifient aucunement, à moins qu'elles n'aient assimilé ces entités nationales à leurs entreprises personnelles ! - les élites des pays d'Afrique ont rendu plus difficile à leurs populations l'accès à la civilisation occidentale. À quel modèle culturel un Africain moyen peut-il se rallier, dans ces sociétés dites nationales d'Afrique dont les élites sont transfuges ?

L'Africain moyen a été placé ainsi dans un état d'infériorité dont il lui est bien ardu de s'arracher, puisqu'il n'y a pas pour lui de repli possible vers une culture autochtone antérieure qui n'existe plus, que le passage à la vraie culture occidentale lui est fermé et que la voie lui est barrée vers la création d'une culture hybride qui serait la solution, mais à création de laquelle les élites autochtones ne veulent pas collaborer.

L'Africain moyen se retrouve sans culture identitaire. Or, sans culture identitaire qui vous lie à un groupe de vos pairs (peer group), on est hors-culture partout. On est en exil même chez soi. Les Africains sont en exil dans leurs propres pays, puisqu'ils ne s'y identifient pas. Ce qui est tragique, car on ne peut aller vraiment au bout de soi-même que dans le cadre d'une culture à laquelle on est inconditionnellement assimilé.

Sans son appartenance à une culture identitaire, l'individu est en constante situation d'infériorité, puisqu'il n'a pas alors d'autre choix que de se réaliser dans des modèles importés. Quand l'accès à ces modèles importés lui est ouvert, tout lui en est présumé connu, mais mal connu ; il ne s'agit pour lui que d'apprendre et appliquer. Toute initiative ou toute créativité que manifeste l'impétrant devient une distraction, un élément de retard alors que le seul but qu'on lui propose est d'apprivoiser le modèle de vie de l'Occident et d'en maîtriser l'usage.

Si, malgré tout, sa créativité se manifeste et produit d'indéniables résultats, ces résultats sont perçus et fichés comme des activités mineures et marginales. Elles ne reçoivent leurs lettres de créance que dans la mesure où celles-ci leur sont accordées par le « mainstream » de la culture occidentale, lequel en juge du mérite selon ses propres critères et sa propre pondération. Si Picasso avait été noir, toutes ses périodes, rose, bleue ou qu'importe, auraient été définies simplement comme des facettes de l'Art Nègre.

Malgré tous les efforts que peuvent faire les Africains pour s'adapter à la culture occidentale qui leur sert de superstrat, leur arrivée tardive dans la course, alors que les règles ont déjà été établies sans référence aucune à leur spécificité, garantit qu'ils ne pourront jamais y acquérir une position de force ou même d'égalité. Ils ne peuvent jamais prendre la tête du peloton, puisqu'ils ne connaissent pas le tracé de la course et que, s'ils s'en détachaient, le peloton virerait au premier carrefour et les oublierait. Cette certitude de ne pouvoir gagner n'incite pas à courir plus vite.

Un récent sondage auprès des diplômés du baccalauréat, dans un pays de l'Afrique de l'Ouest, indiquait que, pour la MAJORITÉ d'entre eux, le meilleur plan de carrière qu'ils se souhaitaient commençait par un départ vers l'Europe. Non seulement les pays d'Afrique sont des navires en perdition, auxquels ne peuvent survivre que ceux qui s'en échappent, mais les références culturelles africaines sont elles-mêmes devenues des pièges. Le succès individuel passe par le gommage de toutes ces allusions à une hérédité culturelle africaine qu'on ne peut traiter que comme source de folklore.

À moins que l'on ne soit un sportif ou un interprète exceptionnel - ou qu'on ne soit en situation de SYMBOLISER l'Afrique, devenant l'Africain de service et en retirant un traitement de faveur - on ne peut réussir, comme individu, que si on sort d'Afrique et qu'on sort l'Afrique de soi. La solidarité, en Afrique subsaharienne, n'est plus pour l'individu un facteur de survie, mais une maladie mortelle. L'absence de solidarité avec la société africaine n'a plus à être maquillée, elle va de soi et gagne même à être ostentatoire.

Sans solidarité, cependant, il n'y a pas de société possible. Sans une culture identitaire qui permet une solidarité, une société en gestation ne peut se développer. Dans une société en gestation, la nécessité d'un effort commun est constante et si cet effort n'est pas fourni, la société ne naît jamais.

Sans cultures identitaires, les pays africains ne constituent pas vraiment des sociétés. C'est la situation actuelle des pays d'Afrique et il est clair que cette situation ne peut aller que de mal en pis. Tout est en place pour que tout aille plus mal

 

Le sabotage

 

À ce premier désavantage d'en faire systématiquement les parents pauvres d'une culture qui n'est pas la leur, la colonisation a ajouté un autre handicap, économique, celui-là, que l'Afrique partage avec les autres pays sous-développés, en instrumentalisant la structure de production des pays colonisés au profit des pays colonisateurs.

Cette instrumentalisation n'a pas cessé avec le retrait des colonisateurs ; elle s'est dès lors au contraire aggravée, au rythme de la mondialisation. Dès que la colonisation formelle a pris fin, le monde développé, ne misant plus sur une relation stable d'exploitation à long terme, a adopté la politique de la coupe à blanc, accéléré l'instrumentalisation des pays décolonisés et saboté irrémédiablement leurs économies

Il l'a fait en faisant des « dons » aux pays sous-développés, surtout dans le secteur alimentaire. En donnant ses produits, plutôt que de les vendre, le monde développé a pu substituer facilement ses excédents commerciaux aux denrées et produits locaux et a naturellement causé la faillite des agricultures de subsistance. Les terres, devenues sans rentabilité pour les petits paysans, ont alors été acquises par des compagnies transnationales et affectées à des monocultures pour exportation, café, cacao, etc.

Les paysans ruinés ont été, dans les limites du besoin qu'on en avait, sans plus, transformés en travailleurs agricoles et utilisés dans ces monocultures, au plus bas salaire possible. Les autres ont dû migrer vers les bidonvilles, en banlieue de nouvelles mégalopoles, pour s'y agglutiner en un lumpenprolétariat d'où pourrait bien un jour sortir celui ou ceux qui seront notre Némésis.

Ce sabotage des petites exploitations agricoles des pays sous-développés est venu parfaire la mainmise des intérêts étrangers sur le secteur primaire, dont les branches minière, pétrolière, forestière étaient déjà sous le contrôle de ces derniers. Ceci a non seulement éliminé la possibilité que ces pays puissent maintenir une autosuffisance alimentaire, mais a eu aussi pour résultat d'empêcher que se constitue jamais un capital local qui aurait permis la création d'entreprises dans le secteur secondaire.

Dans le secteur secondaire, les pays sous-développés, déjà derniers arrivants sur la scène industrielle mondiale, ont eu le handicap supplémentaire de dépendre entièrement, pour la capitalisation de leurs industries, de la bonne volonté des pays développés c'est-à-dire de la bonne volonté de leurs concurrents déjà en place. Le développement industriel des pays sous-développé n'a donc pu qu'obéir à la rationalité de ceux qui assuraient son financement, une rationalité diamétralement opposée aux intérêts de ces pays eux-mêmes.

Sans secteur primaire ni secondaire rentables pour leur économie propre, pas de création de richesse matérielle. Les pays sous-développés ont donc été réduits à une mendicité structurelle systémique : la prémisse de base du fonctionnement de leurs économies est qu'elles seront déficitaires et que l'ajustement se fera par une écriture aux livres, disant qu'un « don » a été obtenu ou qu'une dette a été contractée dont il est sous-entendu qu'elle ne sera pas remboursée.

Les fonds générés pour la consommation ne pouvant pas supporter une structure de services modernes, ce qui y a été mis en place à ce titre dans les pays sous-développés a donc revêtu la forme de petits îlots de services, à l'usage exclusif des expatriés et d'une petite bourgeoisie locale. À ce quadrillage sommaire, on a surimposé un fonctionnariat qui ne sert pas à offrir des services, mais à créer des emplois, largement superflus, uniquement ou presque pour justifier la distribution, sous forme de salaires, de la part minimale, nécessaire pour que le pays ne se désintègre pas, des recettes obtenues de cette mendicité systémique.

Sans primaire, secondaire ni tertiaire adéquat, il n'existe, comme possibilité réelle d'enrichissement dans les pays sous-développés, que des activités de rapine. D'une part, un banditisme plus ou moins organisé, en grande expansion au rythme où les classes les plus défavorisées comprennent les règles du jeu néo-libéral et le rôle dévolu au crime dans son fonctionnement. D'autre part, une structure de corruption institutionnalisée qui est présente à tous les niveaux, culminant dans la vente éhontée par les pouvoirs publics aux étrangers de tout ce qui pourrait servir à sortir ces pays de leur marasme.

Cette corruption par paliers, directe et indirecte, est la première source de revenus dans les pays d'Afrique subsaharienne. Le clivage économique est donc brutal entre, d'une part, une frange de mafieux enrichis et une toute petite bourgeoisie qui exploite et détourne les fonds publics et, d'autre part, le reste de la population en voie de paupérisation.

Le même phénomène s'est produit jadis dans d'autres civilisations, en Europe au Moyen Âge par exemple, ce qui a permis alors que se développe une élite qui finalement est devenue la source de tout développement. Pourquoi les pays sous-développés d'Afrique subsaharienne ne peuvent-t-il pas suivre la même voie ?

Parce que le clivage économique recoupe parfaitement le clivage culturel que nous avons vu et qu'il n'y existe donc pas de solidarité, aucun sentiment d'appartenance au groupe. La toute petite bourgeoisie qui s'enrichit s'identifie totalement à l'Occident et ne voit le reste de la population que comme une autre société qu'elle ne tolère que parce qu'elle en tire in profit.

Pour cette raison, tous les revenus, gagnés ou volés en Afrique subsaharienne, dès qu'ils dépassent le niveau de la plus élémentaire subsistance, ne sont pas investis dans le développement du pays, mais sont immédiatement réexportés vers l'étranger, où l'on trouve des investissements parfois plus rentables, mais surtout toujours infiniment plus sûrs que ce que le pays peut offrir.

Sans solidarité, pas de développement. Sans solidarité, en fait, pas de société.

 

Appartenance, intérêts et solidarité

 

Pas de sociétés en Afrique ? Attention ! Il existe des sociétés en Afrique ; elles suscitent même une solidarité parfois exemplaire. Mais ces sociétés sont au niveau de la famille élargie, du clan, d'ethnies, de groupes d'appartenance traditionnels « Tons » au sein de la société civile, pas si différents de ceux dont nous avons recommandé la constitution dans une Nouvelle Société. (712b). Au niveau des États composites issus de la décolonisation, cette solidarité n'existe JAMAIS.

Pour avoir des sociétés fonctionnelles en Afrique, il faudrait constituer des États au palier où la solidarité existe déjà. Ce n'est pas une option immédiatement accessible, car transformer en États les véritables groupes naturels d'appartenance, ce serait un retour à l'Afrique d'avant la colonisation. Ce serait éliminer les États actuels, ce qui ne pourrait être fait que les armes à la mais, puisqu'il n'y a pas un État d'Afrique qui ne se soit constitué un troupeau de vaches à lait de ses minorités et ne les exploite sans vergogne.

Le retour du pouvoir aux groupes qui suscitent une véritable appartenance ne sera possible sans effusion de sang, en Afrique subsaharienne, que dans le cadre d'une rationalisation globale de la gouvernance (714b). Cette rationalisation sera nécessaire en Afrique, sans doute plus que nulle part ailleurs, mais y tenter cette démarche serait aujourd'hui prématuré

Peut-on faire naître une solidarité en Afrique, au palier des États existants ? Que ce soit en Afrique ou ailleurs, il n'y a que deux voies qui conduisent vers la solidarité. La première mène à une solidarité d'appartenance qui est l'expression viscérale d'une identité commune ; la deuxième conduit à une solidarité d'intérêt et, dans sa forme achevée, correspond à une rationalisation de l'altruisme.

La première voie, celle qui exprime une identité commune, est aujourd'hui barrée en Afrique, puisque cette conscience d'une identité n'existe simplement pas dans les États artificiels qu'on y a créés. On peut tenter de l'encourager, mais il faudrait qu'elle naisse naturellement. Il faudrait des générations. Il faudrait une pensée commune, des symboles, des lieux de mémoire

Quelques guerres, aussi, comme celles qu'a connues l'Amérique latine durant sa turbulente gestation À mourir ensemble, on finit par s'apprécier, mais souvenons nous que, dans une seule de ces guerres sans rimes ni raisons ­ et il y en a eu des tas ! - le Paraguay a déjà perdu les deux tiers de sa population. Est-ce le modèle à privilégier ?

Non seulement le sentiment d'appartenance à ces États artificiels d'Afrique n'existe pas, mais la volonté ferme de s'en retirer est souvent manifeste. Il y a au moins cent ethnies en Afrique qui ne veulent pas s'identifier à l'État où on les a parquées. Peut-on substituer à ce qui apparaît comme une impossible solidarité d'appartenance, une solidarité liée à des intérêts communs ?

Les critères ici sont connus. Dans l'aisance, oui. Dans la misère, non. Dans un pays riche déjà développée, une société peut garder l'adhésion de ses membres longtemps, même s'il n'y existe plus qu'un sentiment d'appartenance de façade, parce qu'elle est l'arène de leurs luttes et donc le lieu où ils se nourrissent. C'est l'attachement du charognard au charnier. Chacun retire quelque chose de la société et maintenir l'État vaut donc bien des compromis, voire des sacrifices.

On sait bien, cependant, qu'un intérêt commun est la plus précaire des bases pour une solidarité durable. Pour qu'elle soit stable, une telle solidarité implique que la richesse soit là qui permette que participer à la société soit une bonne affaire. Cette solidarité ne peut exister chez les classes défavorisées d'Afrique, puisque celles-ci ne retirent RIEN de leur participation à la société.

Quelque chose qui ressemble à la solidarité peut bien se manifester, parfois, entre miséreux, mais c'est la solidarité des jacques pour piller le château et s'en partager les dépouilles. Cette solidarité est ponctuelle. Elle est bien précaire, car rien n'est plus facile que de semer la zizanie au sein d'un groupe dont la motivation est strictement économique. Chaque élément du groupe peut en être facilement dissocié, simplement en satisfaisant ses attentes pécuniaires propres au détriment de celles des autres.

C'est une grave faiblesse de la solidarité par intérêt. Même s'il ne s'agit au départ que de « piller le château », quiconque veut maintenir la cohésion au sein d'un groupe se hâte donc d'ajouter, aux objectifs matériels de l'entreprise, une motivation supérieure qui soit à l'abri des tentatives qui seraient faites pour en provoquer l'éclatement. Pour en arriver à la solidarité, il faut qu'à l'intérêt on ajoute un cocktail de principes et de valeurs intangibles: Dieu, liberté, patrie, justice, fraternité, etc.

Quand on le fait, une vraie solidarité peut jaillir de la totale adhésion à une idée, à un principe à une cause, à un message. Cette solidarité peut devenir tout aussi émotive que celle qui naît d'un sentiment d'identité culturelle et, d'ailleurs, avec le temps, tend à s'assimiler de plus en plus à une solidarité d'appartenance au groupe porteur de l'idée, du message, etc. C'est l'esprit de corps des Chrétiens au Cirque, des Légionnaires à Camerone, des bonzes bouddhistes au Vietnam

Peut-on lier la solidarité au service d'une cause à la solidarité dans l'appartenance à un État qui rendrait ce dernier fonctionnel ? Un défi insurmontable, car si on tente, en ajoutant cette motivation supérieure à l'intérêt d'une participation à un État, d'obtenir une solidarité sincère et effective, on découvre que, paradoxalement, on en retire une solidarité d'autant plus sincère qu'on ne la souhaite pas effective.

La solidarité ne devient sincère que dans la mesure où l'on n'en attend rien. Elle peut alors être à elle-même sa propre justification, devenir inconditionnelle, se nourrissant même de chaque attaque dont elle est l'objet. La solidarité naît si le but n'est pas d'en retirer, mais de s'y donner. Dès qu'il y a un profit matériel à tirer de la solidarité, cependant, on découvre vite la corruption tapie dans l'ombre et l'on revient au scénario initial d'une solidarité d'intérêt qui exige que la richesse soit présente ou promise.

Promise de façon crédible, ce qui aujourd'hui en Afrique n'est pas possible. Cette crédibilité exigerait qu'existe au départ cette richesse que permettrait la solidarité qui n'est pas, ce qui nous ramène à la case départ.

Si une solidarité au palier des Etats est impossible à créer en Afrique subsaharienne, même par intérêt, on comprend que ne peut s'y développer que cette solidarité au service d'une cause dont nous venons de parler, sans référence nationale, gratuite et sans allusion à un intérêt. Il est possible, probable même, que ce genre de solidarité naisse en Afrique. Mais ce ne sera pas sans périls.

Quand ceux qui se solidarisent autour d'une l'idée ou d'un message sont dans la position de faiblesse qui est celle des classes modestes d'Afrique, leur solidarité exige un engagement total, mais doit être internalisée. Les structures externes qu'ils mettraient en place pour encadrer et manifester cette solidarité, en effet, seraient incapables de résister à des attaques de l'extérieur dans un milieu hostile.

L'action qu'engendre cette solidarité ne peut être tournée qu'à grands risques vers une action extérieure, car ceux qui sont ainsi liés sont faibles et ne peuvent espérer d'aide que d'eux-mêmes. À l'extérieur, il y a l'ennemi : la force doit être en soi. Cette solidarité ne pourra être au départ que compensatoire et ne deviendra un outil de développement que quand elle sera instrumentalisée. Cette solidarité est donc discrète, souvent liée à une vive xénophobie.

Les solidarités qui répondent à ces conditions de gratuité, d'engagement total et d'internalisation naissent généralement de mouvements religieux. Ce qui est une tautologie, puisque nous pourrions définir le mouvement religieux comme celui qui n'apporte pas de gratifications matérielles immédiates, mais plutôt une gratification spirituelle. Une gratification internalisée, car même si on peut voir un « paradis »à l'extérieur, ce n'est toujours qu'une projection de soi-même. Un mouvement religieux repose sur une autorité ultime qui est parfaitement internalisée, sans quoi il n'est pas vraiment un mouvement religieux.

Dans le vacuum de solidarité qu'est l'Afrique subsaharienne, il ne peut guère se créer de solidarité qu'autour d'un mouvement religieux. Une solidarité qui ne pourra s'identifier à une démarche de développement sans s'évanouir, que si la gratification qu'on y associe est reportée au-delà de l'horizon. Il faudra que les sacrifices qu'exigera la solidarité -- il y en a toujours - ne soient pas consentis pour obtenir cette gratification, laquelle doit rester hors de portée, mais par amour de la cause elle-même.

 

Pie in the sky

 

Une solidarité en Afrique subsaharienne ne pourra naître qu'autour d'un mouvement religieux. Une vraie religion. Le marxisme athée a joué pour un temps en Afrique ce rôle de religion, mais le marxisme offrait trop, trop vite; il ne pouvait générer la solidarité dans la perspective d'indigence indéfinie dont les Africains avaient besoin. Assez ironiquement, il faut constater que le marxisme, qui dénonçait la promesse illusoire de « la tarte au paradis », sera finalement mort de ne pas l'y avoir laissée

Aujourd'hui, dans la plus grande partie de l'Afrique, c'est l'intégrisme islamique qui a pris la relève du marxisme. Parce qu'il demande tout et n'offre rien de matériel. Quand on pense à religion, on pense Islam. Encore velléitaire il y a cinquante ans en Egypte et au Maroc, expérimentale dans des conditions favorables en Libye, il y a quelques décennies, aujourd'hui appliquée en projet-pilote par Hezbollah au sud Liban, peut-être la solidarité de l'Islam peut-elle devenir à terme un vecteur de développement. Peut-être. Sera-t-elle vraiment opérationnelle demain, en Iran, au Pakistan puis en Afrique subsaharienne ?

La question n'est pas de savoir si l'on aime, ou si l'on n'aime pas, l'intégrisme islamique, mais de constater qu'il est une force qui pourrait jouer un rôle moteur pour l'émergence d'un modèle original de développement dans beaucoup de pays d'Afrique. Admettons que c'est le sc�nario le plus probable.

Si l'émergence de l'Islam est considérée comme une mauvaise nouvelle pour l'Occident, cependant, il existe une solution de rechange que constituent les mouvements charismatiques chrétiens.

L'islam est souvent présenté comme s'il était le seul candidat à l'hégémonie religieuse en Afrique. On oublie trop souvent l'influence des mouvements charismatiques chrétiens et leur potentiel de mobilisation qui n'est pas moins fort que celui de l'islam. Plus fort, en fait, puisqu il peut référer en sourdine à ses liens historiques avec la culture occidentale dont il est issu.

Cette filiation, à un premier niveau semble un désavantage, puisque la relation s'établit avec le colonisateur, mais elle est un énorme avantage au niveau de l'inconscient, puisque les mouvements charismatiques peuvent véhiculer l'image de progrès et de succès qui est celle de l'Occident.

En Afrique, le mouvement charismatique n'est pas plus un étranger que l'Islam : ils sont, l'un comme l'autre, des produits d'importation, introduits pas des envahisseurs. Une alternative chrétienne à l'islamisme n'est donc pas exclue en Afrique. Cette alternative pourrait même être fomentée par le Système néolibéral, en réponse à ce qui serait perçu comme le « danger » de l'Islam. La voie royale pour introduire cette alternative serait par le biais des mouvements charismatiques brésiliens, donc deux ou trois ont déjà plus de 10 millions de membres, ont des structures bien établies et sauraient gérer des fonds considérables.

Ces structures brésiliennes ont l'avantage supplémentaire d'être déjà des structures «noires » et de porter dans leurs gènes toute une tradition africaine précoloniale, encore enrichie des liens avec le folklore musical de l'Amérique « revival ». Les rites de Candomblé et de Macumba, qui foisonnent au Brésil et ont tous leur origine en Afrique, ne font pas partie de la démarche propre des églises charismatiques, mais ils cohabitent sur un même territoire.

Bel exemple du syncrétisme qui est la grande spécificité brésilienne, terreiros de candomblé et temples évangéliques et pentecôtistes ne crachent pas sur l'échange de quelques garants d'amitié, un échange qui illustre simplement ce qui se passe vraiment dans l'âme profonde de leurs clientèles, lesquelles parfois sont aussi les m�mes et se confondent.

Intuitivement, j'ai l'impression que, mis devant la nécessité devant faire un choix d'identification - et toutes autres choses étant égales - l'Africain moyen et de classe modeste serait plus interpellé par une combinaison de « soul music » à l'église évangélique et de transes occasionnelle au terreiro, que par des vendredis à la mosquée et cinq prières quotidiennes le front dans la poussière.

Valeur intrinsèque mise à part de l'une ou l'autre de ces religions, l'Africain ne semble-t-il pas culturellement plus en phase avec un syncrétisme d'inspiration chrétienne, pas très loin des coutumes animistes, qu'avec un islamisme pur et dur ? Le concept de Yemanja et des orixas yorubas qui "rentrent chez eux" me semble être un concept au moins aussi porteur en Afrique subsaharienne que le message de Mahomet et le Coran.

Cela dit, syncrétisme chrétien ou islamisme, si un mouvement de solidarité surgit du tréfonds de l'Afrique, ce sera un mouvement religieux, avec ce que ceci peut apporter de violence, d'obscurantisme et de haine des autres.

Il n'y a pas que l'Afrique qui pourrait faire appel à une culture religieuse pour susciter une solidarité.L'expérience est aujourd'hui tentée en Amérique latine, de créer une originalité qui vienne justifier un sentiment d'appartenance. Les efforts bien explicites que l'on fait présentement Bolivie pour récupérer une identité autour des traditions précolombiennes se situent bien dans cette voie. Il n'est pas dit que cette approche sera un succès, mais il n'est pas prouvé que ce sera un échec.

Cette voie sera certainement utilisée aussi en Afrique. Ceux qui voudraient mettre cette solidarité religieuse au service d'une solidarité nationale ou sociale doivent se souvenir, toutefois, que souvent les tentatives pour instrumentaliser une force religieuse sincère pour en faire une solidarité « effective » se sont soldées, au contraire, par la sujétion à cette force religieuse de ceux qui croyaient pouvoir la manipuler !

 

Croyances et dictatures

 

À quoi s'attendre si se crée en Afrique subsaharienne une solidarité s'appuyant sur une religion ? Il faut s'attendre � l'un ou l'autre de deux mauvais scénarios. Le premier, c'est que la solidarité n'est instrumentalisée par personne et reste au palier religion, s'inféodant ceux qui voudraient en orienter l'action. L'Histoire a un développement et une conclusion uniques pour ce genre de situations.

Les « croyants », d'abord en position de faiblesse, se développent, sont perçus comme une menace par le pouvoir en place, sont persécutés, se multiplient dans l'abnégation, puis finalement arrivent au pouvoir où ils font preuve d'une parfaite intolérance. Encouragés par ce succès, ils se rendent odieux par leur prosélytisme à leurs voisins, qu'ils convertissent jusqu'à ce qu'ils n'aient plus de rivaux, soient eux-mêmes écrasés ou n'acceptent une paix instable doublée d'une attitude hostile avec les «infidèles »

Que les Africains solidaires qui ne demandent qu'à émerger dans les sociétés africaines actuelles trouvent leur appartenance comme Chrétiens ou Islamistes, il est difficile de voir comment il en sortira un raccourci vers une solidarité pour le développement s'ils sont les protagonistes de ce premier scénario. Il est bien probable qu'il ne s'agira plus alors de lutter contre la pauvreté et l'inégalité, seulement d'apprendre à les aimer.

Pire, si ces deux forces religieuses se développent simultanément, il y a une possibilité bien réelle, si Dieu ou le diable s'en mêle, qu'ils s'opposeront avec fanatisme et que leur émulation ­ - un euphémisme ! ­ - non seulement ne règlera rien, mais pourrait même prolonger indéfiniment le marasme en Afrique. L'Afrique pourrait vivre l'équivalent de notre Moyen-âge, de nos guerres de religion... Ne faut-il pas que jeunesse se passe ?

Il y a un deuxième scénario. Instrumentalisant cette solidarité nouvelle qu'apporte la ferveur religieuse et voulant en tirer les avantages, un Mahdi ou un Osagyefo (Rédempteur) veut s'attaquer au développement. Il veut le faire dans le cadre d'une planification cohérente et d'un conditionnement intensif. Une vraie démocratie étant tout à fait impossible avant que ce développement même n'ait eu lieu, il impose donc sa dictature.

Que cette dictature soit brutale ou, au contraire, altruiste et éclairée, même si elle est la parfaite République de Platon, elle sera immédiatement en butte aux attaques ouvertes et occultes du monde développé. Officiellement, ce sera par respect pour la démocratie que le reste du monde refusera la légitimité de cette dictature. La vraie raison de cette opposition, cependant, sera que ce développement est simplement contraire aux intérêts égoïstes de la civilisation occidentale et des pays développés.

Les pays qui, au moment de leur indépendance ou plus tard, ont pensé capitaliser sur l'enthousiasme - la ferveur religieuse n'étant que la manifestation aujourd'hui la plus probable en Afrique de cet enthousiasme - ont vite dû rentrer dans le rang. Voir les exemples de la Guinée, du Ghana, etc. En fait, dans le monde entier, avec la notable exception de Cuba, il y en a peu qui soient parvenus à suivre cette voie bien longtemps et leurs efforts, toujours contrecarrés dans toute la mesure du possible par le système capitaliste, n'ont jamais pu donner que des résultats dérisoires.

Dans la situation actuelle, la genèse en Afrique d'une solidarité d'identification et d'appartenance ne peut passer que par un mouvement religieux ; or les conséquences de cette approche ne semblent pas bénéfiques. Y a-t-il une autre solution pour l'Afrique ?

 

Recoloniser l'Afrique ?

 

Il y a une autre solution. Il faudrait que puisse se développer en Afrique une culture de solidarité par intérêt, basée sur une rationalisation de l'altruisme. Quand tout le monde se donne la peine de ne pas faire chavirer la barque. C'est la solidarité que nous avons dans les pays développés. C'est la solidarité qui s'installe d'elle-même quand apparaît une certaine aisance et elle conduit toujours à une certaine démocratie.

Cette solidarité n'a rien de spectaculaire et elle n'inspire pas de poèmes ni d'épopées. Elle est, nous l'avons dit plus haut, le type d'attachement qu'éprouve le charognard pour son charnier. Elle se situe tout de même cent coudées au-dessus de ce qu'on peut trouver aujourd'hui en Afrique et elle est le seul le seul objectif raisonnable qu'on puisse fixer à un pays, disons, comme le Nigeria.

Une solidarité par intérêt, basée sur une rationalisation de l'altruisme, est une bonne solution. Le problème, c'est qu'il n'est pas possible que cette solidarité naisse spontanément de l'Afrique elle-même. En aucun pays de l'Afrique subsaharienne.

Le développement de ce modèle exige une relative aisance. Pas la richesse boursouflée pour quelques-uns, ceci ne fait que fournir à ceux-ci un visa de sortie hors de leur culture, laissant les autres un peu plus pauvres, mais une aisance largement répartie dans une classe moyenne. L'aisance minimale qui fait qu'il ne soit pas héroïque et incongru de ne pas prendre pour soi et seulement pour soi, absolument TOUT ce qu'on peut prendre du tronc commun.

Cette aisance minimale n'est possible que si débute en Afrique un partage de la richesse. Or, la scission économico sociale dans les pays subsahariens empêche un consensus sur toute redistribution de la richesse. Cela crée un dilemme insoluble. Une richesse minimale et une forme de redistribution de cette richesse sont nécessaires à l'éclosion d'une solidarité d'intérêts alors qu'une solidarité d'intérêts doit venir AVANT le développement qui produit la richesse.

Aucune gouvernance issue d'une société d'Afrique subsaharienne ne peut sortir de ce dilemme. En l'absence de consensus effectif pour une forme au moins rudimentaire de partage, il est impossible qu'une gouvernance issue d'un pays africain ait la moindre chance de vouloir et de pouvoir améliorer le sort de ses habitants. Une gouvernance pour le bien du peuple n'est possible en Afrique, que si elle se situe au-dessus des enjeux et des jeux de pouvoir locaux. Pour que soit fait en Afrique ce qui doit y être fait, il faut donc que la gouvernance en Afrique soit externalisée.

Ce qui mène à la conclusion politiquement incorrecte, mais vraie, que l'Afrique ne peut retrouver le chemin du développement que si, pour un temps, elle est gouvernée sans les Africains. Le temps que s'y mettent en place des structures de création de richesse et de distribution minimalement équitable de distribution de la richesse créée.

Ceci mène aussi à la conclusion, tout aussi politiquement incorrecte, mais tout aussi vraie, qu'il faudrait reprendre l'Afrique au point où nous l'avons laissée. Il faut donner à l'Afrique ce que la colonisation aurait dû lui apporter, si la colonisation avait été la mission civilisatrice qu'on a prétendu qu'elle était au lieu de l'entreprise d'exploitation et parfois de simple brigandage qu'elle a été.

Est-ce à dire qu'il faille recoloniser l'Afrique ? Non, le temps du viol est bien fini. Mais il faut chercher la solution à la situation actuelle en s'inspirant du modèle colonial. Quand on en regarde la réalité plutôt que les intentions, comment se présentait le modèle colonial dans sa réalité quotidienne ? Une présence policière et militaire qui venait répondre à un besoin pressant d'assurer l'ordre et la sécurité, au soutien d'une présence administrative visant à gérer honnêtement, là où la corruption et le népotisme avaient toujours régné. C'est ce dont l'Afrique avait besoin, il y a 100 ans et c'est exactement ce dont elle a encore besoin aujourd'hui.

Le modèle colonial était efficace ; il n'y a pas un pays d'Afrique subsaharienne où les structures administratives ne se soient pas détériorées depuis son indépendance. Les grands torts du modèle colonial étaient, d'une part, qu'il avait été imposé et non librement consenti et, d'autre part, qu'il ne fonctionnait pas pour le bien des pays colonisés mais pour celui des colonisateurs. Est-il possible de recréer une structure externalisée de gouvernance qui ait les avantages de la colonisation sans en avoir les torts ?

 

Le protectorat

 

C'est tout à fait possible et on l'a déjà tenté. C'est le modèle du « protectorat ». Le concept du protectorat est qu'un pays, ayant la compétence administrative requise, administre un pays qui n'a pas cette compétence, pour le bien du pays administré et non du pays administrateur.

Sous sa première forme, le protectorat supposait que le pays administré consentait à être protégé, en fait, réclamait cette protection. La France, par exemple, a été appelée à « protéger » le Maroc. Il est vite devenu clair, cependant, que le protectorat avait souvent un autre agenda que la protection et que les pays protecteurs, France en tête, n'étaient pas toujours d'un parfait altruisme.

Pour y ramener une certaine abnégation, la notion de protectorat a donc évolué pour devenir, dans un deuxième temps, un mandat confié à une Puissance par la Société des Nations, de prendre sous son aile un pays sans défense et sans ressources. Par la même occasion, on a renoncé à la fiction que le pays protégé y avait consenti. Il était mineur, incapable, on allait penser pour lui. Agir pour son bien.

Il est vite devenu tout aussi clair, hélas, que l'intention des pays mandatés n'était pas toujours pure et que si, dans le meilleur des cas, une bénigne tutelle s'appliquait sans massacres ni scandales, c'est que le pays sous mandat n'offrait vraiment aucun intérêt et que celui à qui on l'avait confié n'accordait qu'une attention distraite à son protégé.

Après la deuxième guerre mondiale, est arrivée la stratégie, innovatrice pour l'Europe, mais déjà testée avec succès en Amérique latine par les USA., de retirer des colonies tout ce qui leur servait et donc coûtait bien cher, leur donnant l'indépendance et s'en remettant à des satrapes locaux pour en gérer l'exploitation. Les critères ayant ainsi changé, le modèle du protectorat est apparemment tombé en désuétude.

En apparence seulement. En réalité, il a continué sous un autre nom. Ce que la France a offert aux pays d'Afrique au moment de leur indépendance était une forme de protectorat, Marianne se réservant les affaires étrangères, incluant la défense et le contrôle des finances incluant, la monnaie de ses ci-devant colonies. Quelques fonctionnaires saupoudrés sur l'administration des jeunes nations suffiraient à éviter les bêtises et à garantir que les choses suivent bien leur cours normal, toutes les ressources intéressantes comme les contrats juteux trouvant toujours leur chemin vers Paris.

C'est un régime de protectorat de fait, qu'on pourrait appeler d'«indépendance assistée », et qui fonctionne depuis près de 50 ans. Il a épargné depuis à la France bien des critiques, ainsi que la vie de moult légionnaires et de quelques missionnaires. Dans la colonne des débits, cependant, il faut se rappeler qu'il n'a rien donné de plus aux pays d'Afrique que ce qu'un protectorat de modèle classique leur aurait apporté, évitant seulement à leurs dirigeants, comme à la France l'ennui d'une reddition de comptes occasionnelle.

L'«indépendance assistée » n'a rien donné de plus qu'un protectorat traditionnel aux pays décolonisés. Surtout, elle leur a apporté infiniment moins que ce que leur apportait le régime colonial, la différence étant un gain net pour l'ex-colonisateur. Il a fallu une gestion bien astucieuse de la propagande, concertée entre tous les pays coloniaux, pour que le jour de l'indépendance, ne soit pas célébré, dans chaque pays subsaharien, comme un jour de deuil et en en brûlant quelques vestiges du on vieux temps.

Aujourd'hui, tout se passe comme si les pays de la communauté française d'Afrique étaient des départements qui élisent leurs préfets en les appelant présidents, mais qui ne sont pas représentés à l'Assemblé Nationale et dont on n'a donc à s'occuper qui si on a quelque chose à en tirer. Est-ce qu'on ne pourrait pas faire mieux pour l'Afrique que l'indépendance assistée ?

Quand on regarde la situation en toute lucidité, on comprend que les pays sous-développés et surtout les pays ex-colonisés d'Afrique, ont aujourd'hui besoin d'être protégés. Ils ont besoin d'un régime de protectorat. Ils ont besoin d'externaliser leur gouvernance, parce que dans la situation où on les a laissés, aucune gouvernance endogène ne peut s'y installer qui ait la moindre chance d'améliorer le sort de leurs habitants.

Les pays sous-développés ont indubitablement besoin d'être protégés, surtout contre ceux qui se prétendent leurs protecteurs. Si le monde développé n'accepte pas de leur accorder une forme de protection équitable, un statut de véritables protectorats, nous porterons tous la culpabilité de la misère croissante et des injustices infinies qui seront le lot quotidien des pays sous-développés d'Afrique. Demain et indéfiniment.

 

Les conditions du partenariat

 

Comment concilier l'idée de protectorat avec celle de la liberté et de la dignité humaine de ceux qu'on veut protéger ? En revenant d'abord au principe initial du protectorat, d'une relation librement consentie entre un État administrateur et une société administrée, mais en s'assurant qu'il ne s'agisse plus simplement désormais d'un principe ceux, mais d'une réalité. Il ne faut pas que le consentement de l'administré ait été arraché sous la menace d'une canonnière, batteries braquées sur le palais présidentiel.

Ne parlons donc plus de protectorat, mais de « partenariat intégral ». Le partenariat intégral met complètement la société administrée sous la gouverne de l'État administrateur. Deux choses le distinguent d'un protectorat. La première, c'est qu'il n'est pas imposé par la force, mais voulu par la société administrée ; la seconde, c'est qu'il est soumis à des règles de droit strictes. L'administré n'est pas laissé à la merci de son administrateur qui deviendrait son occupant.

Soumettre un partenariat à des règles de droit est possible, si deux conditions sont remplies. D'abord, si la communauté internationale, au palier des Nations Unies, se dote des organismes de contrôle nécessaires pour vérifier que les accords de partenariat soient respectés et, ensuite,si un équilibre des forces s'établit sur la planète, qui permette que soit mise au besoin à la disposition des Nations Unies une force d'intervention crédible.

Si une structure de contrôle est créée, la propension de tout fonctionnaire à vouloir se rendre utile, ou au moins intéressant, la rendra vigilante. Si un équilibre des forces s'établit dans le monde, respecter le bon droit y deviendra la meilleure solution de compromis et les Nations Unies deviendront une source respectée d'arbitrage. Nous parlons ailleurs de cette évolution vers un « monde de droit ». (713F2)

Dans ce cadre de légalité internationale, le partenariat intégral peut être une solution efficace. Il peut l'être si ces partenariats ne sont pas de simples subterfuges pour mieux exploiter les pays du tiers-monde, mais s'ils ne sont pas non plus présumés conclus uniquement pour aider les indigents. La générosité n'est pas une hypothèse forte en relations internationales. L'angélisme n'a pas d'avenir.

Ceux qui aident et protègent veulent être payés pour aider et protéger. Ils veulent en tirer eux aussi un profit. Il faut donc que les interventions de partenariat soient mutuellement profitables, aussi bien pour celui qui protège que pour celui qui est protégé. On peut réaliser des expériences pilotes de prise en charge totalement altruiste de tout petits pays, pour en faire des exemples et roder les mécanismes de partenariat, mais on ne peut pas institutionnaliser à grande échelle un type de relations qui ne serve qu'à l'une des parties.

Celui qui administre doit en tirer un avantage raisonnable, selon des critères dont les normes internationales pourraient établir les paramètres. L'État administré doit en tirer l'assurance d'un développement correctement planifié, dans l'ordre et la paix. Le monde entier va aussi y trouver son intérêt, dans la solution du problème du sous-développement qui autrement apparaît insoluble.

 

La logistique du partenariat

 

Le partenariat intégral commence par un accord entre deux États. Un État « administrateur » qui offre de prendre en charge la gouvernance et l'administration complètes d'une autre société et l'État de cette société à administrer, qui accepte que se substituent à sa gouvernance et à son administration celles du pays administrateur.

C'est une substitution totalement consensuelle, une prise en charge dont les deux parties précisent ce qu'elles en attendent et ce qu'elles y apporteront. Cet accord doit être pour un terme défini d'au moins 20 ans, pouvant être prolongé ou renouvelé à son échéance. Il doit être un contrat exécutoire, étant soumis par les parties à la juridiction d'une instance tierce, une organisation internationale comme les Nations unies ou la cour de justice de La Haye, par exemple, qui garantisse la validité du contrat lui-même et la validité de toutes et chacune de ses clauses

Ce contrat est exécutoire et contraignant, parce que les deux parties acceptent l'intervention, au besoin militaire, d'une force internationale des Nations unies pour faire respecter ce contrat. Leur acceptation à tous deux de cette condition doit aller de paire avec un engagement des Nations Unies d'apporter au besoin cette force qui donne sa valeur contraignante au contrat.

Quand l'État d'un pays administrateur et l'État d'un pays à administrer ont accepté le principe d'un tel partenariat intégral, il faut en déterminer les modalités, les conditions, les stipulations, les clauses pénales. Il faut surtout en déterminer les paramètres quantitatifs, car il ne s'agit pas ici de vux pieux.

La performance réalisée par l'État administrateur pour le développement du pays administré sera évaluée par une tierce partie impartiale que les parties auront désignée. Dans la plupart des cas, ce sera un organisme international comme l'Unesco, n'étant pas exclu que les Nations Unies créent une instance ad hoc dont le suivi et l'évaluation de ces partenariats seraient les seules fonctions.

Dans tous les cas, toutes les données pertinentes à l'exécution d'une entente de partenariat intégral seront complètement transparentes et donc soumises au jugement de valeur de la communauté internationale. Il ne manquera pas d'autres pays, concurrents éventuels du pays administrateur, pour scruter et au besoin dénoncer son action.

Typiquement, le pays administrateur s'engage d'abord, sur une période de 20 ans, à apporter au pays administré, dont il assumera le contrôle total, une augmentation de son niveau de vie d'un pourcentage dont administrateur et administré auront ensemble convenu. Disons 10 % par année, par exemple, ce qui n'est pas absurde, puisque la Chine a déjà réalisé cette performance et maintient sa croissance autour de cet ordre de grandeur.

Le pays administrateur s'engage aussi à atteindre certains objectifs plus spécifiques et à mettre en place, en respectant un échéancier précis, certaines infrastructures parfaitement identifiées. Il s'engage, par exemple, dans le secteur de la santé, sujet au contrôle par l'OMS des résultats concrets obtenus, à atteindre des objectifs vérifiables et quantifiables selon les normes de l'épidémiologie. Quant à l'espérance de vie, à la mortalité infantile et à l'éradication des maladies infectieuses et endémiques, par exemples.

Il s'engage également à la mise en place d'un système d'éducation dont les programmes répondront à des critères établis au départ qui auront fait consensus, de même qu'à prendre des mesures efficaces pour assurer la diffusion de cette éducation au sein de la population, selon l'échéancier et les normes qui auront aussi été définies et acceptées au départ.

L'accord prévoira le développement et la rationalisation de l'agriculture du pays administré, ainsi que la mise en place d'une structure industrielle, indiquant les objectifs à atteindre et les politiques d'import-export qui seront appliquées. La mise en place, aussi, d'une structure de services, tenant compte du niveau de vie atteint. Si des circonstances exceptionnelles exigent qu'en cours de partenariat, une aide ponctuelle imprévue soit apportée au pays administré, cette aide sera traitée comme un prêt et remboursée, mais les organismes internationaux de contrôle du partenariat seront vigilants pour que ce cas fortuit ne biaise pas plus qu'il ne le faut le développement prévu par l'entente.

Le pays administrateur, enfin, doit bien sûr s'engager à remettre à l'État du pays administré, à la fin de la durée prévue du contrat, tous les pouvoir dont il a assumé la responsabilité. Si certaines clauses prévues à l'entente de partenariat n'ont pas été respectées, une compensation, dont le montant aura été fixé au départ pour chacune d'entre elles devra alors être payée au pays administré, sous la forme d'un dédommagement immédiat (lump sum ) ou de versements périodiques qui pourront se prolonger longtemps après la fin du contrat.

Si le contrat est accepté, son entrée en vigueur doit être conditionnelle à sa ratification par un référendum, organisé sous surveillance des Nations Unies dans le pays administré. Il peut être prévu que 50, 55, 60, 66 % de la population devra être d'accord pour que l'entente soit ratifiée.

Suite à ce référendum et à la signature formelle de l'entente de partenariat intégral, le pays administrateur, à la date fixée, prend totalement charge du pays à administrer. Il y débarque avec ses troupes, sa police, ses administrateurs.

 

Le déroulement du partenariat

 

Le pays administrateur débarque avec armes et bagages. Surtout, avec ses experts qui viendront occuper tous les postes clefs de l'administration. Le problème du pays africain n'est pas, en effet, que le Ministre africain formé en Sorbonne soit moins doué que son homologue européen ; il l'est souvent davantage ! Le problème est que l'impact de ses idées et de ses directives ne va pas beaucoup plus loin que la porte de son cabinet.

L'infrastructure de cadres intermédiaires et de professionnels qualifiés qui permet que l'État soit une véritable machine à administrer et à contrôler n'existe pas dans les pays sous-développés. La masse de ceux qui prétendent en être aujourd'hui les rouages ­ de la secrétaire qui tape les lettres au surveillant de chantier dans la brousse - n'ont ni la compétence ni surtout la motivation pour remplir cette fonction.

Une gouvernance venant de l'extérieur ne peut être efficace qui si elle s'appuie sur une structure administrative elle-même importée. Importée complète, sans même un hiatus où pourrait naître et grandir le désordre et la corruption. Le pays administrateur arrive avec toutes les ressources requises. Les lois du pays administrateur, sauf quelques exceptions dont on a pu convenir, se substituent aussi entièrement aux lois du pays administré, lesquelles pour la durée de l'entente n'ont plus valeur juridique.

Les frontières sont totalement ouvertes, dans les deux sens, au commerce entre le pays administrateurs et le pays administré. Dans toute la mesure du possible, le pays administrateur verra à ce que le pays administré puisse jouir des mêmes avantages d'import-export dont jouit le pays administrateur dans toutes ses ententes commerciales avec des tiers.

Si ses partenaires ne sont pas d'accord pour cette extension, dans ce domaine et dans ce domaine seulement, les produits du pays administré seront soumis à des conditions différentes, mais le pays administrateur fera les ajustements nécessaires à sa politique économique afin que ces empêchements soient supprimés le plus rapidement possible, ou il en dédommagera le pays administré.

Le gouvernement en place dans le pays administré, au moment de la signature de l'entente de partenariat intégral, devient un conseil consultatif ; tous ceux qui font partie du gouvernement font partie du nouveau conseil consultatif et reçoivent des avantages salariaux et autres significativement augmentés, pour les compenser du manque à gagner qu'ils pourraient subir du fait qu'ils ne gouvernent plus le pays administré.

Il n'y a pas à être mesquin sur ce point, car il n'y a pas de conditions si onéreuses qu'elle ne le soient moins que ce que la corruption aurait coûté. Toutes conditions qui sont transparentes sont acceptables et, ne l'oublions pas, seront ratifiées par référendum populaire.

Toutes les instances locales sont également transformées en conseils consultatifs, chacune sur le territoire et dans les domaines que recouvrait sa compétence avant l'arrivée de l'État administrateur. En parallèle à ces conseils consultatifs qui sont déjà en place, se créeront d'autres conseils consultatifs sectoriels, à la convenance l'État administrateur, qui permettront à ce dernier selon les besoins de prendre le pouls de la population.

L'État administrateur, par exemple, a tout intérêt à consulter les professeurs sur l'évolution de l'éducation, les professionnels de la santé sur l'évolution de la médecine, les commerçants sur l'ensemble du développement économique, de même, bien sûr, que les structures syndicales en place qui seront maintenues et consultées sur les conditions de travail.

Aucune de ces structures consultatives, toutefois, ne doit avoir quelque pouvoir de décision, ni être autorisée à utiliser quelques moyens de pression que ce soit pour influer sur la politique de l'État administrateur. Il serait inadmissible que ces structures consultatives s'arrogent le droit de discuter a posteriori les conditions de partenariat auquel l'État administré à initialement consenti et auxquelles le peuple a donné son aval par référendum.

Il serait impensable, par exemple, que l'organisation représentative des travailleurs vienne discuter l'évolution de la structure des salaires et s'immiscer donc dans la politique de redistribution de la richesse, puisqu'une telle politique de redistribution parfaitement transparente aura été insérée dans l'accord initial. Si on parle d'une augmentation de 10 % du niveau de vie par année, il faut penser à une augmentation des salaires qui soit compatible avec cet objectif, mais ceci n'exclut pas que certains salaires soient augmentés plus que d'autres.

Il est possible que les salaires les plus bas soient augmentés davantage, par exemple, et que les salaires plus élevés ne le soient que dans une moindre mesure. Ces différences sont justifiées. Elles devront, cependant, se situer à l'intérieur de la fourchette qui pourra avoir été défini dans le contrat initial qui aura été conclu et ratifié par référendum.

De 5 ans en 5 ans, des élections locales, régionales et nationales dans le pays administré désigneront de nouveaux représentants aux divers conseils consultatifs. Ces représentants seront élus selon les principes de la démocratie contractuelle, chacun étant choisi comme représentant indépendant par ceux qu'il va représenter et non sous la bannière de partis regroupant en factions ceux qui ont des visions différentes de l'évolution de la société. Ces vues différentes doivent être mises en veilleuse pour la durée du partenariat intégral, pendant laquelle les politiques sont la responsabilité exclusive de l'État administrateur.

Le gouvernement qui était en place dans le pays administré au départ le demeure donc à titre de conseil consultatif pendant cinq ans, puis peut être remplacée par un autre, et ainsi itérativement jusqu'à la fin de la dix-huitième année du mandat du pays administrateur. Une campagne de sensibilisation politique s'engage alors et, un an avant la fin du mandat du pays administrateur, des élections ont lieu auxquelles participent cette fois-ci des partis dont chacun doit présenter son projet de société.

Ces élections ont lieu sous le contrôle des Nations Unies et autres représentants internationaux, pour en assurer la légitimité incontestable. C'est à celui de ces partis qui aura été élu que le pays administrateur transmettra les pouvoirs à la fin de son mandat. Le gouvernement ainsi élu pourra, s'il le souhaite, négocier avec le pays administrateur une prolongation du partenariat, mais, si une telle entente intervient, elle devra aussi être soumise à un référendum.

Durant la dernière année du mandat, les futurs gouvernants élus seront intégrés progressivement, comme stagiaires, dans la structure gouvernementale et administrative du pays administré, avant d'en prendre complètement le contrôle à la date prévue au début.

Parmi les changements que le pays administrateur pourrait introduire, il en est un dont il n'assumera sous aucun prétexte la responsabilité : la rationalisation de la gouvernance entre les sous-ensembles constituant le pays administré et le partage des compétences entre ces sous-ensembles.

Quand les dissensions internes dans un ensemble sont telles qu'il est impossible d'y mettre en place un processus crédible de justice et encore moins un modèle de développement efficace qui fasse consensus, la première solution est de scinder cet ensemble disparate en composantes plus homogènes. C'est la parcellisation de la gouvernance qui se produira partout sur la planète au rythme de la rationalisation qui nous conduira à l'État global, tel que nous en avons discuté au texte 714b

Suivant cette tendance universelle, on pourrait scinder l'Afrique en composantes plus homogènes, à échelle ethnique, voire tribale, et il serait sans doute opportun de le faire, en Afrique encore plus qu'ailleurs. Cette action, cependant, en cours de partenariat intégral, serait prématurée.

Une fragmentation de la gouvernance n'est salutaire, pour éviter les dissensions, que si un consensus peut être atteint quant aux pouvoirs qui doivent être confiés aux instances supérieures, celles qui répondent aux besoins communs et viennent coiffer les autres. Il serait illusoire de penser à un tel consensus en Afrique, alors que les besoins communs sont des besoins essentiels qui, globalement, ne sont même pas minimalement satisfaits.

Cette fragmentation de la gouvernance présuppose également une abondance de ressources administratives qualifiées, permettant que des paliers de décisions intermédiaires soient créés, non pas toujours parce que l'efficacité objective l'exige, mais parce qu'on ajoute ainsi une dimension subjective de satisfaction. Cette satisfaction est un élément crucial du fonctionnement optimal d'une société, mais il est prématuré de s'y intéresser et de chercher l'optimisation par ce raffinement, avant que les mécanismes administratif essentiels n'aient même commencé à fonctionner correctement.

Avant que l'on puisse répondre à la diversité culturelle de l'Afrique par une gouvernance distribuée, il faut d'abord que l'Afrique soit simplement gouvernée et administrée, ce qu'elle n'est pas et ce que seuls des partenariats du type ici décrit pourront lui apporter. Le pays administrateur ne redistribuera pas la gouvernance du pays administré. Aucune assurance, d'ailleurs, ne garantirait qu'il le fasse sans arrière-pensées.

Si ceci n'était limpide au départ, aucun pays n'accepterait de se laisser administrer. C'est UN État qui lui a donné UNE société à administrer et c'est UNE société que doit rendre le pays administrateur à UN État à la fin de son mandat de partenariat.

 

L'offre et la demande de partenarciat intégral.

 

Comment vont se négocier les accords de partenariat intégral ? Dans un premier temps, il suffit que le concept en soit largement divulgué et diffusé. Dans un deuxième temps, les pays qui veulent agir comme pays administrateurs, ou qui souhaiteraient être administrés dans le cadre d'un tel partenariat intégral, doivent se manifester.

Quand se sont fait connaître tous ceux qui ont un intérêt à ce genre d'entente, les négociations peuvent simplement s'engager entre les parties. Simultanément, le principe doit en être accepté au niveau des Nations unies, puisque celles-ci devront éventuellement accepter la juridiction sur les ententes qui pourraient intervenir, avec les conséquences qui en découlent, dont celle de devoir peut-être un jour intervenir militairement pour les faire respecter.

Quels pays peuvent avoir intérêt à agir comme États administrateurs ? D'abord, tous les pays qui aujourd'hui ont des programmes importants d'assistance technique aux pays sous-développés et qui non seulement n'en retirent aucun avantage, mais sont bien conscients qu'il ne découle même pas de leurs interventions un résultat concret qui justifierait, auprès de leur propre population, cette assistance dont celle-ci fait les frais. On peut penser au Canada, à la Suède, à la Norvège, aux Pays-Bas, à la Suisse... etc.

Ensuite, dès que le modèle aura été testé, d'autres pays suivront la même voie, parce qu'il paraîtra plus correct, aux yeux de leur propre population, d'avoir ce genre d'ententes sous contrôle international, plutôt que de gérer des protectorats occultes qui ne servent que les intérêts de quelque compagnie. Ainsi, la France au Gabon aurait meilleure image, si elle ne semblait pas servir les seuls intérêts d'Elf Aquitaine

Quels pays voudront être administrés ? Dans un premier temps, les pays dont les gouvernants y verront une bonne affaire, ce genre d'entente leur garantissant une rémunération intéressante pendant un certain temps, tout en passant l'éponge sur leurs transgressions passées qui pourraient un jour leur créer des ennuis. Ils seront certains que les accords de partenariat intégral qu'ils auront passés seront respectés et qu'ils ne seront plus à la merci d'une révolution qui, parfois, peut venir plus vite qu'on ne le pense.

Des dictateurs vieillissants et qui ont fait leur blé peuvent trouver attrayante cette sortie élégante qui leur assure aussi dans l'Histoire la place du visionnaire par qui le progrès a commencé.

Dans un deuxième temps, se mettront sur les rangs les pays où la situation est tellement désespérante qu'on peut prévoir qu'il s'y formera des partis politiques dont le programme consistera à signer ce genre d'entente. Aussitôt qu'une issue démocratique sera ainsi donnée aux populations pour qu'elles s'expriment sur ce sujet, une grande partie du tiers-monde va choisir cette voix avec enthousiasme.

Dans beaucoup de pays, le parti qui offrira de négocier une telle entente sera porté au pouvoir avec enthousiasme contre ceux qui offriront simplement de faire pour le mieux avec les compétences dont eux-mêmes disposent, approche traditionnelle qui est déjà un peu partout discréditée.

Les partis qui veulent proposer cette approche pourront trouver assez facilement à se financer auprès des pays qui souhaiteront devenir les futurs administrateurs. Il est clair que ceux qui proposeront cette approche seront traités de traîtres et de quislings par leurs adversaires politiques mais, en bout de piste, c'est un référendum populaire sous contrôle des Nations Unies qui tranchera.Une démarche bien plus démocratique que la plupart des consultations électorales actuelles.

Quel est le résultat pratique d'un partenariat intégral ? Pour le pays administré, une véritable hausse de son niveau de vie, un véritable développement que l'immense majorité des pays ex-colonisés du tiers-monde n'ont pas connu depuis le départ de la puissance coloniale. Une augmentation du PNB de 10% par année n'est pas illusoire; nous répétons que la Chine y parvient. Ce taux de croissance quintuple en 20 ans le niveau de vie de la population. Chacun peut calculer l'effet de ce bond en avant sur l'un ou l'autre des pays de l'Afrique subsaharienne dont la plupart, depuis 20 ans, n'ont au contraire pas cessé de s'appauvrir.

Ce résultat est possible, parce que les investissements que requiert le pays et que, vu son instabilité politique et l'absence d'infrastructures valables, nul ne lui accorderait sans prendre le contrôle effectif occulte du pays ­ ce qui est coûteux et périlleux ­ vont devenir accessibles comme s'ils étaient réalisés dans le pays administrateur lui-même.

Le pays administrateur, pour sa part, a trouvé un débouché pour de nombreuses cohortes d'experts dont les salaires seront pris en charge par le pays administré. Il effectue une vente de services dans des conditions très favorables. Il s'est aussi fait un marché captif du pays administré, à la seule condition ne plus penser seulement à son propre profit, mais aussi aux véritables intérêts à long terme du pays administré.

C'est un marché qui restera captif, d'ailleurs, longtemps après la fin du contrat de partenariat, à cause des techniques siennes ou complémentaires aux siennes que le pays administrateur y aura introduites et de l'énorme marché pour les pièces de rechange et les produits de consommation qui continueront d'être nécessaires pour les équipements qu'il y aura installés. Ces avantages sont les mêmes que ceux d'avoir une colonie ; il n'est pas nécessaire d'en reprendre ici tous les détails.

Je ne peux penser à une meilleure façon de résoudre le problème du sous-développement. Je ne vois pas d'autre façon de sauver l'Afrique. C'est ainsi qu'on procédera dès qu'on y aura réfléchi. C'est ainsi que procédera une Nouvelle Société.

 



 

Pierre JC Allard

 


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