SAUVER L'AFRIQUE
La pseudo colonisation
Avec sa pauvreté, sa dépendance totale envers le monde
développé qui ne soustrait de son exclusion que quelques secteurs
économiques où il est encore possible de l'exploiter, son
impuissance manifeste à susciter en son sein le leadership qui pourrait
la sortir de son malheur, l'Afrique subsaharienne ne permet pas aujourd'hui
vraiment d'espoir.
Pas d'espoir chez ceux qui y sont ou en sont, pas d'espoir non plus
chez ceux qui lui veulent du bien. On est passé de la sympathie à
la condescendance, de la condescendance à la pitié puis, peu
à peu, même cette pitié a fait place à un profond
découragement et à un certain agacement.
Avec la prolifération de la misère dans une population
qui se multiplie à un rythme effarant, l'avenir de l'Afrique paraît
encore plus désolant que son présent. Pourquoi tout un segment
du tiers-monde ne progresse-t-il pas, mais régresse?
On cherche souvent les causes de cette catastrophe dans la colonisation.
Ce pourrait être une explication que son évidence rendrait
assez futile, puisqu'elle ne change rien à la situation actuelle.
Elle ne sert, en fait, qu'à aviver, chez la population des pays
développés, un sentiment de culpabilité, dont on n'est
plus sûr s'il permet que l'on fasse de meilleure grâce des cadeaux
à l'Afrique, ou s'il n'est pas devenu plutôt une incitation
à fermer les yeux, pour ne pas voir les conséquences navrantes
des gestes qui ont été posés.
Cette dénonciation du colonialisme n'est pas seulement futile,
cependant, mais nocive, car elle fausse le diagnostic du sous-développement
de l'Afrique subsaharienne, biaise la lecture du syndrome et conduit à
prescrire un traitement inapproprié.
OUI, la « colonisation », au sens restrictif où nous
l'entendons ici de la conquête du monde entier par l'Occident, durant
la période allant environ de 1825 à 1950, a certes contribué
à la genèse du sous-développement que nous voyons
aujourd'hui en Afrique. Dans certaines régions, le hiatus ainsi
introduit a interrompu le développement naturel de la culture locale,
particulièrement de la culture sociétale qui n'est jamais
arrivée à maturité.
Ceux qui normalement auraient pu se réclamer de cette culture
en ont été privés et ont dû s'en remettre à
d'autres modèles, importés d'ailleurs, renonçant donc
à vraiment façonner l'évolution de leur destin. Acceptons
avec lucidité que cette rupture des liens de continuité avec
leur histoire et leurs traditions, qui auraient permis qu'y naissent
et s'y développent un ou des modèles originaux de développement,
a eu sur les sociétés colonisées une influence néfaste.
Cela étant dit, toutefois, on n'a pas tout expliqué.
Dans une perspective historique, la colonisation 1825-1950 a été
un feu de paille. En Afrique subsaharienne, l'occupation en moyenne n'a
duré que deux à trois générations. Tombouctou
n'a été occupé qu'en 1893, libérée avec
le reste du Mali en 1958. J'y ai rencontré, en 1974, un vieux marabout
qui prétendait se souvenir de la région AVANT la présence
française.
Durant cette période 1825-1950, toutefois, il serait plus exact,
de dire que le monde a été « asservi » plutôt
que colonisé, puisque la colonisation, au sens strict implique d'occuper
un territoire pour y installer ses propres gens, n'a pas été
la plupart du temps le but premier de l'entreprise dite colonisatrice. Les
vraies démarches de peuplement, comme en Algérie, ont été
l'exception.
L'Inde n'a été vraiment qu'administrée, la présence
anglaise y demeurant une mince pellicule sur la vaste population locale
; la Chine, Hong Kong ou Macao mis à part, n'a été
à cette époque ni colonisée ni même administrée,
seulement soumise et exploitée ; le Japon même pas soumis,
seulement rendu de force un peu plus accueillant
L'expansion occidentale, au XIXe et XXe siècle, contrairement
à celle des siècles précédents, a été
une conquête presque sans colonisation. Il est parti vers les USA,
pendant, la période où a eu lieu cette pseudo colonisation,
20 fois plus d'émigrants qu'on n'a mis de colons dans toutes les
colonies. Pourquoi cette dernière vague de « colonisation »
si superficielle semble-t-elle avoir laissé des séquelles
si négatives ? Ne serait-ce pas, justement, parce qu'elle n'a pas
eu lieu ?
Kulturkampf
Coloniser est une entreprise ardue. Les Hébreux ont commencé
la colonisation du pays de Canaan, il y a environ 3 500 ans, avec la prise
de Jéricho. Il y a eu des accalmies, mais la colonisation du pays
de Canaan est toujours en cours et la ville de Jéricho n'est pas
encore pacifiée.
Les êtres humains se colonisent allégrement les uns les
autres sans répit. La colonisation est l'une des facettes du choc
des cultures. Sauf quant elle présuppose l'extermination des autochtones
pour faire place aux colons, ce qui aurait été le plan de
Hitler pour l'Ukraine, la colonisation n'est pas la manifestation la plus
brutale du choc des cultures.
Une culture, c'est un ensemble de valeurs et de points de repère
historiques qui servent d'identifiants. Entre gens qui se perçoivent
de même culture, naît un sentiment d'appartenance, une solidarité
qui va au-delà de l'intérêt immédiat. Cette solidarité
permet de former un groupe, de bâtir un clan, une société.
C'est entre cultures qu'on se colonise.
Quand on doit côtoyer des gens d'autres cultures, s'il existe
un intérêt à ne pas les exterminer, comme celui tout
simple qu'ils fassent une partie du chemin et du travail, pour qu'on puisse
échanger avec eux ce qu'on a en trop contre ce qu'ils ont et que
nous n'avons pas, on apprend à les supporter.
Les cultures se côtoient dans les foires et marchés, les
points d'eau où elles font la trêve, le temps de s'abreuver
en biens et en idées. Le contact peut être rapide, littéralement
furtif, mais on peut aussi avoir intérêt à ce qu'il
soit permanent. Des villes multiculturelles se développent aux
points de rencontre, où les cultures cohabitent et semblent se tolérer.
Illusion. Les gens peuvent se tolérer, c'est l'indice que la
civilisation n'est pas qu'un concept philosophique, mais les cultures ne
se tolèrent jamais. Une culture veut occuper toute la place. Elle
ne veut pas toujours conquérir, mais inconsciemment elle veut toujours
assimiler. Elle ne conçoit sa relation avec d'autres cultures que
si celles-ci sont à genoux, inoffensives et ayant valeur de divertissement,
sans plus. Si une culture n'a pas cette arrogance, elle apprend des autres
et évolue sans perdre son identité jusqu'à ce qu'elle
l'ait développée ou elle se résigne et disparaît.
Quand des cultures cohabitent, chacune, selon sa force, veut s'imposer
aux autres. Il y a des avantages communs à la cohabitation, toutefois
; les habitudes et les comportements des uns comme des autres vont donc
se modifier pour permettre cette cohabitation. Des accommodements puis
des sacrifices sont consentis pour maintenir ce qui devient une société
nouvelle. Cette société engendre son propre sentiment d'appartenance,
sa CULTURE propre qui tient des cultures d'origine des participants, mais
qui pour chacun se surimpose à la sienne.
L'apport de chaque culture d'origine à la nouvelle culture varie,
selon ce que chacune pouvait avoir à offrir ou avait la force d'imposer.
Certains s'identifieront à la culture nouvelle en se sentant radicalement
transformés, d'autre en ne se rendant même pas compte qu'ils
ont changé.
Ils n'en sont pas moins peu à peu changés, et le jour
vient où leurs vrais semblables ne sont plus leurs congénères
d'origine, mais ceux avec qui ils cohabitent dans cette société
nouvelle, dont la culture ne se surimpose plus, mais se substitue à
leur culture de départ. Ils développent une solidarité.
C'est ainsi que des Anglais sont devenus des Américains.
Cette genèse consensuelle d'une société et d'une
culture nouvelle n'est cependant pas le seul scénario. L'intérêt
qu'on peut avoir à ne pas exterminer « les autres »
n'implique pas qu'on veuille toujours s'en faire des amis. Quand on a la
force pour soi, on peut pousser la porte, s'asseoir au salon, mettre le
téléviseur au poste qu'on préfère et envoyer
les premiers occupants tondre la pelouse. On peut coloniser.
La colonisation signifie un autre partage des décisions et des
tâches, mais ne supprime pas tous les effets d'une cohabitation. Les
autres sont là. Les circonstances sont différentes, parfois
bien meilleures, parce que les autres sont là. Il se crée
donc une identité coloniale, bien différente de celles d'origine
du colonisateur comme du colonisé. Deux identités distinctes,
puisque le rapport de force entre eux crée au départ cette
distinction évidente, mais les circonstances extérieures sont
les mêmes et les intérêts convergent.
Avec le temps, colonisateurs et colonisés ne peuvent que devenir,
les uns pour les autres, les alliés les plus sûrs. La société
coloniale développe sa propre culture, qui s'inspire inégalement
des cultures d'origine, mais qui, dans la société nouvelle,
en arrive tôt ou tard à les supplanter. Ce qui conduit, en
deux siècles, à la situation où ce sont de purs Espagnols,
à peine aidés de quelques métis et indiens, qui vont
prendre l'initiative de réclamer et d'obtenir de l'Espagne l'indépendance
de l'Amérique hispanophone.
Une colonisation qui suit son cours normal est un mariage qui peut commencer
par un rapt, mais où l'affection et l'amour peuvent apparaître.
Elle réussit, si elle se termine par l'indépendance du territoire
colonisé et la naissance d'une nouvelle culture hybride. Parfois,
le pouvoir colonisateur transmet presque intégralement ses gênes
à cette nouvelle culture, comme les Arabes l'ont fait au Moyen-Orient.
Parfois, le résultat est plus mitigé, comme au Mexique, au
Pérou, en Bolivie. Quelquefois, c'est la culture du colonisé
qui prévaut, comme celle des Grecs sur celle des Romains, ou celle
des Chinois sur celle des Mongols.
Si une nouvelle culture hybride ne naît pas d'une colonisation,
cette colonisation a été un échec. Quand la période
de cohabitation interculturelle est trop courte ou que les ingrédients
ne sont pas là en proportions acceptables, la mayonnaise ne prend
pas. L'envahisseur se retire sans avoir fertilisé la culture des
colonisés, ni s'y être rallié. Il n'a pour sa peine
que le butin qu'il en a tiré. Le colonisé, pour sa part, se
retrouve au point de départ, sans avoir été vraiment
inséminé, ne gardant que des bribes de la culture des colonisateurs,
dont il ne pourra tirer parti que si sa culture propre est assez forte pour
accepter ce greffon.
La dernière vague de colonisation de l'Occident a été
un échec, parce cette «colonisation » n'a pas vraiment
eu lieu, non plus que la fertilisation qui aurait dû l'accompagner.
L'Occident a déferlé sur le monde en profitant d'un avantage
militaire, pas pour le coloniser, sauf en quelques rares endroits, mais
pour l'asservir et l'exploiter. Quand il a trouvé une façon
plus efficace de poursuivre cette exploitation, il s'est retiré.
L'occupation par l'Europe de l'Afrique subsaharienne n'a été
qu'un chapitre de cette pseudo colonisation, un intermède assez sordide,
qui a eu non seulement la brutalité d'un viol, mais la stérilité
d'un coït interrompu.
La culture avortée
La colonisation 1825 1950 est venue puis a cessé. Les pays
de vieilles cultures, comme la Chine, l'inde, la Corée, le Vietnam,
ont retenu en souvenir de l'aventure coloniale quelques technologies et
théories sociopolitiques, puis ont repris sans trop de mal le cours
de leur Histoire, dans le sens de leur évolution antérieure
: ils sont « en voie de développement ». L'Afrique subsaharienne,
non. L'Afrique noire n'est pas en voie de développement.
Après les incursions de l'Occident, l'Afrique noire, comme les
autres pays colonisés, est retournée au statu quo ante. Contrairement
à d'autres, elle n'a pas retrouvé en elle-même une culture
qui lui aurait permis de poursuivre un développement satisfaisant,
parce qu'une telle culture n'y était pas quand la dernière
vague de colonisation occidentale a débuté.
En Afrique, au milieu du XIXe siècle, quand a débuté
la mise sous tutelle intensive de l'Afrique qui a reçu sa consécration
au Traité de Berlin, il n'existait pas une culture « africaine
» commune, mais une myriade de petites cultures, en processus de
sédimentation par la conquête les unes des autres, dont aucune
ne semblait en mesure de s'unir à la culture occidentale pour produire
une culture hybride dans laquelle l'Afrique aurait pu se reconnaître.
Prenant acte de cette absence d'une culture africaine partenaire, le
colonisateur a donc mis en place les outils d'acculturation, dont la scolarisation
est le plus puissant, en en excluant si totalement la réalité
locale qu'aucune transfertilisation ne pouvait en résulter, seul
un passage réussi ou raté à la culture dominante.
L'alternative d'une culture hybride a été simplement écartée.
Normalement, dans une relation aussi inégale, l'Afrique se serait
mise totalement à la culture occidentale. Elle n'en a pas eu le temps.
Pas le temps, parce que l'occupation effective de l'Afrique a été
bien brève, mais surtout parce que la population occidentale
les colons n'y ont jamais été assez nombreux pour qu'ils
constituent vraiment, hors des villes, un élément significatif
de la population.
Le choc des cultures a été ainsi réduit à
sa plus simple expression, évitant les frictions, mais aussi l'acculturation
spontanée qui découle d'une simple familiarité. Pour
l'ensemble des territoires dits colonisés, la présence européenne
était presque mythique, tout entière incarnée dans
le fonctionnaire n'intervenant qu'en situation officielle.
Les populations rurales africaines n'ont jamais eu avec les Européens
des contacts autres que fonctionnels, les contacts inévitables que
doit avoir une population conquise avec une force d'occupation. L'Occident
a violé l'Afrique par inadvertance, il ne voulait même pas
la toucher. Conséquence de cet apartheid de fait, ce n'est que dans
les villes, plus précisément dans les capitales, que le contact
a été suffisant pour qu'en résulte le passage à
la civilisation occidentale d'un nombre significatif d'Africains.
En toute fin de colonisation et durant les années qui ont suivi,
on pouvait voir, dans les rues de Dakar, de Brazza et d'Abidjan, des Africains
de classe moyenne et même modeste, s'identifiant comme Sénégalais,
Congolais ou Ivoiriens, mais tout à fait occidentalisés.
Ce sont ces Africains, en apparence totalement occidentalisés qui,
avec le temps, introduisant peu à peu dans la culture importée
la spécificité venant d'une adaptation aux circonstances et
aux conditions locales, en aurait fait une culture hybride propre au pays
et à ses gens.
Pour qu'ils y parviennent rapidement, il aurait fallu qu'ils soient
nombreux. Pour qu'il y en ait eu assez, il aurait fallu l'influence de centaines
de milliers de colons occidentaux en Afrique.., mais on n'a pas vraiment
colonisé l'Afrique. On aurait pu avoir le même résultat
avec très peu de colons, puisqu'une culture ne diffuse pas tant des
gènes que des memes - les conquistadors n'étaient pas si
nombreux ! - mais il aurait alors fallu du temps. Des siècles.
C'est l'impact cumulé du nombre trop restreint de colons et d'une
période d'occupation trop brève qui a fait que l'embryon de
ce qui aurait pu devenir enfin, après des siècles d'interrègne,
une culture africaine fonctionnelle, se soit retrouvée au lendemain
de la décolonisation, dans une situation de grande faiblesse et ne
pouvant compter sur l'amour de personne.
La pilule du lendemain
Au départ du colonisateur, personne en Afrique ne ressentait
d'affection pour une culture hybride. En l'absence d'une telle culture hybride
qui soit acceptable et acceptée, chaque Africain, au départ
précipité du colonisateur, a donc dû faire le choix
de s'identifier à l'Afrique ou à l'Occident.
Les riches ont choisi l'Occident. Ils ont choisi pour les autres que
ces derniers restent Africains. Ils ont imposé leur choix par une
coupure plus ou moins subtile avec les sources de cultures occidentales,
parfois même par une régression vers une éducation en
vernaculaire. Quand ce dernier pas est franchi, il consomme la rupture
et confirme la classe autochtone bourgeoise, riche, éduquée
et occidentalisée dans son rôle d'intermédiaire obligée
entre l'Occident et « les autres » qu'on a ainsi retranchés
de l'Occident. On a voulu donner à l'Afrique la pilule du lendemain,
pour que ne naisse PAS une culture hybride.
Dans chaque État d'Afrique subsaharienne, la population a donc
été scindée en deux groupes de tailles inégales.
D'un côté, une petite élite transfuge qui ne demande
qu'à se laver des quelques bribes qui lui colleraient encore à
la peau d'une culture africaine, pour s'identifier totalement à la
civilisation occidentale. De l'autre côté, une plèbe
qui ne peut réaliser cette assimilation et dont les options sont
l'émigration ou une paupérisation constante.
Quand on parle de sous-développés, c'est de cette plèbe
que l'on parle. Au moment de la décolonisation, cette Afrique du
monde ordinaire s'est retrouvée en marge de la civilisation occidentale
et sans la véritable option de retourner à ses cultures antérieures,
puisque aucune de celles-ci n'avait l'envergure de se présenter en
relève de la culture occidentale pour devenir la culture dominante.
Le segment riche et le segment pauvre des pays décolonisés
d'Afrique ont pris des voies bien distinctes.
Pour les élites déjà occidentalisées, un
choix semblait se poser entre le soutien à une intelligentsia qui
développerait une culture vraiment autochtone et une acculturation
accélérée à la civilisation occidentale. Choix
biaisé, car quand sa survie immédiate passe par une maîtrise
plus approfondie de la culture, des coutumes et des techniques de la civilisation
occidentale, comment penser qu'une intelligentsia locale ne s'intéressera
pas davantage à cette maîtrise qu'au développement d'une
culture autochtone originale ?
La première option aurait impliqué des sacrifices et une
solidarité qui n'existait pas. On a prétendu parfois faire
ce choix, mais c'est toujours la deuxième option qui a prévalu.
Partout, en Afrique subsaharienne, le désir d'acculturation à
l'Occident des élites est aujourd'hui aussi clair que faire se peut,
la rupture avec la plèbe aussi tranchée que possible. Les
élites visent l'intégration à une culture occidentale,
sans nul apport local.
Seule une infime minorité, pourtant, réalise ce rêve
et le plus souvent cette minorité s'expatrie. Pour le reste de ces
élites, souvent condamnées à demeurer en Afrique pour
en extraire la richesse et y exercer le pouvoir qui en fait des «
élites », la culture occidentale locale dans laquelle elles
baignent ne peut satisfaire cet idéal. En l'absence d'une «
colonisation » au sens strict, qui amènerait en Afrique un
fort contingent d'Occidentaux, cette culture occidentale locale ne peut
être alimentée au quotidien que par des autochtones, sans autre
contact avec la réalité du véritable Occident que par
le biais des médias. Prenant le télévisuel comme
modèle, la culture qu'ils y développent ne peut donc que
devenir une copie, voire une caricature de cette image d'Épinal que
projette le petit écran.
Cette culture n'est pas consciemment hybride, puisqu'elle ne se veut
qu'une seule hérédité. Devant s'adapter aux conditions
locales, cependant, elle doit tolérer des accommodements, Ceux-ci
sont d'abord considérés comme autant d'imperfections, mais
peu à peu, ils la marquent et y laissent des traces, en faisant
peu à peu une culture hybride dont ces « imperfections »
deviennent la seule spécificité.
Inéluctablement, il se crée donc, partout en Afrique,
des mini-cultures locales, hybrides sans l'avouer, qui n'évoluent
que par leurs imperfections et sont ainsi subtilement médiocrisées,
confirmant le statut de deuxième classe permanent de leurs habitants.
Chaque membre de l'élite d'un pays sous-développé,
nourri à ce type de culture ersatz, se retrouve, face au monde occidental,
dans la situation d'un jeune provincial du XIXe siècle montant faire
carrière à Paris. Ce n'est pas une partie perdue, mais ce
n'est pas une partie facile.
Si les élites s'expatrient ou se médiocrisent, la situation
est bien pire pour le deuxième segment de la population africaine.
L'Africain de classe modeste, non occidentalisé, s'est retrouvé
au départ du colonisateur, sans aucune culture de référence
et donc sans identité. Sans rien qui puisse susciter en lui une volonté
d'appartenance à l'Afrique et encore moins à l'un ou l'autre
des États artificiels qu'on a dessinés sur l'Afrique.
Sous prétexte de créer un sentiment d'appartenance envers
des entités nationales artificielles - auxquelles eux-mêmes
ne s'identifient aucunement, à moins qu'elles n'aient assimilé
ces entités nationales à leurs entreprises personnelles !
- les élites des pays d'Afrique ont rendu plus difficile à
leurs populations l'accès à la civilisation occidentale.
À quel modèle culturel un Africain moyen peut-il se rallier,
dans ces sociétés dites nationales d'Afrique dont les élites
sont transfuges ?
L'Africain moyen a été placé ainsi dans un état
d'infériorité dont il lui est bien ardu de s'arracher, puisqu'il
n'y a pas pour lui de repli possible vers une culture autochtone antérieure
qui n'existe plus, que le passage à la vraie culture occidentale
lui est fermé et que la voie lui est barrée vers la création
d'une culture hybride qui serait la solution, mais à création
de laquelle les élites autochtones ne veulent pas collaborer.
L'Africain moyen se retrouve sans culture identitaire. Or, sans culture
identitaire qui vous lie à un groupe de vos pairs (peer group), on
est hors-culture partout. On est en exil même chez soi. Les Africains
sont en exil dans leurs propres pays, puisqu'ils ne s'y identifient pas.
Ce qui est tragique, car on ne peut aller vraiment au bout de soi-même
que dans le cadre d'une culture à laquelle on est inconditionnellement
assimilé.
Sans son appartenance à une culture identitaire, l'individu est
en constante situation d'infériorité, puisqu'il n'a pas alors
d'autre choix que de se réaliser dans des modèles importés.
Quand l'accès à ces modèles importés lui
est ouvert, tout lui en est présumé connu, mais mal connu
; il ne s'agit pour lui que d'apprendre et appliquer. Toute initiative
ou toute créativité que manifeste l'impétrant devient
une distraction, un élément de retard alors que le seul
but qu'on lui propose est d'apprivoiser le modèle de vie de l'Occident
et d'en maîtriser l'usage.
Si, malgré tout, sa créativité se manifeste et
produit d'indéniables résultats, ces résultats sont
perçus et fichés comme des activités mineures et marginales.
Elles ne reçoivent leurs lettres de créance que dans la mesure
où celles-ci leur sont accordées par le « mainstream
» de la culture occidentale, lequel en juge du mérite selon
ses propres critères et sa propre pondération. Si Picasso
avait été noir, toutes ses périodes, rose, bleue ou
qu'importe, auraient été définies simplement comme
des facettes de l'Art Nègre.
Malgré tous les efforts que peuvent faire les Africains pour
s'adapter à la culture occidentale qui leur sert de superstrat, leur
arrivée tardive dans la course, alors que les règles ont
déjà été établies sans référence
aucune à leur spécificité, garantit qu'ils ne pourront
jamais y acquérir une position de force ou même d'égalité.
Ils ne peuvent jamais prendre la tête du peloton, puisqu'ils ne
connaissent pas le tracé de la course et que, s'ils s'en détachaient,
le peloton virerait au premier carrefour et les oublierait. Cette certitude
de ne pouvoir gagner n'incite pas à courir plus vite.
Un récent sondage auprès des diplômés du
baccalauréat, dans un pays de l'Afrique de l'Ouest, indiquait que,
pour la MAJORITÉ d'entre eux, le meilleur plan de carrière
qu'ils se souhaitaient commençait par un départ vers l'Europe.
Non seulement les pays d'Afrique sont des navires en perdition, auxquels
ne peuvent survivre que ceux qui s'en échappent, mais les références
culturelles africaines sont elles-mêmes devenues des pièges.
Le succès individuel passe par le gommage de toutes ces allusions
à une hérédité culturelle africaine qu'on ne
peut traiter que comme source de folklore.
À moins que l'on ne soit un sportif ou un interprète exceptionnel
- ou qu'on ne soit en situation de SYMBOLISER l'Afrique, devenant l'Africain
de service et en retirant un traitement de faveur - on ne peut réussir,
comme individu, que si on sort d'Afrique et qu'on sort l'Afrique de soi.
La solidarité, en Afrique subsaharienne, n'est plus pour l'individu
un facteur de survie, mais une maladie mortelle. L'absence de solidarité
avec la société africaine n'a plus à être maquillée,
elle va de soi et gagne même à être ostentatoire.
Sans solidarité, cependant, il n'y a pas de société
possible. Sans une culture identitaire qui permet une solidarité,
une société en gestation ne peut se développer. Dans
une société en gestation, la nécessité d'un
effort commun est constante et si cet effort n'est pas fourni, la société
ne naît jamais.
Sans cultures identitaires, les pays africains ne constituent pas vraiment
des sociétés. C'est la situation actuelle des pays d'Afrique
et il est clair que cette situation ne peut aller que de mal en pis. Tout
est en place pour que tout aille plus mal
Le sabotage
À ce premier désavantage d'en faire systématiquement
les parents pauvres d'une culture qui n'est pas la leur, la colonisation
a ajouté un autre handicap, économique, celui-là, que
l'Afrique partage avec les autres pays sous-développés, en
instrumentalisant la structure de production des pays colonisés
au profit des pays colonisateurs.
Cette instrumentalisation n'a pas cessé avec le retrait des colonisateurs
; elle s'est dès lors au contraire aggravée, au rythme de
la mondialisation. Dès que la colonisation formelle a pris fin,
le monde développé, ne misant plus sur une relation stable
d'exploitation à long terme, a adopté la politique de la coupe
à blanc, accéléré l'instrumentalisation des
pays décolonisés et saboté irrémédiablement
leurs économies
Il l'a fait en faisant des « dons » aux pays sous-développés,
surtout dans le secteur alimentaire. En donnant ses produits, plutôt
que de les vendre, le monde développé a pu substituer facilement
ses excédents commerciaux aux denrées et produits locaux et
a naturellement causé la faillite des agricultures de subsistance.
Les terres, devenues sans rentabilité pour les petits paysans, ont
alors été acquises par des compagnies transnationales et affectées
à des monocultures pour exportation, café, cacao, etc.
Les paysans ruinés ont été, dans les limites du
besoin qu'on en avait, sans plus, transformés en travailleurs agricoles
et utilisés dans ces monocultures, au plus bas salaire possible.
Les autres ont dû migrer vers les bidonvilles, en banlieue de nouvelles
mégalopoles, pour s'y agglutiner en un lumpenprolétariat
d'où pourrait bien un jour sortir celui ou ceux qui seront notre
Némésis.
Ce sabotage des petites exploitations agricoles des pays sous-développés
est venu parfaire la mainmise des intérêts étrangers
sur le secteur primaire, dont les branches minière, pétrolière,
forestière étaient déjà sous le contrôle
de ces derniers. Ceci a non seulement éliminé la possibilité
que ces pays puissent maintenir une autosuffisance alimentaire, mais a
eu aussi pour résultat d'empêcher que se constitue jamais un
capital local qui aurait permis la création d'entreprises dans le
secteur secondaire.
Dans le secteur secondaire, les pays sous-développés,
déjà derniers arrivants sur la scène industrielle mondiale,
ont eu le handicap supplémentaire de dépendre entièrement,
pour la capitalisation de leurs industries, de la bonne volonté des
pays développés c'est-à-dire de la bonne volonté
de leurs concurrents déjà en place. Le développement
industriel des pays sous-développé n'a donc pu qu'obéir
à la rationalité de ceux qui assuraient son financement, une
rationalité diamétralement opposée aux intérêts
de ces pays eux-mêmes.
Sans secteur primaire ni secondaire rentables pour leur économie
propre, pas de création de richesse matérielle. Les pays sous-développés
ont donc été réduits à une mendicité
structurelle systémique : la prémisse de base du fonctionnement
de leurs économies est qu'elles seront déficitaires et que
l'ajustement se fera par une écriture aux livres, disant qu'un «
don » a été obtenu ou qu'une dette a été
contractée dont il est sous-entendu qu'elle ne sera pas remboursée.
Les fonds générés pour la consommation ne pouvant
pas supporter une structure de services modernes, ce qui y a été
mis en place à ce titre dans les pays sous-développés
a donc revêtu la forme de petits îlots de services, à
l'usage exclusif des expatriés et d'une petite bourgeoisie locale.
À ce quadrillage sommaire, on a surimposé un fonctionnariat
qui ne sert pas à offrir des services, mais à créer
des emplois, largement superflus, uniquement ou presque pour justifier la
distribution, sous forme de salaires, de la part minimale, nécessaire
pour que le pays ne se désintègre pas, des recettes obtenues
de cette mendicité systémique.
Sans primaire, secondaire ni tertiaire adéquat, il n'existe,
comme possibilité réelle d'enrichissement dans les pays sous-développés,
que des activités de rapine. D'une part, un banditisme plus ou moins
organisé, en grande expansion au rythme où les classes les
plus défavorisées comprennent les règles du jeu néo-libéral
et le rôle dévolu au crime dans son fonctionnement. D'autre
part, une structure de corruption institutionnalisée qui est présente
à tous les niveaux, culminant dans la vente éhontée
par les pouvoirs publics aux étrangers de tout ce qui pourrait servir
à sortir ces pays de leur marasme.
Cette corruption par paliers, directe et indirecte, est la première
source de revenus dans les pays d'Afrique subsaharienne. Le clivage économique
est donc brutal entre, d'une part, une frange de mafieux enrichis et une
toute petite bourgeoisie qui exploite et détourne les fonds publics
et, d'autre part, le reste de la population en voie de paupérisation.
Le même phénomène s'est produit jadis dans d'autres
civilisations, en Europe au Moyen Âge par exemple, ce qui a permis
alors que se développe une élite qui finalement est devenue
la source de tout développement. Pourquoi les pays sous-développés
d'Afrique subsaharienne ne peuvent-t-il pas suivre la même voie ?
Parce que le clivage économique recoupe parfaitement le clivage
culturel que nous avons vu et qu'il n'y existe donc pas de solidarité,
aucun sentiment d'appartenance au groupe. La toute petite bourgeoisie
qui s'enrichit s'identifie totalement à l'Occident et ne voit le
reste de la population que comme une autre société qu'elle
ne tolère que parce qu'elle en tire in profit.
Pour cette raison, tous les revenus, gagnés ou volés en
Afrique subsaharienne, dès qu'ils dépassent le niveau de la
plus élémentaire subsistance, ne sont pas investis dans le
développement du pays, mais sont immédiatement réexportés
vers l'étranger, où l'on trouve des investissements parfois
plus rentables, mais surtout toujours infiniment plus sûrs que ce
que le pays peut offrir.
Sans solidarité, pas de développement. Sans solidarité,
en fait, pas de société.
Appartenance, intérêts et solidarité
Pas de sociétés en Afrique ? Attention ! Il existe des
sociétés en Afrique ; elles suscitent même une solidarité
parfois exemplaire. Mais ces sociétés sont au niveau de la
famille élargie, du clan, d'ethnies, de groupes d'appartenance traditionnels
« Tons » au sein de la société civile, pas si
différents de ceux dont nous avons recommandé la constitution
dans une Nouvelle Société. (712b). Au niveau des États
composites issus de la décolonisation, cette solidarité n'existe
JAMAIS.
Pour avoir des sociétés fonctionnelles en Afrique, il
faudrait constituer des États au palier où la solidarité
existe déjà. Ce n'est pas une option immédiatement
accessible, car transformer en États les véritables groupes
naturels d'appartenance, ce serait un retour à l'Afrique d'avant
la colonisation. Ce serait éliminer les États actuels, ce
qui ne pourrait être fait que les armes à la mais, puisqu'il
n'y a pas un État d'Afrique qui ne se soit constitué un troupeau
de vaches à lait de ses minorités et ne les exploite sans
vergogne.
Le retour du pouvoir aux groupes qui suscitent une véritable
appartenance ne sera possible sans effusion de sang, en Afrique subsaharienne,
que dans le cadre d'une rationalisation globale de la gouvernance (714b).
Cette rationalisation sera nécessaire en Afrique, sans doute plus
que nulle part ailleurs, mais y tenter cette démarche serait aujourd'hui
prématuré
Peut-on faire naître une solidarité en Afrique, au palier
des États existants ? Que ce soit en Afrique ou ailleurs, il n'y
a que deux voies qui conduisent vers la solidarité. La première
mène à une solidarité d'appartenance qui est l'expression
viscérale d'une identité commune ; la deuxième conduit
à une solidarité d'intérêt et, dans sa forme
achevée, correspond à une rationalisation de l'altruisme.
La première voie, celle qui exprime une identité commune,
est aujourd'hui barrée en Afrique, puisque cette conscience d'une
identité n'existe simplement pas dans les États artificiels
qu'on y a créés. On peut tenter de l'encourager, mais il
faudrait qu'elle naisse naturellement. Il faudrait des générations.
Il faudrait une pensée commune, des symboles, des lieux de mémoire
Quelques guerres, aussi, comme celles qu'a connues l'Amérique
latine durant sa turbulente gestation À mourir ensemble, on finit
par s'apprécier, mais souvenons nous que, dans une seule de ces guerres
sans rimes ni raisons et il y en a eu des tas ! - le Paraguay a
déjà perdu les deux tiers de sa population. Est-ce le modèle
à privilégier ?
Non seulement le sentiment d'appartenance à ces États
artificiels d'Afrique n'existe pas, mais la volonté ferme de s'en
retirer est souvent manifeste. Il y a au moins cent ethnies en Afrique
qui ne veulent pas s'identifier à l'État où on les
a parquées. Peut-on substituer à ce qui apparaît comme
une impossible solidarité d'appartenance, une solidarité liée
à des intérêts communs ?
Les critères ici sont connus. Dans l'aisance, oui. Dans la misère,
non. Dans un pays riche déjà développée, une
société peut garder l'adhésion de ses membres longtemps,
même s'il n'y existe plus qu'un sentiment d'appartenance de façade,
parce qu'elle est l'arène de leurs luttes et donc le lieu où
ils se nourrissent. C'est l'attachement du charognard au charnier. Chacun
retire quelque chose de la société et maintenir l'État
vaut donc bien des compromis, voire des sacrifices.
On sait bien, cependant, qu'un intérêt commun est la plus
précaire des bases pour une solidarité durable. Pour qu'elle
soit stable, une telle solidarité implique que la richesse soit là
qui permette que participer à la société soit une bonne
affaire. Cette solidarité ne peut exister chez les classes défavorisées
d'Afrique, puisque celles-ci ne retirent RIEN de leur participation à
la société.
Quelque chose qui ressemble à la solidarité peut bien
se manifester, parfois, entre miséreux, mais c'est la solidarité
des jacques pour piller le château et s'en partager les dépouilles.
Cette solidarité est ponctuelle. Elle est bien précaire,
car rien n'est plus facile que de semer la zizanie au sein d'un groupe dont
la motivation est strictement économique. Chaque élément
du groupe peut en être facilement dissocié, simplement en
satisfaisant ses attentes pécuniaires propres au détriment
de celles des autres.
C'est une grave faiblesse de la solidarité par intérêt.
Même s'il ne s'agit au départ que de « piller le château
», quiconque veut maintenir la cohésion au sein d'un groupe
se hâte donc d'ajouter, aux objectifs matériels de l'entreprise,
une motivation supérieure qui soit à l'abri des tentatives
qui seraient faites pour en provoquer l'éclatement. Pour en arriver
à la solidarité, il faut qu'à l'intérêt
on ajoute un cocktail de principes et de valeurs intangibles: Dieu, liberté,
patrie, justice, fraternité, etc.
Quand on le fait, une vraie solidarité peut jaillir de la totale
adhésion à une idée, à un principe à
une cause, à un message. Cette solidarité peut devenir tout
aussi émotive que celle qui naît d'un sentiment d'identité
culturelle et, d'ailleurs, avec le temps, tend à s'assimiler de plus
en plus à une solidarité d'appartenance au groupe porteur
de l'idée, du message, etc. C'est l'esprit de corps des Chrétiens
au Cirque, des Légionnaires à Camerone, des bonzes bouddhistes
au Vietnam
Peut-on lier la solidarité au service d'une cause à la
solidarité dans l'appartenance à un État qui rendrait
ce dernier fonctionnel ? Un défi insurmontable, car si on tente,
en ajoutant cette motivation supérieure à l'intérêt
d'une participation à un État, d'obtenir une solidarité
sincère et effective, on découvre que, paradoxalement, on
en retire une solidarité d'autant plus sincère qu'on ne la
souhaite pas effective.
La solidarité ne devient sincère que dans la mesure où
l'on n'en attend rien. Elle peut alors être à elle-même
sa propre justification, devenir inconditionnelle, se nourrissant même
de chaque attaque dont elle est l'objet. La solidarité naît
si le but n'est pas d'en retirer, mais de s'y donner. Dès qu'il
y a un profit matériel à tirer de la solidarité, cependant,
on découvre vite la corruption tapie dans l'ombre et l'on revient
au scénario initial d'une solidarité d'intérêt
qui exige que la richesse soit présente ou promise.
Promise de façon crédible, ce qui aujourd'hui en Afrique
n'est pas possible. Cette crédibilité exigerait qu'existe
au départ cette richesse que permettrait la solidarité qui
n'est pas, ce qui nous ramène à la case départ.
Si une solidarité au palier des Etats est impossible à
créer en Afrique subsaharienne, même par intérêt,
on comprend que ne peut s'y développer que cette solidarité
au service d'une cause dont nous venons de parler, sans référence
nationale, gratuite et sans allusion à un intérêt.
Il est possible, probable même, que ce genre de solidarité
naisse en Afrique. Mais ce ne sera pas sans périls.
Quand ceux qui se solidarisent autour d'une l'idée ou d'un message
sont dans la position de faiblesse qui est celle des classes modestes d'Afrique,
leur solidarité exige un engagement total, mais doit être internalisée.
Les structures externes qu'ils mettraient en place pour encadrer et manifester
cette solidarité, en effet, seraient incapables de résister
à des attaques de l'extérieur dans un milieu hostile.
L'action qu'engendre cette solidarité ne peut être tournée
qu'à grands risques vers une action extérieure, car ceux qui
sont ainsi liés sont faibles et ne peuvent espérer d'aide
que d'eux-mêmes. À l'extérieur, il y a l'ennemi :
la force doit être en soi. Cette solidarité ne pourra être
au départ que compensatoire et ne deviendra un outil de développement
que quand elle sera instrumentalisée. Cette solidarité est
donc discrète, souvent liée à une vive xénophobie.
Les solidarités qui répondent à ces conditions
de gratuité, d'engagement total et d'internalisation naissent généralement
de mouvements religieux. Ce qui est une tautologie, puisque nous pourrions
définir le mouvement religieux comme celui qui n'apporte pas de gratifications
matérielles immédiates, mais plutôt une gratification
spirituelle. Une gratification internalisée, car même si on
peut voir un « paradis »à l'extérieur, ce n'est
toujours qu'une projection de soi-même. Un mouvement religieux repose
sur une autorité ultime qui est parfaitement internalisée,
sans quoi il n'est pas vraiment un mouvement religieux.
Dans le vacuum de solidarité qu'est l'Afrique subsaharienne,
il ne peut guère se créer de solidarité qu'autour d'un
mouvement religieux. Une solidarité qui ne pourra s'identifier à
une démarche de développement sans s'évanouir, que
si la gratification qu'on y associe est reportée au-delà
de l'horizon. Il faudra que les sacrifices qu'exigera la solidarité
-- il y en a toujours - ne soient pas consentis pour obtenir cette gratification,
laquelle doit rester hors de portée, mais par amour de la cause
elle-même.
Pie in the sky
Une solidarité en Afrique subsaharienne ne pourra naître
qu'autour d'un mouvement religieux. Une vraie religion. Le marxisme athée
a joué pour un temps en Afrique ce rôle de religion, mais
le marxisme offrait trop, trop vite; il ne pouvait générer
la solidarité dans la perspective d'indigence indéfinie dont
les Africains avaient besoin. Assez ironiquement, il faut constater que
le marxisme, qui dénonçait la promesse illusoire de «
la tarte au paradis », sera finalement mort de ne pas l'y avoir laissée
Aujourd'hui, dans la plus grande partie de l'Afrique, c'est l'intégrisme
islamique qui a pris la relève du marxisme. Parce qu'il demande tout et n'offre
rien de matériel. Quand on pense à religion, on pense Islam.
Encore velléitaire il y a cinquante ans en Egypte et au Maroc,
expérimentale dans des conditions favorables en Libye, il y a quelques
décennies, aujourd'hui appliquée en projet-pilote par Hezbollah
au sud Liban, peut-être la solidarité de l'Islam peut-elle
devenir à terme un vecteur de développement. Peut-être. Sera-t-elle
vraiment opérationnelle demain, en Iran, au Pakistan puis en Afrique
subsaharienne ?
La question n'est pas de savoir si l'on aime, ou si l'on n'aime pas,
l'intégrisme islamique, mais de constater qu'il est une force qui
pourrait jouer un rôle moteur pour l'émergence d'un modèle
original de développement dans beaucoup de pays d'Afrique. Admettons que c'est le sc�nario le plus probable.
Si l'émergence
de l'Islam est considérée comme une mauvaise nouvelle pour
l'Occident, cependant, il existe une solution de rechange que constituent
les mouvements charismatiques chrétiens.
L'islam est souvent présenté comme s'il était le
seul candidat à l'hégémonie religieuse en Afrique.
On oublie trop souvent l'influence des mouvements charismatiques chrétiens
et leur potentiel de mobilisation qui n'est pas moins fort que celui de
l'islam. Plus fort, en fait, puisqu il peut référer en sourdine
à ses liens historiques avec la culture occidentale dont il est
issu.
Cette filiation, à un premier niveau semble un désavantage,
puisque la relation s'établit avec le colonisateur, mais elle est
un énorme avantage au niveau de l'inconscient, puisque les mouvements
charismatiques peuvent véhiculer l'image de progrès et de
succès qui est celle de l'Occident.
En Afrique, le mouvement charismatique
n'est pas plus un étranger que l'Islam : ils sont, l'un comme l'autre,
des produits d'importation, introduits pas des envahisseurs. Une alternative chrétienne à l'islamisme n'est donc pas
exclue en Afrique. Cette alternative pourrait même être fomentée
par le Système néolibéral, en réponse à
ce qui serait perçu comme le « danger » de l'Islam.
La voie royale pour introduire cette alternative serait par le biais des
mouvements charismatiques brésiliens, donc deux ou trois ont déjà
plus de 10 millions de membres, ont des structures bien établies
et sauraient gérer des fonds considérables.
Ces structures brésiliennes ont l'avantage supplémentaire
d'être déjà des structures «noires » et
de porter dans leurs gènes toute une tradition africaine précoloniale,
encore enrichie des liens avec le folklore musical de l'Amérique
« revival ». Les rites de Candomblé et de Macumba, qui
foisonnent au Brésil et ont tous leur origine en Afrique, ne font
pas partie de la démarche propre des églises charismatiques,
mais ils cohabitent sur un même territoire.
Bel exemple du syncrétisme qui est la grande spécificité
brésilienne, terreiros de candomblé et temples évangéliques
et pentecôtistes ne crachent pas sur l'échange de quelques
garants d'amitié, un échange qui illustre simplement ce qui
se passe vraiment dans l'âme profonde de leurs clientèles,
lesquelles parfois sont aussi les m�mes et se confondent.
Intuitivement, j'ai l'impression que, mis devant la nécessité
devant faire un choix d'identification - et toutes autres choses étant
égales - l'Africain moyen et de classe modeste serait plus interpellé
par une combinaison de « soul music » à l'église
évangélique et de transes occasionnelle au terreiro, que
par des vendredis à la mosquée et cinq prières quotidiennes
le front dans la poussière.
Valeur intrinsèque mise à part de l'une ou l'autre de
ces religions, l'Africain ne semble-t-il pas culturellement plus en phase
avec un syncrétisme d'inspiration chrétienne, pas très
loin des coutumes animistes, qu'avec un islamisme pur et dur ? Le concept
de Yemanja et des orixas yorubas qui "rentrent chez eux" me
semble être un concept au moins aussi porteur en Afrique subsaharienne
que le message de Mahomet et le Coran.
Cela dit, syncrétisme chrétien ou islamisme, si un mouvement
de solidarité surgit du tréfonds de l'Afrique, ce sera un
mouvement religieux, avec ce que ceci peut apporter de violence, d'obscurantisme
et de haine des autres.
Il n'y a pas que l'Afrique qui pourrait faire
appel à une culture religieuse pour susciter une solidarité.L'expérience est aujourd'hui tentée en Amérique
latine, de créer une originalité qui vienne justifier un sentiment
d'appartenance. Les efforts bien explicites que l'on fait présentement
Bolivie pour récupérer une identité autour des traditions
précolombiennes se situent bien dans cette voie. Il n'est pas dit
que cette approche sera un succès, mais il n'est pas prouvé
que ce sera un échec.
Cette voie sera certainement utilisée aussi en Afrique. Ceux
qui voudraient mettre cette solidarité religieuse au service d'une
solidarité nationale ou sociale doivent se souvenir, toutefois, que
souvent les tentatives pour instrumentaliser une force religieuse sincère
pour en faire une solidarité « effective » se sont soldées,
au contraire, par la sujétion à cette force religieuse de
ceux qui croyaient pouvoir la manipuler !
Croyances et dictatures
À quoi s'attendre si se crée en Afrique subsaharienne
une solidarité s'appuyant sur une religion ? Il faut s'attendre � l'un ou l'autre de
deux mauvais scénarios. Le premier, c'est que la solidarité
n'est instrumentalisée par personne et reste au palier religion,
s'inféodant ceux qui voudraient en orienter l'action. L'Histoire
a un développement et une conclusion uniques pour ce genre de situations.
Les « croyants », d'abord en position de faiblesse, se développent,
sont perçus comme une menace par le pouvoir en place, sont persécutés,
se multiplient dans l'abnégation, puis finalement arrivent au pouvoir
où ils font preuve d'une parfaite intolérance. Encouragés
par ce succès, ils se rendent odieux par leur prosélytisme
à leurs voisins, qu'ils convertissent jusqu'à ce qu'ils n'aient
plus de rivaux, soient eux-mêmes écrasés ou n'acceptent
une paix instable doublée d'une attitude hostile avec les «infidèles
»
Que les Africains solidaires qui ne demandent qu'à émerger
dans les sociétés africaines actuelles trouvent leur appartenance
comme Chrétiens ou Islamistes, il est difficile de voir comment il en sortira
un raccourci vers une solidarité pour le développement s'ils sont les protagonistes de ce
premier scénario. Il est bien probable qu'il ne s'agira plus alors de lutter contre la pauvreté et l'inégalité,
seulement d'apprendre à les aimer.
Pire, si ces deux forces religieuses se développent simultanément, il y a
une possibilité bien réelle, si Dieu ou le diable s'en mêle,
qu'ils s'opposeront avec fanatisme et que leur émulation - un euphémisme !
- non seulement ne règlera rien, mais pourrait même prolonger
indéfiniment le marasme en Afrique. L'Afrique pourrait vivre l'équivalent
de notre Moyen-âge, de nos guerres de religion... Ne faut-il pas que
jeunesse se passe ?
Il y a un deuxième scénario. Instrumentalisant cette solidarité
nouvelle qu'apporte la ferveur religieuse et voulant en tirer les avantages,
un Mahdi ou un Osagyefo (Rédempteur) veut s'attaquer au développement. Il veut le faire dans le cadre d'une planification cohérente et d'un conditionnement
intensif. Une vraie démocratie étant tout à fait impossible
avant que ce développement même n'ait eu lieu, il impose donc sa
dictature.
Que cette dictature soit brutale ou, au contraire, altruiste et éclairée,
même si elle est la parfaite République de Platon, elle sera
immédiatement en butte aux attaques ouvertes et occultes du monde
développé. Officiellement, ce sera par respect pour la démocratie
que le reste du monde refusera la légitimité de cette dictature.
La vraie raison de cette opposition, cependant, sera que ce développement
est simplement contraire aux intérêts égoïstes
de la civilisation occidentale et des pays développés.
Les pays qui, au moment de leur indépendance ou plus tard, ont
pensé capitaliser sur l'enthousiasme - la ferveur religieuse n'étant
que la manifestation aujourd'hui la plus probable en Afrique de cet enthousiasme
- ont vite dû rentrer dans le rang. Voir les exemples de la Guinée,
du Ghana, etc. En fait, dans le monde entier, avec la notable exception
de Cuba, il y en a peu qui soient parvenus à suivre cette voie bien
longtemps et leurs efforts, toujours contrecarrés dans toute la mesure
du possible par le système capitaliste, n'ont jamais pu donner que
des résultats dérisoires.
Dans la situation actuelle, la genèse en Afrique d'une solidarité
d'identification et d'appartenance ne peut passer que par un mouvement religieux
; or les conséquences de cette approche ne semblent pas bénéfiques.
Y a-t-il une autre solution pour l'Afrique ?
Recoloniser l'Afrique ?
Il y a une autre solution. Il faudrait que puisse se développer
en Afrique une culture de solidarité par intérêt, basée
sur une rationalisation de l'altruisme. Quand tout le monde se donne la
peine de ne pas faire chavirer la barque. C'est la solidarité que
nous avons dans les pays développés. C'est la solidarité
qui s'installe d'elle-même quand apparaît une certaine aisance
et elle conduit toujours à une certaine démocratie.
Cette solidarité n'a rien de spectaculaire et elle n'inspire
pas de poèmes ni d'épopées. Elle est, nous l'avons
dit plus haut, le type d'attachement qu'éprouve le charognard pour
son charnier. Elle se situe tout de même cent coudées au-dessus
de ce qu'on peut trouver aujourd'hui en Afrique et elle est le seul le
seul objectif raisonnable qu'on puisse fixer à un pays, disons,
comme le Nigeria.
Une solidarité par intérêt, basée sur une
rationalisation de l'altruisme, est une bonne solution. Le problème,
c'est qu'il n'est pas possible que cette solidarité naisse spontanément
de l'Afrique elle-même. En aucun pays de l'Afrique subsaharienne.
Le développement de ce modèle exige une relative aisance.
Pas la richesse boursouflée pour quelques-uns, ceci ne fait que
fournir à ceux-ci un visa de sortie hors de leur culture, laissant
les autres un peu plus pauvres, mais une aisance largement répartie
dans une classe moyenne. L'aisance minimale qui fait qu'il ne soit pas
héroïque et incongru de ne pas prendre pour soi et seulement
pour soi, absolument TOUT ce qu'on peut prendre du tronc commun.
Cette aisance minimale n'est possible que si débute en Afrique
un partage de la richesse. Or, la scission économico sociale dans
les pays subsahariens empêche un consensus sur toute redistribution
de la richesse. Cela crée un dilemme insoluble. Une richesse minimale
et une forme de redistribution de cette richesse sont nécessaires
à l'éclosion d'une solidarité d'intérêts
alors qu'une solidarité d'intérêts doit venir AVANT
le développement qui produit la richesse.
Aucune gouvernance issue d'une société d'Afrique subsaharienne
ne peut sortir de ce dilemme. En l'absence de consensus effectif pour une
forme au moins rudimentaire de partage, il est impossible qu'une gouvernance
issue d'un pays africain ait la moindre chance de vouloir et de pouvoir
améliorer le sort de ses habitants. Une gouvernance pour le bien
du peuple n'est possible en Afrique, que si elle se situe au-dessus des
enjeux et des jeux de pouvoir locaux. Pour que soit fait en Afrique ce qui
doit y être fait, il faut donc que la gouvernance en Afrique soit
externalisée.
Ce qui mène à la conclusion politiquement incorrecte,
mais vraie, que l'Afrique ne peut retrouver le chemin du développement
que si, pour un temps, elle est gouvernée sans les Africains. Le
temps que s'y mettent en place des structures de création de richesse
et de distribution minimalement équitable de distribution de la richesse
créée.
Ceci mène aussi à la conclusion, tout aussi politiquement
incorrecte, mais tout aussi vraie, qu'il faudrait reprendre l'Afrique au
point où nous l'avons laissée. Il faut donner à l'Afrique
ce que la colonisation aurait dû lui apporter, si la colonisation
avait été la mission civilisatrice qu'on a prétendu
qu'elle était au lieu de l'entreprise d'exploitation et parfois de
simple brigandage qu'elle a été.
Est-ce à dire qu'il faille recoloniser l'Afrique ? Non, le
temps du viol est bien fini. Mais il faut chercher la solution à
la situation actuelle en s'inspirant du modèle colonial. Quand on
en regarde la réalité plutôt que les intentions, comment
se présentait le modèle colonial dans sa réalité
quotidienne ? Une présence policière et militaire qui venait
répondre à un besoin pressant d'assurer l'ordre et la sécurité,
au soutien d'une présence administrative visant à gérer
honnêtement, là où la corruption et le népotisme
avaient toujours régné. C'est ce dont l'Afrique avait besoin,
il y a 100 ans et c'est exactement ce dont elle a encore besoin aujourd'hui.
Le modèle colonial était efficace ; il n'y a pas un pays
d'Afrique subsaharienne où les structures administratives ne se soient
pas détériorées depuis son indépendance. Les
grands torts du modèle colonial étaient, d'une part, qu'il
avait été imposé et non librement consenti et, d'autre
part, qu'il ne fonctionnait pas pour le bien des pays colonisés mais
pour celui des colonisateurs. Est-il possible de recréer une structure
externalisée de gouvernance qui ait les avantages de la colonisation
sans en avoir les torts ?
Le protectorat
C'est tout à fait possible et on l'a déjà tenté.
C'est le modèle du « protectorat ». Le concept du protectorat
est qu'un pays, ayant la compétence administrative requise, administre
un pays qui n'a pas cette compétence, pour le bien du pays administré
et non du pays administrateur.
Sous sa première forme, le protectorat supposait que le pays
administré consentait à être protégé,
en fait, réclamait cette protection. La France, par exemple, a
été appelée à « protéger »
le Maroc. Il est vite devenu clair, cependant, que le protectorat avait
souvent un autre agenda que la protection et que les pays protecteurs, France
en tête, n'étaient pas toujours d'un parfait altruisme.
Pour y ramener une certaine abnégation, la notion de protectorat
a donc évolué pour devenir, dans un deuxième temps,
un mandat confié à une Puissance par la Société
des Nations, de prendre sous son aile un pays sans défense et sans
ressources. Par la même occasion, on a renoncé à la
fiction que le pays protégé y avait consenti. Il était
mineur, incapable, on allait penser pour lui. Agir pour son bien.
Il est vite devenu tout aussi clair, hélas, que l'intention des
pays mandatés n'était pas toujours pure et que si, dans le
meilleur des cas, une bénigne tutelle s'appliquait sans massacres
ni scandales, c'est que le pays sous mandat n'offrait vraiment aucun intérêt
et que celui à qui on l'avait confié n'accordait qu'une attention
distraite à son protégé.
Après la deuxième guerre mondiale, est arrivée
la stratégie, innovatrice pour l'Europe, mais déjà
testée avec succès en Amérique latine par les USA.,
de retirer des colonies tout ce qui leur servait et donc coûtait bien
cher, leur donnant l'indépendance et s'en remettant à des
satrapes locaux pour en gérer l'exploitation. Les critères
ayant ainsi changé, le modèle du protectorat est apparemment
tombé en désuétude.
En apparence seulement. En réalité, il a continué
sous un autre nom. Ce que la France a offert aux pays d'Afrique au moment
de leur indépendance était une forme de protectorat, Marianne
se réservant les affaires étrangères, incluant la défense
et le contrôle des finances incluant, la monnaie de ses ci-devant
colonies. Quelques fonctionnaires saupoudrés sur l'administration
des jeunes nations suffiraient à éviter les bêtises
et à garantir que les choses suivent bien leur cours normal, toutes
les ressources intéressantes comme les contrats juteux trouvant
toujours leur chemin vers Paris.
C'est un régime de protectorat de fait, qu'on pourrait appeler
d'«indépendance assistée », et qui fonctionne
depuis près de 50 ans. Il a épargné depuis à
la France bien des critiques, ainsi que la vie de moult légionnaires
et de quelques missionnaires. Dans la colonne des débits, cependant,
il faut se rappeler qu'il n'a rien donné de plus aux pays d'Afrique
que ce qu'un protectorat de modèle classique leur aurait apporté,
évitant seulement à leurs dirigeants, comme à la France
l'ennui d'une reddition de comptes occasionnelle.
L'«indépendance assistée » n'a rien donné
de plus qu'un protectorat traditionnel aux pays décolonisés.
Surtout, elle leur a apporté infiniment moins que ce que leur apportait
le régime colonial, la différence étant un gain net
pour l'ex-colonisateur. Il a fallu une gestion bien astucieuse de la propagande,
concertée entre tous les pays coloniaux, pour que le jour de l'indépendance,
ne soit pas célébré, dans chaque pays subsaharien,
comme un jour de deuil et en en brûlant quelques vestiges du on vieux
temps.
Aujourd'hui, tout se passe comme si les pays de la communauté
française d'Afrique étaient des départements qui élisent
leurs préfets en les appelant présidents, mais qui ne sont
pas représentés à l'Assemblé Nationale et dont
on n'a donc à s'occuper qui si on a quelque chose à en tirer.
Est-ce qu'on ne pourrait pas faire mieux pour l'Afrique que l'indépendance
assistée ?
Quand on regarde la situation en toute lucidité, on comprend
que les pays sous-développés et surtout les pays ex-colonisés
d'Afrique, ont aujourd'hui besoin d'être protégés.
Ils ont besoin d'un régime de protectorat. Ils ont besoin d'externaliser
leur gouvernance, parce que dans la situation où on les a laissés,
aucune gouvernance endogène ne peut s'y installer qui ait la moindre
chance d'améliorer le sort de leurs habitants.
Les pays sous-développés ont indubitablement besoin d'être
protégés, surtout contre ceux qui se prétendent leurs
protecteurs. Si le monde développé n'accepte pas de leur
accorder une forme de protection équitable, un statut de véritables
protectorats, nous porterons tous la culpabilité de la misère
croissante et des injustices infinies qui seront le lot quotidien des pays
sous-développés d'Afrique. Demain et indéfiniment.
Les conditions du partenariat
Comment concilier l'idée de protectorat avec celle de la liberté
et de la dignité humaine de ceux qu'on veut protéger ? En
revenant d'abord au principe initial du protectorat, d'une relation librement
consentie entre un État administrateur et une société
administrée, mais en s'assurant qu'il ne s'agisse plus simplement
désormais d'un principe ceux, mais d'une réalité.
Il ne faut pas que le consentement de l'administré ait été
arraché sous la menace d'une canonnière, batteries braquées
sur le palais présidentiel.
Ne parlons donc plus de protectorat, mais de « partenariat intégral
». Le partenariat intégral met complètement la société
administrée sous la gouverne de l'État administrateur. Deux
choses le distinguent d'un protectorat. La première, c'est qu'il
n'est pas imposé par la force, mais voulu par la société
administrée ; la seconde, c'est qu'il est soumis à des règles
de droit strictes. L'administré n'est pas laissé à
la merci de son administrateur qui deviendrait son occupant.
Soumettre un partenariat à des règles de droit est possible, si deux conditions sont remplies. D'abord, si la communauté internationale, au palier des Nations Unies, se
dote des organismes de contrôle nécessaires pour vérifier
que les accords de partenariat soient respectés et, ensuite,si un équilibre
des forces s'établit sur la planète, qui permette que soit
mise au besoin à la disposition des Nations Unies une force d'intervention
crédible.
Si une structure de contrôle est créée, la propension
de tout fonctionnaire à vouloir se rendre utile, ou au moins intéressant,
la rendra vigilante. Si un équilibre des forces s'établit
dans le monde, respecter le bon droit y deviendra la meilleure solution
de compromis et les Nations Unies deviendront une source respectée
d'arbitrage. Nous parlons ailleurs de cette évolution vers un
« monde de droit ». (713F2)
Dans ce cadre de légalité internationale, le partenariat
intégral peut être une solution efficace. Il peut l'être
si ces partenariats ne sont pas de simples subterfuges pour mieux exploiter
les pays du tiers-monde, mais s'ils ne sont pas non plus présumés
conclus uniquement pour aider les indigents. La générosité
n'est pas une hypothèse forte en relations internationales. L'angélisme
n'a pas d'avenir.
Ceux qui aident et protègent veulent être payés
pour aider et protéger. Ils veulent en tirer eux aussi un profit.
Il faut donc que les interventions de partenariat soient mutuellement profitables,
aussi bien pour celui qui protège que pour celui qui est protégé.
On peut réaliser des expériences pilotes de prise en charge
totalement altruiste de tout petits pays, pour en faire des exemples et
roder les mécanismes de partenariat, mais on ne peut pas institutionnaliser
à grande échelle un type de relations qui ne serve qu'à
l'une des parties.
Celui qui administre doit en tirer un avantage raisonnable, selon des
critères dont les normes internationales pourraient établir
les paramètres. L'État administré doit en tirer l'assurance
d'un développement correctement planifié, dans l'ordre et
la paix. Le monde entier va aussi y trouver son intérêt,
dans la solution du problème du sous-développement qui autrement
apparaît insoluble.
La logistique du partenariat
Le partenariat intégral commence par un accord entre deux États.
Un État « administrateur » qui offre de prendre en charge
la gouvernance et l'administration complètes d'une autre société
et l'État de cette société à administrer, qui
accepte que se substituent à sa gouvernance et à son administration
celles du pays administrateur.
C'est une substitution totalement consensuelle, une prise en charge
dont les deux parties précisent ce qu'elles en attendent et ce qu'elles
y apporteront. Cet accord doit être pour un terme défini d'au
moins 20 ans, pouvant être prolongé ou renouvelé à
son échéance. Il doit être un contrat exécutoire,
étant soumis par les parties à la juridiction d'une instance
tierce, une organisation internationale comme les Nations unies ou la cour
de justice de La Haye, par exemple, qui garantisse la validité du
contrat lui-même et la validité de toutes et chacune de ses
clauses
Ce contrat est exécutoire et contraignant, parce que les deux
parties acceptent l'intervention, au besoin militaire, d'une force internationale
des Nations unies pour faire respecter ce contrat. Leur acceptation à
tous deux de cette condition doit aller de paire avec un engagement des
Nations Unies d'apporter au besoin cette force qui donne sa valeur contraignante
au contrat.
Quand l'État d'un pays administrateur et l'État d'un pays
à administrer ont accepté le principe d'un tel partenariat
intégral, il faut en déterminer les modalités, les
conditions, les stipulations, les clauses pénales. Il faut surtout
en déterminer les paramètres quantitatifs, car il ne s'agit
pas ici de vux pieux.
La performance réalisée par l'État administrateur
pour le développement du pays administré sera évaluée
par une tierce partie impartiale que les parties auront désignée.
Dans la plupart des cas, ce sera un organisme international comme l'Unesco,
n'étant pas exclu que les Nations Unies créent une instance
ad hoc dont le suivi et l'évaluation de ces partenariats seraient
les seules fonctions.
Dans tous les cas, toutes les données pertinentes à l'exécution
d'une entente de partenariat intégral seront complètement
transparentes et donc soumises au jugement de valeur de la communauté
internationale. Il ne manquera pas d'autres pays, concurrents éventuels
du pays administrateur, pour scruter et au besoin dénoncer son action.
Typiquement, le pays administrateur s'engage d'abord, sur une période
de 20 ans, à apporter au pays administré, dont il assumera
le contrôle total, une augmentation de son niveau de vie d'un pourcentage
dont administrateur et administré auront ensemble convenu. Disons
10 % par année, par exemple, ce qui n'est pas absurde, puisque la
Chine a déjà réalisé cette performance et maintient
sa croissance autour de cet ordre de grandeur.
Le pays administrateur s'engage aussi à atteindre certains objectifs
plus spécifiques et à mettre en place, en respectant un échéancier
précis, certaines infrastructures parfaitement identifiées.
Il s'engage, par exemple, dans le secteur de la santé, sujet au contrôle
par l'OMS des résultats concrets obtenus, à atteindre des
objectifs vérifiables et quantifiables selon les normes de l'épidémiologie.
Quant à l'espérance de vie, à la mortalité
infantile et à l'éradication des maladies infectieuses et
endémiques, par exemples.
Il s'engage également à la mise en place d'un système
d'éducation dont les programmes répondront à des critères
établis au départ qui auront fait consensus, de même
qu'à prendre des mesures efficaces pour assurer la diffusion de
cette éducation au sein de la population, selon l'échéancier
et les normes qui auront aussi été définies et acceptées
au départ.
L'accord prévoira le développement et la rationalisation
de l'agriculture du pays administré, ainsi que la mise en place d'une
structure industrielle, indiquant les objectifs à atteindre et les
politiques d'import-export qui seront appliquées. La mise en place,
aussi, d'une structure de services, tenant compte du niveau de vie atteint.
Si des circonstances exceptionnelles exigent qu'en cours de partenariat,
une aide ponctuelle imprévue soit apportée au pays administré,
cette aide sera traitée comme un prêt et remboursée,
mais les organismes internationaux de contrôle du partenariat seront
vigilants pour que ce cas fortuit ne biaise pas plus qu'il ne le faut le
développement prévu par l'entente.
Le pays administrateur, enfin, doit bien sûr s'engager à
remettre à l'État du pays administré, à la fin
de la durée prévue du contrat, tous les pouvoir dont il a
assumé la responsabilité. Si certaines clauses prévues
à l'entente de partenariat n'ont pas été respectées,
une compensation, dont le montant aura été fixé au
départ pour chacune d'entre elles devra alors être payée
au pays administré, sous la forme d'un dédommagement immédiat
(lump sum ) ou de versements périodiques qui pourront se
prolonger longtemps après la fin du contrat.
Si le contrat est accepté, son entrée en vigueur doit
être conditionnelle à sa ratification par un référendum,
organisé sous surveillance des Nations Unies dans le pays administré.
Il peut être prévu que 50, 55, 60, 66 % de la population devra
être d'accord pour que l'entente soit ratifiée.
Suite à ce référendum et à la signature
formelle de l'entente de partenariat intégral, le pays administrateur,
à la date fixée, prend totalement charge du pays à
administrer. Il y débarque avec ses troupes, sa police, ses administrateurs.
Le déroulement du partenariat
Le pays administrateur débarque avec armes et bagages. Surtout,
avec ses experts qui viendront occuper tous les postes clefs de l'administration.
Le problème du pays africain n'est pas, en effet, que le Ministre
africain formé en Sorbonne soit moins doué que son homologue
européen ; il l'est souvent davantage ! Le problème est
que l'impact de ses idées et de ses directives ne va pas beaucoup
plus loin que la porte de son cabinet.
L'infrastructure de cadres intermédiaires et de professionnels
qualifiés qui permet que l'État soit une véritable
machine à administrer et à contrôler n'existe pas dans
les pays sous-développés. La masse de ceux qui prétendent
en être aujourd'hui les rouages de la secrétaire qui
tape les lettres au surveillant de chantier dans la brousse - n'ont ni
la compétence ni surtout la motivation pour remplir cette fonction.
Une gouvernance venant de l'extérieur ne peut être efficace
qui si elle s'appuie sur une structure administrative elle-même importée.
Importée complète, sans même un hiatus où pourrait
naître et grandir le désordre et la corruption. Le pays administrateur
arrive avec toutes les ressources requises. Les lois du pays administrateur,
sauf quelques exceptions dont on a pu convenir, se substituent aussi entièrement
aux lois du pays administré, lesquelles pour la durée de l'entente
n'ont plus valeur juridique.
Les frontières sont totalement ouvertes, dans les deux sens,
au commerce entre le pays administrateurs et le pays administré.
Dans toute la mesure du possible, le pays administrateur verra à
ce que le pays administré puisse jouir des mêmes avantages
d'import-export dont jouit le pays administrateur dans toutes ses ententes
commerciales avec des tiers.
Si ses partenaires ne sont pas d'accord pour cette extension, dans ce
domaine et dans ce domaine seulement, les produits du pays administré
seront soumis à des conditions différentes, mais le pays administrateur
fera les ajustements nécessaires à sa politique économique
afin que ces empêchements soient supprimés le plus rapidement
possible, ou il en dédommagera le pays administré.
Le gouvernement en place dans le pays administré, au moment de
la signature de l'entente de partenariat intégral, devient un conseil
consultatif ; tous ceux qui font partie du gouvernement font partie du nouveau
conseil consultatif et reçoivent des avantages salariaux et autres
significativement augmentés, pour les compenser du manque à
gagner qu'ils pourraient subir du fait qu'ils ne gouvernent plus le pays
administré.
Il n'y a pas à être mesquin sur ce point, car il n'y a
pas de conditions si onéreuses qu'elle ne le soient moins que ce
que la corruption aurait coûté. Toutes conditions qui sont
transparentes sont acceptables et, ne l'oublions pas, seront ratifiées
par référendum populaire.
Toutes les instances locales sont également transformées
en conseils consultatifs, chacune sur le territoire et dans les domaines
que recouvrait sa compétence avant l'arrivée de l'État
administrateur. En parallèle à ces conseils consultatifs qui
sont déjà en place, se créeront d'autres conseils consultatifs
sectoriels, à la convenance l'État administrateur, qui permettront
à ce dernier selon les besoins de prendre le pouls de la population.
L'État administrateur, par exemple, a tout intérêt
à consulter les professeurs sur l'évolution de l'éducation,
les professionnels de la santé sur l'évolution de la médecine,
les commerçants sur l'ensemble du développement économique,
de même, bien sûr, que les structures syndicales en place qui
seront maintenues et consultées sur les conditions de travail.
Aucune de ces structures consultatives, toutefois, ne doit avoir quelque
pouvoir de décision, ni être autorisée à utiliser
quelques moyens de pression que ce soit pour influer sur la politique de
l'État administrateur. Il serait inadmissible que ces structures
consultatives s'arrogent le droit de discuter a posteriori les conditions
de partenariat auquel l'État administré à initialement
consenti et auxquelles le peuple a donné son aval par référendum.
Il serait impensable, par exemple, que l'organisation représentative
des travailleurs vienne discuter l'évolution de la structure des
salaires et s'immiscer donc dans la politique de redistribution de la richesse,
puisqu'une telle politique de redistribution parfaitement transparente aura
été insérée dans l'accord initial. Si on parle
d'une augmentation de 10 % du niveau de vie par année, il faut penser
à une augmentation des salaires qui soit compatible avec cet objectif,
mais ceci n'exclut pas que certains salaires soient augmentés plus
que d'autres.
Il est possible que les salaires les plus bas soient augmentés
davantage, par exemple, et que les salaires plus élevés ne
le soient que dans une moindre mesure. Ces différences sont justifiées.
Elles devront, cependant, se situer à l'intérieur de la fourchette
qui pourra avoir été défini dans le contrat initial
qui aura été conclu et ratifié par référendum.
De 5 ans en 5 ans, des élections locales, régionales et
nationales dans le pays administré désigneront de nouveaux
représentants aux divers conseils consultatifs. Ces représentants
seront élus selon les principes de la démocratie contractuelle,
chacun étant choisi comme représentant indépendant
par ceux qu'il va représenter et non sous la bannière de partis
regroupant en factions ceux qui ont des visions différentes de l'évolution
de la société. Ces vues différentes doivent être
mises en veilleuse pour la durée du partenariat intégral,
pendant laquelle les politiques sont la responsabilité exclusive
de l'État administrateur.
Le gouvernement qui était en place dans le pays administré
au départ le demeure donc à titre de conseil consultatif pendant
cinq ans, puis peut être remplacée par un autre, et ainsi itérativement
jusqu'à la fin de la dix-huitième année du mandat du
pays administrateur. Une campagne de sensibilisation politique s'engage
alors et, un an avant la fin du mandat du pays administrateur, des élections
ont lieu auxquelles participent cette fois-ci des partis dont chacun doit
présenter son projet de société.
Ces élections ont lieu sous le contrôle des Nations Unies
et autres représentants internationaux, pour en assurer la légitimité
incontestable. C'est à celui de ces partis qui aura été
élu que le pays administrateur transmettra les pouvoirs à
la fin de son mandat. Le gouvernement ainsi élu pourra, s'il le
souhaite, négocier avec le pays administrateur une prolongation du
partenariat, mais, si une telle entente intervient, elle devra aussi être
soumise à un référendum.
Durant la dernière année du mandat, les futurs gouvernants
élus seront intégrés progressivement, comme stagiaires,
dans la structure gouvernementale et administrative du pays administré,
avant d'en prendre complètement le contrôle à la date
prévue au début.
Parmi les changements que le pays administrateur pourrait introduire,
il en est un dont il n'assumera sous aucun prétexte la responsabilité
: la rationalisation de la gouvernance entre les sous-ensembles constituant
le pays administré et le partage des compétences entre ces
sous-ensembles.
Quand les dissensions internes dans un ensemble sont telles qu'il est
impossible d'y mettre en place un processus crédible de justice et
encore moins un modèle de développement efficace qui fasse
consensus, la première solution est de scinder cet ensemble disparate
en composantes plus homogènes. C'est la parcellisation de la gouvernance
qui se produira partout sur la planète au rythme de la rationalisation
qui nous conduira à l'État global, tel que nous en avons discuté
au texte 714b
Suivant cette tendance universelle, on pourrait scinder l'Afrique en
composantes plus homogènes, à échelle ethnique, voire
tribale, et il serait sans doute opportun de le faire, en Afrique encore
plus qu'ailleurs. Cette action, cependant, en cours de partenariat intégral,
serait prématurée.
Une fragmentation de la gouvernance n'est salutaire, pour éviter
les dissensions, que si un consensus peut être atteint quant aux pouvoirs
qui doivent être confiés aux instances supérieures,
celles qui répondent aux besoins communs et viennent coiffer les
autres. Il serait illusoire de penser à un tel consensus en Afrique,
alors que les besoins communs sont des besoins essentiels qui, globalement,
ne sont même pas minimalement satisfaits.
Cette fragmentation de la gouvernance présuppose également
une abondance de ressources administratives qualifiées, permettant
que des paliers de décisions intermédiaires soient créés,
non pas toujours parce que l'efficacité objective l'exige, mais parce
qu'on ajoute ainsi une dimension subjective de satisfaction. Cette satisfaction
est un élément crucial du fonctionnement optimal d'une société,
mais il est prématuré de s'y intéresser et de chercher
l'optimisation par ce raffinement, avant que les mécanismes administratif
essentiels n'aient même commencé à fonctionner correctement.
Avant que l'on puisse répondre à la diversité culturelle
de l'Afrique par une gouvernance distribuée, il faut d'abord que
l'Afrique soit simplement gouvernée et administrée, ce qu'elle
n'est pas et ce que seuls des partenariats du type ici décrit pourront
lui apporter. Le pays administrateur ne redistribuera pas la gouvernance
du pays administré. Aucune assurance, d'ailleurs, ne garantirait
qu'il le fasse sans arrière-pensées.
Si ceci n'était limpide au départ, aucun pays n'accepterait
de se laisser administrer. C'est UN État qui lui a donné
UNE société à administrer et c'est UNE société
que doit rendre le pays administrateur à UN État à
la fin de son mandat de partenariat.
L'offre et la demande de partenarciat intégral.
Comment vont se négocier les accords de partenariat intégral
? Dans un premier temps, il suffit que le concept en soit largement divulgué
et diffusé. Dans un deuxième temps, les pays qui veulent agir
comme pays administrateurs, ou qui souhaiteraient être administrés
dans le cadre d'un tel partenariat intégral, doivent se manifester.
Quand se sont fait connaître tous ceux qui ont un intérêt
à ce genre d'entente, les négociations peuvent simplement
s'engager entre les parties. Simultanément, le principe doit en être
accepté au niveau des Nations unies, puisque celles-ci devront éventuellement
accepter la juridiction sur les ententes qui pourraient intervenir, avec
les conséquences qui en découlent, dont celle de devoir peut-être
un jour intervenir militairement pour les faire respecter.
Quels pays peuvent avoir intérêt à agir comme États
administrateurs ? D'abord, tous les pays qui aujourd'hui ont des programmes
importants d'assistance technique aux pays sous-développés
et qui non seulement n'en retirent aucun avantage, mais sont bien conscients
qu'il ne découle même pas de leurs interventions un résultat
concret qui justifierait, auprès de leur propre population, cette
assistance dont celle-ci fait les frais. On peut penser au Canada, à
la Suède, à la Norvège, aux Pays-Bas, à la
Suisse... etc.
Ensuite, dès que le modèle aura été testé,
d'autres pays suivront la même voie, parce qu'il paraîtra plus
correct, aux yeux de leur propre population, d'avoir ce genre d'ententes
sous contrôle international, plutôt que de gérer des
protectorats occultes qui ne servent que les intérêts de quelque
compagnie. Ainsi, la France au Gabon aurait meilleure image, si elle ne
semblait pas servir les seuls intérêts d'Elf Aquitaine
Quels pays voudront être administrés ? Dans un premier
temps, les pays dont les gouvernants y verront une bonne affaire, ce genre
d'entente leur garantissant une rémunération intéressante
pendant un certain temps, tout en passant l'éponge sur leurs transgressions
passées qui pourraient un jour leur créer des ennuis. Ils
seront certains que les accords de partenariat intégral qu'ils auront
passés seront respectés et qu'ils ne seront plus à
la merci d'une révolution qui, parfois, peut venir plus vite qu'on
ne le pense.
Des dictateurs vieillissants et qui ont fait leur blé peuvent
trouver attrayante cette sortie élégante qui leur assure aussi
dans l'Histoire la place du visionnaire par qui le progrès a commencé.
Dans un deuxième temps, se mettront sur les rangs les pays où
la situation est tellement désespérante qu'on peut prévoir
qu'il s'y formera des partis politiques dont le programme consistera à
signer ce genre d'entente. Aussitôt qu'une issue démocratique
sera ainsi donnée aux populations pour qu'elles s'expriment sur ce
sujet, une grande partie du tiers-monde va choisir cette voix avec enthousiasme.
Dans beaucoup de pays, le parti qui offrira de négocier une telle
entente sera porté au pouvoir avec enthousiasme contre ceux qui offriront
simplement de faire pour le mieux avec les compétences dont eux-mêmes
disposent, approche traditionnelle qui est déjà un peu partout
discréditée.
Les partis qui veulent proposer cette approche pourront trouver assez
facilement à se financer auprès des pays qui souhaiteront
devenir les futurs administrateurs. Il est clair que ceux qui proposeront
cette approche seront traités de traîtres et de quislings
par leurs adversaires politiques mais, en bout de piste, c'est un référendum
populaire sous contrôle des Nations Unies qui tranchera.Une démarche
bien plus démocratique que la plupart des consultations électorales
actuelles.
Quel est le résultat pratique d'un partenariat intégral
? Pour le pays administré, une véritable hausse de son niveau
de vie, un véritable développement que l'immense majorité
des pays ex-colonisés du tiers-monde n'ont pas connu depuis le départ
de la puissance coloniale. Une augmentation du PNB de 10% par année
n'est pas illusoire; nous répétons que la Chine y parvient.
Ce taux de croissance quintuple en 20 ans le niveau de vie de la population.
Chacun peut calculer l'effet de ce bond en avant sur l'un ou l'autre des
pays de l'Afrique subsaharienne dont la plupart, depuis 20 ans, n'ont au
contraire pas cessé de s'appauvrir.
Ce résultat est possible, parce que les investissements que requiert
le pays et que, vu son instabilité politique et l'absence d'infrastructures
valables, nul ne lui accorderait sans prendre le contrôle effectif
occulte du pays ce qui est coûteux et périlleux
vont devenir accessibles comme s'ils étaient réalisés
dans le pays administrateur lui-même.
Le pays administrateur, pour sa part, a trouvé un débouché
pour de nombreuses cohortes d'experts dont les salaires seront pris en charge
par le pays administré. Il effectue une vente de services dans des
conditions très favorables. Il s'est aussi fait un marché
captif du pays administré, à la seule condition ne plus penser
seulement à son propre profit, mais aussi aux véritables intérêts
à long terme du pays administré.
C'est un marché qui restera captif, d'ailleurs, longtemps après
la fin du contrat de partenariat, à cause des techniques siennes
ou complémentaires aux siennes que le pays administrateur y aura
introduites et de l'énorme marché pour les pièces de
rechange et les produits de consommation qui continueront d'être nécessaires
pour les équipements qu'il y aura installés. Ces avantages
sont les mêmes que ceux d'avoir une colonie ; il n'est pas nécessaire
d'en reprendre ici tous les détails.
Je ne peux penser à une meilleure façon de résoudre
le problème du sous-développement. Je ne vois pas d'autre
façon de sauver l'Afrique. C'est ainsi qu'on procédera dès
qu'on y aura réfléchi. C'est ainsi que procédera une
Nouvelle Société.
Pierre JC Allard