06.12..23

 

 

Ségolène ... royalement !

 

« Ça, je m'en fiche... royalement ! »... C'est la réponse que Hassan II du Maroc avait donnée en direct, à l'interviewer de TF1 qui lui demandait des commentaires sur les critiques que faisaient ses adversaires de la façon un peu cavalière qu'avait Hassan d'emprisonner ses opposants et de perdre la clef. La petite hésitation qui soulignait qu'il était le roi et qu'être roi doit vouloir dire quelque chose, prouvait que Hassan II, qu'il ait été ou non un homme de coeur, était un homme d'esprit. On peut aimer ou ne pas aimer ce que Hassan II a fait du Maroc, mais il a maintenu une politique de fermeté et d'intelligence. Une politique de roi.

Je ne serais pas surpris qu'un jour Ségolène nous dise aussi qu'elle s'en fout royalement. Ségolène, qu'elle soit ou non une femme de coeur, est aussi une femme d'esprit. Elle a peut-être laissé son coeur à gauche, on verra bien, mais sa tête s'est déplacée au centre. Là où l'on peut être élu. Ce faisant, elle fait faire un pas de géant à la politique française, qui se transforme pour devenir un jeu de société à l'américaine. La politique en France va cesser d'opposer deux visions de la société entre lesquelles on choisit, pour accepter qu'il n'y a plus qu'une politique, dont on présume qu'elle fait consensus et dont on se borne à décider qui la réalisera.

La voie de l'avenir... Pourquoi la voie de l'avenir ? Parce que la société et la technologie qui la sous-tend sont devenues tellement complexes, que l'interdépendance entre les acteurs rend un nombre croissant de gens indispensables. Des gens indispensables doivent être gardés heureux. Il ne faut pas les contredire. Ce qu'on voulait obtenir depuis des lustres, au nom des grands principes de la fraternité humaine, nous est donc finalement donné sans discussions à un niveau beaucoup plus pragmatique. Tout le monde est nécessaire, on ne peut donc gouverner que par consensus. En plein centre. Au métacentre du navire, là où s'équilibrent les poids politiques et les pouvoirs.

Ce qui ne signifie pas que l'on doive consulter ceux qui ne sont indispensables, surtout ceux dont la bonne volonté n'est pas nécessaire à l'accomplissement efficace de leurs tâches. Ce qui ne signifie pas, non plus, que l'on ne puisse pas, pour obtenir son accord, manipuler sans vergogne par la promesse, la menace, le pur mensonge, le groupe en expansion des indispensables, mais, au bout du compte, il faut un consensus. Tout ce qui est important doit faire consensus, car il suffit de bien peu de mécontents pour que la machine arrête. Sans crier gare, sans qu'on sache même qui l'a arrêtée.

Et ce qui ne fait pas consensus ? Ce qui ne fait pas consensus, par définition, est de moindre importance. La société ne s'en occupe donc pas. Elle privatise. Chacun fait à sa tête. La société arbitre entre les intérêts privés, dans la mesure où cet arbitrage est nécessaire, c'est-à-dire quand la force relative des parties n'est pas si disproportionnée que ces conflits se règlent par simple intimidation, sans que la société ait même à s'en mêler. Le gouvernement qui agit de cette façon n'a pas à se rendre impopulaire. S'il manipule bien, il peut même devenir extrêmement populaire.

Mais s'il ne plaisait plus ? Tout passe, tout lasse, bien sûr, mais dans une politique de consensus, pas de problème. Le gouvernement qui ne plait plus passe la main à un gouvernement copain qui a encore une virginité et qui appliquera la même politique. La même politique, de ne rien changer que lorsque la technologie l'exige et de ne faire quoi que ce soit que si une vaste majorité de la population est d'accord. Il faut obtenir un consensus. Si le peuple dit non ­- ou pire, oui et non ! - il faut le lui demander encore, autrement. Jusqu'à ce qu'il ait dit oui. Jusqu'à ce que l'on ait un consensus. La voie de l'avenir.

Bon ou mauvais ? Progressiste ou rétrograde ? Tout dépend de la façon dont le dossier est traité. Tout ce qui exige un consensus est, par nature, plus conforme à la démocratie et sans doute plus respectueux des libertés humaines. Une plus grande interdépendance ne peut mener qu'à une plus large solidarité. On revient au socialisme idéaliste. Ça, c'est le côté jardin

Mais il y a le côté fermé. La vue sur le mur en béton. Car, évidemment, le club n'est ouvert qu'à ceux qui sont « utiles », les eupatrides de la société-qui-tourne-comme-une-montre. Les autres sont simplement exclus. 80 % de l'humanité est exclue. Le quart des travailleurs des pays développés est aussi exclu. Évidemment, avec le temps, avec la complexité croissante, le nombre augmentera de ceux qui sont indispensables. Le soleil brille à l'horizon. On revient au communisme idéaliste. Encore quelques générations et ça y est ! Entendez-vous demain chanter ? En attendant, gouverner par consensus, n'a que la valeur de ce sur quoi on fait consensus.

Ségolène fait consensus. Elle ne dit que les choses qui plaisent. Ses réponses sont toujours satisfaisantes. Ce sont les questions, parfois, qui ne sont pas satisfaites, mais, si l'on y regarde bien, ce sont des questions qui ne sont pas au centre du débat. Des questions qui ne sont pas sur le cheminement critique qui va d'où l'on est vers là où nous voulons tous aller. C'est la question qui avait tort. Ségolène ne se laisse pas distraire. Les autres retrouveront le chemin.

Si ce n'était des gens qui n'écoutent pas et qui votent toujours simplement pour qui ils ont toujours voté, distraitement, sans lire les textes en petits caractères, TOUT LE MONDE voterait pour Ségolène Royal. Elle vient de la gauche, parce qu'il faut bien être né quelque part, mais elle est bien partout. Elle est avec tout le monde. Elle incarne le consensus. Il ne reste plus qu'à s'en apercevoir.

Et après ? Après, elle sera élue et zigzaguera avec dextérité entre tous les points où subsistent des contentieux. Mieux, elle élèvera le débat au-dessus des divergences. Au niveau où tout le monde est d'accord. Il y a trois générations, déjà, aux USA, que tout le monde est d'accord. Peut-on penser qu'en Angleterre, à la « gauche » droitiste de Blair, succèdera autre chose qu'une « droite » gauchiste qui en sera indiscernable ?

À vouloir jouer avec des idées, en France, on a pris bien du retard. Si on n'y prend garde, on se retrouvera en queue de peloton, avec la Italiens, qui trouvent encore sportif d'opposer deux visions du monde dans une seule société, alors que ce n'est plus possible. Il faut satisfaire tout le monde. Ségolène va nous faire un gouvernement dont tout le monde sera satisfait. Ceux qui ne seront pas d'accord auront le droit d'être dissidents et de faire eux-mêmes leurs frais tout ce qu'ils veulent, dans la mesure où ils ne troublent pas la paix publique, n'empêchent pas les roues de tourner et ne disent rien de grossier.

Au besoin, mettant à profit l'abondance croissante de notre société, on pourra donner une aide modeste, mais bien ostentatoire à ceux qui nécessitent un petit coup de pouce pour satisfaire leurs caprices. Les Européens devront se donner mille milliards d'euros à courte échéance, pour rééquilibrer la parité du dollar ; il faudra le faire avec astuce. Qui mieux que Ségolène ? Qu'est-ce qu'on peut reprocher à une société qui donne un peu à tout le monde et qui ne demande rien à personne ?

Les conflits sociaux et politiques qui ne peuvent pas être résolus dans les faits le seront au niveau du vocabulaire. La sémantique est le lieu béni de toutes les réconciliations. C'est ainsi qu'on aura une France socialiste, identifiée sans équivoque à gauche, mais avec une politique tout à fait de droite, propre à satisfaire, tout en les fustigeant, tous ceux qui veulent bien mettre un sou dans le tronc des pauvres, mais pas deux.

Ségolène sera élue, elle sera réélue, elle représentera la France avec courage et dignité pour la gauche, fermeté et élégance pour la droite. Elle va ouvrir un nouveau chapitre de l'Histoire de France. Un chapitre où il ne se passe pas grand-chose, mais où tout le monde est heureux. Les grands principes qui font pleurer, ou pour lesquels on veut mourir, prévoyez que Ségolène s'en fichera. Royalement.

N'est-ce pas exactement ce que la France veut ? De toute façon, on est sur cette Terre pour si peu de temps, qu'on peut se demander si ça vaut la peine de défaire ses valises. Je pense qu'il faut aimer Ségolène, elle est le présent et l'avenir prévisible. Mais il faut l'aimer les yeux grand ouverts.

 

 

Pierre JC Allard

 



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