Partout dans le monde, on s'interroge sur la pertinence de l'éducation
qu'on transmet et sur la rationalité des structures dont on encadre
les ressources qu'on y assigne. Ce texte vise à poser un regard neuf
sur la problématique de l'éducation dans le monde d'aujourd'hui.
Il propose que soient radicalement modifiés les contenus d'enseignement,
la manière d'apprendre et les mécanismes de gestion et de
contrôle des acquis des systèmes éducatifs.
Ce texte de quelques pages n'a évidemment pas pour but de déterminer
les contenus eux-mêmes ni les détails d'une nouvelle pédagogie.
J'affirme, toutefois, que le développement de ces contenus, de cette
pédagogie et d'une formation des enseignants qui rendrait cette pédagogie
possible ne pose pas de problèmes techniques dont nous n'ayons pas
déjà la solution. Une réforme comme celle ici proposée
peut donc être entreprise immédiatement. Il suffit de vouloir
le faire et de la mener à terme.
Pierre JC Allard
Les circonstances et les stimuli auxquels l'individu est soumis et doit
s'adapter au cours de sa vie le façonnent et constituent son véritable
apprentissage. La vaste majorité des événements qui
l'affectent sont aléatoires, ou échappent à tout contrôle,
mais il y en a quelques-uns qui ne sont pas fortuits. Ce sont ceux auxquels
il est exposé sciemment, afin de le faire évoluer vers un
résultat déterminé: c'est ce qu'on appelle son "éducation".
En l'éduquant, on ajoute au bagage de ses connaissances et l'on modifie,
dans un sens qu'on souhaiterait prévisible, les valeurs qui lui serviront
de critères pour agir et fixer ses buts.
Pour que cette action concertée sur l'individu soit cohérente
et puisse produire le résultat prédéterminé
par l'éducateur, il est nécessaire que soient mis en place
des mécanismes de transmission des connaissances et des valeurs et
une structure qui encadre le fonctionnement de ces mécanismes. C'est
la structure et les mécanismes mis en place afin d'instruire l'individu
et de lui d'appliquer les conditionnements voulus qui constituent le système
d'éducation d'une société.
Devant débuter bien avant que l'individu puisse être consulté,
l'éducation est en quelque sorte le "viol bienveillant"
de chaque enfant et de chaque génération par celle qui l'a
précédée, l'expression collective du désir plus
ou moins conscient des parents que les choses ne changent pas et que leurs
enfants ne soient que la suite sans imprévus de ce qu'eux-mêmes
ont été.
L'éducation formelle peut n'occuper qu'une petite part du processus
global d'apprentissage de l'individu, mais celui-ci n'échappe pas
facilement à son conditionnement initial. Il y parvient d'autant
moins qu'une société à pensée unique peut longtemps
biaiser plus ou moins subtilement l'accès à l'information
et l'analyse des faits, transformant en outils de renforcement de son conditionnement
les péripéties de sa vie dont il pourrait tirer d'autres leçons.
Quand on s'interroge aujourd'hui sur l'éducation, il est important
de voir que l'omniprésence des médias d'information - au premier
chef de la télévision, mais bientôt aussi de l'Internet
- a créé un système élargi de "transmission
des connaissances et des valeurs" (éducation) qui occupe une
part croissante du processus d'apprentissage global mais dont l'éducation
au sens traditionnel n'est plus que le premier volet. L'éducation
formelle n'en a pas perdu pour autant son importance, mais ses objectifs
et ses moyens d'action sont à revoir.
Qu'est ce qu'une société exige de son système d'éducation?
Trois (3) choses fondamentales:
- qu'il transmette des VALEURS, une éthique appliquée qui
permette l'insertion de l'individu dans la société selon des
normes qui font consensus et favorise un sentiment d'appartenance au réseau
de groupes dont les interactions constituent la dynamique sociale;
- qu'il véhicule la CULTURE identitaire de la société,
celle-ci ne pouvant autrement survivre, mais en tenant compte du contexte
et de la place que cette culture occupe dans le patrimoine commun de l'humanité;
- qu'il forme, en quantité et qualité adéquates, les
travailleurs de toutes les professions qui, ensemble, possèderont
l'EXPERTISE nécessaire à la production des biens et services
que consomme et exporte l'entité économique qui sous-tend
la société.
Hélas, les systèmes d'éducation actuels semblent incapables
d'atteindre ces buts fondamentaux. Partout, les valeurs se perdent, les
cultures identitaires sont en voie d'extinction et la masse croissante des
travailleurs exclus du système de production des biens et services
est la preuve vivante que l'éducation traditionnelle ne peut leur
procurer une compétence qui réponde à une demande effective.
Pourquoi cette faillite? Parce que, conçus pour assurer la continuité
dans un monde stable et élitiste, les systèmes éducatifs
sont devenus dysfonctionnels, il y a une génération, quand
l'explosion des connaissances et la démocratisation croissante de
la société moderne ont exigé que naisse une école
qui soit à la fois ouverte au changement et pluraliste.
D'une part, le nombre et la diversité des expériences à
enseigner se sont alors multipliés, suggérant un curriculum
lourd, intensif, voire disparate. D'autre part, le pluralisme désormais
consenti des sociétés modernes rendait plus difficile de créer
un consensus ou d'imposer un modèle pédagogique unique au
niveau de la culture et des valeurs. Il y avait tellement plus à
enseigner - alors qu'il devenait tellement plus difficile d'éduquer
au sens large et politiquement si dangereux de choisir le modèle
pour le faire - que les systèmes d'éducation ont cédé
à la tentation de renoncer à leur triple mission et d'aller
vers le plus facile.
Parce qu'il devenait plus difficile d'éduquer au sens large - en
intégrant à la transmission du savoir le développement
des valeurs, une culture et un sentiment d'appartenance - l'école
nouvelle, créée vers 1960, a renoncé à le faire
pour se cantonner dans un rôle de pourvoyeuse de connaissances. Cette
solution de facilité a été une grave erreur d'aiguillage.
Une erreur, parce que c'est dans une société complexe qu'on
a le plus besoin d'une axiologie pour éclairer ce qui devient alors
le choix plutôt que l'acceptation sans discussion des valeurs. Une
erreur, parce que c'est au sein d'une société pluraliste,
qu'il est impérieux de mettre en relief une culture identitaire et
de valoriser l'appartenance à des sous-groupes à échelle
humaine. comme de promouvoir la solidarité avec la collectivité.
Une erreur, parce que le développement des médias allait bientôt
enlever à l'école le monopole de cette transmission du savoir
dont elle aurait voulu faire sa vocation exclusive.
Les systèmes d'éducation ont choisi d'enseigner plus et d'éduquer
moins. Avec le temps, l'accent mis sur le contenu cognitif a remis le contrôle
de l'école à des "éducationnalistes" et des
administrateurs dont la préoccupation est devenue de veiller à
ce qu'une masse énorme de connaissances soit déversée
sur l'éduqué. Cette vision quantitative de l'éducation
a conduit à un encadrement rigide de la fonction de l'enseignant,
dont la relation avec l'élève est devenu le rapport de l'entonnoir
à l'oie gavée, de sorte qu'aujourd'hui, à vouloir à
toute force enseigner de plus en plus, on en arrive à ne plus éduquer
du tout.
Le travail de l'enseignant se limite maintenant, trop souvent, à
dispenser des connaissances hétéroclites dont l'utilité
est douteuse et dont l'ensemble ne forme pas un tout cohérent. Il
en résulte une désaffection croissante envers un système
d'éducation qui assigne ainsi des ressources rares à des tâches
futiles alors que nos véritables besoins d'éducation -au sens
large - demeurent largement insatisfaits.
On prend de plus en plus conscience de cette erreur d'aiguillage que nous
avons commise en réduisant l'éducateur au rôle de diffuseur
de connaissances et le désir se manifeste de voir l'éducation
non seulement préparer à l'emploi mais ré-assumer la
responsabilité du développement des valeurs de l'individu
et de son insertion sociale.
Qu'attendons nous, d'une éducation nouvelle? Que tout en permettant
l'accès à l'univers en expansion des connaissances, elle renoue
avec la transmission de valeurs de consensus et d'une culture identitaire.
Qu'elle redevienne, donc, ce que l'éducation a toujours eu pour mission
d'être, un outil de stabilité, mais sans oublier qu'il ne peut
désormais s'agir que d'une stabilité en mouvement. Le modèle
n'est plus la permanence des Pyramides, mais le dynamisme de la bicyclette
Pour y parvenir, il faut cesser de rafistoler des systèmes d'éducation
qui déchirent de partout; il faut reprendre l'examen des systèmes
au seul vu de nos besoins. Il faut bâtir le corpus de ce qui DOIT
et de ce qui PEUT être enseigné, déterminer le "comment"(pédagogie,
didactique, docimologie) optimal de cet enseignement et, enfin, proposer
la structure qui encadrera le système ainsi que les modalités
d'utilisation des ressources humaines, financières et techniques
dont nous pouvons disposer pour éduquer.
La logique de l'analyse procède ici nécessairement des objectifs
vers les moyens et du fonctionnel vers l'organique; c'est la démarche
que nous allons suivre en répondant aux trois questions suivantes.
- Que devons-nous enseigner ?
- Comment devons l'enseigner ?
- Quelle structure doit-on mettre en place pour encadrer l'éducation?
Dieu qu'on en sait des choses! Globalement, s'entend; individuellement,
on est de plus en plus ignorant. Pic de la Mirandole, au moyen âge,
pouvait défier publiquement n'importe qui de discuter avec lui de
n'importe quoi. Pascal, parlant d'un "honnête homme", parlait
d'un homme raisonnablement au courant de TOUT. Au XIXe siècle, on
disait d'un professeur de Balliol, fameux collège anglais, qu'il
savait tout ce qui était "savoir"..., mais ajoutant que
ce qu'il ignorait. n'était pas du "savoir"... On devenait
plus prudent.
Il était temps qu'on apprenne l'humilité, parce que la somme
des connaissances commençait à augmenter sérieusement.
Aujourd'hui, on estime que la masse de nos connaissances double à
peu près tous les douze ans... L'homme universel est donc parti rejoindre
le Neandertal et, paradoxalement, chacun de nous devient chaque jour plus
ignorant puisque l'ensemble de ce qu'il ignore croît bien plus vite
que ce qu'il lui est possible apprendre. On ne peut plus tout savoir. Ceci
est une évidence. Il n'y a que certains administrateurs scolaires
qui ne le comprennent pas.
Mais certains ne le comprennent vraiment pas. De sorte que les programmes
scolaires deviennent de plus en plus lourds, qu'on essaye de rogner sur
les congés et les vacances, que les enfants sont dopés au
Ritalin dès le primaire en attendant de choisir leur propre drogue
béquille au secondaire, que la dépression nerveuse chez les
jeunes est devenue monnaie courante et que des écoliers japonais
se suicident parce qu'ils ratent un examen. "Grouille-toi, petit, avec
ton seau, la marée monte..." . Il n'y a pas assez de synonymes
au mot "bêtise" pour parler de l'éducation actuelle
avec élégance.
Un anthropologue rigolo parlait d'une tribu qui ne comptait que jusqu'à
trois, après quoi c'était "beaucoup", puisque, de
toute façon, il y en avait trop. Notre société a appris
à ne pas tenter de compter jusqu'à l'infini, mais à
bâtir des algorithmes et à définir les ensembles trop
vastes "en compréhension" plutôt qu'en extension.
Est-ce qu'il n'est pas temps d'admettre que l'univers des connaissances
doit aussi être abordé en compréhension?
Voyons le problème en face.. Toutes ces connaissances acquises depuis
des millénaires constituent le plus précieux patrimoine de
l'humanité et c'est bien ça, en effet, l'objet ultime de l'enseignement:
tout ce qui est connu doit être préservé, transmis et
doit donc pouvoir être appris et au besoin enseigné. Mais l'étudiant
moderne n'a pas le cerveau plus grand que celui des autres Cro-Magnon qui
l'ont précédé et, quoi qu'on fasse, il n'en apprendra
finalement pas plus que les chasseurs de bisons ou l'homme de la Renaissance.
S'il y a aujourd'hui plus à apprendre, il faudra simplement qu'il
fasse des choix. Ou, au départ, qu'on fasse des choix pour lui, ce
qui est bien dans la mission d'un système d'éducation.
Il va falloir faire des choix. L'enseignement doit devenir sélectif.
Avis aux administrateurs scolaires: nous vivons en société.
Nous vivons, depuis quelques millénaires, sous le régime de
la division du travail et c'est la division du travail qui a permis le développement
de la civilisation. La "division de la connaissance" est inséparable
de la division du travail et "tout connaître" est une obligation
collective qu'il faut se partager. Toutes les connaissances ne sont pas
également indispensables, ni également utiles à tous;
c'est le PREMIER grand défi d'un système d'éducation
que de savoir bien faire ce choix et ce partage.
Vous croyez que nous le faisons déjà? Erreur. Les programmes
existants sont présumés adéquats. S'ils sont modifiés,
c'est la plupart du temps pour y AJOUTER quelque chose, à la demande
insistante des employeurs ou d'un groupe de pression. ENLEVER d'un programme
est anathème, puisqu'on ne peut pas concevoir qu'il faille enseigner
moins dans un monde où l'on connaît plus, ni admettre que soit
devenue moins indispensable une connaissance que des enseignants ont sué
pour acquérir et que l'État a payé pour leur inculquer.
Alors, on ajoute.... Mais quand la prolifération des ajouts est telle
que l'essentiel se perd et qu'il faut bien enlever quelque chose des programmes,
on le fait brutalement, par pans entiers. Les connaissances condamnées
sont reléguées aux oubliettes, comme si on était honteux
de la décision prise. Et on a raison d'en être honteux, car
la connaissance ainsi sacrifiée est rarement devenue moins utile;
il est seulement devenu opportun qu'elle ne soit transmise qu'à une
partie des d'éduqués... pendant que les autres apprendraient
autre chose.
C'est ça qu'on refuse d'admettre: l'idée qu'une diversité
croissante de l'enseignement est le complément indispensable de la
multiplicité croissante des connaissances et de nos besoins d'expertise.
Comme cette autre idée, d'ailleurs, qu'il est souhaitable que les
éduqués se répartissent dans toutes les directions
et aillent vers tous les horizons de la "culture", au sens le
plus large, si on veut vraiment jouir de toute la richesse potentielle de
l'explosion des connaissances.
Pourquoi ajouter puis supprimer, comme s'il n'y avait qu'une seule tête
à remplir? Pourquoi vouloir parquer le troupeau à brouter
dans un seul pâturage, comme si seule cette herbe avait valeur nutritive?
Pourquoi faire gravir à tous le calvaire du calcul intégral,
par exemple, quand on se désintéresse presque totalement de
l'art pictural et qu'on n'enseigne même pas à poser un garrot?
Pourquoi ne pas choisir la solution de la diversité ? Pourquoi ne
pas enseigner ceci à ceux-ci, et cela à ceux-là, occuper
tout le champ en expansion des connaissances en se répartissant la
tâche de connaître?
Parce que le système préfère l'homogénéité
et que ceux qui le gèrent aiment penser qu'ils savent ce qu'il faut
enseigner. La vérité, c'est qu'au-delà d'un tronc commun
dont nous reparlerons, personne ne sait vraiment ce qu'il faut enseigner.
Renoncer à enseigner tout à tout le monde est une grande souffrance
pour un administrateur scolaire. Il va falloir, hélas, que ceux-ci
en acceptent une bien plus grande, car, pour relever efficacement le défi
du partage de notre responsabilité collective de tout connaître,
le système doit d'abord avoir l'humilité d'admettre les limites
de son autorité sur ce qui DOIT être enseigné ... et
ne plus se mêler de ce qui ne le regarde pas.
Il y a des choses que tout le monde doit connaître. Du moins, tous
ceux dont les aptitudes mentales sont suffisantes pour qu'on les juge aptes
à traverser la vie sans être remis à la garde d'un curateur.
Ces choses qu'il faut connaître, pour pouvoir agir comme un adulte
libre et autonome et vivre en société, constituent le tronc
commun naturel de l'éducation. Il faut identifier ce tronc commun
et en enseigner les éléments à tout le monde. Il y
a aussi des connaissances qui, sans être indispensable à l'humain,
le sont au citoyen pour que celui-ci soit partie prenante de SA société;
enseignons les aussi à tout le monde. Il y a, enfin, les connaissances
professionnelles dont chacun doit connaître sa part pour apporter
une contribution utile à la production des biens et services que
nous partageons. Le système doit les enseigner aussi, mais à
chacun selon l'usage qu'il pourra en faire, en s'assurant que tous nos besoins
seront comblés et en ne favorisant que les chevauchements nécessaires
à l'assemblage de ces compétences en un tout cohérent.
L'État a la responsabilité que soit enseignée, parfois
à tous, parfois à ceux seulement qui en nombre suffisant devront
l'offrir aux autres, toute compétence qui est ainsi essentielle à
l'individu et au bien commun. Ce qui est ainsi essentiel doit constituer
la composante OBLIGATOIRE de l'éducation. Le reste doit en être
la composante DISCRÉTIONNAIRE, dont l'apprentissage ne doit pas être
imposé mais seulement rendu accessible à ceux qui en font
le libre choix.
Dans notre société - essentiellement hédoniste et libertaire
- il est souhaitable de fixer sans compromis, mais de façon restrictive,
les exigences du bien commun et donc ce qui en éducation est obligatoire
et du ressort de l'État. L'État, représentant la collectivité,
doit avoir son agenda en éducation, mais chaque individu doit pouvoir
aussi avoir le sien qui reflète sa personnalité et ses ambitions.
Ces agendas personnels ne sont pas incompatibles avec celui de la société,
mais ils n'y sont pas identiques non plus et, tout en veillant à
ce que le bien commun ait la place qui s'impose, l'État doit les
respecter. Le contenu de son éducation, c'est aussi l'affaire de
l'éduqué. Comment déterminer dans le contenu des programmes
d'éducation ce qui doit être obligatoire?
On revient aux trois dimensions de l'éducation: les valeurs, la culture,
l'expertise. Chacune de ces dimensions a ses impératifs, essentiels
à la permanence et au développement de la société,
lesquels constituent l'agenda de l'État et doivent faire l'objet
d'un enseignement obligatoire. Dans chacune de ces dimensions, toutefois,
au-delà de ce minimum essentiel, on doit laisser la place à
ce que veut l'individu. Voyons ce qui devrait constituer la composante obligatoire
de l'enseignement dans chacune de ces dimensions, mais précisons
d'abord qu'aucune connaissance n'est exclusivement "axiologique",
"culturelle" ou "professionnelle"; elle est l'un ou
l'autre selon l'usage qu'on en fait.
Ainsi, pour les fins du système d'éducation, un enseignement
vise à transmettre des valeurs si son but est une transformation
du comportement de l'individu et de ses critères de choix. Il est
professionnel s'il vise à préparer l'individu à son
rôle de producteur de biens et services pour lesquels il existe une
demande. Nous dirons qu'il est "culturel" s'il a une autre finalité,
que ce soit le renforcement du sentiment d'appartenance de l'éduqué
à la société, son initiation à des connaissances
usuelles liées à sa fonction de consommateur ou son simple
plaisir de savoir.
À la limite, tout module d'enseignement peut-être "professionnel"
- puisqu'il prépare au moins à la tâche d'enseigner
ce même module à d'autres - et "culturel", puisqu'on
ne peut présumer qu'une connaissance soit si rebutante que personne
ne puisse choisir de l'acquérir pour son plaisir. Ainsi, quand Churchill
s'initiait au travail du maçon, pour construire dans ses temps libres
le mur de son jardin, cet apprentissage était pour lui "culturel",
tout comme pouvait l'être pour le maçon la lecture des mémoires
de Churchill.
La distinction entre le culturel et le professionnel prend tout son sens
pratique lorsqu'il s'agit de financer l'éducation ou d'appliquer
les règles du partage du travail et de la garantie universelle d'un
revenu. Elle n'en devient cependant pas pour autant spécieuse au
sein du système d'éducation lui-même, car elle permet
de départager pour chaque individu, au vu de ses intentions et objectifs,
ce qui pour lui doit être obligatoire ou discrétionnaire parmi
les programmes d'enseignement.
Sur le plan des valeurs, l'individu n'est pas exigeant... pour lui-même.
Il y a rarement une demande individuelle pour l'apprentissage des valeurs
- sauf dans les contes moraux - parce que l'éduqué s'identifie
à ses valeurs telles qu'elles sont et en est donc satisfait ou, s'il
ne l'est pas, procède sur le champ à en changer à partir
de ses propres critères qui sont, bien sûr, l'expression de
ces mêmes valeurs. C'est la société qui veut enseigner
à l'individu les valeurs qui sont essentielles à la vie en
société.
Ce que l'individu ne veut pas pour lui, toutefois, il l'exige âprement
pour ses enfants. Il veut que l'État l'aide à faire de ses
enfants des copies conformes de ce qu'il est, ou mieux, de ce qu'il aurait
voulu être. C'est tout le problème de l'éducation religieuse,
de l'éducation linguistique... Si l'État ne veut pas collaborer
au dressage, l'individu exige, au moins, que l'État lui laisse les
coudées franches pour endoctriner ses enfants comme il l'entend.
Sur ce point la société et l'individu s'affrontent; nous verrons
plus loin une approche qui pourrait - peut-être - résoudre
au mieux ce dilemme. Pour le moment, restons en au contenu obligatoire.
Quelle devrait être la composante obligatoire d'une éducation
aux valeurs, au sens strict du contenu d'un ensemble de modules d'enseignement
(programme) dont la matière doit être COMPLÈTEMENT assimilée
et dont l'objectif - vérifié par des tests (examens) - doit
être atteint par tout éduqué dont la capacité
mentale le permet? La LOI. C'est la loi qui doit constituer le volet obligatoire
universel de l'enseignement aux valeurs, parce que c'est la loi, sur le
plan des valeurs, qui est l'expression du consensus social.
Nous sommes bien d'accord que a loi, telle qu'elle est édictée,
n'est que la projection d'une "éthique collective" implicite
qui ratisse plus large que la loi; mais, tant qu'elle n'est pas devenue
loi, cette éthique demeure ouverte à discussion. Et nous savons
parfaitement que ce qui demeure ainsi dans le vestibule de l'éthique
et ne devient pas "loi", y demeure justement pour permettre une
distanciation entre les préceptes de diverses religions auxquelles
adhérent les citoyens (ou même les principes moraux qu'on prétend
universellement acceptés) et la réalité quotidienne
d'une société encore plus proche de la barbarie que de la
sagesse. Au vu du spectacle que la société offre tous les
jours, demander au système d'enseigner la charité comme l'arithmétique
ne peut que créer chez l'enfant des dissonances cognitives.
Est-ce à dire que l'enfant ne sera pas exposé à un
enseignement moral? Ciel, non ! Mais l'enfant apprendra la réalité
de cette morale chez lui, dans la rue, de ses parents, de ses amis et de
ses enseignants dans le cours normal de ses relations quotidiennes avec
eux. Comme maintenant. Mieux que maintenant, puisqu'on n'aura pas l'impudence
de lui faire passer un examen sur les vertus théologales. L'éthique
doit être omniprésente à l'éducation de l'individu,
comme une méta-formation, mais ce résultat ne peut être
atteint dans un syllabus, seulement en mode ouvert, avec l'appui des éducateurs
et au premier chef, des parents, lesquels devront être formés
à fournir cet appui.
L'enfant doit apprendre in vivo la réalité de la morale, pas
sa définition. Au curriculum scolaire, les seuls modules obligatoires
traitant des valeurs seront ceux enseignant et explicitant la loi qui régit
la société, parce que rien, sur le plan des valeurs, n'est
INDISPENSABLE à la vie en société qui ne soit inscrit
dans la loi. Si une telle exigence indispensable existait qui n'était
pas inscrite à la loi, il faudrait qu'elle y soit introduite, puisque
parler de "vide juridique" est un abus de langage; la loi, présumée
claire et sans faille, se referme autour de ces "vides" pour que
tout ce qui n'est pas interdit soit permis... et nul n'est censé
ignorer la loi. Puisque nul n'est censé ignorer la loi, au moins,
enseignons la à tout le monde. Pas la procédure, pas les détails
de la loi, mais au moins ses principes et ses applications courantes. Il
semble incroyable qu'on ne le fasse pas.
En complément de ce cours OBLIGATOIRE qui enseigne la loi, il devrait
naturellement y avoir des modules discrétionnaires portant sur cette
éthique collective dont nous avons parlé, sur la morale naturelle
- en précisant ce que veut dire "naturelle"! - sur les
morales religieuses, les religions, l'histoire des religions, les philosophies,
les théologies, etc. Les éduqués (ou leurs parents)
pourront choisir...
Si on veut que l'éduqué ne limite pas ses valeurs au respect
de la loi, mais apprenne aussi les catégorie formelles de la notion
de justice ou les commentaires dont elle a été l'objet, on
l'inscrira au module discrétionnaire correspondant, mais sans exiger
des autres qu'ils s'y inscrivent aussi. Parce que l'opinion de Saint-Paul
sur la charité peut m'intéresser, moi, mais je ne prétends
pas qu'il soit indispensable de la connaître pour être un bon
citoyen.
Sur plan de la culture, une société a pour objectif essentiel
de promouvoir, chez tous ses citoyens, une connaissance raisonnable du patrimoine
commun favorisant l'éclosion et le maintien d'un sentiment d'identité,
de fierté et d'appartenance. C'est une exigence encore aujourd'hui
essentielle, car l'humanité ne veut pas être homogène.
La société a aussi intérêt à ce que ses
membres possèdent les connaissances usuelles qui permettent l'utilisation
rationnelle des biens et services produits par la société
ainsi que des avantages que procure l'État aux individus. De même,
il semble essentiel que chaque citoyen possède une compétence
de base lui permettant d'aider au besoin les autres "sociétaires".
Ces connaissances et cette compétence aussi doivent faire partie
du volet culturel obligatoire de l'éducation.
Pour l'État, l'essentiel de la culture est ce qui rassemble; pour
le citoyen, elle est non seulement ce qui l'identifie comme membre d'une
collectivité mais aussi ce qui le distingue des autres; sa culture
est pour lui un outil de développement personnel, voire un atout
dans l'émulation qui l'oppose à ses voisins. L'égalité
sans égard à l'âge, au sexe, à l'origine ethnique
ou à la religion étant acquise dans un État démocratique
occidental moderne, il ne lui reste guère, hormis la richesse, que
la culture comme discriminant. Son éducation à la culture
est donc pour lui une séquence de choix, préférablement
plaisants, mais qui tendent aussi à faire de lui un être unique...
et supérieur. Les choix culturels des individus sont liés
aux classes sociales et tendent donc à stratifier une société
qui se voudrait égalitaire. Un système d'éducation
doit concilier ces objectifs culturels dissemblables de l'individu et de
la société.
Que faut-il inclure au volet culturel obligatoire? Les civilisations humaines
ont appris à connaître des faits, mais elles ont aussi échafaudé
une grandiose construction de spéculations, d'opinions, de commentaires
qui, parfois, cherchent à expliquer le pourquoi des choses mais qui
peuvent aussi n'avoir qu'une valeur ludique ou esthétique. Qu'est-ce
qui est prioritaire?
La vérité, c'est qu'il n'y a pas vraiment de consensus sur
les priorités d'apprentissage au-delà de savoir lire, écrire,
et compter, un pré-requis qui s'applique aussi bien à l'éducation
professionnelle qu'à la culture. Au-delà de ce pré-requis,
le curriculum général actuel est affaire d'opinions et de
tradition, privilégiant arbitrairement - parfois en rotation - une
théorie éducative puis une autre, un thème ou un autre,
la seule constante étant de chercher à utiliser les enseignants
qu'on a sous la main pour enseigner ce qu'on leur a enseigné.
Sachant que l'objectif premier de la société, sur le plan
de la culture, est de souder la collectivité en un tout, nous n'avons
pas à entrer dans les détails de ce qui devrait être
obligatoire au curriculum pour satisfaire à cet objectif. Disons,
intuitivement, qu'en plus de savoir lire, écrire et compter, l'éduqué
devrait acquérir des notions simples d'Histoire générale
et de géographie pour se situer dans le temps et l'espace, sans oublier
que l'Histoire générale recouvre celle des arts, de la littérature
et de la science, sans oublier, surtout, qu'une culture n'existe pas sans
ses racines et qu'on ne parle pas de Michel Tremblay ou de Pablo Neruda
sans allusions à Molière ou à Tirso de Molina.
Que devrait couvrir le volet culturel obligatoire? Que chaque entité
nationale fasse loyalement l'effort d'en arriver à un consensus sur
cette question, tout en respectant le principe de base que ce qui est obligatoire
doit se limiter à ce qui est essentiel et accessible à tout
individu normal. Soyons modestes. Ne cherchons pas à avoir plus,
sinon en exigeant beaucoup moins. Le volet obligatoire de l'éducation
dite "culturelle" ne devrait pas occuper plus de 20% du temps
que l'éduqué consacre à sa culture. Combien de citoyens
d'un État contemporain peuvent citer le titre d'une seule pièce
d'Aristophane? Combien peuvent dire avec assurance en quel siècle
vivait Virgile et en quelle langue écrivait Ptolémée?
Le volet obligatoire culturel n'aurait pas à s'étendre bien
loin pour élargir nos horizons.
Quant aux modules discrétionnaires, que l'État se mêle
de ses affaires et laisse l'individu faire ses choix. Ces modules doivent,
en principe, recouvrir l'ensemble de nos connaissances et être accessibles
à tous ceux qui s'intéressent à un aspect ou un autre
du savoir. Il faut, compte tenu de nos ressources, faire en sorte que le
plus grand nombre possible de connaissance fassent l'objet d'un module et
puissent être enseignées ou au moins apprises.
Concrètement, ce sont les modules qui sont indispensables à
nos activités économiques qui seront remaniés les premiers,
selon les normes d'un système d'éducation devenant essentiellement
autodidactique; chacun de ces modules "professionnels", ne l'oublions
pas, représentera cependant aussi une pièce de la "maquette
modulaire" qui doit viser à recouvrir l'ensemble des connaissances
humaines et à laquelle l'individu pourra aussi avoir accès
pour des objectifs de pure culture.
L'éducation professionnelle au sens large - incluant donc l'éducation
universitaire qui mène à l'exercice d'une carrière
libérale - est celle dont l'objectif est de transmettre l'expertise
nécessaire à la production des biens et services. Contrairement
à l'éducation culturelle, dont les limites sont floues et
l'importance de chaque module une affaire d'opinion, l'éducation
professionnelle recouvre un espace bien identifiable et la demande pour
chaque module en est quantifiable.
L'agenda de l'État - représentant la collectivité -
peut aussi diverger de celui des individus quand il s'agit d'éducation
professionnelle, mais il s'agit alors, la plupart du temps, d'un simple
malentendu. L'individu, en effet, veut optimiser le revenu de son travail
et donc acquérir l'éducation qui lui apportera l'expertise
la plus en demande et la plus rémunératrice. Or, c'est aussi
ce que veut pour lui la société, à cette distinction
près que la société peut avoir une vision plus claire
de la demande effective de travail et bien plus objective du potentiel réel
de l'individu. Concilier les objectifs professionnels de l'État et
de l'individu équivaut donc souvent, pour la société
à informer mieux ses membres et, pour les individus, à apprendre
à faire confiance au système. Nous allons expliquer ici comment
doivent être déterminés les contenus d'éducation
professionnelle; nous verrons plus loin comment ils seront transmis et comment
l'éduqué évoluera à l'intérieur du système.
Notre système de production de biens et services est composé
de postes de travail, - certains salariés, d'autres autonomes - dont
chacun a ses objectifs explicites atteints par l'accomplissement de "tâches".
(On peut regrouper ces tâches en "fonctions" et/ou les scinder
en "opérations", mais ceci est ici sans intérêt).
Le travailleur ne peut occuper efficacement un poste de travail que s'il
a la compétence d'en accomplir toutes les tâches.
Il a cette compétence s'il possède au départ les aptitudes
nécessaires et que ses aptitudes sont rendues effectives par les
connaissances requises pour accomplir ces tâches selon les règles
de l'art. Le but de l'éducation professionnelle, c'est de transmettre
ces connaissances nécessaires. Le défi, ici, n'est pas de
déterminer les connaissances requises pour accomplir les diverses
tâches; la technique éprouvée pour le faire existe déjà.
Les quatre (4) défis que doit relever un système d'éducation
professionnelle rationnel et efficace sont les suivants:
a) regrouper les connaissances à transmettre en "modules"
qui correspondent à la réalité de la production des
biens et services, de sorte que l'apprentissage d'un minimum de connaissances
non pertinentes soit imposé à celui dont l'objectif est la
qualification pour un poste de travail;
b) choisir judicieusement les candidats qui seront admis à la formation,
d'une façon qui soit juste pour les éduqués et efficace
pour le système;
c) mettre en place les moyens didactiques pour transmettre la connaissance
au mieux et au meilleur coût;
d) vérifier par des tests objectifs que l'apprentissage a été
réussi.
Nous ne traitons ici que du premier de ces défis; nous parlerons
des autres un peu plus loin.
Vues sous l'angle de leur apprentissage, les connaissances sont hiérarchisées:
il est parfois indispensable d'en posséder une pour en apprendre
ou comprendre une autre et infiniment plus efficace de posséder l'outil
qui en optimise l'accès avant de s'attaquer à l'apprentissage
d'un élément donné. Il est ainsi indispensable de connaître
les nombres entiers pour comprendre les fractions et, plus généralement,
de maîtriser raisonnablement l'arithmétique avant d'aborder
la comptabilité. Quant aux connaissances adjuvantes, le meilleur
exemple en est la lecture. On peut certainement goûter la poésie
en l'écoutant - c'est ce qui a été longtemps la seule
manière usuelle de le faire - et, théoriquement, on peut apprendre
n'importe quoi de mémoire sans savoir lire. Mais personne ne conteste
que, pour apprendre, il soit préférable de savoir lire.
Cette hiérarchie des apprentissages conduit à voir les connaissances
sous la forme d'un arbre, dont le tronc doit être appris au départ
- et appris par tous, puisqu'il mène à tout le reste - dont
les branches maîtresses correspondent aux grandes disciplines du savoir,
les branches secondaires à des champs plus précis et, ainsi
de suite, jusqu'aux feuilles qui mûrissent puis s'étiolent,
tout comme les spécialités pointues qui deviennent désuètes
sur le marché du travail au rythme de l'arrivée de nouvelles
technologies. Cette comparaison est classique.
Le problème, c'est qu'on ne tire pas de cette comparaison classique
les leçons qui permettraient de structurer correctement le système
d'éducation. Il faut le faire, procédant selon les étapes
suivantes:
a) réaliser l'analyse par tâches de tous les postes de travail
du système de production de biens et services, commençant
par les grandes puis les petites entreprises mais sans exclure, en fin de
course, l'analyse au moins par échantillonnage du travail-type des
autonomes. Il en résulte un ensemble de tâches dont les postes
de travail ne sont que des agencements divers;
b) analyser chaque tâche pour en identifier et extraire les connaissances
communes à d'autres tâches. Le résidu devient alors,
pour chaque tâche, le module de connaissances spécifiques dont
l'apprentissage n'est nécessaire qu'à celui qui accomplit
cette tâche précise. On vient d'identifier les "feuilles".
c) l'ensemble des connaissances communes qui ont été extraites
des premières analyses, complété de celles qu'on aurait
pu dans un premier temps juger implicites, peuvent à leur tour faire
l'objet d'une analyse, à partir de laquelle on peut regrouper les
connaissances communes à certains postes qui ne se distinguent que
par leurs connaissances spécifiques déjà identifiées
et seulement à ceux-là. On obtient de la sorte les plus petites
"branches".
d) appliquant le même processus aux connaissances qui n'ont pas été
identifiées comme spécifiques à ce niveau, puis itérativement
à celles qui ne le sont pas à chaque niveau suivant de généralité,
on peut remonter par des branches de n niveaux de spécificité
décroissante jusqu'au tronc commun "professionnel", lequel
se limite à savoir lire, écrire et compter et se confond alors
avec celui des exigences de base de l'aspect culturel de l'enseignement.
Les avantages de cette approche analytique sont multiples:
a) toute connaissance nécessaire au fonctionnement du système
de production est identifiée;
b) la maquette des modules recouvre exactement et sans chevauchements ni
redondance l'ensemble des connaissances professionnelles requises;
c) la séquence des pré-requis est établie sans a priori
culturel;
d) les connaissances professionnelles d'un individu peuvent être exprimées
sans ambiguïté - et dans un langage commun à l'éducation
et au marché du travail - par la liste des modules pour lesquels
il a obtenu une attestation du système d'éducation;
e) ce langage commun permet de traduire les besoins de main-d'uvre en besoins
d'éducation et les prévisions de besoins de main-d'uvre en
prévisions d'activités de formation pour n horizons, permettant
la mise en place avec un minimum de pré-avis ( "just-in-time")
des ressources éducatives pour répondre à ces besoins;
f) le supplément d'éducation requis par quiconque veut passer
du poste A au poste B sur le marché du travail, de même que
le cheminement pour ce faire, sont déterminés précisément
par les modules qui lui font défaut, permettant un gain énorme
de rentabilité de la formation;
g) il n'existe, par construction, aucun module qui n'aboutisse ainsi directement
ou indirectement à la qualification pour un ou plusieurs postes de
travail, puisqu'un ensemble de connaissances ne peut constituer un module
distinct que dans la mesure où le même ensemble, auquel on
ajoute un élément "a", correspond au résultat
de l'analyse d'une tâche elle-même composante d'un poste de
travail réel.
Quand les contenus de l'éducation professionnelle sont déterminés
de cette façon, on peut préciser la distinction qui rend "professionnel"
ou "culturel" l'apprentissage d'un module. Si l'éduqué
obtient l'attestation pour un module "a" après avoir obtenu
l'attestation pour tous les modules considérés comme des pré-requis
essentiels à l'apprentissage de ce module "a", cette dernière
attestation le qualifie pour TOUTES les tâches qui correspondent au
module "a" et on peut présumer qu'il poursuit un cheminement
professionnel. Si, au contraire, il n'a pas obtenu d'attestation pour tous
ces pré-requis, la possibilité demeure que des connaissances
puissent lui faire défaut au palier des modules pré-requis
qui ne sont pas apparues au contrôle de l'acquisition du contenu cognitif
du module "a". Il ne peut donc prétendre avoir accès
aux postes de travail correspondant à l'acquisition du module "a"
et sa démarche doit alors être considérée comme
"culturelle".
Pourquoi une approche systématique à la définition
des contenus professionnels des postes de travail n'est-elle pas encore
appliquée? Pour deux raison principales (sans compter l'apathie et
l'inertie). La première, c'est que le marché du travail n'apparaît
comme un arbre de connaissances qu'aux spécialistes de l'éducation.
Aux profanes, il semble un arbre différent résultant des apparentements
entre fonctions connexes d'une même industrie. L'employeur préfère
former le travailleur pour le poste qui vient s'imbriquer dans celui que
le travailleur exerce déjà, avec souvent l'arrière-pensée
de fondre les deux postes en un seul. Curieusement, pour des motifs différents,
la pression syndicale va aussi dans le même sens: il s'agit alors
de favoriser le perfectionnement du subalterne pour occuper le poste de
son supérieur.
La deuxième raison - encore plus difficile à contourner! -
c'est que le monde académique repose tout entier sur des préjugés,
généralement sans fondements, concernant ce qui est "essentiel",
ce qui "développe l'esprit" (à défaut de
répondre à quelqu'autre objectif raisonnable), et ce qui constitue
un pré-requis à un autre enseignement. Une analyse rationnelle
qui établirait, par exemple, que le calcul différentiel ne
sert pas à une personne sur mille et n'intéresse guère
plus de gens est tabou. Encore plus tabou, la vérification empirique
que l'insistance sur les nomenclatures est un OBSTACLE à la maîtrise
correcte des lois de la syntaxe par simple apprentissage mimétique!
Ce refus d'ajuster l'éducation/formation professionnelle à
la réalité des besoins de formation est une tragédie.
Aucune décision de l'État n'a été si coûteuse
au cours des dernières décennies - ni si dévalorisante
pour une main-d'uvre qu'on a ainsi fait courir sur un tapis roulant - que
celle d'introduire des exigences fantaisistes, sans cesse à la hausse,
comme conditions préalables à l'exercice de professions pour
lesquelles ces connaissances ne sont d'aucune utilité. On forme pour
former et pour faire former. Il faut rétablir la situation, et ajuster
les connaissances qu'on exige pour un travail aux vrais besoins que révèle
l'analyse des tâches constituantes du poste et de leurs pré-requis
réels.
Pour conclure, que DOIT enseigner un système d'éducation?
À tous: la loi et un tronc commun minimal marquant le seuil en déca
duquel l'individu ne peut pas être autonome dans notre société
et à partir duquel. l'ayant acquis, il pourra au contraire poursuivre
selon ses choix son développement culturel et professionnel. À
chacun: tous les modules dont la connaissance est indispensable à
l'exercice de la profession de son choix.
Quant à la connaissance qui n'est utile ou agréable qu'à
quelques-uns, l'individu doit avoir la discrétion de l'acquérir
ou de ne pas l'acquérir; la mission de la société est
uniquement de favoriser l'apprentissage de tout ce qui peut être appris
et, à la mesure de ses moyens, de rendre ce vaste corpus accessible
à tous.
Il n'y a pas qu'une façon d'enseigner, même si c'est souvent
l'image que semble vouloir nous offrir le système d'éducation.
Ceux qui y sont impliqués savent bien que les modalités d'enseignement
varient selon ce que l'on enseigne, selon les objectifs visés, selon
les clientèles auxquelles on s'adresse et que, pour chaque combinaison
de ces facteurs, il existe des centaines d'hypothèses pédagogiques
et autant de formules d'utilisation de divers moyens didactiques plus ou
moins sophistiqués. Nous n'entrerons dans le détail d'aucune
de ces approches, car c'est à un niveau plus global que nous voulons
remettre en question notre manière d'enseigner qui n'est elle-même,
ne l'oublions jamais, qu'une facette du problème bien plus fondamental
qui est de savoir "comment apprendre".
Regardons plutôt le défi de l'enseignement avec des yeux neufs.
Regardons la vraie problématique d'acquérir des connaissances
- laquelle, essentiellement, n'a pas plus changé depuis Socrate que
la nature humaine elle-même - mais acceptons l'opportunité
logistique qu'offrent les circonstances qui prévalent dans notre
société moderne de donner désormais à tous ce
qui, autrefois, ne pouvait l'être qu'à quelques-uns.
Dans ce chapitre, nous allons proposer de privilégier de nouvelles
approches qui conduiront à une transformation radicale de notre système
d'éducation. Certaines de ces approches expriment une vision globale
et trouvent donc leur application, selon des modalités diverses,
à tous les paliers du système. D'autres propositions que nous
introduisons ici ont pour but de répondre aux exigences bien spécifiques
de l'enseignement à certains niveaux seulement; c'est au chapitre
suivant, quand nous traiterons de la structure du système, que nous
préciserons comment elles viennent s'y insérer.
Au départ, faisons le constat que les enfants, comme les adultes,
ont des besoins et des rythmes d'apprentissage différents. Tirons
en la conclusion évidente que l'enseignement magistral, qui consiste
à réunir une classe d'élèves pour qu'un enseignant
leur transmette oralement la même chose, de la même façon
et en même temps, n'est pas une procédure optimale. Elle pourrait
se justifier exceptionnellement, en période de crise, si on manquait
d'enseignants, de livres et d'espace, mais il est inconcevable que cette
approche soit encore aujourd'hui considérée comme la procédure
"normale".
Procuste était ce brigand de l'Antiquité qui "allongeait"
ses victimes à la taille de son lit... ou les amputait de ce qui
en dépassait. C'est exactement ce que fait notre système d'enseignement
magistral, lequel ne transmet que son menu "prix fixe" et prétend
standardiser les élèves d'une classe (au dénominateur
le plus bas, c'est plus facile), espérant ainsi qu'arrivant différents
ils repartiront égaux, les uns "allongés" des connaissances
que quelqu'un aura choisi arbitrairement de leur imposer, les autres diminués
des talents que le système ne leur aura pas reconnus.
Il serait temps de mettre fin à ce manège et que chacun puisse
faire son lit à sa propre mesure. Ce dont nous avons besoin, c'est
d'une éducation qui procure à chaque éduqué
l'attention dont il a besoin et le traite comme un être humain qui
a le droit d'être différent. Pour y arriver, il faut remplacer
la norme que constitue le cours magistral habituel par une norme personnalisée:
un système où un éducateur entretient avec l'éduqué
une relation unique, relation évoluant selon les besoins particuliers
de l'éduqué dans le cadre des circonstances que la vie apporte
à ce dernier. Ceci ne signifie pas que toute relation éducateur-éduqué
doive se limiter aux deux protagonistes, mais que l'éducateur doit
avoir la discrétion et les moyens matériels de rencontrer
ses élèves non seulement dans le cadre contraignant du cours
magistral traditionnel, mais individuellement et par sous-groupes,
Une éducation personnalisée semble exiger des ressources colossales,
mais ce n'est pas vrai. Pour remplacer l'approche magistrale par une approche
personnalisée sans augmenter démesurément le nombre
d'éducateurs requis, il faut simplement rentabiliser en qualité
le travail de ce dernier et augmenter la pertinence de ses interventions
en fonction des besoins des élèves.
Prenons une illustration simple. Un éducateur qui dispose de 40 heures/semaine
pour 16 élèves peut très bien consacrer 8 heures à
des réunions plénières (cours magistraux), 4 fois 4
heures à animer les travaux d'équipes de 4 élèves
constituées en regroupant ceux-ci selon leurs intérêts
ou leur développement, et 16 heures à un tête-à-tête
d'une heure avec chaque éduqué. Chaque élève
est ainsi en présence de son éducateur 13 heures par semaine,
mais c'est durant l'heure de tête-à-tête que se fait
surtout l'éducation. C'est cette heure d'orientation, de compréhension,
d'évaluation qui est la clef, parce qu'elle humanise en la rendant
personnelle la relation entre l'éducateur et l'éduqué.
Dans bien des systèmes d'éducation, il y a déjà
un intervenant pour 16 élèves. Le problème n'est pas
qu'on manque de ressources, mais qu'une bonne part de ces ressources n'enseignent
pas et éduquent encore moins, collaborant au processus d'éducation
de diverses autres façons dont l'utilité est parfois douteuse.
Le rapport, d'ailleurs, serait-il de 24:1 que le principe directeur de l'affectation
des temps n'en serait pas changé. On pourrait alors prévoir,
par exemple, 40 minutes d'entrevues individuelles, 4 fois 4 heures à
animer des groupes de 6 élèves et garder 8 heures de plénière.
Ou établir tout autre partage du temps qui semblerait adéquat,
compte tenu de la spécificité du groupe.
Une nouvelle approche n'exige pas qu'on augmente le nombre des enseignants;
elle exige: a) que l'on redéfinisse la finalité objective
du travail de l'enseignant pour qu'il assume une responsabilité et
une autorité d'éducateur, et b) qu'on favorise une relation
longue plutôt qu'épisodique entre l'élève et
son éducateur.
Une éducation personnalisée et une répartition plus
productive du temps de l'enseignant deviennent possible dès que celui-ci
refuse le rôle auquel on l'a confiné d'un lecteur qui ânonne
et rabâche des énoncés répétitifs - un
rôle de médiateur entre des connaissances à demi révélées
dans des textes hermétiques et l'éduqué - pour assumer
celui d'un GUIDE dans l'univers des connaissances. Quand il vit cette transformation,
l'enseignant peut assumer la responsabilité d'un éducateur
et voit sa fonction de médiateur déplacée: il n'est
plus là pour dire autrement ce que le texte écrit devrait
déjà dire de façon compréhensible, mais pour
situer le contenu cognitif immédiat dans un contexte universel, pour
déduire et induire au-delà du message formel, pour éveiller
l'intérêt, l'imagination, l'initiative de l'apprenant. L'enseignant-guide
devient le médiateur entre l'éduqué et les liens qui
permettent de passer d'une connaissance particulière à la
connaissance générale.
L'essence même d'une éducation personnalisée, c'est
qu'il ne sera écrit nulle part comment l'éducateur doit s'acquitter
de cette nouvelle fonction, même si les enseignants trouveront sans
doute intérêt à en discuter entre eux. C'est l'éducateur
lui-même qui décidera de sa façon d'enseigner, car s'il
était possible de lui imposer une procédure stricte et de
tracer le plan de ce qui doit être fait et dit en chaque cas, l'éducateur
perdrait sa raison d'être et pourrait être remplacé par
une machine, ce qui n'est pas le cas.
Le point le plus important d'une réforme de l'éducation c'est
que désormais L'ÉDUCATEUR AIT LA LIBERTÉ DU CHOIX DES
MOYENS D'ÉDUCATION et que, comme enseignant, il ait la liberté
totale des moyens d'enseignement. La société (l'État)
doit fixer les objectifs du volet obligatoire de l'éducation et le
contenu de chaque module d'enseignement. L'État doit aussi vérifier
que l'éduqué a bien appris ce qu'on prétend qu'il a
appris. Mais la responsabilité du choix des moyens d'enseignement
doit être exclusivement celle de l'enseignant.
Pour que l'enseignant devienne le guide de l'éduqué dans l'univers
des connaissances, toutefois, il faut que celui qui apprend puisse entrer
dans cet univers. Un accès direct de l'apprenant à la source
de l'information est le corollaire incontournable de l'approche personnalisée.
Je ne tiens ni au mot "autodidaxie" ni à cette façon
de l'écrire: on en changera si on veut. Mais gardons en tête
le concept que c'est l'apprentissage qui importe, pas l'enseignement, et
que la façon la plus efficace d'apprendre est d'aller directement
à la source de la connaissance, pourvu que celle-ci soit facilement
accessible et énoncée clairement, en forme "pédagogique",
si on peut dire. Parce qu'on a pris pour acquis une approche magistrale
de l'enseignement, on a rédigé les manuels et tout le matériel
pédagogique au profit de l'enseignant de sorte que la matière
traitée n'est intelligible qu'à celui qui la connaît
déjà. Les livres de classe sont, pour la plupart, des clins
d'oeill aux copains. L'autodidacte n'est pas dans la mire, l'éduqué
n'est même pas le lecteur cible.
Il existe bien des manuels d'auto-enseignement, surtout pour expliquer pas
à pas comment faire les choses, mais l'ensemble de ces manuels d'enseignement
programmé, de qualité fort inégale, ne constitue en
aucune manière un corpus exhaustif cohérent qui permettrait
à qui le désire d'apprendre ce qu'il veut apprendre. Or, c'est
de ça que nous avons besoin. Il y a une certaine ironie à
entendre les experts en éducation se plaindre de l'invasion de l'audiovisuel,
alors que, depuis plus de quatre siècles, les responsables de l'éducation
n'ont pas pris la peine d'utiliser correctement l'écrit comme médium
d'enseignement! Comme si les "éducationnalistes" étaient
toujours une génération technique en retard - même si
cette "génération" dure des siècles! -, et
qu'il fallait que MacLuhan vienne leur dire qu'elles sont toutes deux devenues
désuètes pour qu'ils acceptent de faire enfin le saut de la
tradition orale à la Galaxie Gutenberg.
Reprenons l'exemple d'emploi du temps de la section précédente.
Il semble raisonnable de penser que l'éduqué peut consacrer
30 heures par semaine à son éducation formelle. S'il est en
contact direct avec l'enseignant-éducateur durant 13 heures, il lui
reste 17 heures pendant lesquelles il peut s'auto-enseigner. Il peut le
faire de diverses façons que lui suggérera son éducateur
- et la télévision doit être recrutée pour les
fins de l'éducation, non pas bannie - mais, dès que l'enfant
sait lire, l'autodidaxie devrait revêtir prioritairement l'accès
planifié à des textes écrits. Des textes écrits
pour l'éduqué, pas pour le pédagogue. Il est inconcevable
que l'on utilise l'éducateur pour transmettre des données
auxquelles l'éduqué peut facilement avoir accès lui-même.
Il faut privilégier l'autodidaxie au palier où celle-ci est
efficace (la transmission sans plus des éléments de connaissance),
réservant à l'éducateur les fonctions "nobles"
d'orientation, d'interprétation, de motivation et d'évaluation
formative.
Le choix de privilégier l'autodidaxie partout où elle est
possible rend incontournable une organisation totalement modulaire de toute
la maquette des connaissances. Tout ce qui peut être appris fait alors
l'objet d'un module dont la taille varie, puisqu'elle doit correspondre
au thème du module, le temps moyen d'apprentissage du module étant
cependant indiqué (en "heures") pour pondérer le
travail que ces apprentissages représentent. Cette vision modulaire
est déjà acceptée en principe par le système:
elle n'a simplement pas été suffisament appliquée.
Elle n'a surtout pas été appliquée dans la perspective
logique de modules dont on réduit les chevauchements à ce
qui est indispensable pour les rattacher les uns aux autres et dont les
contenus ne sont pas arbitraires mais définis selon les exigences
réelles du marché du travail (cf. supra 1.6). Maintenant il
faut le faire. Chaque module du système d'éducation doit être
construit en fonction de son usage professionnel potentiel, ce qui assure
sa cohérence. Comme nous l'avons dit, ce module n'en offre pas moins
alors la base adéquate pour un apprentissage de son contenu à
des fins uniquement culturelles.
Le contenu ainsi déterminé de chaque module doit faire l'objet
d'une rédaction intégrale dans un langage intelligible à
quiconque a un développement mental normal et qui a déjà
assimilé les contenus de tous les modules identifiés comme
pré-requis à l'apprentissage du module en question. L'ensemble
de ces modules devrait idéalement former un tout congru à
la somme de nos connaissances, même si on conçoit que la réalisation
de la version initiale de ce corpus est un travail d'envergure qu'il faudra
des années pour compléter et que la mise à jour devra
par la suite en être faite sans relâche, au rythme des progrès
du savoir.
Nous le répétons, parce que c'est un concept essentiel: c'est
l'ensemble des expériences et des stimuli auxquels est soumis l'individu
qui constitue son processus d'apprentissage global, l'éducation formelle
n'en étant qu'un aspect. Dans cette optique, il est important de
tenir compte de l'impact sur l'éducation de l'individu des agents
vicariants omniprésents à diverses étapes du processus
d'apprentissage que sont : a) les parents, b) les médias, c) les
groupes d'appartenance, et d) les employeurs. Quels sont donc les rôles
respectifs qui semblent devoir être dévolus à ces intervenants?
On peut ergoter sur le fait que ce sont les parents qui sont les éducateurs
principaux et que les enseignants ne sont là qu'à titre supplétif,
mais je ne crois pas que cette position de principe corresponde à
la réalité du monde moderne. Quoi qu'il en soit, il est clair
que les parents jouent un rôle crucial et il faut que leur action
soit intégrée au mieux aux objectifs de l'éducation.
Un système d'éducation adéquat doit prendre en compte
l'action formative des parents, ce qui n'est pas facile mais doit au moins
être tenté.
On répète ad nauseam que l'enfant passe plus de temps devant
le téléviseur qu'à l'école. L'adulte aussi,
d'ailleurs, et ce n'est une boutade qu'en apparence. Car à qui la
faute si le produit courant de notre système d'éducation,
même à l'âge adulte, se sent plus d'affinités
avec le livre d'images que lui ouvre la télévision qu'avec
la culture écrite? Comment peut-on espérer qu'un individu
dont le plus clair de l'éducation a consisté à ÉCOUTER
un professeur n'ait pas le réflexe conditionné d'ajouter seulement
l'image au son tout en restant passif, plutôt que d'entreprendre l'interface
active à plusieurs niveaux de réflexion que suppose la lecture
d'un livre?
N'est-ce pas au système d'éducation de se rendre intéressant
et de présenter à l'éduqué "autre chose"
qui puisse susciter chez lui un intérêt comparable à
celui que provoque la télévision et qui soit source d'éducation?
Cet "autre chose" n'est pas un rêve pieux; non seulement
existe-t-il des adultes et même des enfants qui choisissent parfois
de lire, mais il existe de plus en plus d'individus de tout âge qui
préfèrent régulièrement le contact actif de
l'Internet à celui passif de la télévision. Et n'oublions
pas l'importance pour tout individu, et surtout pour l'adolescent, du groupe
de ses pairs (peer group ); il y a des solutions de rechange évidentes
à la télévision.
Indépendamment de ces solutions de rechange, toutefois, pourquoi
négliger les possibilités que la télévision
elle-même peut offrir? Le système d'éducation a le défi
à relever d'investir la programmation télévisuelle
pour y introduire une composante éducative valable, surtout à
l'intention des enfants d'âge préscolaire, avant que l'écrit
ne devienne une option. Après comme avant ce qu'on pourrait appeler
"l'épisode scolaire", d'ailleurs, ne serait-il pas normal
et souhaitable que les médias portent le flambeau de l'éducation,
constituant durant toute la vie de l'individu un élément fondamental
de sa formation continue?
Ne nous limitons pas non plus à la télévision. La radio,
le cinéma, l'Internet doivent aussi véhiculer le message de
l'éducation. Une éducation objective qui ne soit pas une forme
insidieuse de manipulation de l'opinion publique, mais une source d'information
et de diffusion des connaissances à des fins professionnelles comme
culturelles. Il faut rappeler que des efforts très positifs ont déjà
été faits dans cette direction d'un programme de formation/éducation
par les médias. Ces efforts doivent être poursuivis et intégrés
à une éducation réformée.
Je me réfère ici à la formation que dispensent certains
groupes et corps intermédiaires - allant des comités de parents
aux organisations communautaires, en passant par les syndicats, les associations
professionnelles et les institutions de bénévolat. Il y a
un manque à éduquer énorme pour la société
à ne pas légitimer par une reconnaissance formelle l'apport
éducatif que l'individu peut retirer de sa participation élective
à des groupes. Non seulement l'individu peut-il y acquérir
des connaissances théoriques valables, mais il y bénéficie
aussi de ce que j'appellerais une "interformation", le phénomène
qui permet un échange motivé de compétences entre pairs,
dans le cadre d'une action concrète qui ajoute à la théorie
une dimension d'application pratique dont les participants sortent vraiment
mieux "formés".
Ce qui manque à cette formation par les pairs, c'est de demeurer
trop souvent insaisissable, de sorte que l'apprentissage qui en résulte
ne peut pas vraiment servir de passerelle vers une autre formation clairement
identifiée. Un système de reconnaissance des acquis devrait
pouvoir identifier cet apport, mais encore faudrait-il que l'apprenant ait
une vision assez large de la maquette éducationnelle globale pour
savoir où chercher le module auquel correspond ce qu'il a appris.
Je crois que nous aurions un excellent retour sur les efforts relativement
modestes qui seraient requis pour suivre ce type de formation et lui accorder
son dû.
On dépense des milliards de dollars par année dans des polyvalentes,
des cégeps et des instituts pour une formation professionnelle qui,
du point de vue emploi et production, reste une formation de deuxième
classe. Parce qu'une formation en institution est trop longue, pas assez
pratique et pas assez spécialisée pour les postes à
remplir. C'est une formation qui est trop coûteuse, avec des équipements
souvent désuets et des profs qui sont d'abord des professeurs et
ensuite seulement des spécialistes des matières qu'ils enseignent.
Une formation en institution est une formation de deuxième classe,
qui non seulement ne forme pas pour les emplois disponibles, mais ne transmet
pas non plus les connaissances qui permettraient au diplômé
de devenir un travailleur-entrepreneur autonome, ce qui est la vraie voie
de l'avenir.
Non seulement une formation de deuxième classe, mais aussi, surtout,
une formation de deuxième choix. Car toutes les images négatives
du travail manuel que véhiculent les parents et les enseignants -
les premiers, souvent, parce qu'ils ont été des cols bleus
et les seconds parce qu'ils n'en sont pas - font que ceux qui choisissent
l'éducation professionnelle sont presque toujours ceux qui n'ont
pas pu se qualifier pour mieux. Le "mieux" étant, pour
l'étudiant, tout ce qui porte un col blanc. Même inutile ou
superflu.
Il y a une solution de rechange à cette formation professionnelle
de deuxième classe en institutions. C'est la formation en industrie,
une formation sur mesure qui colle à l'emploi et qui permet d'apprendre
à remplir un vrai poste de travail; une formation de première
classe donnée par de vrais travailleurs qualifiés, avec de
vrais équipements et dans une véritable ambiance de travail.
C'est ça, la vraie formation professionnelle; même le travailleur
autonome éventuel apprend mieux son métier s'il l'apprend
dans des circonstances qui reproduisent la vie réelle. Pourtant,
cette formation est encore considérée actuellement comme un
pis-aller, comme un succédané à la "vraie"
formation, qui se donne, elle, dans une institution. Il serait temps que
la formation en industrie cesse d'être une exception et redevienne
la norme.
On ne peut prétendre savoir enseigner aussi longtemps qu'on ne
sait pas comment vérifier ce qui a été appris. Nous
avons proposé plus haut que l'éducateur enseignant ait la
discrétion totale des moyens d'enseignement; ceci n'a de sens que
si une autorité externe impartiale a seule la responsabilité
de faire passer tous les examens et de décerner tous les diplômes.
Il sera d'autant plus indispensable que l'État assume cette autorité
que les attestations faisant foi de la connaissance de chaque module vont
s'accumuler pour mener à l'obtention éventuelle de certificats
qui détermineraient la qualification professionnelle de chacun et
donc la rémunération minimale de leur travail salarié
dans le cadre d'un système de travail/revenu garanti. www.nouvellesociete.com/701.html
Nos méthodes de vérification des apprentissages sont présentement,
disons poliment "peu rigoureuses". Mentionnons simplement en vrac
quelques imperfections:
- non seulement on ne tente pas de contrôler exhaustivement ce qui
a été appris, mais on ne prétend même pas que
les questions d'examens soient représentatives de la matière
enseignée;
- une bonne partie de ces questions d'examens sont ouvertes et ne portent
pas sur des faits, mais sur des opinions;
- la forme d'un travail est souvent évaluée avec son contenu,
la pondération entre les deux étant arbitraire, ou simplement
occultée;
- le contenu réel d'un cours dont l'identification formelle demeure
la même peut varier d'un enseignant à l'autre, ou d'une année
à l'autre pour un même enseignant;
- les critères d'évaluation sont différents d'un correcteur
à l'autre, d'une institution à l'autre, sont réajustés
de façon fantaisiste, puis finalement "normalisés"...
Il serait théoriquement possible que deux élèves, passant
l'un comme l'autre avec succès deux examens différents (dont
ni l'un ni l'autre ne sont significatifs), puissent partager un même
diplôme sans que leurs connaissances respectives se recoupent en aucune
façon ! Cette situation, qui n'est qu'absurde lorsqu'il s'agit d'un
bagage culturel, est déconcertante quand il s'agit d'éducation
professionnelle; chaque enquête auprès des employeurs, un peu
partout dans le monde, pour saisir leur opinion des diplômés
des institutions d'éducation professionnelle apporte donc sa fournée
d'histoires d'horreur, de menuisiers diplômés qui ne sait pas
mesurer ou de tourneur qui ne savent pas ajuster leur tour.
Il faut qu'une attestation signifie que le contenu d'un module est connu.
Pas connu à 50% ou 60%, mais connu aussi intégralement que
le permet ce monde toujours imparfait où nous vivons. Quant au test
pour le vérifier, il doit se dégager, autant que faire se
peut, de tout préjugé et de tout arbitraire. Ce que nous suggérons
ci-après ne doit être vu que comme un premier pas dans la bonne
direction.
Disons d'abord qu'il y a deux sortes de modules: ceux qui véhiculent
uniquement une connaissance et ceux qui ont aussi pour objet d'inculquer
une compétence.
2.4.2.1 Les modules de connaissance
Certains modules n'ont pour objectif que de "faire connaître".
Ainsi, un module peut avoir pour objet "Candide" de Voltaire et
ne suppose rien d'autre qu'une lecture du texte menant à la compréhension
que peut en avoir une personne normale. Comment tester cette connaissance?
On peut penser - et ce n'est, je le répète, qu'une simple
suggestion qui doit être améliorée - à un examen
factuel qui vérifie que l'élève peut biffer du texte
tout ajout significatif qui y aurait été introduit et identifier,
parmi plusieurs qu'on lui soumet, une phrase qui en aurait été
retranchée.
Il ne s'agirait pas de tendre des pièges mais de s'assurer qu'il
y a eu lecture, compréhension au premier degré et rétention.
La rétention, par exemple, que garde d'un texte une personne qui
l'a lu attentivement il y a cinq ans. Il ne faudrait donc pas faire choisir
l'élève entre deux synonymes proches, ou entre deux tournures
de phrases équivalentes, mais de lui faire rendre à Voltaire
ce qui est à Voltaire sans trahir sa pensée. Ne donnons pas
d'attestation sur la lecture de Candide, par exemple, quoi qu'il ait pu
dire de sensé sur le reste du texte, à celui qui prétend
que la conclusion en dit que "rien ne presse pour cultiver son jardin".
Comment déterminer sans arbitraire "la rétention que
garde d'un texte une personne qui l'a lu attentivement il y a cinq ans"?
Une façon de le faire serait de constituer un échantillon
au hasard de personnes l'ayant lu il y a cinq ans et de leur faire passer,
mais en beaucoup plus détaillé, l'épreuve de biffer
le faux et de réinsérer l'authentique suggérée
ci haut. On pourrait corriger cet examen et ne garder que les questions
auxquelles 90% des sujets ont répondu correctement, ces questions
constituant par la suite le test formel faisant foi de la connaissance du
module "Candide".
Nous aurions ainsi une détermination pragmatique de ce que veut dire
connaître un texte ou un auteur. On aurait, en tout cas, fait disparaître
l'arbitraire. On aurait admis que ce que pense l'enseignant de Candide -
ou de Voltaire lui-même - peut être intéressant, mais
n'est pas pertinent à la connaissance du texte par l'élève.
Pas plus, d'ailleurs, que ne l'est l'opinion de l'enseignant ou de l'État
sur ce que l'élève pense de Candide ou de Voltaire. On ne
le lui demande donc pas.
Il y a encore une part d'aléatoire et d'arbitraire dans cette approche,
mais est-ce qu'on n'est pas plus près d'appréhender la réalité
de ce que l'élève a appris? Est-ce qu'on n'a pas pris, surtout,
une saine distance de nos jugements préconçus et permis à
l'éduqué de distinguer ce qui est la pensée de Voltaire
de l'image que le système veut en projeter et de ce que les idiosyncrasies
de l'enseignant le pousse à en dire? Est-ce qu'on ne permet pas,
du même coup, à l'éduqué de former sa propre
opinion sans que l'exprimer puisse devenir abusivement un élément
sur lequel il sera évalué?
Bien sûr, intégrer Candide à sa culture, ce n'est pas
uniquement savoir ce qui y est écrit; mais ça commence indubitablement
par là. Je prétends que nous ferions un bond en avant si nous
atteignions au moins ce seuil et que notre système imposait aux enfants
- et aux adultes - de LIRE plutôt que d'écouter des commentaires
sur les textes. Si on faisait passer un test aux diplômés universitaires
au Québec - et la situation n'est peut-être pas si différente
ailleurs -, on constaterait avec effroi que l'immense majorité d'entre
eux ne connaissent RIEN d'autre que le nom des philosophes et des écrivains
qu'on salue comme les phares de notre culture et de la civilisation... et
n'en ont jamais lu dix lignes. Ils ont - au mieux - mémorisé
le jugement conventionnel sur ces auteurs que le système a porté
il y a bien longtemps et transmis depuis, inchangé, de générations
de professeurs en générations d'incultes. Fixons nous des
objectifs modestes: nous partons de bien bas.
2.4.2.2 Les modules de compétence
Il y a d'autres modules qui ne visent pas seulement à faire connaître
mais prétendent enseigner à faire. C'est le cas, par exemple,
de toute formation pratique professionnelle, ce qui ne se limite pas à
celle du mécanicien, mais recouvre également celle de l'ingénieur
et de l'avocat. C'est aussi le cas de toute formation qui veut transmettre
une dextérité ou enseigner à reproduire un comportement.
La dextérité est mesurable et reproduire - quand il s'agit
de reproduire en labo des expériences scientifiques, par exemple
- est une procédure rigoureuse et qui ne laisse pas prise à
l'ambiguïté. Tester, ici, ne cause pas problème, car
le test du savoir faire, c'est de faire et la formation en entreprise amène
en prime la capacité de tester l'apprentissage selon les besoins
de chaque métier et profession.
La question est plus complexe quand il ne s'agit pas de reproduire exactement
mais d'imiter, de faire, en somme, du pareil qui soit différent du
"aussi bon" qui soit néanmoins autre chose. Si complexe,
qu'il faudrait s'abstenir. Ainsi, faire de l'analyse littéraire a
un petit coté saugrenu, puisque l'enseignant, qui s'extasie devant
l'auteur, semble dire qu'il sait mieux que ce dernier ce que celui-ci voulait
dire et que lui, l'enseignant, va le redire en ses propres mots mieux que
l'auteur n'a pu le faire. La réalité, c'est que les auteurs
qui méritent d'être lus sont clairs. Si seulement les pédagogues
se taisaient et nous laissaient lire...! Le rôle de l'enseignant,
ici encore plus qu'ailleurs, c'est de faire les liens entre le texte et
la culture générale, parce qu'il vaut mieux se faire dire
que de devoir chercher qui était "le chef borgne monté
sur l'éléphant gétule", mais il ne faut pas en
faire une question du module "Heredia"! Au chapitre de l'analyse
littéraire, on peut tester le respect des règles de la syntaxe
et de la grammaire, c'est tout.
Plus fantaisiste encore que l'analyse littéraire, il y a d'enseigner
l'art même d'écrire ou de produire une quelconque forme d'expression
esthétique. Quand on a la prétention, par exemple, d'enseigner
à l'élève à écrire comme Voltaire, c'est
une entreprise bien périlleuse. Tester l'apprentissage de ce type
enseignement serait extrêmement complexe, puisqu'on voudrait enlever
l'arbitraire d'une démarche d'évaluation qui ne repose que
sur l'intangible et le consensuel et ne peut être que capricieuse.
Laissons donc tomber...
Je crois que la seule façon d'apprendre l'art d'écrire est
de lire, de lire beaucoup et de lire encore. Que l'enseignant dirige les
lectures de ses ouailles et en discute avec eux, bravo; l'opinion de l'éducateur
a sa valeur, de même que les commentaires de tous et chacun des éduqués
en "interformation". Mais que l'enseignant se contente de dire
pourquoi il aime ou n'aime pas les textes de ses élèves; il
n'a pas à passer de jugement prétendu objectif sur leur valeur
littéraire. Gide n'écrivait pas comme Racine, ni Pascal comme
Rabelais, ni Villon comme personne... qu'on aurait d'ailleurs recalé
parce qu'il n'écrivait pas en latin. Je m'inscris en faux contre
toute attestation qui viendrait donner le sceau de la rectitude à
une manière d'écrire, à une manière de peindre,
de composer ou de créer une uvre artistique
Il faudrait tester l'apprentissage des modules de pure connaissance par
la méthode "biffer-le-faux/ré-insérer-l'authentique"
décrite plus haut, tester la compétence acquise pour agir
en mettant l'élève en situation contrôlée d'agir,
et renoncer à tester ce qui n'est qu'opinion et n'offre pas des garanties
d'objectivité, si ce n'est dans la perspective de la valeur intrinsèque
de cette opinion elle-même. Rien ne s'oppose à ce qu'il y ait
un module "Sainte-Beuve", mais la connaissance de l'opinion d'un
critique ne doit pas être considérée comme essentielle
à la connaissance de l'uvre de l'auteur. A fortiori, on ne doit pas
prétendre qu'on ne peut connaître Victor Hugo sans connaître
l'opinion sur lui d'un quelconque quidam, professeur de lettres contemporain.
L'attestation doit faire la preuve d'une connaissance et/ou d'une compétence
réelle qui est celle du contenu du module. Si le contenu d'un module
est modifié - et il le sera régulièrement pour tenir
compte de l'évolution de nos connaissances - ce module modifié,
comme l'attestation également modifiée qui doit en être
indissociable, sera désigné de façon à le distinguer
des versions antérieures, le plus simple étant d'y ajouter
en suffixe sa date de modification. Ceci assurera: a) qu'il n'y ait pas
d'incohérences dans la séquence des pré-requis pour
les divers modules de la maquette, et b) que l'employeur éventuel
- et les planificateurs des ressources humaines qui guident l'éduqué
dans son cheminement - pourront savoir vraiment ce que ce dernier connaît.
Une réforme de l'éducation exige une transformation de ce
que l'on enseigne et de la façon de l'enseigner, mais elle exige
aussi une nouvelle structure: il faut mettre "le nouveau vin dans des
outres neuves". Nous allons décrire cette nouvelle structure
en présentant successivement les trois (3) paliers successifs du
système d'éducation à travers lesquels chemineront
les apprenants. Pour finir, nous verrons brièvement le rôle
concret des instances administratives et pédagogiques de juridiction
globale qui assurent l'encadrement du système.
La simplicité de cette présentation ne doit cependant pas
occulter la complexité de ce qui doit se passer simultanément
ailleurs au sein de la société si l'on veut qu'une réforme
de l'éducation produise tous ses effets. Les changements apportés
à la politique de main-d'uvre, en particulier, sont indispensables
au soutien des changements du système d'éducation, comme ceux-ci,
d'ailleurs, le sont à ceux-là. La situation actuelle illustre
bien, hélas, qu'on ne peut sans dommages traiter les composantes
"éducation", "formation", "travail"
et "sécurité du revenu" d'une politique des ressources
humaines comme si elles n'étaient pas reliées. Ceux qu'une
politique du travail et de la main-d'uvre intéresse peuvent consulter
la page: www.nouvellesociete.com/701.html
Trois (3) cycles, que nous aborderons dans l'ordre, doivent constituer la
structure fondamentale du système d'éducation réformé
- un Cycle préscolaire qui tienne compte du rôle déterminant
du milieu d'origine des enfants et dont l'objectif prioritaire soit de réduire,
autant que faire se peut, le désavantage initial dont souffrent ceux
qui sont issus de milieux culturellement défavorisés;
- un Cycle général en deux volets, qui est le territoire de
l'éducateur professionnel, et dont l'étudiant devrait émerger
avec des valeurs, un sentiment d'appartenance, la capacité de gérer
son propre apprentissage et de développer une culture à la
pleine mesure de son potentiel et de sa volonté de le réaliser;
- un Cycle spécifique, dont l'objectif est de rendre l'individu complémentaire
aux autres citoyens; autant qu'il le souhaite sur le plan culturel, autant
que notre économie l'exige sur le plan professionnel. Ce cycle inclut:
a) une phase de formation initiale (dont l'éducation universitaire
et l'éducation en entreprise) qui préparera l'éduqué
à assumer un rôle évolutif au sein du système
de production, et b) une phase de formation continue qui permettra à
l'adulte de poursuivre son éducation culturelle comme professionnelle
indéfiniment, sans que JAMAIS il n'atteigne une limite autre que
celle que fixent ses aptitudes et sa volonté de les mettre en valeur.
"Pour faire un gentleman, éduquez son grand-père..."
Une boutade, mais qui souligne bien l'importance du milieu culturel dans
lequel baigne l'enfant dès sa naissance. Parmi les facteurs qui favorisent
ou s'opposent à la mission éducative de l'école, le
plus important sur lequel nous ayons quelque pouvoir d'intervention acceptable
est son milieu familial. Tous les cours de grammaire auront bien du mal
à produire un enfant qui s'exprime bien, oralement et par écrit
- (ce qui est fondamental, la clarté de l'expression étant
le signe mais aussi la condition indispensable de la cohérence du
processus mental) - si, durant les premières années de sa
vie, il n'a entendu que des phrases boiteuses et des idées simplistes.
Il faut agir sur le milieu parental. Il ne faut pas penser que la responsabilité
d'éduquer l'enfant commence à l'école primaire, ni
même en pré-maternelle, quel que soit l'âge d'entrée
en pré-maternelle; si on agit à partir de cette prémisse,
on se retrouve, comme maintenant, devant une situation intolérable
ou la vraie éducation et la culture deviennent héréditaires
par apprentissage et où ceux qui partent de bas... restent en bas.
Une véritable éducation qui veut donner une chance à
tous commence avant la naissance de l'enfant.
Une société ne peut se désintéresser de l'éducation
des enfants entre le moment de leur naissance et celui de leur scolarisation;
elle doit, à la mesure de ses moyens et dans le respect de la mission
naturelle des parents, assurer aux enfants au moins un encadrement large
qui équilibre au mieux les chances de tous, protégeant les
enfants des milieux défavorisés des conséquences les
plus graves d'un mauvais départ.
Cette protection ne peut être parfaite et cet équilibre ne
peut être vraiment atteint dans le cadre de la société
qui est la nôtre, mais la critique de notre société
est un autre débat. Ici, nous proposons une approche sans remise
en question globale des structures sociales actuelles, qui soit donc immédiatement
applicable et qui permette, à la mesure d'une allocation raisonnable
de nos ressources, de tempérer les effets de la condition sociale
de départ de l'enfant.
Pour donner vraiment sa chance à chaque enfant:
- Il faut une présence discrète de l'État pour assurer
la protection de l'enfant au sein ce qui est parfois un milieu familial
hostile ou par trop incompétent;
- Il faut aussi, à défaut d'éduquer son grand-père,
consentir à tout le moins un effort pour dégrossir un peu
ceux qui font faire à l'enfant ses premiers apprentissages et ses
premiers pas sur le chemin de la culture.
- enfin, il faut utiliser la technologie moderne à bon escient, en
assurant la diffusion et en favorisant l'écoute d'une programmation
télévisuelle vraiment éducative et qu'on voudra omniprésente.
3.1.1.1 La DPJE
Pour la présence protectrice de l'État, prévoyons une
Direction de Protection de la Jeunesse et de l'Enfance (DPJE). La DPJE verra
chaque enfant une fois par mois, à partir de sa naissance et jusqu'à
son entrée à l'école primaire, s'assurant qu'il reçoit
de ses parents ou gardiens un traitement adéquat. Par la suite, elle
pourra intervenir à la demande de quiconque, mais particulièrement
des responsables de l'enfant dans la structure scolaire, lesquels auront
le mandat clair d'être aux aguets de tout signe de violence.
Il s'agit de protéger l'enfant contre la violence, bien sûr,
mais aussi contre la simple ignorance. Il est déraisonnable que rien
ne soit fait pour remédier au plus tôt aux lacunes qu'on peut
déceler chez l'enfant par un diagnostic rapide, surtout quand on
sait toute l'importance des premières années de la vie de
l'enfant pour son développement ultérieur.
Chaque fois que la visite mensuelle de l'enfant en suggérera l'opportunité,
la DPJE exigera une visite médicale ou la consultation d'un psychiatre
ou psychologue. Elle demandera et obtiendra l'accès aux résultats
de ces examens et fera les suivis nécessaires.
Les problèmes de comportement et d'apprentissage de l'enfant - hyperactivité,
dyslexie, etc - seront ainsi identifiés tôt, et les mesures
correctives adéquates pourront être appliquées sans
délai.
Personne ne conteste que le cadre culturel dont bénéficie
l'enfant au sein de sa famille soit un élément déterminant
de son éducation. Le défi, c'est de réaliser l'intégration
immédiate de l'enfant dans un cadre propice à son développement
sans l'enlever à ses parents! La seule solution évidente est
d'agir sur le parent, de pourvoir, autant que faire se peut, l'enfant de
parents qui aient un minimum de compétence pour l'éduquer.
De plus, si, comme c'est si souvent le cas aujourd'hui, l'enfant passe une
partie significative de son temps en garderie, il convient de s'assurer
que ceux qui le gardent aient aussi cette compétence minimale.
Une compétence minimale qui pourra être inculquée aux
parents et gardiens par le biais de modules de "formation parentale"
qu'offrira un Ministère des Ressources Humaines (MRH). Pensons à
un module de formation de 60 heures pour enseigner aux parents et gardiens
les rudiments essentiels de ce qu'un éducateur compétent devrait
avoir comme comportement et devrait transmettre comme apprentissage à
l'enfant durant une (1) année. Ainsi, trois (3) modules de formation
(FP0, FP1 et FP2), pourraient "capaciter" les premiers éducateurs
de l'enfant à assumer leur responsabilité envers celui-ci
durant les trois premières années de sa vie
Si on réussit à donner cette formation de façon efficace,
on réduira d'autant l'écart entre le bagage que reçoivent
avant leur entrée à l'école les enfants des "riches/
universitaires" et les enfants des "pauvres/ non-instruits".
Ceci est une mesure de justice sociale primordiale et il n'en est pas d'autre
qui puisse produire autant de résultats pour si peu d'efforts.
60 heures de formation pour savoir comment orienter le développement
d'un enfant durant une année, est-ce assez? Certainement pas; il
est clair que l'on ne peut pas, en 180 heures de formation, donner à
celui qui ne l'a pas la culture qui lui servirait à éduquer
ses enfants comme des enfants de parents ayant joui d'une éducation
supérieure. Mais c'est un pas en avant. Faisons le plutôt que
de tergiverser.
L'impact d'une mesure corrective sur un enfant avant l'âge de trois
ans, même insuffisante et imparfaite, est évidemment plus efficace
que si on ne cherche à intervenir que lorsque l'enfant arrive à
l'école. Commençons par des modules de 60 heures offerts aux
parents dans le cadre de la formation continue. Si les résultats
sont positifs, on pensera à aller plus loin dans cette voie. À
introduire, par exemple, les cours de formation parentale au curriculum
du tronc commun de l'éducation générale. Savoir éduquer
ses enfants, n'est ce pas, en définitive, la plus essentielle des
formations que l'on puisse recevoir?
Comment les parents réagiront-il à l'offre de formation parentale?
On ne peut traîner de force les parents à un cours de formation
parentale, mais on peut les motiver de deux (2) façons à s'en
prévaloir:
3.1.1.2.1 Les allocations familiales
La première façon, c'est qu'on peut motiver les parents à
suivre les modules de formation parentale en rendant le paiement des allocations
familiales conditionnel au suivi des modules pertinents par l'un ou l'autre
des parents de l'enfant. On peut inciter ainsi le parent à assister
aux cours de formation parentale, mais évidemment pas à y
prêter attention, à en comprendre l'essentiel et encore moins
à en appliquer les préceptes. On ne peut enlever la garde
de leurs enfants aux parents qui échouent aux examens de formation
parentale... ! Que faire, alors, pour les enfants des "parents ânes"
que l'on amènera à la rivière, mais qui ne voudront
pas ou ne pourront point boire? La DPJE vérifiera de plus près
que ces parents ne sont que bêtes - et non méchants - puis
on s'en remettra à un système de mini-garderie pour remédier
au problème.
3.1.1.2.2 Les mini-garderies
Quiconque veut travailler à garder des enfants devra avoir non seulement
suivi mais RÉUSSI les modules de formation parentale correspondant
aux âges des enfants sous sa garde. Inversement, quiconque à
suivi et réussi ces modules sera jugé apte à garder
des enfants de l'âge correspondant. L'enfant mis en garderie sera
donc sous l'influence de quelqu'un qui aura suivi et réussi les cours
de formation parentale. C'est un palliatif intéressant à l'ineptie
des parents, mais ce n'est pas tout: la mini-garderie nous procure aussi
une deuxième façon d'amener les parents à rendre au
sérieux la formation parentale... en les payant.
Supposons une rémunération journalière pour chaque
enfant gardé, payée par l'État jusqu'à un maximum
de 8 enfants par gardien, celui-ci devant avoir réussi les cours
de formation parentale appropriés. Rien n'empêche quelques
parents de s'entendre pour que l'un d'eux, obtenant un permis à cet
effet, se transforme en mini-garderie et recueille ainsi un revenu intéressant.
C'est cette solution qui sera encouragée, mais rien n'empêche
que l'un ou l'autre des parents d'un enfant - ayant la formation parentale
requise - puisse s'inscrire comme gardien et recueillir alors la subvention
gouvernementale pour garder lui-même son ou ses enfants au tarif prévu.
Il suffira qu'il accepte d'y consacrer son temps et de ne pas occuper d'emploi
salarié. Ceci devient l'équivalent de payer l'un des parents
pour rester chez lui et les garder... s'il a suivi avec succès les
cours de formation parentale. Ceci devient une motivation non négligeable
pour les parents qui hésiteraient à s'inscrire à ces
cours.
3.1.1.2.3 Les avantages de l'approche "formation parentale"
Cette approche qui consiste à intéresser des parents raisonnablement
formés à l'éducation de leurs enfants en leur offrant
une rémunération d'appoint - et à promouvoir des mini-garderies
qui sont, en fait, des collectifs communautaires de voisinage immédiat
- offre une solution efficace à plusieurs problèmes:
- elle fixe un plancher minimal de la compétence des éducateurs
de première ligne que sont les parents.
- elle renforce des liens de voisinage, favorisant ainsi l'éclosion
de petites cellules de coopération, ce qui est un élément
essentiel d'une nouvelle société.
- elle favorise une socialisation plus efficace de l'enfant, progressive
et sans solution de continuité;
- elle permet l'affectation à une tâche vraiment utile de milliers
de personnes qui, faute d'une préparation professionnelle adaptée
aux exigences du marché du travail, ne pourraient pas trouver facilement
aujourd'hui un travail mais seraient tout à fait aptes à être
"gardien(ne)s" parce qu'elles ont l'empathie et la motivation
nécessaires pour l'être.
3.1.1.3 La vraie "télévision éducative"
Qu'on nous permette de donner ici un sens nouveau à cette appellation
déjà connue. Pour aider parents et gardiens, durant toute
la période préscolaire, six (6) canaux de télévision
devraient être créés qui diffuseraient en permanence
une programmation éducative visant les enfants de 1, 2, 3, 4, 5 et
6 ans. Pas des dessins de Mickey Mouse, mais une programmation dont la première
caractéristique sera de PARLER. (Ceci sera utile durant la phase
de 0 à 3 ans que nous discutons ici, mais cet outil demeurera disponible
durant la période suivante de 3 à 7 ans.)
Parler un langage grammaticalement correct. Utiliser un vocabulaire qui,
selon le canal choisi, aura la richesse et la diversité qui conviennent
à des enfants d'un, deux, trois, quatre, cinq ou six ans. Rien n'interdit,
au contraire, que des images soient là pour attirer et retenir l'attention
de l'enfant; mais l'accent doit être mis sur le LANGAGE. Il faut que
les enfants de toutes les classes sociales aient la chance d'entendre -
et inconsciemment d'assimiler - la structure correcte du langage et un vocabulaire
de base adéquat.
Ces canaux de télévision ne doivent pas être là
pour occuper les enfants pendant que les parents ou gardiens vont faire
autre chose. Ils doivent être là en arrière-plan, pendant
que les enfants jouent et s'amusent, comme une source additionnelle d'information
à laquelle chaque enfant, selon sa personnalité et son développement,
prêtera plus ou moins attention, mais dont il retiendra inévitablement
quelque chose.
Ces canaux devraient être toujours en marche dans une mini-garderie,
sauf quand le gardien lui-même parle aux enfants. Il serait souhaitable
que les parents acceptent de les garder aussi en marche à la maison
le plus souvent possible, ayant l'humilité d'accepter que le modèle
d'expression que proposeront ces canaux aura pour résultat de procurer
à leurs enfants une compétence au niveau du langage que la
majorité des parents ne peuvent transmettre parce qu'ils en ont été
eux-mêmes privés.
3.1.1.4 En résumé
En résumé, nous proposons que l'enfant bénéficie,
de 0 à 3 ans:
- d'un encadrement vigilant par l'État (DPJE), pour éviter
les inepties et les horreurs de la violence dont les enfants sont trop souvent
victimes au foyer et pour permettre de remédier aux lacunes de l'enfant
avant qu'il ne soit trop tard;
- d'une attention plus grande et d'un premier "coaching" plus
compétent de la part de ses propres parents ou de voisins proches
ayant reçu une formation parentale et étant eux-mêmes
assistés de canaux de télévision éducative créés
à cette fin.
Ceux qui ayant reçu cette formation parentale donneront sa première
éducation à l'enfant auront une vraie mission éducative.
Restreinte, mais qui devra être poursuivie avec diligence: socialisation,
développement physique équilibré, principes et valeurs
morales de base et connaissances usuelles pratiques.
Ceux qui assumeront cette tâche tenteront d'être des modèles
d'imitation pour une capacité d'expression verbale correcte. Du moins,
on fera l'impossible pour qu'ils deviennent de tels modèles et la
télévision éducative les y aidera. Ils pourront aussi
transmettre à l'enfant des rudiments de culture, sous forme de contes,
mythes et légendes. On les leur enseignera au cours de la formation
parentale, corrigeant ainsi une lacune majeure de leur propre éducation.
La mission de "premier éducateur" exigera ce minimum de
connaissances qu'apportera la formation parentale mais surtout, comme aujourd'hui,
un maximum de dévouement et d'engagement. S'il n'y avait qu'UNE modification
que nous puissions apporter à notre système d'éducation,
ce serait d'y ajouter cette composante initiale de formation des parents
et gardiens à leur rôle de premiers éducateurs.
À partir de trois (3) ans l'enfant, pour assurer sa socialisation,
passera à une garderie traditionnelle, c'est-à-dire ayant
plus de 8 enfants sous sa garde, puis en Pré-maternelle et en Maternelle.
Ce passage ne doit pas se faire brutalement, toutefois, mais progressivement.
3.1.2.1 Une intégration progressive
Dès l'âge de 3 ans, l'enfant viendra à la "grande"
garderie une journée par semaine, puis deux (2) jours à 4
ans. À 5 ans, il passera trois jours par semaine en Pré-maternelle
et, à 6 ans, quatre (4) jours par semaine en Maternelle. Les autres
jours, il les passera encore en mini-garderie, ou avec ses parents si ceux-ci
ont reçu la formation parentale adéquate (modules FP3, FP4,
FP5 et FP6, aussi de 60 heures chacun). Le temps passé en mini-garderies
ou avec les parents ira ainsi en diminuant, année après année,
ce qui correspond bien à une intégration progressive des enfants
dans le système scolaire.
Cette intégration progressive est non seulement opportune pour l'enfant
et créatrice de travail pour les parents et gardiens, mais elle est
aussi une source d'économies. Des économies substantielles
pour la collectivité découlant de ce qu'une partie significative
des activités de garde de l'enfant seront prises en charge en mini-garderies,
en considération d'une rémunération plus modique que
celle du personnel des grandes garderies et surtout des enseignants de Maternelles
et Pré-maternelles, lesquels, dans le contexte du travail-revenu
garanti, seront propulsés vers des activités plus productives
et plus rémunératrices.
3.1.2.2 Les contenus
Qu'enseigneront à l'enfant, durant le cycle préscolaire, les
mini-garderies et les parents ayant reçu la formation parentale d'une
part, les grandes garderies, les Pré-maternelles et Maternelles d'autre
part?
3.1.2.2.1 Parents et mini-garderies
Il n'est pas question d'entrer ici dans le détail de ce que l'on
juge indispensable d'enseigner aux enfants d'âge préscolaire
de 3 à 6 ans. C'est le contenu des divers modules du programme de
formation parentale, dont la préparation sera faite avec soin, qui
révèlera ce que les parents - ou les mini-garderies en leur
lieu et place - transmettront aux enfants. On peut cependant en dire deux
choses:
- l'éducation préscolaire de l'enfant entre 3 et 7 ans devra
viser prioritairement à donner aux enfants de TOUTES les classes
sociales ce qui manque aujourd'hui à tant d'entre eux: la capacité
de penser et d'exprimer leur pensée de façon cohérente,
capacité qui est la pierre d'assise de toute éducation ultérieure
et qui ne peut venir que de l'imitation d'un modèle;
- le contenu dispensé par les mini-garderies et les parents durant
cette période devra faire le lien avec les programmes des garderies
traditionnelles, Pré-maternelles et Maternelles, lesquelles pourront
alors bâtir sur une base plus solide et traiter avec des groupes plus
homogènes, pour deux raisons: - a) l'écart systémique
de préparation entre les enfants des diverses couches sociales se
sera amoindri, et b) les enfants en difficultés d'apprentissage nécessitant
une attention particulière auront été réorientés
vers des filières distinctes, à titre temporaire ou permanent.
3.1.2.2.2 Garderies, pré-maternelles et maternelles
Partant de cette base plus solide à laquelle nous venons de faire
allusion, les garderies traditionnelles, Pré-maternelles et Maternelles
devraient avoir pour objectif minimal de transmettre, dans le temps de formation
plus court qui leur sera désormais accordé, des connaissances
formelles au moins équivalentes à celles qu'elles ont actuellement
pour mission de transmettre avant que l'enfant ne débute le niveau
primaire. Transmettre ces connaissances formelles, toutefois, ne sera pas
l'objectif prioritaire des garderies, ni même des Pré-maternelles
et Maternelles. Leurs premiers objectifs seront d'inculquer à l'enfant:
- des valeurs morales et humaines essentielles. Sans connotations religieuses,
mais tenant compte des principes de l'éthique naturelle et des exigences
de la vie en société, incluant donc les notions de respect
des autres, d'appréciation de leur spécificité, de
coopération et de solidarité ainsi que les outils fondamentaux
de socialisation;
- la motivation et les connaissances de base pour une vie saine: hygiène,
nutrition, rôle de la médecine et des médicaments, initiation
à l'exercice physique et aux sports. (C'est ici, pas à l'adolescence,
qu'il faut créer chez l'enfant l'attitude qui lui fera plus tard
rejeter la nicotine et les autres drogues);
- la curiosité de savoir, l'amour de la connaissance, le désir
d'apprendre et les rudiments de la manière d'aborder un problème
et de chercher des éléments de solution. L'enfant qui arrivera
au primaire aura une longueur d'avance s'il sait comment poser une question,
à qui la poser et comment trouver les sources documentaires d'information.
Au début de l'année scolaire suivant son septième anniversaire,
l'enfant entre au Cycle général et entreprend l'étape
suivante de son cheminement.
Ce que nous avons proposé pour le Cycle préscolaire vient
surtout combler une carence. Au Cycle général, c'est d'une
modification profonde qu'il s'agit, plus que d'un ajout, le problème
étant tout autant d'enlever les éléments néfastes
de l'éducation des niveaux primaire et secondaire actuels que de
parfaire ceux qui sont insuffisants. Le Cycle général est
le domaine privilégié de l'éducateur professionnel.
Le Cycle général recouvre l'éducation de l'individu
pendant 10 ans, entre 7 et 17 ans, en deux étapes: CG I (7-12 ans)
et CG II (12-17 ans). Les modalités varient d'une étape à
l'autre, puisqu'on passe de l'éducation de l'enfant à celle
de l'adolescent, mais les principes fondamentaux qui s'appliquent sont cependant
les mêmes, ce qui permet de traiter l'ensemble comme un seul "Cycle
général" en deux (2) volets. Ces principes fondamentaux
sont :
1 - La liberté de l'éducateur. L'État, qui représente
la collectivité, peut avoir des objectifs et en contrôler l'atteinte
par un système d'évaluation des acquis, mais c'est l'ÉDUCATEUR
- "mentor" au CG I (primaire), "précepteur" au
CG II (secondaire) - qui a l'entière responsabilité des moyens
à prendre pour éduquer. LAISSONS LE TRAVAILLER ! ;
2 - N'imposer que l'essentiel. Le tronc commun obligatoire de l'éducation,
quantifiable et soumis à une évaluation normative, doit se
limiter à l'essentiel. Reflétant la diversité croissante
de la société, il faut laisser à l'enfant beaucoup
plus de temps pour se développer, sous la conduite de l'éducateur,
dans des directions discrétionnaires qui correspondent à sa
personnalité et à ses aptitudes,
3 - Collaboration plutôt que concurrence. La relation à développer
entre les "apprenants" sur le plan académique doit désormais
en être une de collaboration et de solidarité plutôt
que de concurrence, l'émulation n'étant associée qu'aux
jeux et aux sports.
Dans un premier temps, nous verrons l'application de ces principes au niveau
primaire. Ensuite, en évitant le plus possible les redondances, nous
verrons comment le niveau secondaire les met aussi en pratique.
L'enfant débute son éducation de Cycle général
au début de l'année scolaire suivant son septième anniversaire.
C'est un choix administratif, car avoir 7 ans n'est pas un événement
imprévu et les démarches pour son inscription scolaire peuvent
être faites longtemps à l'avance.
L'enfant pourrait entrer au CG I à tout moment, puisque l'éducation
préscolaire aura déjà permis des écarts de performance
entre enfants du même âge, que chaque élève suivra
de toute façon son propre cheminement déterminé par
l'éducateur et que les cours magistraux communs auxquels il devra
assister seront uniquement ceux dont le mentor croira qu'ils conviennent
à son développement. Souvenons-nous que nous visons un enseignement
personnalisé. L'enfant pourrait commencer l'école le lundi
suivant son septième anniversaire.
Si nous ne le recommandons pas, c'est que les difficultés logistiques
inhérentes à l'étalement des inscriptions, s'ajoutant
aux autres défis que pose la transition vers un nouveau système
d'éducation, créeraient le risque de retarder encore plus
la transition vers une nouvelle approche dont les avantages dépassent
largement les inconvénients de l'inscription à date fixe.
L'année scolaire durera désormais... un an. Ce qui ne veut
pas dire que les élèves n'auront plus de vacances. Ils auront
seulement, chacun d'entre eux - ou tous ensemble, ce sera une décision
de l'éducateur - les périodes de vacances et les congés
dont le mentor aura décidé, au vu de leur cheminement, de
leur personnalité et de ce qui semblera le mieux adapté à
leurs besoins, à l'agenda du mentor et aux projets des parents.
3.2.1.1 Des objectifs simples
Pas plus que nous ne l'avons fait pour le Cycle préscolaire, il n'est
question de développer ici des curriculums et syllabus; notre but
est de proposer une approche et un système. Disons, pourtant, que
les objectifs du CG I devraient être simples: lire, écrire,
compter, offrir une idée générale de l'Histoire qui
vienne encadrer les mythes et légendes dont l'enfant aura été
nourri abondamment au préscolaire, une éducation physique
qui assure son développement optimal, l'énoncé formel
des principes d'éthiques qu'on lui aura déjà inculqués
de façon concrète au préscolaire ... et des connaissances
usuelles. Il faut que l'éducation formelle assume la tâche
de dispenser ces connaissances usuelles dont on espère aujourd'hui
que l'enfant les apprendra par lui-même, ou peut-être du Saint-Esprit:
voyager en train ou en avion, faire fonctionner un ordinateur, activer un
disjoncteur, etc, etc.
On lui enseignera aussi les codes de comportement qui lui faciliteront la
vie en société. À partir de la manière dont
on aborde quelqu'un dont on veut devenir l'ami, jusqu'à la façon
d'offrir ses condoléances à une personne éprouvée.
Il est temps de voir que cette "instruction sociale", qu'on veut
présumer dispensée par les familles, souvent ne l'est pas
et, lorsqu'elle l'est, l'est justement de façons subtilement différentes
qui "classent" l'enfant et en font un "patricien" ou
un "plébéien", l'engageant dans une ornière
dont il ne sortira que bien difficilement... s'il y parvient jamais. Il
ne s'agit pas de porter un jugement de valeur sur les manières de
faire des diverses couches sociales mais d'en reconnaître l'impact:
le CG I doit poursuivre la compensation des inégalités culturelles
découlant des circonstances familiales.
Il faut viser à ce que tout enfant puisse se sentir aussi valable
que tout autre enfant et ait donc une meilleure chance de réussir
tout aussi bien. S'il a acquis par imitation des habitudes favorables au
préscolaire, celles-ci doivent être renforcées; sinon,
elles doivent être corrigées. Pour que ces habitudes, qui vont
souvent à l'encontre de celles du milieu de l'enfant, soient prises
et renforcées, il faut qu'un éducateur joue pour lui le rôle
de substitut parental pour tous les aspects culturels et éducatifs
de son développement. Il ne sert à rien de se leurrer; l'enfant
quels que soient les efforts du système, n'ira jamais plus haut que
le modèle qu'il s'est donné. Si un tel modèle n'existe
pas chez lui au foyer, c'est la mission primordiale de l'éducateur
d'être ce modèle et l'enseignant qui refuse d'être ce
modèle n'est pas un éducateur.
Enfin, poursuivant le travail commencé au préscolaire, le
CG I doit se donner pour objectif que l'enfant puisse spontanément
s'exprimer de façon correcte et cohérente, même si son
environnement hors de l'école ne l'incite à parler qu'en monosyllabes
et à ne dire que des insignifiances. Le choix fondamental de l'éducateur
doit être de tout subordonner à cette exigence. Ni mathématique,
ni morale, ni science n'est plus fondamentale que l'obligation de donner
à l'enfant les outils de son expression verbale, lesquels sont les
outils mêmes de sa perception du monde et de l'ordonnancement qu'il
en fait.
3.2.1.2 Le mentor
L'enfant doit être sous la gouverne d'UN (1) éducateur. Pas
sous le contrôle précaire d'une demi-douzaine d'enseignants
plus ou moins spécialisés, dont l'intérêt réel
n'est pas vraiment l'enfant mais - au mieux - la matière qu'ils enseignent.
Nous appellerons ici cet éducateur un MENTOR.
3.2.1.2.1 La mission du mentor
Le mentor doit établir une relation de confiance profonde avec l'enfant,
lequel doit le percevoir peu à peu comme une extension de sa propre
famille. Le mentor doit être d'abord ce "literate stranger"
dont E.D. Hirsch souligne l'importance dans le développement culturel
de l'enfant. Ensuite, il peut devenir un maître et enseigner.
Pour y parvenir, le mentor doit avoir avec son élève une relation
à long terme. C'est pourquoi, de 7 à 12 ans, l'enfant ne devrait
avoir qu'un seul mentor. Est-ce trop demander à un éducateur
de maîtriser le contenu des cinq (5) années du niveau primaire
(CG I) ? Parfois, des problèmes imprévus peuvent surgir auxquels
il faudra répondre et un enfant devra changer de mentor. Le principe
de base, toutefois, devrait être qu'un mentor prenne charge de l'enfant
pour 5 ans et veille à son développement de sa septième
à sa douzième année.
Le mentor doit s'intéresser au développement intégral
de l'enfant. Le mandat du mentor n'est pas seulement d'enseigner à
l'enfant à lire, mais de l'intéresser à la lecture.
Pas seulement de lui montrer à écrire, mais de l'initier à
l'art de faire de l'écriture un outil adéquat d'expression
de sa pensée. Aucun Ministère ne viendra dire au mentor comment
il doit le faire. C'est lui, l'éducateur.
Le mentor doit orienter ses élèves, les guider, les comprendre,
être pour eux un modèle, assumer au besoin, dans la mesure
du possible, le rôle du père ou de la mère que l'enfant
n'a pas ou qui est inadéquat. Le mentor doit aussi favoriser l'émergence
d'une solidarité entre ses élèves afin que ceux-ci
développent un sentiment d'appartenance à un groupe, ce qui
est surtout vital si le milieu familial ne leur en offre pas l'occasion.
3.2.1.2.2 Son profil
On en demande beaucoup au mentor. On lui demande d'éduquer. Qui est
le mentor? Au moment de la mise en place du système, chaque mentor
est d'abord un enseignant qualifié qui a reçu, par surcroît,
un module de formation accélérée le préparant
aux nouveaux aspects de son rôle d'éducateur. Pour l'avenir,
le programme régulier de formation des enseignants sera naturellement
modifié pour tenir compte de leurs nouvelles fonctions.
Le mentor est un travailleur autonome. Le Ministère des ressources
humaines met à sa disposition un bureau dans les locaux d'une école
et toute une gamme de ressources dont nous parlerons plus loins, mais le
mentor est un professionnel qui établit ses propres horaires et qui
normalement, lorsqu'il a obtenu son permis de mentor du Ministère,
ne rend plus de comptes qu'à ses clients, les parents de ses élèves.
Suivant quelle procédure le mentor prend-il charge de ses élèves?
Il est inscrit au tableau de sa profession, auquel les parents ont accès
sur demande; il peut aussi afficher à l'école, annoncer dans
les journaux, c'est son affaire. Quand on l'approche pour qu'il prenne charge
d'un enfant, il rencontre celui-ci, voit si la relation est bonne et l'accepte
ou non comme élève. Pour chaque élève qu'on
lui propose et qu'il accepte, il reçoit un montant ferme de l'État:
une capitation.
Ce montant, variant selon les pays - (et au sein d'un même système
selon les autres critères qu'on aura jugé pertinents) - doit
être défini en divisant par le nombre d'élèves
au moment de la réforme le budget qu'on veut allouer à la
rémunération des enseignants. C'est en posant cette hypothèse
que le nouveau système pourra maintenir ses coûts à
un niveau compatible avec les ressources déjà affectées
à l'éducation, une condition de départ essentielle,
quelles que soient les modifications à moyen terme qu'on puisse espérer.
3.2.1.2.3 Ses outils
Pour accomplir sa tâche, le mentor dispose gratuitement, dans une
école, d'un bureau et d'un soutien secrétarial et administratif.
Il a aussi accès, pour lui et ses élèves, à
des salles de dimension adéquate pour y donner des cours magistraux
ou y poursuivre des travaux d'équipes et à des salles d'études
équipées d'ordinateurs où ses élèves
peuvent étudier et travailler. Les élèves ont aussi
accès à un gymnase, une cafétéria, un terrain
de jeu (cf. infra: 4.1 l'école).
Le mentor peut aussi requérir les services d'autres professionnels
pour l'aider dans sa tâche: des spécialistes de l'enseignement
des diverses disciplines (cf. infra: 4.2 bureau régional), un psychologue,
un orientateur. Il peut mander un enfant chez un médecin ou un psychiatre
pour examen ou demander l'avis ou l'intervention de la DPJE dans les cas
de délinquance. Il dispose également d'un budget annuel pour
des activités culturelles et sportives. Le mentor a les moyens de
sa mission.
3.2.1.2.4 Sa carrière
Que représente pour un enseignant actuel sa transformation en mentor?
Une implication plus grande, un complément de formation, une diversification
accrue de ses expériences. C'est un défi exigeant, mais, si
l'éducation l'intéresse, son travail devient plus libre, plus
valorisant et parfois mieux rémunéré.
Plus libre parce qu'il a l'entière discrétion des moyens pédagogiques
et didactiques. Plus valorisant, parce que le mentor peut, à juste
titre, se voir comme le principal responsable de l'orientation de la vie
des enfants qu'il guide. Il entretiendra sans doute, avec beaucoup d'entre
eux, une relation qui se poursuivra longtemps après que son intervention
professionnelle se sera terminée. Au long d'une carrière de
35 ans, il aura guidé 7 cohortes de 16, 20, 25 élèves,
soit modelé de 112 à 175 vies humaines... N'est-ce pas mieux
que ces milliers de visages, vite redevenus anonymes, qu'entrevoit aujourd'hui
un enseignant type au cours de sa carrière?
Mieux rémunéré, parfois, parce que le mentor pourra
accepter plus d'élèves que la moyenne; ceci sera une question
à régler entre lui et les parents. S'il accepte plus d'élèves,
il touchera plus, mais à lui de prendre garde que la qualité
de son mentorat n'en souffre pas et qu'il n'y perde sa réputation
et ses clients. S'il a moins de clients, il touche moins, mais le nombre
de mentors auquel le Ministère consentira un permis étant
établi en fonction de la population scolaire, cette situation ne
se produira pas sans raison, la raison étant le plus souvent que
les parents ne VEULENT pas confier leurs enfants à ce mentor.
Qu'est-ce qui fera la réputation et la carrière d'un enseignant?
Ce qu'en diront ses élèves et ses pairs, bien sûr, mais
aussi, inévitablement, le succès qu'obtiendront ses élèves.
Le mentor peut enseigner comme il lui plaît: par des cours magistraux,
par groupes restreints, par enseignement tuteuré, par autodidaxie
assistée... C'est son affaire. Mais c'est l'affaire de l'État,
comme nous le verrons ci-dessous, de tester trimestriellement les connaissances
de l'enfant sur la base du plan-maître établi par le Ministère
qui définira ce qu'un enfant DEVRAIT apprendre.
La rémunération par capitation raye d'un trait toutes les
inégalités découlant de l'ancienneté. Pour assurer
la paix sociale, rien n'empêche qu'une mesure législative ou
un accord entre les enseignants eux-mêmes impose, durant une période
de transition, que les enseignants contribuent à un fonds commun
à partir duquel on versera à chacun d'eux une prime d'ancienneté,
ou un revenu garanti, comme s'ils étaient encore tous des salariés.
Ceci, toutefois, ne saurait être que temporaire; le principe de base
est que l'éducateur ne doit pas être un salarié mais
un travailleur autonome, pour les raisons expliquées à la
page www.nouvellesociete.com/701.html
3.2.1.3 L'évaluation par le Ministère
C'est l'affaire de l'État de tester et de se porter garant de l'acquisition
des connaissances qui déterminent la compétence professionnelle
et la familiarité avec l'environnement technique où nous vivons,
ainsi que de la connaissance des valeurs éthiques et culturelles
qui sous-tendent notre société. Mais, comme nous l'avons déjà
dit plus haut, la composante OBLIGATOIRE de l'éducation doit être
très restreinte. Au niveau primaire du Cycle général,
l'État n'a donc à vérifier que peu de choses.
L'enfant apprend-il à lire, à écrire et à compter?
Est-il en bonne santé? Possède-il un bagage croissant de connaissances
usuelles pratiques? Peut-il, pour le démontrer, répondre à
quelques questions objectives simples? Connaît-il les principes consensuels
de l'éthique tels qu'ils s'expriment dans la loi, ce qui n'a rien
à voir avec le fait qu'il les applique ou les transgresse? C'est
ça que les tests trimestriels doivent vérifier.
Ce n'est pas l'affaire de l'État de porter un jugement sur la "culture"
de l'enfant. L'État doit se garder comme de la peste d'une évaluation
qualitative - (du style de composition littéraire de l'enfant, par
exemple) - parce que cette évaluation serait arbitraire et pourrait
discréditer à tort l'enseignant tout comme démotiver
l'enfant. Ce type d'évaluation doit être laissé à
la discrétion de l'éducateur enseignant. C'est en créant
un contexte propice, en corrigeant avec intelligence, en respectant la spécificité
de l'enfant, en répondant à ses questions, en utilisant son
jugement pour lui enseigner ce qu'il convient de lui enseigner que l'éducateur
favorisera le développement des qualités de l'enfant.
Les résultats des tests trimestriels sont communiqués au mentor
comme aux parents. Si l'enfant échoue régulièrement,
on doit se poser des questions. Si c'est une lacune chez l'enfant, au mentor
de la déceler et de suggérer des mesures correctives. Si c'est
la faute du mentor, il pourrait perdre des clients... ou son droit à
enseigner.
3.2.1.4 Le seuil minimal... et plus
Dans la vaste majorité des cas, l'enfant n'échouera pas puisque
les tests trimestriels ne doivent viser à contrôler qu'un minimum
essentiel. Un strict minimum qui est prévu de façon réaliste
et qui marque le seuil en deçà duquel l'enfant - et plus tard
l'adulte - devra sans doute être encadré, peut-être sa
vie durant, ne possédant pas la structure mentale ou la stabilité
émotive pour devenir un citoyen autonome. L'enfant dont on s'attend
à ce qu'il échoue ces tests aura la plupart du temps été
identifié au cycle préscolaire. S'il ne l'est qu'au Cycle
général I, il sera alors réorienté vers une
formation spécialisée. Qu'une société doive
prévoir un encadrement pour les moins doués de ses citoyens
est une évidence; nous y reviendrons dans un autre document.
Certains enfants n'échoueront pas, mais termineront le niveau primaire
avec le strict minimum que prévoit l'État. Ceci apparaîtra
à l'évaluation des progrès de l'enfant que le mentor
remettra aux parents et au Ministère chaque année. Ce minimum
ne représentant que 20% de ce qu'on s'attend en moyenne à
ce qu'un enfant puisse acquérir, n'atteindre que le minimum ne doit
être le cas que d'une petite minorité des enfants. Mais il
faut tenir compte de cette réalité que certains individus,
même s'ils n'ont pas à être institutionnalisés
ou encadrés, auront néanmoins un développement cognitif
ou social significativement inférieur à la moyenne. Identifiant
vite ceux dont les aptitudes insuffisantes ou les comportements aberrants
exigent une attention spéciale, le mentor pourra faire corroborer
ce jugement par des experts indépendants et aiguiller ces enfants
vers des mentors spécialisés dans le suivi des cas de ce genre.
Certains enfants échoueront, d'autres s'en tiendront au seuil minimal,
mais, pour la vaste majorité des enfants, les acquis dont ils auront
obtenu la reconnaissance formelle par des tests du Ministère à
la fin de leurs études primaires (Cycle général I)
ne représenteront qu'une petite part des connaissances et de la culture
qu'ils auront acquises. Bien au-delà de ce minimum qui aura fait
l'objet d'une évaluation normative, ils auront tout un bagage de
culture et de connaissances acquis par le biais d'activités personnalisées
que le mentor aura planifiées de conncert avec l'enfant et selon
les intérêts de ce dernier. C'est ce bagage qui constituera
la véritable éducation de l'enfant.
Ce bagage ne fera pas l'objet d'une reconnaissance formelle, afin de ne
pas susciter - (surtout chez les parents!) - une émulation qui pourrait
être préjudiciable à l'enfant, aussi bien si l'objectif
est un bagage de connaissances dépassant de loin ce qui est prévu
pour son âge que s'il s'agit de prouesses sportives, comme on en a
eu déjà tant d'exemples. L'enfant, au Cycle primaire, ne sera
pas admis à des tests ou pré-tests conférant des attestations
pour des modules discrétionnaires. Cela dit, ce que l'enfant aura
appris au CG I ne pourra que lui servir, même sans reconnaissance
formelle, à apprendre plus et plus vite dès son entrée
au niveau secondaire (CG II).
Au début de l'année scolaire suivant leur douzième
anniversaire, les enfants entreront au Cycle général II. Ils
y arriveront incomparablement mieux préparés que ne le sont
les élèves qui passent aujourd'hui du primaire au secondaire.
De tous les niveaux du système actuel d'enseignement, aucun n'est
aussi pernicieux que le secondaire, vaisseau-amiral emblématique
du naufrage de l'éducation. C'est au niveau secondaire qu'est consommée
la rupture entre ce que nous voulons d'une éducation et ce qui est
offert. C'est à ce niveau que s'impose une école impersonnelle,
une monstruosité qui ne prépare vraiment ni à la vie
ni au travail.
Il est urgent de recréer une école humaine qui reconnaisse
à l'éduqué le droit de devenir ce qu'il veut être
et lui fournisse les ressources nécessaires pour le devenir. L'école
proposée au Cycle général II s'écarte donc résolument
de la formule déshumanisante qui consiste à soumettre l'adolescent
à la multiplicité des directives d'une foule de spécialistes.
Elle lui fournit, au contraire, la plus importante des ressources: un enseignant
éducateur tout entier disponible pour l'éduquer.
3.2.2.1 Le précepteur
Celui que nous avons appelé au CG I un mentor devient au CG II un
PRÉCEPTEUR, changement d'appellation qui doit refléter la
transformation d'une relation jusque-là presque à sens unique
en un nouveau rapport qui mette l'accent sur la collaboration. La mission
du précepteur est de donner à l'élève une attention
diligente et une formation sur mesure. Le précepteur, au sein de
l'école nouvelle, ne se présente plus comme la source ou l'interprète
du savoir mais, ainsi que nous y avons déjà fait allusion,
comme le guide de l'élève dans l'univers de la connaissance.
Le précepteur doit tout savoir de ce qui constitue le programme de
base obligatoire du CG II. Est-ce là incongru? Puisque l'éducation
du Cycle général sera obligatoire pour tous, comme le sont
aujourd'hui l'éducation primaire et secondaire, et enseignera le
bagage minimum de connaissances que doit posséder tout citoyen ordinaire,
pourquoi un enseignant ne devrait-il pas en savoir au moins tout autant?
Et puisqu'il a reçu la formation qui l'a rendu apte à transmettre
son savoir, pourquoi devrait-il être restreint à n'en enseigner
qu'une partie? Le précepteur doit avoir la responsabilité
de toute la formation académique de l'adolescent, de 12 à
17 ans.
En réalité, il assume une responsabilité bien plus
globale, car sa vision doit s'élargir à tout le processus
d'apprentissage de l'adolescent. Un précepteur ne doit pas penser
essentiellement en termes de cours et d'examens; il doit orienter chaque
élève, selon les goûts et les aptitudes de celui-ci,
vers des choix qui lui soient personnels. Même le moins doué
des élèves "ordinaires" devrait pouvoir être
"le meilleur" en quelque chose. C'est ça le vrai défi
du précepteur. Ce sont ces choix de l'adolescent qui, peu à
peu, pourront se cristalliser pour devenir son choix d'une carrière.
Le précepteur, comme le mentor, est un professionnel autonome. À
la différence du mentor qui travaille seul, le précepteur
uvre cependant en équipe, contribuant à la cohésion
d'un groupe d'appartenance et facilitant le phénomène d'"interformation"
terme par lequel nous voulons désigner l'impact formateur crucial
que peuvent avoir les uns sur les autres les participants à un projet
éducatif. Cette distinction et quelques autres justifient que l'on
décrive ici plus en détail la fonction des éléments
de la structure proposée pour l'éducation de niveau secondaire
(Cycle général II).
3.2.2.2 Le "Foyer"
Nous empruntons, pour désigner le module de base du CG II, le vocable
"Foyer" dont la connotation nous semble positive, Le Foyer, tel
que nous l'entendons ici, désigne un groupe initial de trente (30)
élèves du même âge et un enseignant (précepteur)
qui leur sert de guide. Nous dirons plus loin comment ce groupe est formé.
Ce Foyer, comme le groupe créé autour du mentor au niveau
primaire, doit avoir la permanence (5 ans) qui permet des relations profondes
et stables précepteur-élèves et l'éclosion d'un
sentiment d'appartenance. Répondant aux véritables besoins
et aux aspirations des adolescents, le Foyer maintient sa cohésion
durant 5 ans sans égard aux performances académiques de chacun.
Il offre ainsi à chaque adolescent, non seulement un guide et un
modèle, mais aussi l'appartenance sécurisante et inconditionnelle
à un groupe de ses pairs.
Le Foyer ne doit pas être considéré uniquement comme
un endroit pour apprendre, si ce n'est pour y apprendre à vivre.
Le Foyer est une cellule sociale: le point de convergence des intérêts
multiples de l'élève. On y revalorise le développement
physique et le jeu, la solidarité, la collaboration. L'élève
s'y éveille à son rôle d'être grégaire,
social, communautaire.
À la fin de l'année scolaire suivant ses 17 ans révolus,
l'adolescent, désormais considéré comme un adulte,
terminera son cycle général d'éducation et entreprendra
une nouvelle étape de son cheminent formatif que nous verrons plus
loin.
3.2.2.3 La "Famille"
Le "Foyer" - qui réunit trente adolescents du même
âge pour la durée de leurs études secondaires - vient
s'intégrer à une "Famille", laquelle regroupe cinq
cohortes, cinq Foyers de classes d'âge successives. Contrairement
au "Foyer", dont la durée de vie est, par définition,
limitée à 5 ans, la "Famille" est une entité
permanente puisqu'une nouvelle classe de débutants vient chaque année
remplacer celle des finissants.
Cette permanence permet à la "Famille" de répondre
à d'autres besoins de l'adolescent, complémentaires de ceux
auxquels satisfait le "Foyer". La "Famille" peut être
dépositaire d'une tradition, justifiant un sentiment d'appartenance
plus abstrait mais tout aussi valable que celui que suscite le "Foyer".
C'est par sa "Famille" que l'adolescent s'identifiera, non seulement
au cours de ses études, mais peut-être tout au long de sa vie,
comme jadis on s'identifiait à son "vieux collège".
L'équipe pédagogique de la "Famille" est constituée
de 5 précepteurs, un par Foyer/cohorte, sous la gouverne d'un "Chef
de famille" qui en est le coordonnateur, l'administrateur, le porte-parole
et le responsable devant le Ministère. Le "Chef de famille"
décharge les précepteurs des tâches administratives.
Il est leur conseiller en matières de relations humaines, mais sans
s'immiscer dans la relation précepteur-élève, sauf
en cas de conflit entre eux ou entre eux et les parents, auquel cas il joue
le rôle de médiateur. Pour l'élève, le précepteur
est son guide et son ami; le "Chef de famille" représente
l'Autorité.
La "Famille" offre un cadre à l'intérieur duquel
les aînés se responsabilisent face aux plus jeunes tout en
sécurisant ceux-ci face au milieu scolaire. Elle permet, sans rupture
d'encadrement, des relations sociales entre les élèves les
plus matures d'un groupe d'âge et ceux des foyers plus âgés
de la même "Famille". Elle organise les activités
parascolaires auxquelles il est opportun de convier des élèves
d'âges différents, ou celles qui nécessitent des groupes
de plus de trente personnes et où la différence d'âge
ne constitue pas un empêchement: concerts, visites, etc.
La "Famille" offre aussi une continuité à partir
de laquelle on peut organiser le système d'éducation; c'est
le module administratif permanent d'un système d'éducation
personnalisée, comme le Foyer en est le module pédagogique.
La "Famille" est en principe une coopérative de professionnels
autonomes. Toutefois, rien ne devrait interdire qu'elle soit simplement
une société embauchant des employés, précepteurs
et Chef de famille.
3.2.2.3.1 Le choix d'une famille
Plusieurs Familles cohabiteront dans une "École". Ce n'est
pas un modèle original, c'est celui du Public School anglais
traditionnel. Nous verrons plus loin le rôle, dans le système
d'éducation, de l'école définie dorénavant comme
un lieu et non une institution. Ici, arrêtons-nous un instant à
un moment clef de la vie de l'adolescent lorsqu'il arrive au CG II: le choix
de son Foyer et de sa Famille.
Au début de l'année scolaire, lorsque les adolecents arrivent
à l'école qui leur est assignée et qui correspond à
leur lieu de résidence, ils sont d'abord durant un mois des "agents
libres", sous la responsabilité d'un Conseil composé
des Chefs de famille et sous la surveillance active des précepteurs
- un par famille - qui prendront bientôt charge des nouveaux Foyers
que chaque Famille est à constituer. Durant cette période,
les adolescents devront choisir l'une ou l'autre des Familles qui se partagent
l'école et s'en faire accepter... et vice-versa, puisque la Famille
comme les parents devront être d'accord. À la fin du mois,
un accord écrit entre les parents et le Chef de Famille viendra conclure
l'inscription formelle de l'élève à la Famille choisie.
Ce contrat formel, voire les entrevues avec le précepteur qui conduiront
à cette décision, ne feront, la plupart du temps, qu'officialiser
un choix qui se sera fait dans la cour de l'école. Certaines Familles
se créeront une réputation plus enviable et les parents chercheront
à se substituer aux choix de leurs enfants pour les inscrire à
celles-ci. Ceci est inévitable, mais une Famille qui accepterait
un adolescent contre son gré serait sur la voie de la catastrophe
et celles-ci verront à ce que ce soit le choix de ce dernier qui
prévale.
Dans certains cas, l'accord entre l'adolescent et l'une ou l'autre des Familles
que regroupe l'école ne se fera simplement pas. Les transferts entre
écoles pour optimiser les chances de libre choix seront autorisés
sans difficultés, sur demande des parents ou recommandation du Conseil
des Chefs de famille de l'école. Malgré cette option, certains
ne réussiront pas à accepter et à se faire accepter.
À la solution qui consisterait à répartir ceux-ci entre
toutes les familles en leur forçant un peu la main, je crois qu'il
faut privilégier celle de les laisser plutôt se réunir
par défaut, en bout de course, dans une seule Famille par école.
Les responsables de cette Famille, au vu du déroulement du processus
de sélection, seront conscients des efforts supplémentaires
qu'ils devront consentir et recevront prioritairement l'aide des ressources
que l'école et le système mettent à la disposition
des Familles.
3.2.2.3.2 Un climat... familial
L'école - qui peut abriter parfois une douzaine de Familles dans
le cas d'un gros établissement scolaire réaménagé
- est un lieu où il faut s'assurer que la bonne entente règne
entre ces diverses Familles, l'émulation entre celles-ci ne pouvant
qu'être au diapason du sentiment d'appartenance qu'elles suscitent.
C'est dans ce contexte d'une émulation maintenue dans les cadres
de la civilité que les gradués du CG I arriveront à
l'école et choisiront - et seront choisis - par un précepteur
et une Famille. Le risque d'une rivalité agressive entre Familles
sera présent; vaut-il d'être couru?
Oui, car l'évolution de la société montre que la carence
de structures intermédiaires à échelle humaine ne se
traduit pas uniquement par une aliénation; elle se traduit aussi
souvent chez les adolescents, par la création de bandes dont les
objectifs et les activités sont en marge de la légalité.
Encourager l'appartenance à un groupe dans le contexte du système
d'éducation, c'est faire la part du feu face à un incendie
que rien d'autre ne semble devoir arrêter. Assurer la paix à
l'école tout en développant l'appartenance est un défi
qu'il faut relever.
Il faut relever le défi, mais aussi gérer le risque dans la
mesure du possible. Le succès que l'on obtiendra dans le contexte
du réaménagement des édifices existants déterminera,
à moyen terme, dans quelle mesure la taille des prochains établissements
devra peut-être diminuer pour optimiser les avantages de réunir
plusieurs familles en un même site tout en réduisant les dangers
de rivalités menant à des confrontations.
3.2.2.4 Le contenu
Au niveau primaire, les acquis de l'enfant au-delà du curriculum
obligatoire ne sont pris en compte que de façon allusive et informelle,
dans le rapport annuel du mentor. Au niveau secondaire, au contraire, ils
font l'objet de tests réguliers par le Ministère - (précédés
d'un pré-test, comme nous le verrons plus loin) - qui donnent lieu
à l'obtention d'une attestation pour chaque module réussi.
Les modules n'ont pas tous le même format, mais le temps normal d'apprentissage
qu'ils exigent est indiqué en "heures", de sorte qu'on
peut suivre le cheminement de l'élève. On peut s'attendre
à ce que l'élève moyen obtienne au CG II des attestations
pour des modules représentant 5 000 heures de formation. C'est la
somme de ces attestations - chacune identifiant à quelle version
du module elle fait référence, car il y aura des changements
périodiques aux modules - qui constitue le profil de l'étudiant,
le volet "éducation" de son futur curriculum vitae.
Certaines de ces connaissances formeront une séquence cohérente
sans solution de continuité et définiront la compétence
professionnelle de l'éduqué, pour laquelle il pourra obtenir
éventuellement à la fin de la phase de formation initiale
du Cycle spécifique (cf. 3.3.1), un certificat établissant
son statut pour les fins du travail. D'autres connaissances n'auront été
acquises que par goût, sans prétendre en faire une profession,
et constitueront le volet culturel de son éducation. Sans préjudice,
toutefois, à ce que l'éduqué à son heure puisse
les compléter et les transformer en une compétence professionnelle.
3.2.2.4.1 L'obligatoire ...
Comme au CG I, le programme académique obligatoire n'est qu'un aspect
du projet éducatif du CG II et il n'en est pas le plus accaparant.
Ici comme là, le contenu obligatoire de l'éducation doit être
réduit à ce qui est essentiel au rôle social ou à
l'activité professionnelle de tous ou d'une vaste majorité
des futurs adultes. Cette composante obligatoire - plus légère
qu'aujourd'hui mais VRAIMENT universelle - équivaudra à environ
1 000 heures de formation.
Qu'y perdrons-nous? La plus grande partie de ce qui est aujourd'hui traité
comme matière obligatoire au secondaire n'a pas de valeur intrinsèque
ni formative particulière qui justifie qu'on l'impose à tous.
Nos choix actuels de ce qui est obligatoire et de ce qui est facultatif,
au secondaire, ne font que refléter nos préjugés, nos
habitudes et, surtout, le nombre d'enseignants qui ont choisi de se spécialiser
dans une matière plutôt qu'une autre et dont on veut amortir
le coût de formation. Notre système va comme ces gens qui s'empiffrent
au-delà de leur appétit pour ne pas gaspiller... et qui refont
du café dont ils ne voulaient pas pour avaler le dernier biscuit
dont ils n'ont pas vraiment envie.
Prenons un exemple. Il n'y a pas de raison valable pour que le calcul intégral
soit aujourd'hui une matière obligatoire au programme, considérant
que pas une personne sur 10 000 n'utilisera plus tard cette connaissance
de façon professionnelle et que pas une sur 100 n'en gardera même
la moindre notion 5 ans après l'avoir apprise. Le calcul intégral,
comme matière obligatoire, n'a d'autre utilité qu'éliminatoire.
On lui fait jouer le rôle d'un test discriminant pour NE PAS donner
un diplôme à ceux qu'on juge inaptes à l'éducation
supérieure, ce qui est une mesure discriminatoire et absolument néfaste.
Une mesure élitiste gratuite, alors qu'on recule ailleurs devant
l'élitisme nécessaire qui permettrait à chacun d'aller
jusqu'au bout de son potentiel. Il est plus utile, dans la vie courante,
de connaître une langue étrangère de plus - ou même
de pouvoir deviser élégamment des Impressionnistes - que de
s'être frotté au calcul intégral
3.2.2.4.2 ... et l'essentiel
En réduisant le contenu obligatoire du CG II, on dispose de plus
de temps pour des activités ludiques, sportives, socioculturelles...
et surtout pour l'apprentissage d'éléments librement choisis
par l'élève à la liste des cours disponibles. Ce sont
ces choix qui détermineront son profil unique dans un système
de production qui, désormais, ne sait plus trop que faire des copies
conformes. Ce sont ces cours, dits discrétionnaires, qui façonneront
l'originalité des profils des apprenants et qui constitueront l'essentiel
de leur éducation, reflétant la diversité de notre
monde.
Les modules discrétionnaires pourront être choisis non seulement
parmi ceux disponibles dans une école donnée - à ce
qu'on appelle maintenant la maquette institutionnelle - mais, grâce
à l'ubiquité que permet l'ordinateur, parmi la liste complète
de tous les modules d'enseignement qu'on aura ré-formulés
pour les rendre directement accessibles à l'apprenant. Tous les modules
d'enseignement du système deviendront accessibles à tous,
à quelqu'école que l'éduqué soit inscrit, dès
qu'on aura satisfait a deux conditions préalables qui doivent devenir
deux objectifs prioritaires d'une réforme:
- corriger le vice impardonnable qui consiste à avoir écrit
les programmes pour les maîtres plutôt que pour les élèves;
- initier l'adolescent aux méthodes autodidactiques qui lui permettront
d'assumer progressivement la responsabilité de gérer lui-même
sa propre démarche d'apprentissage.
Dès que l'élève manifeste ainsi sa maturité
et une autonomie dont l'une des facettes est justement sa maîtrise
du matériel autodidactique, l'éducateur peut substituer de
plus en plus aux cours magistraux des instructions personnalisées
et des périodes d'étude. Ceci permet d'éclater le curriculum
aujourd'hui imposé à tous en autant de cheminements personnels
qu'il y a d'élèves et d'accorder à chacun l'attention
personnelle requise.
Ce qui est la voie de l'enseignement personnalisé, la voie royale
vers une véritable éducation qui satisfasse aux besoins de
l'individu comme à ceux de la société.
3.2.2.4.3 Le contenu professionnel
Pour beaucoup d'élèves, la nature de leurs intérêts
et leurs aptitudes suggéreront une orientation rapide vers un métier
manuel ou une éducation mettant l'accent sur des travaux pratiques.
Comme nous le verrons dans la section ci-après consacrée au
Cycle spécifique, cette éducation est particulièrement
plus efficace si elle a lieu dans l'entreprise même plutôt que
dans une école. Pour cette raison, dès l'âge de quinze
ans, le profil de certains élèves incitera leur précepteur
à les diriger vers une formation en entreprise à la hauteur
de 15 heures par semaine, la formation pratique qu'ils en retireront étant
considérée comme un module d'éducation au même
titre que les autres modules et menant aussi à une attestation.
L'affectation à ce type de formation en entreprise ne modifiera en
rien l'appartenance de l'élève au Foyer. Comme nous l'avons
dit, l'appartenance de l'adolescent à son foyer ne dépend
pas de ses succès académiques. Le CG II correspond à
une étape de son développement intellectuel et, quelles que
soient les attestations qu'il obtienne ou n'obtienne pas, son éducation
de niveau secondaire durera 5 ans.
Cette affectation ne modifiera pas non plus son statut à l'intérieur
du groupe de ses pairs. D'abord parce que cette orientation ne modifiera
en rien le volet culturel de l'éducation de l'élève
tel que lui-même et son précepteur en auront convenu et que
ce n'est pas leurs apprentissages professionnels, sauf dans la mesure où
ils les partagent, mais ce volet culturel qui peut servir de base à
un échange. Ensuite, parce que les adolescents se jugent de toute
façon selon des critères différents - et parfois plus
sains - que ceux des adultes, souvent obnubilés par les diktats de
la hiérarchie socioprofessionnelle qu'ils ont seule appris à
respecter.
Contenu professionnel, toutefois, ne veut pas dire uniquement une bifurcation
hâtive vers un apprentissage manuel. Ça peut être aussi
une concentration en sciences pures qui annonce le futur chercheur, le médecin,
etc. S'il est plus doué - et que son précepteur est habile
à créer chez lui la motivation de l'excellence - l'élève
n'atteindra pas plus vite la fin du CG II, mais il en retirera bien plus.
Certains élèves termineront ces années de CG II avec
beaucoup plus de connaissances que d'autres et des modules "valant"
8 000, qui sait 10 000 heures de formation et des attestations pour en faire
état. C'est au moment de leur insertion dans le Cycle spécifique
que joueront les différences et qu'ils retireront le fruit de leurs
efforts.
Quand l'éduqué termine son Cycle général, il
est considéré comme un adulte et ne recevra plus désormais
que l'éducation qu'il lui plaira de choisir, bénéficiant
cependant, sa vie durant, de la guidance d'un orientateur de son choix qui
sera payé par capitation par l'État. Il recevra son éducation
dans le cadre d'une formation initiale ou continue, en institutions d'enseignement
ou en entreprise. Il recevra la formation qui correspond à sa marche
en avant dans le monde de la connaissance, mais consistera aussi de la mise
à jour continue des modules qu'il aura déjà appris.
Ceux-ci, en effet, comme nous l'avons dit, seront datés, "millésimés",
si on peut dire. Il sera impératif, pour que son certificat ne devienne
pas désuet, que tout individu qui détient une attestation
dans un domaine en évolution retourne périodiquement passer
un nouveau test et recevoir l'attestation d'une connaissance qui corresponde
à l'état actuel de la connaissance.
Dans un premier temps - et aussi longtemps qu'il sera inscrit à un
programme d'éducation professionnelle approuvé par son orientateur
et en réussira les tests au rythme fixé - l'éduqué
sera considéré comme en "formation initiale" et
un étudiant à plein temps. En moyenne, cette période
durera deux ans, mais elle sera plus courte pour certains et pour d'autres
bien plus longue. L'avantage pour l'étudiant d'être en formation
initiale est de lui permettre d'obtenir de l'État, sans autre formalité
que celle d'en faire la demande, le financement de ses études à
temps complet. Nous verrons plus loin comment ce facteur revêtira
une importance accrue dans un système réformé d'éducation.
Même si le plus clair de son énergie durant cette phase devrait
passer à acquérir des compétences professionnelles
pointues qui lui bâtiront une carrière, l'étudiant pourra,
simultanément, comme tout autre adulte, suivre des cours de son choix
pour parfaire sa propre culture à la hauteur du nombre de modules
(en "heures" de formation) déterminé par l'État
selon les objectifs de la politique culturelle. De plus, il pourra naturellement,
comme tout autre adulte, accéder seul directement aux modules préparés
selon les normes de l'apprentissage autodidactique et passer sans frais
les tests correspondants à ces modules pour en obtenir l'attestation.
Lorsqu'il décidera d'interrompre ses études à plein
temps ou, qu'ayant échoué, il ne pourra suivre le rythme exigé
de tests réussis pour maintenir son statut d'étudiant en formation
initiale, l'étudiant pourra se présenter au Bureau du Travail
et obtenir sa certification au niveau le plus élevé que permet
sa formation acquise et qui correspond à une demande de main-d'uvre.
(Le détail de cette procédure et les conséquences qui
en découlent dans un régime de travail-revenu garanti sont
décrits à la page www.nouvellesociete.com/701.html
<à laquelle nous avons déjà référé)
À partir de ce moment, il quitte l'étape de la formation initiale
pour passer à celle de la formation continue. Rien n'a changé
pour lui, toutefois, de la démarche à suivre pour poursuivre
sa formation, si ce n'est la disponibilité du financement, laquelle
existe toujours mais est dorénavant régie pour lui par les
normes de la politique du travail. Sa possibilité de formation auto
didactique demeure pratiquement infinie, mais le financement de cours devient
pour lui un privilège qui dépend des ressources et des besoins
de la collectivité plutôt qu'un droit.
Que ce soit à l'étape de la formation initiale ou de la formation
continue, l'éducation au cycle spécifique peut être
dispensée dans une institution d'enseignement. Ce sera le cas pour
l'enseignement des modules dont la généralité justifie
qu'ils soient enseignés à un nombre relativement élevé
d'individus et sans que soit précisée au départ l'affectation
professionnelle de ceux qui auront acquis ces connaissances. Ce type de
formation prendra place dans les locaux des collèges, instituts et
universités qui existent présentement.
C'est là que seront donnés également, par des professeurs
autonomes, tous les cours de pur transfert de connaissances et les cours
de transfert de compétence (croissance personnelle, etc) pour lesquels
la demande excède tellement la demande du marché du travail
qu'on peut penser que ceux qui s'y inscrivent cherchent à en tirer
une culture plutôt qu'une formation professionnelle.
Lorsque la spécificité d'un module augmente, toutefois, et
que son but est la transmission d'une compétence qui trouve preneur
sur le marché plutôt que d'une simple connaissance, lorsqu'il
faut pour l'enseigner avoir accès à des équipements
similaires à ceux utilisés dans le système de production,
lorsque ce module conduit directement à une attestation qui puisse
donner lieu à un certificat qualifiant pour les fins du revenu-travail
garanti, il devient opportun que ce module ne soit pas enseigné dans
une institution mais en entreprise.
Comment monter un système de formation en entreprise? D'abord, les
entreprises ou les groupements de professionnels autonomes qui souhaiteraient
offrir de la formation s'inscrivent au Ministère des Ressources Humaines
(MRH) comme "Centres de formation". Elles font ensuite les démarches
requises pour former certains de leurs travailleurs comme enseignants professionnels,
ce qui exige que celui qui a déjà certaines compétences
pour lesquelles il a reçu un certificat de compétence professionnelle
(CCP) obtienne aussi l'attestation faisant foi de sa capacité à
l'enseigner (module pédagogique), puis le certificat du MRH l'autorisant
à enseigner et en faisant un "maître". Il ne faut
pas, en moyenne, plus de six semaines pour montrer à un bon ouvrier
qualifié à enseigner ce qu'il sait.
Pendant que se construit ainsi la compétence d'enseigner, les entreprises
qui prévoient avoir des besoins de main-d'uvre qualifiée -
ainsi que les travailleurs autonomes qui veulent obtenir une formation -
présentent une demande à cet effet au MRH en indiquant les
postes à pourvoir ou leur statut de travailleurs autonomes. Les demandes
des employeurs et des travailleurs autonomes sont confidentielles, mais
permettent au MRH de déterminer, à tout moment, la demande
pour chaque module de formation de la maquette modulaire puisque l'équivalence
entre celle-ci (pédagogique) et les postes de travail aura été
définie par une analyse universelle des tâches.(cf.www.nouvellesociete.com/701.html
Cette information sur la demande de formation est diffusée périodiquement
aux entreprises et groupements qui se sont inscrits comme centres de formation
et qui disposent de "maîtres", ces travailleurs à
qui l'on a enseigné à enseigner. Toute entité formatrice
et régulièrement inscrite qui souhaite former des travailleurs
pour les postes pour lesquels elle estime qu'il existe une demande peut,
en tout temps, faire une offre au MRH, précisant quand, selon quelles
modalités et à quel prix elle est disposée à
offrir cette formation. Une entité formatrice, dans certains secteurs,
peut être un professionnel autonome aussi bien qu'une multinationale.
Ainsi, un avocat peut en former d'autres, mais il est clair qu'on n'enseigne
pas à naviguer si on n'a pas de navire, ni le protocole de surveillance
de hauts-fourneaux dans un sous-sol de banlieue.
Les conditions de ces offres de formation sont publiques et spécifiquement
transmises aux demandeurs de formation, entreprises et travailleurs. Les
premières peuvent faire une offre de travail ferme d'une durée
déterminée aux travailleurs pour les inciter à se qualifier.
Ceux-ci pourront choisir d'accepter cette offre et d'assumer le coût
de leur formation en bénéficiant d'un prêt du Fonds
Éducation dont nous verrons plus loin les mécanismes de fonctionnement.
Les entreprises peuvent aussi se prémunir contre le risque d'avoir
à embaucher un travailleur qu'elle jugerait incompatible en favorisant
l'embauche du candidat de leur choix avant que ne débute la formation,
ou en en sélectionnant un le plus tôt possible parmi ceux qui
seront inscrits et en payant dès lors elle-même les coûts
de sa formation
Quand un nombre suffisant des demandeurs de formation sont satisfaits des
conditions offertes par l'entreprise formatrice et acceptent d'en payer
le prix, le contrat intervient. Le MRH s'en porte garant et c'est alors
que la formation a lieu: PAS AVANT. C'est pour répondre à
un besoin ferme seulement, en effet, qu'il faut offrir une formation professionnelle
spécifique; une formation spécifique "à l'aveugle",
dans un système de production en mutation comme le nôtre, est
une perte de temps et d'argent.
Il y aura normalement plus de candidats à la formation que de places
disponibles. Qui reçoit la formation? Prioritairement - (le MRH imposant
ses priorités en se portant garant du paiement du prix de la formation
par le Fonds Education) - ce sont les travailleurs totalement autonomes
et ceux qui sont déjà à l'emploi d'une entreprise qui
souhaite qu'ils soient formés et qui paye leur formation qui ont
préséance. À la mesure des places disponibles, ces
candidats sont acceptés d'office.
Ensuite, viennent deux clientèles: a) les travailleurs touchés
par le partage du travail et qui ont choisi d'être affectés
à une formation ou aux travaux d'intérêt collectif plutôt
que d'entreprendre un travail autonome en parallèle; b) tout étudiant
qui en fait la demande (avec l'accord de son précepteur, s'il a entre
15 et 17 ans), à condition que sa formation antérieure lui
ait déjà assuré les pré-requis nécessaires
à la formation qu'il veut entreprendre. S'il a 17 ans et plus, l'étudiant
(i. e l'individu qui est encore en formation initiale) a deux options, s'il
est accepté: a) maintenir son statut en formation initiale si la
formation à laquelle il s'est inscrit est approuvée par son
orientateur et correspond à son plan d'études, bénéficiant
d'un prêt du Fonds Éducation, ou b) s'intégrer au marché
du travail et toucher le revenu d'un travail partagé (au taux qui
correspond sans doute au salaire minimum, vu son inexpérience) passant
ainsi en formation continue.
Parmi les candidats de ces deux dernières clientèles, c'est
le MRH qui choisit ceux qui recevront la formation, au vu de critères
équitables établis dans le meilleur intérêt de
la collectivité. Toutefois, l'entité formatrice peut les tester
et en refuser certains pour bonne cause, auquel cas le MRH en désignera
d'autres pour parfaire le nombre prévu au contrat. Ce contrôle
préalable de l'entité formatrice est raisonnable, puisque
souvent elle sera l'employeur éventuel de tout ou partie des travailleurs
formés et que, de toute façon, sa réputation de formateur
serait ternie si un nombre anormal de candidats ne pouvaient, en fin de
piste, recevoir l'attestation faisant foi de leur apprentissage.
C'est le Ministère qui vérifie cet apprentissage quand la
formation est terminée. Il vérifie les connaissances des postulants
et décerne l'attestation qui reconnaît leur compétence
pour les modules auxquels ils ont été formés. Ceci
n'est qu'une application particulière du principe général
que seul l'État doit décerner des diplômes ou des certificats
et formellement "reconnaître les acquis".
Sauf l'exception d'une entreprise qui prend charge du coût de la formation,
ce qui lui donne le privilège concret de choisir son candidat, c'est
le travailleur qui bénéficie d'une formation qui en paye le
coût, généralement à partir d'un prêt du
Fonds Éducation. Ceci nous amène à parler du financement
de l'éducation spécifique.
L'éducation est la clef d'un avenir qui passe nécessairement
par l'affectation des travailleurs à des fonctions qui demanderont
une formation de plus en plus poussée. Hélas, la rentabilité
de cette formation sera de plus en plus précaire, puisque, hormis
les principes généraux de la logique, de la problématique
et de l'organisation des tâches, ce que l'on enseigne n'est que contenu
spécifique et donc vulnérable à la désuétude.
Les connaissances évoluant de plus en plus rapidement, l'éducation
va nous coûter de plus en plus cher puisqu'il ne s'agira pas seulement
d'apprendre mais continuellement de réapprendre.
Déjà, par exemple, un Québécois sur trois suit
des cours et nous allons vers une situation où c'est bientôt
20% du temps de production qui sera affecté à l'éducation,
peut-être plus dans une génération. Pouvons-nous nous
le permettre? Avons-nous les moyens de nos besoins et de nos ambitions d'éducation?
Qui va payer pour toute cette éducation et cette formation?
3.3.5.1 L'éduqué investisseur
Il va falloir abattre quelques vaches sacrées. L'espoir, par exemple,
que toute éducation soit gratuite. Aussi longtemps qu'on reste au
palier du Cycle général, dont on souhaite qu'il offre à
chacun des services identiques même si des efforts particuliers seront
consentis au départ au profit de ceux que leur milieu familial défavorise,
l'éducation peut et doit être gratuite. Mais après?
Quand la voie se divise et re-divise, amenant plus loin ceux qui sont plus
doués - et souvent ceux qui ont aussi bénéficié
au départ d'avantages économique et sociaux - est-ce à
la société d'assumer le coût de cette éducation/formation
supérieure?
On dit et on répète tous les jours que l'éducation
et la formation sont des investissements. Avons-nous le courage de tirer
les conséquences de cette réalité? Le premier bénéficiaire
de cet investissement en éducation, c'est celui qui apprend. Son
éducation supérieure va lui façonner une matière
grise sertie de connaissances précieuses dont c'est lui qui tirera
profit; son éducation va le rendre seul propriétaire d'un
"or gris" inaliénable, devenu dans notre société
le meilleur et le plus sûr des placements.
Celui qui apprend s'enrichit. Mais est-ce à la collectivité
de s'endetter et d'appauvrir tout le monde pour doter les privilégiés
d'un investissement qui les enrichira? Au siècle dernier, on a cru
de bonne foi - et un ministre de Louis-Philippe pouvait dire sans vergogne
- qu'il "appartenait à l'État de se réserver les
risques de ruine pour en protéger les industries", ce qui aujourd'hui
serait un scandale. Il sera un jour scandaleux qu'on ait pu aujourd'hui
accepter que des sommes énormes soient payées par tous pour
être affectées à l'éducation de quelques professionnels
qui, demain, utiliseront cet investissement pour retirer de la collectivité
2, 3, 5 ou 10 fois le salaire moyen de ceux qui leur auront payé
leurs études.
Dès qu'on atteint le seuil au-delà duquel n'iront pas tous
les citoyens aptes à assumer pleinement leurs responsabilités
de citoyen, c'est chaque individu qui devrait assumer le coût complet
réel (à l'exclusion de toute subvention) de l'éducation
de son choix. C'est lui qui en tirera profit; il faut que ce soit SON investissement.
En revanche, il est inacceptable que les circonstances financières
propres à un individu puissent poser obstacle à son développement
professionnel. L'État doit prêter à quiconque est accepté
à un programme d'éducation professionnelle les fonds nécessaires
pour défrayer les coûts inhérents à ce programme,
ainsi qu'un montant égal au salaire minimum pour assurer sa subsistance
sans soutien parental et sans qu'il ait besoin d'un travail d'appoint.
3.3.5.2 Le Fonds Éducation
Qui consentira ce prêt ? Un Fonds Éducation qui émettra
ses propres obligations garanties par l'État. Les prêts seront
remboursables en 30 ans, couverts par une assurance-vie et spécifiquement
exclus de toute faillite; ils porteront intérêt au taux des
obligations émises, majoré d'un facteur pour la couverture
du risque et les frais d'administration. Le Fonds Éducation ne refusera
un prêt à personne... qui n'a pas subi deux (2) échecs.
Le cas de celui qui a subi deux échecs pourra être reconsidéré,
mais pas avant cinq (5) ans du dernier échec.
Avec l'aide du Fonds Éducation, l'élève-client devient
solvable. L'éducation professionnelle de tronc commun étant
réintroduite au (CG II) où se trouve sa véritable place,
aucune institution post-secondaire (CG II) n'a donc plus à recevoir
de subventions, chacune ayant dorénavant la responsabilité
de se financer à partir de ses frais de scolarité ou des dons
qui lui sont consentis. On reporte ainsi sur le Fonds Éducation,
garanti par les engagements de ses utilisateurs, le poids du financement
de ce qui constitue aujourd'hui l'éducation collégiale, la
formation professionnelle et les études universitaires.
Le recours au Fonds Éducation, d'ailleurs, peut n'être que
la première option de financement d'une formation professionnelle.
Considérant l'exceptionnel retour sur investissement que procure
une formation dans certaines disciplines universitaire - médecine,
MBA, actuariat, etc - l'hypothèse peut être sérieusement
envisagée qu'un groupe d'étudiants puissent obtenir d'un investisseur
le financement de leurs frais de scolarité et un revenu raisonnable
durant leurs études, en échange d'une participation au revenu
qu'ils retireront subséquemment de leur travail.
Quel que soit le mode de financement auquel il aura recours, l'individu,
s'il agit rationnellement, ne consentira cet investissement dans son éducation
professionnelle que si lui est offert pour le faire un emploi ferme et rémunérateur,
ou s'il prévoit en retirer par la suite une augmentation significative
de son revenu de travailleur autonome. N'est-ce pas ainsi que les choses
devraient être ?
3.3.5.3 Financer la culture
En ce qui a trait à l'éducation culturelle, chaque individu
recevra annuellement, dès l'âge de 17 ans - quand il termine
son Cycle général II - et jusqu'à son décès,
un crédit applicable au paiement des frais de scolarité des
cours de son choix auprès de toute institution d'enseignement reconnue.
L'État, toutefois, ne versera la somme prévue que lorsque
l'étudiant aura passé avec succès le test et donc obtenu
l'attestation correspondant au module auquel il se sera inscrit.
À combien s'élèvera ce crédit annuel? Cette
contribution de l'État variera selon les ressources dont dispose
notre société et la priorité qu'elle accorde à
la culture et au développement personnel de ses citoyens. Le principe
important qu'il convient de poser est que ce montant sera le même
pour tous, qu'il ne sera ni transférable ni négociable et
que l'utilisation ne pourra en être reportée plus d'un an.
3.3.5.4 Impacts d'un nouveau type de financement
Quel serait le résultat d'une approche aussi totalement novatrice
au financement de l'éducation et de la formation? Globalement, nous
n'en serions évidemment, comme société, ni moins instruits
ni moins formés et nous ne diminuerions en rien non plus - au contraire!
- l'égalité des chances d'accès à l'éducation
supérieure. Il est clair, toutefois, que les jeunes étudiants
tendraient sans doute à choisir avec plus de discernement les formations
qui peuvent leur offrir un véritable gagne-pain. Il y aurait donc,
au départ, un déplacement des inscriptions à objectifs
professionnels vers certaines professions et certains métiers réputés
générateurs d'emplois.
Au départ. Mais les files d'attentes pour obtenir la certification
professionnelle porteuse d'un revenu s'allongeant, l'équilibre correspondant
aux véritables besoins ne tarderait pas à se rétablir.
Surtout si, comme il est indispensable de l'assurer, les projections des
délais d'attente sont totalement transparentes. Et quand cet équilibre
sera rétabli, peut-être au détriment permanent de certaines
professions, y perdrions-nous vraiment, si une proportion plus grande de
nos diplômés allait vers des activités pour lesquelles
il existe une véritable demande effective?
Soulignons aussi une autre conséquence, cruciale pour notre avenir,
de cette nouvelle approche au financement de l'éducation: en traitant
l'éducation/formation comme un véritable investissement et
en en laissant assumer le coût par les investisseurs - ceux qui s'éduquent
- nous allégeons le budget des dépenses courantes de l'État
des sommes allouées à l'éducation post-secondaire et,
même en supposant un crédit important au titre de l'éducation
dite culturelle, nous pouvons affecter ailleurs, en sante. par exemple,
des somme largement accrues.
L'école appartient et est entretenue par le Ministère des
ressources humaines, gérée par le bureau régional du
Ministère. L'école est un immeuble à vocation spécialisée
qui, selon sa capacité, peut accueillir un nombre indéfini
de mentors avec ses élèves au niveau CG I ou un certain nombre
de Familles du CG II, mais jamais les deux en même temps. L'école
peut jouer aussi un rôle d'accueil dans le cadre de la formation continue,
soit exclusivement soit en parallèle avec son utilisation pour les
fins du CG, mais en répartissant strictement les temps d'utilisation
entre l'un et l'autre niveau. L'école peut aussi offrir à
la communauté dans laquelle elle s'insère tous les autres
services prévus par la politique de l'État et rendus possibles
par les ressources financières mises à sa disposition; ces
services rendus par l'école, toutefois, sont distincts de sa fonction
au service de l'éducation et l'on devrait être prudent afin
qu'ils n'interfèrent pas avec sa fonction éducative qui doit
être prioritaire.
Les mentors avec leurs élèves au CG I - ou les Familles au
CG II - sont accueillis dans des écoles mais l'école ne se
mêle pas d'éducation; il faut voir désormais l'école
uniquement comme un lieu physique et un centre de services. L'école
est affaire de logistique et d'opportunité regroupant plusieurs mentors
et leur classe du CG I, ou Familles du CG II, pour leur offrir certains
services à meilleur compte et optimiser l'utilisation et l'amortissement
de nos ressources actuelles. L'immeuble qui deviendra l'école du
système réformé existe déjà aujourd'hui;
il sera réaménagé pour permettre l'autonomie des groupes
qui y évolueront.
Parmi les services qu'elle offre, chaque école doit disposer de professeurs
spécialisés dans les disciplines qui exigent une compétence
"non-académique", une compétence que le précepteur
n'a pas à devoir offrir puisqu'elle diffère de celles que
l'on attend du citoyen moyen. Il y a donc à l'école, rémunérés
par le MRH, des professeurs d'éducation physique, des moniteurs de
sports et de loisirs, des professeurs de musique et d'arts plastiques. Des
équipements, aussi, qu'il vaut mieux être plus nombreux à
amortir : cafétéria, gymnase, laboratoires, ateliers.
Les bureaux régionaux du Ministère des ressources humaines
ont une fonction qui va au-delà du rôle qu'ils exercent dans
le cadre du système d'éducation proprement dit. Ils assurent
l'interface avec les équipements et produits culturels de la région,
avec les médias dans leur rôle d'agents de formation continue,
etc. Dans la seule optique de l'éducation, c'est par leur entremise
que le MRH embauche les ressources humaines, fournit les ressources techniques,
acquiert et entretient les immeuble et les équipements nécessaires,
paye les intervenants qui émergent à son budget et gère
l'acquisition, l'affectation, l'entretien et la mise au rancart des équipements
et ressources ainsi que leur répartition entre les écoles
de chaque région. Le bureau régional est aussi le centre de
liaison entre le MRH et la population et les autres entités gouvernementales,
particulièrement la "Direction de protection de la jeunesse
et de l'enfance."
Le bureau régional, surtout, est le point d'attache des conseillers
pédagogiques, spécialisés dans chacune des matières
qui constituent la maquette des programmes et modules. Ces conseillers pédagogiques
ont un triple rôle:
a) aider les éducateurs à maîtriser le contenu, l'esprit
et, le cas échéant, la pédagogie des divers programmes;
b) vérifier au moyen d'un "pré-test", à la
demande de l'éducateur - ou d'un orientateur pour les adultes en
formation continue - les connaissances qu'a assimilées l'étudiant
d'un module, ce qui permet deux choses:
- s'assurer des progrès des élèves avant qu'ils ne
se présentent à au test formel du Ministère pour obtenir
l'attestation pertinente à un module, afin d'éviter l'effet
démotivant d'échecs trop fréquents et la présentation
aux tests officiels de candidats mal préparés. Seul un conseiller
pédagogique peut inscrire l'élève ou l'adulte en formation
continue - à l'examen du Ministère et il ne le fait que lorsque
le pré-test a été réussi de façon satisfaisante.
Le "pré-test" constitue ainsi le premier palier d'une procédure
d'examen à double niveau qui est de la responsabilité exclusive
du Ministère. Cette approche favorise une politique de formation
continue pour les adultes, puisqu'elle ne fait pas de différence
entre les divers modes d'apprentissage mais constate seulement l'acquisition
d'une connaissance. Quiconque veut obtenir une attestation pour un module
donné, que sa motivation soit culturelle ou professionnelle, doit
passer avec succès d'abord le pré-test, puis le test lui-même.
Quand il réussit, sa compétence est reconnue sans autres formalités,
un fait dont l'importance est considérable pour les fins de la politique
de main-d'uvre, le partage du travail et le travail-revenu garanti.
- maintenir un dialogue permanent conseiller-précepteur, ce qui rend
possible, sans critiques ni sanctions, la correction par le conseiller des
lacunes de l'enseignement de la matière par l'éducateur. Soulignons
que le conseiller... conseille; il n'a ni autorité sur l'enseignant
ni mandat de le surveiller et de faire rapport au Ministère, sauf
si des échecs trop fréquents de ses élèves à
des modules obligatoires amène le Ministère à remettre
en cause la compétence et donc le permis d'enseignement de l'éducateur.
c) collaborer à la révision permanente du contenu des modules,
à la préparation des tests et à la définition
du matériel didactique et autodidactique requis. Les conseillers
s'acquittent de cette tâche en s'appuyant sur les résultats
des pré-tests, les commentaires qu'ils recueillent des éducateurs
et leurs propres recherches. Le résultat de leurs travaux est soumis
à un panel d'entre eux désigné par le Ministère
et qui en fait la synthèse.
Les liens intimes qui relient l'éducation au marché du
travail exigent une coordination entre les deux secteurs que seule une structure
commune ou un processus de feedback continuel peut satisfaire. Pour ne pas
alourdir ce texte, disons simplement que les fonctions pertinentes à
la gestion du système d'éducation relèvent toutes de
Directions et Services d'un MRH dont la description des mécanismes
internes devrait faire l'objet d'un texte subséquent. Nous ne mentionnerons
ici que les interventions du MRH indispensables à la compréhension
de son rôle dans le processus éducationnel.
Indépendamment des autres responsabilités qui sont les siennes
- (main-d'uvre, revenu garanti, etc.) - le MRH a d'abord, en ce qui concerne
l'éducation, des responsabilités logistiques et de gestion
qu'il assume via les bureaux régionaux dont nous avons déjà
parlé. Il a aussi deux autres fonctions principales:: la préparation
et mise à jour des programmes (modules) et la reconnaissance des
acquis.
3.4.3.1 Les objectifs et programmes
Le Ministère définit les objectifs globaux et spécifiques
de l'éducation. Les objectifs spécifiques mènent à
la préparation des modules d'enseignement qui composent l'arbre des
connaissances. Ces modules, ordonnancés dans le cadre de programmes,
correspondent aux exigences des postes de travail du système de production.
Sans cet ordonnancement - mais complétés par d'autres dont
la fonction professionnelle est toute théorique mais l'intérêt
pour la culture évident - les mêmes modules constituent la
maquette des cours disponibles au volet culturel de l'éducation.
Les modules sont construits et remaniés constamment par des équipes
de conseillers pédagogiques habilités par discipline dans
ce dessein, ceux-ci s'appuyant sur le travail de tous les conseillers compétents
dans une matière et mettant à profit les commentaires reçus
des enseignants, des employeurs et autres intéressés. Les
modules sont rédigés de façon qu'ils soient directement
accessibles par les éduqués auxquels ils s'adressent et constituent
l'outil suffisant pour l'apprentissage de la matière traitée.
C'est le Ministère qui assigne les conseillers aux équipes
de remaniement des modules et programmes et aux comités qui en assure
la vérification finale.
Le Ministère peut ainsi mettre en vigueur, à sa convenance,
des versions successives améliorées des modules couvrant les
diverses matières, la dernière version approuvée par
le Ministère devenant la norme. Tous les changements ainsi introduits
sont clairement identifiés. Le nouveau programme est disponible sur
demande et ceux qui ont obtenu une attestation pour une version précédente
peuvent, s'ils le souhaitent, passer un nouveau test et obtenir une attestation
"dernière version" afin d'éviter que leur compétence
ne devienne désuète.
3.4.3.2 La reconnaissance des acquis
Le Ministère doit reconnaître les acquis culturels et professionnels
de tous par un processus continu de tests par matières. Les objectifs
de chaque module et de chaque programme étant fixés, l'enseignant
a, comme nous l'avons indiqué, le choix absolu des méthodes
d'enseignement; c'est le Ministère seul, cependant, qui doit décerner
toutes les attestations et tous les certificats.
Des tests modulaires pour chaque matière ont lieu à date fixe,
normalement chaque mois, auxquels sont admis ceux qui y sont inscrits par
un conseiller pédagogique après avoir réussi le pre-test
que celui-ci leur a présenté.
Ce texte ne peut avoir de conclusion formelle, puisque, comme tout ce qui
a trait à l'éducation. il ne peut représenter qu'une
étape d'un processus continu. Et il y a les contenus à déterminer,
la formation des enseignants à prévoir.. Je veux donc simplement
terminer en laissant le lecteur tirer ses propres conclusions, mais en lui
proposant deux questions:
S'il n'existait aujourd'hui ni professeurs, ni écoles, ni administrations
scolaires, ni ministères de l'éducation, et qu'il nous faille
créer une structure pour assurer la transmission des connaissances,
est-ce que nous ne construirions pas quelque chose qui ressemble bien plus
à ce qui est proposé ici qu'aux systèmes que nous avons
maintenant ?
Si c'est bien le cas, que devrions-nous faire, chacun d'entre-nous, pour
que les préjugés, les investissements à amortir, les
intérêts corporatistes et la simple inertie ne retardent pas
indéfiniment la remise à jour d'un système d'éducation
qui ne correspond plus à nos objectifs mais néglige d'utiliser
les moyens à prendre pour se transformer?
Pierre JC Allard
La plupart des termes qui pourraient prêter à ambiguïté
sont définis dans le texte, mais lorsque c'est l'acception d'un terme
connu qui varie, elle est ici indiquée.
Apprenant (un): terme générique désignant tout individu
en sa qualité de sujet d'un apprentissage.
Apprentissage: somme des valeurs et connaissances qu'acquiert l'individu.
Attestation: document émis par le MRH et faisant foi de l'apprentissage
d'un module.
Cours: somme des interventions d'un enseignant lié à l'enseignement
d'un module ou d'un programme.
Éducateur: celui qui facilite l'apprentissage de valeurs et de connaissances.
Éducation: partie de l'apprentissage visant des objectifs prédéterminés.
Éduqué: individu en apprentissage sous la gouverne d'un mentor
ou précepteur.
Élève: celui qui reçoit un ou plusieurs cours.
Enseignant: mentor, précepteur, professeur ou maître sous son
aspect de dispensateur de connaissances.
Enseignement: effort conscient pour transmettre une connaissance.
Formation: terme générique désignant le travail de
l'enseignant ou de l'éducateur et sa réception par l'apprenant.
Maquette modulaire: ensemble ordonnancé des modules indiquant les
pré-requis de chacun.
Module d'apprentissage: ensemble de connaissances dont l'acquisition peut
faire l'objet d'une attestation.
Module d'enseignement: module faisant l'objet d'un cours.
Programme: ensemble de modules menant à un objectif prédéterminé.
Éducation préscolaire
- Mini-garderies: 1, 2, 3, 4, 5, 6 ans; (parents et/ou gardiens avec formation
parentale)
- Garderies: 4 ans (gardiens avec formation parentale)
- Pré-maternelles: 5 ans (éducateur spécialisé)
- Maternelles: 6 ans (éducateur spécialisé)
Éducation générale
- CG I: 7, 8, 9, 10, 11 ans; (Mentor)
- CG II: 12, 13, 14, 15, 16 ans; (Précepteur)
(À partir de 15 ans, possibilité de formation en entreprise
à la hauteur de 15 heures/semaine.
Éducation spécifique
- Formation initiale: 17 ans et plus.
- Formation continue: Après la fin de la formation initiale.
La formation spécifique mène à des attestations en
nombre illimités qui, lorsqu'elles sont reliées entre elles
sans solution de continuité, permettent l'émission de Certificats
de Compétence Professionnelle (CCP) successifs qui déterminent
le statut professionnel de l'individu.
Quiconque détient 12 500 "heures" de formation attestée,
dont au moins 7 500 en modules contigus permettant une application sur le
marché du travail et l'obtention d'un CCP ad hoc, obtient ipso facto
un Diplôme d'Études Supérieures (DES).
Quiconque détient 15 000 "heures" de formation attestée,
dont au moins 10 000 en modules contigus permettant une application sur
le marché du travail et l'obtention d'un CCP ad hoc, peut présenter
une thèse qui lui conférera le titre de Docteur (Ph.D) si
elle est acceptée par un jury de ses pairs ET par un comité
d'experts du MRH.
Sont considérés comme ses pairs, pour la constitution du jury,
des détenteurs de Ph.D qui possèdent chacun au moins pour
moitié les modules que détient le postulant et qui, tous ensemble,
les possèdent en entier. En cas de rejet de la thèse par le
jury et/ou le comité du MRH, le postulant a droit à un appel
judiciaire en révision de la décision de l'un comme de l'autre.