Mesurez votre audience


 

PRODUCTION : SECTEUR SECONDAIRE


 

Préambule

 

Ceci est le deuxième d'une série de trois (3) textes - (711, 712, 713) - traitant de la production dans une Nouvelle Société. C'est un élément charnière du projet NS qui gagnera à être mis en contexte. Je recommande la lecture préalable des textes 410 et 710 qui peuvent servir respectivement de mise en situation historique et d'énoncé de principes à celui-ci. Ceux qui ont lu les textes 701 et 706 concernant le travail et la fiscalité verront que les recommandations que j'y a faites trouvent ici leur application. Pour éviter des renvois, je résumerai parfois brièvement certaines propositions de ces textes antérieurs ; je vous prie d'excuser cette redite.

Ce texte 712 est plus long que ceux que je présente généralement sur ce site. On en a ici la version intégrale, mais je l'ai scindé en cinq (5) volets traitant chacun d'un point spécifique et auxquels on peut aussi avoir accès un à un, à condition de ne pas s'étonner alors si quelques affirmations paraissent gratuites à qui n'a pas lu les volets précédents.

Introduction et problématique (Considérations générales)

L'épopée industrielle racontée à Juliette (Historique et le pourquoi des problèmes)

L'insatisfaction permanente (Absurdité et aberrations de la structure industrielle actuelle)

Produire pour nos besoins (Trois(3)pas faciles en direction du bon sens)

Une nouvelle structure de production (L'agencement des ressources humaines et financières pour la production dans une Nouvelle Société)

Vous pouvez donc continuer ici dans le texte int�gral, ou aller à votre convenance vers ces cinq (5) textes plus courts; passant alors au suivant par le lien « suite », clairement indiqué à la fin de chacun textes.

N.B : J'ai sorti des textes quelques digressions dont la pertinence dépend des intérêts et des connaissances du lecteur. Ceux qui le désirent pourront y accéder par des «pieds de page virtuels (*D - n) ; les autres pourront les ignorer sans rien perdre d'indispensable aux conclusions. (Vos remarques à ce sujet m'indiqueront si ce procédé est utile ou non et si je dois l'appliquer aussi aux textes suivants.)

PJCA



 

0. INTRODUCTION

 

0.1 Production et secteur secondaire

 

On vit en société pour se protéger, mais aussi pour s'échanger des services. Il est dans la nature humaine d'associer le bonheur à la satisfaction des désirs et dans la nature des choses qu'il y en ait certains que nous puissions satisfaire par nos efforts, en « travaillant » ; on obtient plus de satisfaction pour moins de travail si l'on vit en société et qu'on s'entraide.

Il y a des services qu'entre sociétaires on peut se rendre directement les uns aux autres , mais il y en a ,aussi qu'on peut tirer des choses. Certaines choses sont naturellement utiles, il suffit de les prendre ; il y en a, toutefois, que l'on doit d'abord façonner, agencer, assembler. On peut les rendre utiles en y mettant un peu d'effort. On en fait des produits. Étymologiquement, produire c'est « rendre utile », «se servir de », « tirer profit de ».

La production et l'échange de services et produits entre sociétaires constituent l'activité économique d'une société. Le processus de fonctionnement et la structure qu'on met en place pour encadrer cette activité constituent, au sens large, le système de production de cette société. Produire, cependant, est une activité qui peut comporter une longue séquence d'opérations. Quand on plante, cueille, brosse, coupe, met en boîte ou sous vide une pomme de terre, qu'on la transporte et qu'on la vend, il peut être utile de scinder ce cheminement en ses composantes ; on a donc divisé traditionnellement le système de production en trois secteurs : primaire, secondaire et tertiaire.

Ce partage simple est aujourd'hui souvent remplacé, par des classifications par industries et professions, plus précises, mais dont l'utilisation ici ne nous apporterait rien et nous écarterait de notre sujet. J'ai donc conservé sur ce site la notion traditionnelle de « secteur », pour nous situer intuitivement dans la chaîne de production, mais souvenons nous que cette notion peut être ambiguë et qu'il y a parfois une bonne part d'arbitraire à fixer précisément les seuils où l'on passe d'un secteur à l'autre. Nous disons donc ici « secteur secondaire », mais nous ne définirons pas avec précision les bornes du secondaire, ni en amont ni en aval.

Disons seulement que le secteur primaire (711), en amont, a pour mission de mettre à notre disposition sous une forme commode les matières que la nature nous offre, sans trop restreindre le champ des utilisations qu'on peut en faire ; le secteur secondaire, dont nous parlerons ici , recouvre les opérations qui vont ensuite transformer ces « matières premières » en objets répondant à nos désirs spécifiques. En aval, mais sans exclure des chevauchements, le secteur tertiaire - que, par convention, on appelle parfois simplement « les services » - regroupe bien les services, professionnels et autres, mais aussi les activités de transport, de commerce, etc. Nous en traiterons dans un prochain texte (Texte 713).

Le secondaire transforme, façonne et assemble. Tel que nous l'entendons ici, il regroupe l'industrie, l'artisanat et la construction. Nous ne mentionnons l'artisanat que pour mémoire et nous parlerons peu de la construction, laquelle était au départ un cas d'espèce important de l'artisanat, mais devient de plus en plus, avec la généralisation du recours à des éléments préfabriqués, une industrie comme les autres. C'est surtout de l'industrie que nous allons parler. De la structure de l'industrie et des changements à y apporter.

C'est l'industrie qui sera notre sujet cible, mais nous n'hésiterons pas, comme nous l'avons fait lors de l'analyse du secteur primaire, à élargir le débat à des aspects qui strictement relèvent du secteur tertiaire, distribution et financement, entre autres, quand ceci nous semblera nécessaire pour donner une vision claire du fonctionnement de l'industrie dans une Nouvelle Société. Cela, sans renoncer à discuter plus en profondeur de ces aspects au texte suivant, lequel traitera spécifiquement du secteur tertiaire.

 

0.2 L'industrie

 

L 'industrie, au sens où nous l'entendons ici, est l'utilisation de machines, pour produire en masse. Depuis la révolution industrielle, c'est la seule façon sérieuse de produire et le reste devient folklore. L'industrie est au coeur de la production. Quand on pense « production », l'image qui vient spontanément à l'esprit est celle des matières premières qui entrent dans l'usine et des millions d'objets qui en ressortent. L'industrie est au coeur de notre société, à laquelle, d'ailleurs, elle a donné son nom. La structure, le fonctionnement, les valeurs mêmes de notre société sont fondamentalement conditionnés par deux (2) phénomènes, l'un économique et l'autre politique, qui découlent directement de l'industrialisation.

Sur le plan économique, ce sont les activités industrielles qui nous ont enrichis comme collectivité, grâce à l'effet multiplicateur des équipements industriels et à la productivité accrue qui en est résultée. Les machines permettent de produire plus avec moins de travail et ainsi l'on s'enrichit, puisque c'est le travail qui est finalement la source de toute valeur ajoutée. Qui s'enrichit ? Si on regarde la réalité des choses, et non l'image qu'en renvoie le miroir déformant de l'argent, celui qui s'enrichit RÉELLEMENT est celui qui jouit des services que rend l'objet produit. L'industrie permet de mettre ces services qu'on peut tirer des objets à la disposition d'une masse de gens qui n'y auraient pas accès si ces objets devaient être produits un à un.

Une masse de gens, car l'industrie n'est utile - et profitable à celui qui produit - que si l'on produit en série. Une production de masse exige une consommation de masse. L'industrialisation crée donc une situation bénie où le bien général se retrouve dans la trajectoire du bien particulier, puisque l'on ne peut s'enrichir avec l'industrie qu'en produisant pour les besoins et les désirs de ceux dont les besoins et les désirs ne sont pas déjà satisfaits. C'est l'intérêt commun des fabricants comme des consommateurs que les biens industriels soient consommés le plus largement possible. Il y a donc, dans une société industrielle, un consensus qui permet un enrichissement mutuel plutôt qu'un simple jeu à somme nulle.

Sur le plan politique, l'industrie a été l'incubateur de la démocratie moderne. L'industrie exige que des travailleurs divers collaborent à la production, dont chacun est indispensable et bien plus performante s'il travaille de plein gré. Chaque participant à la production acquiert donc, à la mesure de son utilité, un pouvoir qui n'est pas négligeable (*D-01). La nature humaine étant bien imparfaite, c'est sur ce pouvoir presque seul, hélas, que repose le respect social. Il ne faut donc pas penser que le citoyen moderne a plus de pouvoir parce qu'il vit en « démocratie », mais être bien conscients que nous allons vers plus de démocratie parce que nous avons plus de pouvoir et que ce pouvoir repose avant tout sur notre participation au processus productif.

La nature humaine ne change pas, toutefois, du seul fait que l'industrie impose une collaboration et donc une solidarité minimale. Enrichissement mutuel ne veut pas dire enrichissement égal ni équitable. L'investissement de la richesse dans le capital fixe à effet multiplicateur que constituent les équipements industriels a permis, il y a environ deux siècles, que ceux qui l'ont fait s'approprient pratiquement l'exclusivité de la création de la richesse et obtiennent alors en prime le pouvoir politique. C'est de cette appropriation qu'est issu le régime capitaliste libéral, puis néo-libéral, qui est encore celui de la société actuelle (710). On ne peut surestimer l'importance de l'industrie et de son évolution dans la genèse de notre société.

 

0.3 L'industrie à l'arrière-scène

 

Il ne faut pas non plus en sous-estimer l'importance quand on pense à la transformation de notre société : c'est sur ça que tout se joue. L'industrie est l'axe de notre société. Lorsqu'on change le système de production industrielle, on change la société. Si on ne le change pas, il n'y a pas vraiment de Nouvelle Société. Nous allons proposer ici un changement radical d'un système de production qui nous a apporté l'abondance. Est-ce que l'on ne devrait pas, au contraire, faire l'impossible pour atteindre nos objectifs sociaux sans modifier ce système ?

Cela n'est pas possible, parce que l'industrie, en comblant les besoins que nous avions au début de l'industrialisation, a du même coup modifié la nature essentielle de la demande. Ce n'est pas parce qu'il a été un échec qu'on doit changer le système de production industrielle ; c'est parce qu'il a atteint ses objectifs. Collectivement, nous voulons "autre chose" et, pour l'obtenir, ce système actuel est devenu non seulement inefficace, mais nuisible. Nos objectifs de production doivent s'adapter à une nouvelle demande et il faut changer le système pour atteindre ces nouveaux objectifs.

Le système de production industrielle ne va changer parce que nous voulons qu'il change. C'est l'évolution de la technologie et l'impact de cette évolution sur la hiérarchie de nos besoins à satisfaire qui a amorcé la transformation du système industriel et c'est cette évolution qui va en compléter la transformation, quelle que soit la résistance qu'on puisse lui opposer. Ce que nous proposons ici ne découle pas d'une volonté d'intégrer la révision du système de production industrielle dans une vision théorique d'un changement social; au contraire, il s'agit d'un faisceau de mesures pour gérer les conséquences et minimiser les inconvénients d'une transformation concrète de ce système qui est déjà bien avancée. Cette transformation n'est pas une conséquence, mais la CAUSE même de l'évolution sociale annoncée vers une Nouvelle Société.

Le point essentiel de cette transformation de l'industrie, c'est que, justement, elle ne sera plus le coeur de la production. Elle ne va pas disparaître - la production de biens manufacturés va demeurer tout à fait indispensable ­ mais, comme l'agriculture, il y a quelques générations, l'industrie va devoir céder l'avant-scène à la satisfaction d'autres besoins devenus prioritaires (*D-02). L'industrie produira moins, avec moins de travail, moins de ressources moins de capital investi , tout simplement parce que nous en sommes arrivés à cette phase du cycle où il ne s'agit plus principalement de combler une demande jusque-là insatisfaite, mais de veiller au remplacement des éléments vétustes d'un stock qui, pour l'essentiel, est déjà constitué.


 

PARTIE I

 

La première partie de ce texte comprend 3 chapitres. Elle décrit la situation actuelle en en posant la problématique, en la situant comme aboutissement d'un cheminement historique et en donnant quelques exemples su fonctionnement ahurissant du système de production industrielle actuel et des conséquences qui en résultent

 

1. PROBLÉMATIQUE

 

Notre production industrielle est le fleuron de notre civilisation et le plus grand succès de la courte histoire de l'humanité. Nous sommes passés, en deux siècles, de l'indigence à la capacité de produire en abondance pour tous nos besoins matériels. L'industrie continue aujourd'hui sur sa lancée et la productivité augmente tous les jours. Quand on veut modifier le système de production, ce n'est donc pas la fonction productive qui est mise en accusation , mais l'usage qu'on en fait, le rôle qu'on lui attribue et les dégâts matériels et psychiques qu'elle laisse dans son sillage.

Son usage et son rôle actuels ne sont plus ceux qui conviennent au secteur secondaire d'une société qui a atteint notre stade de développement. Ni aujourd'hui, quand cet usage à mauvais escient laisse la misère à son sort et dilapide nos ressources, ni demain, dans une économie qui aura accepté d'être devenue postindustrielle, où la demande première sera pour les services et où l'industrie se verra confier un rôle bien plus modeste. Il faut modifier cet usage et ce rôle et il faut aussi arrêter les dégâts.

Il faut résoudre les problèmes de la production industrielle. Les problèmes de sa structure, bien sûr, mais aussi les incohérences qui découlent d'une perversion de sa finalité même.

 

1.1 Finalité de la production

 

Un système de production doit avoir un but - une finalité - et une structure qui lui permette de l'atteindre. Il ne faut pas confondre problèmes de finalité et problèmes de structure, mais les voir clairement comme deux type de défis différents. (*D-03). Un système qui produit ce qu'on veut qu'il produise est adéquat ; une structure est efficace si elle atteint le mieux et le plus vite possible les objectifs qu'on lui fixe, avec la plus grande économie de ressources. Avons-nous un système de production industrielle adéquat et efficace ?

Il n'apparaît certes pas adéquat et efficace, puisque, de toute évidence, il ne satisfait même pas les besoins essentiels de l'humanité. Un système de production peut-il avoir d'autre finalité raisonnable que la satisfaction des désirs, particulièrement des « besoins », lesquels sont les désirs que celui qui les éprouve juge indispensables ? N'est-ce pas là sa seule raison d'être ? Cette incapacité du système à satisfaire nos besoins est le problème fondamental que notre société doit résoudre !

Cette incapacité à produire ce dont nous avons le plus besoin est une faille du système de production. Une faille ou une infamie. Pour combler cette faille, il est indispensable de se demander d'abord si c'est la structure de production qui est inefficace ou qui s'est fixé une mauvaise cible . ou si c'est le mandat qu'on lui a donné et donc sa finalité qui est déraisonnable.

Le dispositif de production de notre société prend pour cible formelle de satisfaire la « demande effective ». Ce n'est pas inusité ; c'est ce qu'on faisait bien avant que ne naisse l'industrie. Mais notre société opulente est gérée de telle sorte que la demande d'une énorme partie de l'humanité pour les biens essentiels à la vie n'est pas effective. Est-ce la cible qu'il aurait fallu changer quand l'industrialisation a laissé entrevoir la possibilité de l'abondance ? Nous ne le croyons pas. (411) Est-ce la façon d'atteindre la cible qui est inepte ? Ou le problème est-il au palier de ce qu'on VEUT vraiment produire ? La réponse qu'on apporte à cette question modifie du tout au tout les mesures à prendre pour corriger la situation.

La finalité normale de la production est de satisfaire les désirs. On s'attend de l'industrie à ce qu'elle réponde à nos demandes. Le fait-elle ? Il semble qu'elle s'ingénie à ne PAS le faire. Nous voudrions que l'industrie produise ce que nous voulons. Nous voudrions aussi qu'elle distribue, en échange du travail qu'elle exige pour produire, un revenu qui permette d'acquérir ce qu'elle produit et que s'élargisse donc sans cesse le nombre de ceux, ici et ailleurs, dont la demande devient effective. Effective en raison de leur participation à l'effort commun et non par le biais d'une charité qui en fait des exclus. Nous voudrions que la production innove et s'adapte à une demande dont nous savons qu'elle change au rythme de la satisfaction séquentielle de ses priorités. Nous voudrions que la satisfaction soit toujours obtenue avec le minimum possible d'effort et que toute production ne consomme que le minimum possible de ressources humaines et matérielles.

 

1.2 Le système contrariant

 

C 'est exactement le CONTRAIRE que fait notre système de production industrielle. Notre système ne produit même pas pour les besoins essentiels de l'humanité, fait porter le poids de la production par une partie décroissante des participants potentiels et multiplie les exclus, fait tout pour que demeurent inchangées les modalités de production et la nature essentielle des produits offerts, traite la production comme une source de travail plutôt que le travail comme un facteur de la production et dilapide les ressources naturelles, risquant de transformer une partie de la planète en désert et le reste en poubelle.

La seule bêtise, pas plus que l'ineptie de sa structure, ne suffisent à expliquer une telle divergence entre les extrants d'un système et sa finalité. Il faut donc prendre pour hypothèse de travail que notre système de production a été insidieusement orienté vers une autre finalité que la satisfaction de nos désirs. Ce qui étaye cette hypothèse, c'est que, non seulement l'industrie ne produit pas pour les besoins prioritaires de l'humanité, mais que ceci n'est que le cas extrême d'une déviation systémique : elle ne vise même plus la cible formelle qu'on lui avait fixée : satisfaire les désirs de ceux qui ont l'argent suffisant pour acquérir ce qu'elle produit. L'INDUSTRIE NE PRODUIT PLUS POUR LA DEMANDE EFFECTIVE.

L'écart entre ce que veut la demande effective et ce qu'on lui offre va sans cesse s'élargissant. On ne peut donc pas remettre en cause la demande effective comme cible, puisque celle-ci est elle-même négligée, pas plus que nos processus de fabrication donc la productivité est croissante. Il faut faire le constat que l'inadéquation entre la production et notre satisfaction résulte d'un choix.

Il semble que subrepticement - et sans en changer la cible formelle qui demeure de répondre à la demande effective - on ait donné au système de production industrielle une autre finalité que de satisfaire nos désirs. Un système de production qui ne prend pas pour finalité la satisfaction des désirs, cependant, est détourné de sa fin naturelle. Un conflit est alors inévitable entre ceux qui l'utilisent à mauvais escient et ceux qu'il ne cherche plus alors à satisfaire. Notre système de production industrielle a un problème de finalité et ses objectifs sont inadéquats. Nous verrons plus loin en détail pourquoi.

 

1.3 Structure et fonctionnement

 

L'industrie n'a pas qu'un problème de finalité, toutefois, mais aussi un problème de fonctionnement. Sa structure ne permet pas au système de production d'atteindre ses objectifs par le meilleur chemin et de la meilleure façon, en faisant une utilisation optimale de ses intrants. Cette structure est inefficace, puisqu'elle ne semble plus pouvoir produire quoi que ce soit qu'au prix d'un SCANDALEUX GASPILLAGE DE RESSOURCES. Gaspillage d'énergie, gaspillage de matières premières - dont certaines non renouvelables - et, surtout, gaspillage de travail.

Ceci est un problème de structure et de fonctionnement. C'est un vice qui n'est pas indépendant du but qu'on assigne à la production, mais qui ne sera pas résolu entièrement du simple fait qu'on aura redonné au système sa finalité naturelle. Il faut qu'on en tienne compte dans la restructuration de l'industrie et ce n'est pas un problème secondaire.

Parce que notre système de production industrielle ne satisfait pas les besoins essentiels de l'humanité, cette incongruité retient toute l'attention et les aberrations de sa structure et de son fonctionnement disparaissent derrière l'horreur des injustices commises : les crimes du système nous font oublier ses erreurs. Mais la complaisance n'est pas de mise face à ces erreurs, car, même si on en corrige la finalité, l'industrie ne nous livrera tout ce que notre développement technique nous donne le droit d'en attendre que si la structure en est efficace.

Sans oublier que l'industrie est détournée de sa fin et que les conséquences en sont tragiques, nous allons donc nous pencher aussi sur les facteurs qui biaisent l'utilisation que fait l'industrie des ressources dont elle dispose. Ailleurs sur ce site, nous parlons surtout de justice; ici, nous allons aussi parler d'efficacité. Pourquoi, après deux siècles et plus d'industrialisation techniquement triomphante, nous retrouvons dans une situation paradoxale d'inadéquation et d'inefficacité au moment du succès et de l'abondance ?

Pourquoi la structure de production industrielle ne s'auto corrige-t-elle pas spontanément pour produire ce qu'une nouvelle demande - pourtant effective - voudrait qu'elle produise ? Pourquoi la dilapidation de nos ressources humaines et naturelles est-elle non seulement tolérée, mais encouragée ? Pourquoi ceux qui possèdent la structure de production industrielle en retardent-il l'évolution, non seulement nécessaire mais inévitable.? Quels sont les intérêts et les motifs de ceux qui font tout pour que le système de production gaspille et ne s'adapte PAS à l'évolution de la demande ?

Pour des motifs inacceptables, mais parfaitement rationnels, nous avons un système de production dont la finalité naturelle a été pervertie.

 

2. L'épopée industrielle racontée à Juliette

 

Au milieu du XVIIIe siècle, le monde tout entier était plongé dans la misère. Comme il l'avait toujours été. Arrivent les premières machines et l'espoir de l'abondance. Ceux qui ont quelque richesse et un peu de flair voient une occasion à saisir et les industries naissent. Le but des industriels est de faire un profit en répondant à une demande qui semble intarissable par une production de masse. Pour la demande, ils n'ont que l'embarras du choix ; tout le monde manque d'à peu près tout. Comment une population pauvre va-t-elle payer pour les biens qu'on va lui offrir ? En travaillant.

L'industrie crée des emplois, distribue des salaires et la demande du travailleur, maintenant qu'il a des sous en poche, cesse d'être une supplique ou un voeu pieux et devient «effective ». Il peut devenir un « consommateur ». Le consommateur a divers besoins ? On verra à les satisfaire un à un, au rythme de la mécanisation. Il lui faut de l'argent ? On lui en fera gagner. Les besoins sont peu à peu satisfaits, le producteur fait un profit, l'industrie fleurit. (Le bonheur règne ? Pas tout à fait, mais c'est une autre histoire).

Le producteur qui fabrique des robes de coton leur fixe un prix. Il fixe aussi ses salaires. Il fait un profit. Pour maximiser son profit, il lui faut vendre le plus de robes possible au meilleur prix possible en payant un minimum en salaire. Simple et méchant, mais il y a un os. Pour rentabiliser une production de masse, il faut une consommation de masse. Or, une masse de consommateurs, ça ne peut être que les travailleurs, car il n'y a pas des masses de producteurs et, de toute façon, la femme du patron veut encore des robes de soie cousues mains. Comme c'est avec son salaire que le travailleur, qui est aussi le consommateur, doit payer à sa femme ses robes d'indienne, il y a un équilibre à maintenir.

Les penseurs cherchent un point d'équilibre, mais l'industrie ne fabrique pas que des robes ; elle fabrique aussi des souliers, des chapeaux-melon et, avant longtemps, l'agriculture aussi sera mécanisée. L'équation n'est pas simple. L'équation de la structure industrielle se complique à mesure que progresse l'industrialisation ; elle se complique, aussi, à mesure qu'entrent en scène, banquiers, syndicalistes, politiciens, philosophes, économistes et autres intervenants, mais l'État et la classe des investisseurs ne manquent pas de gourous qui vont leur expliquer les règles du jeu.

Les règles du jeu ? Il y en a des tonnes, car le jeu est subtil, mais il y en a TROIS (3) qu'on va découvrir par essais et erreurs au cours des décennies et qui sont incontournables pour le producteur. Si une société industrielle ignore ces trois règles, elle va à la ruine. Ces règles sont : le Paradoxe de l'Abominable Satisfaction, l'Équation de la Consommation Effective Globale et le Postulat des Deux Richesses

 

2.1 Le Paradoxe de l'Abominable Satisfaction

 

Quand commence la production de quoi que ce soit, producteur et consommateur forment un couple béni par le ciel. Le consommateur a un désir, le producteur veut le satisfaire. Il n'existe pas, cependant, de communauté d'intérêt plus courte, car producteur et consommateur constatent presque aussitôt que leurs attentes sont irréconciliables. Dès que son besoin prioritaire est satisfait, en effet, le consommateur prend pour maîtresse le second besoin sur la longue liste de ses désirs et le producteur se morfond au foyer, car il ne peut pas suivre.

Le producteur ne peut pas suivre le consommateur dans ses fantaisies, car une entreprise industrielle a besoin d'un équipement pour produire. C'est l'équipement qui détermine son volume de production, qui est souvent le facteur le plus important de sa productivité et qui donc, en bout de course, détermine sa profitabilité.

Quand un capital financier se transforme en équipement (capital fixe), il acquiert la vertu multiplicatrice magique qui, dans une société industrielle, en fait la source de toute vraie richesse. En revanche, il perd sa flexibilité : l'équipement est conçu pour produire quelque chose et rien d'autre. On ne peut pas prendre une horloge et en faire un bateau, ni une presse à imprimer et en faire un four à pain. Le capital investi dans presse à imprimer va y rester et sa rentabilité va donc dépendre totalement de la demande pour des imprimés, parfois, même, pour une sorte bien précise d'imprimés.

C'est l'équipement qui fait l'industrie, mais l'acquisition de l'équipement dont il a besoin représente, pour le producteur, un investissement considérable. Pendant un laps de temps variable, mais toujours significatif, tout le profit qu'il pourra retirer de son entreprise ne suffira qu'à compenser le prix qu'il a dû débourser pour acquérir son équipement. Quand il aura touché l'équivalent en profit d'exploitation du prix de son équipement, auquel il faut ajouter l'intérêt sur ce montant, alors, mais alors seulement, il réalisera un profit net.

Quand il atteint ce moment tant attendu, le producteur qui a amorti son équipement et dont l'entreprise est enfin ainsi devenue vraiment lucrative ne souhaite rien tant que de continuer à produire longtemps avec cet équipement. La rentabilité, pour un producteur, c'est d'amortir son équipement puis de produire encore longtemps. Idéalement, de produire sans rien changer, jusqu'à la fin des temps.

Il ne faut donc pas s'étonner si un imprimeur préfère imprimer plutôt que de promouvoir la boulangerie ou la navigation. Pour continuer d'imprimer, quand il a déjà amorti son équipement, il visera de nouvelles clientèles cibles en baissant ses prix jusqu'au niveau le plus bas qui lui laissera une marge bénéficiaire, négligeant même parfois de se constituer une provision suffisante pour le renouvellement éventuel de son équipement. Il utilisera la publicité, rognera sur la qualité du papier, jouera la carte de l'obsolescence ­ dont la cas archétypal est bien celui d'un journal quotidien ! ­ et tentera de toutes les manuvres pour continuer à extraire un profit de son investissement.

Ne lui parlez pas de pain. Ne lui parlez pas de sauver les forêts en lisant son journal sur écran. Ne lui parlez pas des besoins ni des désirs des consommateurs. La période de grâce pendant laquelle il peut produire avec son équipement amorti durera, en effet, aussi longtemps qu'il y aura une demande effective pour ce que cet équipement peut produire avec profit.

La notion théorique d'une production tout entière tournée vers la satisfaction de la demande est donc mise à mal dans la minute qui suit l'acquisition de l'équipement. Le consommateur satisfait son besoin prioritaire, puis veut passer à la satisfaction du suivant ; le producteur veut lui vendre la même chose. Il n'est pas suffisant pour le producteur que le consommateur consomme, celui-ci doit consommer que ce peut produire le producteur avec l'équipement qu'il possède. Producteurs et consommateurs ont des intérêts divergents. Il s'agit de savoir qui obtiendra satisfaction, ce qui dépend de leurs pouvoirs respectifs et donc, essentiellement, de la concurrence.

Un producteur ne veut pas changer, il veut continuer. Aussi longtemps que son équipement n'est pas raisonnablement amorti, il ne PEUT pas changer et DOIT continuer. Les désirs du consommateur, surtout s'ils sont différents de ses désirs précédents, ne suscitent don pas chez lui un grand enthousiasme. Le consommateur frivole, inconséquent, déloyal, versatile, dont les goûts peuvent changer de façon radicale, parfois imprévisible est une menace pour le producteur

Lorsqu'il s'agit de produits de consommation courante, le producteur peut fidéliser son client en répondant le mieux possible à sa demande et en se contentant d'une parcelle de sa loyauté : l'acheteur qui aime une mayonnaise ou un ketchup reviendra en acheter. Peut-être. Mais dès qu'il s'agit de la production de biens semi-durables, ce qui représente une part énorme des activités du secteur secondaire, le producteur est sans défense. L'excellence ne suffit plus. Elle peut même cesser d'être un avantage, car rien ne met plus sûrement fin à la demande de l'ingrat consommateur que de la satisfaire pleinement. La satisfaction du désir du client, pour le producteur, est une abomination.

C'est vrai pour tous les producteurs. Une structure industrielle est prisonnière de son passé, incarné par l'équipement en place et en cours d'amortissement. Elle est donc victime d'une forme d'hystérèse : elle tend à poursuivre dans la voie où elle s'est engagée, car elle n'est jamais aussi profitable que si elle continue à produire ce qu'elle produit déjà.

Dans une situation de forte concurrence, elle ne peut vraiment produire profitablement que ce qu'elle produit déjà. Malthus prédisait que le capitaliste avide réduirait les salaires à merci et garderait la classe ouvrière au niveau de subsistance. Grave erreur. Malthus, à ce qu'il semble, n'avait pas prévu que si le capital qui devient« capital fixe » n'a plus d'autre utilité que de produire ce qu'il a été conçu pour produire, ni d'autre valeur que l'espoir du profit qu'on tirera de ce qu'il produit, l'investisseur est prisonnier de son investissement. Il se crée une dépendance des producteurs/investisseurs envers les travailleurs/consommateurs.

Le pouvoir du consommateur, qui apparemment n'en a aucun, est que si un produit ne peut pas se pas vendre, consommateur comme producteur y perdent, mais celui-ci bien plus que celui-là. Le producteur perd évidemment le profit qu'il n'a pas fait et la valeur des matières premières et du travail investis dans ce qui n'est pas vendu, comme le consommateur perd la satisfaction qu'il n'en a pas tiré du produit qu'il n'a pas consommé. Ceci, cependant, pour le producteur, n'est que la pointe du iceberg ; il y a une conséquence bien plus grave.

La conséquence BEAUCOUP plus grave, pour le producteur, c'est que, s'il n'y a pas au moins un espoir crédible que ce qu'il produit se vendra, l'équipement lui-même qui lui sert à produire ne peut se transformer miraculeusement pour produire autre chose et ne vaut donc plus que son prix en ferraille. Le producteur perd le capital investi dans son équipement et qui, par définition, constitue sa richesse. IL PERD TOUT. Le producteur est ruiné. Si derrière le producteur il y a un investisseur qui l'a soutenu, l'investisseur peut aussi perdre sa mise.

Il faut que le consommateur achète. Le producteur est à la merci du consommateur et de son abominable satisfaction. Le producteur apprend vite cette première leçon ; il surveille son client avec une suspicion résignée et surveille aussi avec appréhension l'horizon d'où peut apparaître un autre danger : l'innovation qui rendra son équipement désuet. Il apprend vite qu'il ne faut jamais satisfaire un besoin si l'on n'en a pas créé un autre. Il comprend aussi que ce n'est pas lui qui peut le faire mais tous les producteurs ensemble et l'État. Nous y reviendrons. Avant que les producteurs puissent régler son compte à l'Abominable Satisfaction, Il y avait d'autres dangers à affronter.

 

2.2 L'Équation de la Consommation Effective Globale

 

Si le capital a une importance primordiale dans une société industrielle, c'est parce qu'il est investi en équipements et que cet équipement multiplie la production. La production de choses utiles qui constituent la richesse réelle. Le capital investi en équipement multiplie la richesse. Le producteur a la richesse et s'enrichit davantage, mais ce qui est produit DOIT être vendu. Un producteur veut donc élargir sa clientèle et la garder. Il veut surtout qu'elle consomme. La « consommation effective », c'est ce qu'on attend d'un bon travailleur dont on rend la demande effective en lui payant un salaire. C'est pour ça qu'on lui paye un salaire qui dépasse le niveau de subsistance.

Au début de l'industrialisation, l'élargissement de la clientèle ainsi que l'augmentation de la demande et de la consommation effectives sont venus tout naturellement. On parvenait facilement à donner plus d'argent à des travailleurs qui n'en avaient pas et à les faire consommer, car l'industrie offrait un revenu plus élevé aux paysans qui arrivait avec l'exode rural, ceux-ci qui n'avaient rien et ils voulaient tout. Simultanément, l'augmentation des volumes de production permettait de baisser les prix ; il y avait donc chaque jour plus de gens dont la demande devenait effective. Il pouvait y avoir des déséquilibres, mais on ajustait au cas par cas, au prix de quelques inconvénients parfois tragiques, mais toujours passagers.

Pour chaque producteur, le problème bien visible était de se prémunir contre la satisfaction de son client et l'une des façons de le faire était de garder ses prix au plus bas. De garder donc au plus bas, aussi, le salaire de SES travailleurs. Il y avait donc une tendance à mesquiner un peu et le risque était toujours présent que n'apparaisse un autre problème, mois visible mais tout aussi dangereux que la satisfaction : que la demande globale ne soit plus effective pour acheter tout ce qui était produit. Or, l'on produisait de plus en plus

De toutes les raisons pour que le consommateur n'achète pas, sa satisfaction est certes la plus frustrante, mais la pire c'est que l'acheteur potentiel n'ait pas d'argent pour acheter. La pire, car le vendeur, individuellement, n'y peut rien : c'est toute la classe des producteurs ensemble, qui dépend de la consommation de toute la classe des consommateurs. Le pire scénario, pour l'ensemble des producteurs, c'est que la demande globale ne soit plus « effective », qu'il devienne apparent que les consommateurs en bloc n'auront pas l'argent nécessaire pour acheter ce qu'on leur offre.

On a vu ce qu'il advient de la richesse du producteur quand il semble que ses produits ne se vendront pas. Si c'est toute la classe des consommateurs qui n'a pas l'argent nécessaire pour acheter la production globale, les conséquences en sont si catastrophiques que la simple menace que ceci puisse arriver peut créer une panique qui décuple les effets du déséquilibre. On risque la crise.

En temps de crise, le pauvre se serre la ceinture sur une taille mince, mais c'est une énorme panse que doivent alors perdre investisseurs et producteurs. Ceux-ci sont donc prêts à consentir beaucoup de sacrifices pour qu'une crise n'arrive pas ou, si elle est déjà là, qu'on y mettre fin rapidement. De grands sacrifices. Pas de gaieté de cur, mais s'il le faut vraiment.

Au cours de la Grande Crise de 1929, on a compris qu'il le fallait vraiment. Roosevelt a donc pu obtenir un grand sacrifice de la classe des producteurs. Pour assurer la survie du capitalisme, la condition suffisante ­ mais nécessaire ­ était que les riches renoncent à s'enrichir

Pas chaque riche, bien sûr - il faut bien continuer à s'amuser - mais l'ensemble des riches. Le New Deal de Roosevelt a donc défini et imposé la condition de survie du capitalisme : il faut retourner globalement au travailleur/consommateur la pleine valeur de la production. Toute la valeur, sans rien en retenir.

Pour garder la demande effective, il faut mettre entre les mains de ceux dont les besoins restent à satisfaire ­ en clair, les travailleurs - assez d'argent pour qu'ils puissent acheter tout ce qui est produit. Ils doivent toucher intégralement la valeur de la production sans quoi, évidemment, celle-ci ne pourra se vendre entièrement. Or, le consommateur, c'est celui qui consomme et personne d'autre. Le travailleur, le petit entrepreneur jusqu'à ce qu'il réussisse, soit. mais pas le riche. Pas le « gagnant ».

Le « gagnant » - les gagnants étant ceux dont les besoins sont repus de tout ce que le système industriel peut produire - dont les revenus supplémentaires vont au bas de laine ou à l'investissement, n'est pas un consommateur et IL NE PEUT PAS recevoir en profit, en dividendes ou autrement une parcelle qui viendrait diminuer la valeur totale de la production qui doit être remise aux consommateurs, sans quoi la crise viendra

En pratique, ceci signifie que, quel que soit le résultat des escarmouches entre le Capital et le Travail au palier d'une entreprise ou d'une autre, il faut, en bout de piste, que l'on donne en revenu à l'ensemble des consommateurs la pleine valeur de la production totale. Cette valeur, par définition, est égale à la valeur de la somme du travail pour la produire puisque seul le travail crée une valeur réelle.

Si on ne donne pas ce revenu au travailleur en rémunération de son travail, on devra le donner à un autre consommateur « non travailleur », que ce soit la femme les enfants ou les vieux parents du travailleur important peu, puisque, de toute façon, c'est toujours la valeur de son travail qui est distribuée. Elle ne peut toutefois être distribué qu'à un consommateur, excluant donc ceux dont les désirs sont satisfaits.

La valeur du travail. Pas plus, pas moins. Si on donne plus, il y a inflation jusqu'à ce que la valeur du revenu baisse et rejoigne la valeur de la production, ce qui ne se fait pas sans quelques grincements de dents ; si on donne moins, quelque chose ne se vendra pas et quelqu'un sera ruiné. Probablement l'un de « ceux dont les désirs sont satisfaits ».

Cette équation, d'ailleurs, quand on écarte le voile monétaire et qu'on voit la réalité, est d'une parfaite évidence. Tous les biens qui sortent des usines ne peuvent être achetés et utilisés que par ceux qui en ont besoin et la part qu'en consomment les investisseurs et autres richards ne peut être en proportion de leur richesse, mais de leurs besoins insatisfaits, lesquels diminuent avec leur richesse. Si on voit les produits comme une réalité ­ (c'est-à-dire comme des matières premières et du travail) - faisant abstraction des goûts, des griffes et autres critères subjectifs qui font qu'un chambertin n'est pas un beaujolais - les riches consomment seulement en proportion de leur nombre et en fonction inverse de leurs besoins satisfaits, ce qui ne représente pas beaucoup sur l'ensemble de la production de biens industriels.

Un artisanat de luxe peut vivre de la seule clientèle des nantis, parce que chaque nouveau produit correspond à un nouveau désir ; mais, si on produit industriellement beaucoup d'objets identiques, celui qui a tout n'est pas un bon client. Une grande industrie « juste pour les riches » ne prospère que si elle se déguise en artisanat et se défend bien d'être une industrie. Dans le meilleur des cas, elle reste toujours un enfant chétif dans la famille industrielle si elle ne va pas chercher le « gagnant » dans le consommateur ordinaire, celui qui ne s'éveille qu'à Noël ou une fois dans sa vie... La production de masse doit être consommée par la masse et c'est à la masse qu'il faut donner les moyens de l'acquérir.

Ceci qui apparaît aujourd'hui évident, n'a été compris qu'après bien des larmes. Ce n'est qu'au moment du New Deal (Roosevelt) qu'est venue la compréhension de cette interdépendance entre consommateurs et producteurs et donc de la limite pratique que fixe la réalité à l'exploitation du travailleur. On ne peut pas tricher avec la réalité. La mise en place des politiques pour en tenir compte et faire en sorte que le niveau de consommation effective globale soit maintenu a marqué le passage du libéralisme classique au néo-libéralisme.

Avec le néo-libéralisme, dont l'innovation sur le libéralisme est de voir que le système ne peut fonctionner que s'il y a assez de fric dans la poche des gens ordinaires pour lesquels on produit, on doit renoncer au plaisir malsain de priver la masse de la consommation réelle pour encourager l'élite. Comment garder alors une motivation aux « gagnants » ? Il doivent bien retirer quelque chose, profit ou intérêt, qui justifie leur participation au processus productif ! Comment rémunérer les gagnants sans prélever sur la part des consommateurs - qui sont essentiellement les travailleurs ­ et donc sans rompre l'équation qui assure le niveau de consommation effective globale ?

 

2.3 Le Postulat des Deux Richesses

 

Le génie du système néo-libéral - keynésien, friedmannien et que sais-je - a été de faire clairement la distinction entre d'une part la richesse réelle qui est composée des biens et services qu'on consomme et, d'autre part, la richesse symbolique, virtuelle ou scripturale, qui n'est que du papier ou des pixels et qui, elle, ne sert que d'outil de pouvoir. De faire cette distinction, puis de comprendre qu'il n'y a aucun problème à donner plus d'argent aux riches, dans la mesure où la part des consommateurs n'en est pas réduite et où tout ce qui est produit peut donc toujours être vendu. On ne peut déplacer l'argent « pour consommation » des travailleurs vers les riches sans rompre l'équilibre, mais on peut créer et donner à ceux-ci une richesse symbolique « pour le pouvoir » ; on peut leur en donner autant qu'il en faut pour les motiver et les garder heureux. C'est donc ce qu'on a fait.

Ici, Juliette, je pense que tu vas me demander pourquoi, avec tout cet argent symbolique qu'on crée et qui, par définition, ne peut correspondre à la production d'aucun bien réel, la valeur de l'argent ne plonge pas tout droit vers zéro (0) ? La réponse tout aussi géniale du système néolibéral, c'est qu'aussi longtemps que ceux dont les besoins sont déjà satisfaits n'utilisent pas leur argent pour acheter plus, Ils ne constituent pas une demande supplémentaire qui pourrait créer une rareté et faire grimper les prix. Or, évidemment, ils n'utiliseront pas l'argent supplémentaire qu'on leur donne pour acheter plus, puisque leurs besoins sont déjà satisfaits CQFD.

Ils épargnent, ils investissent, ils spéculent , mais ils ne consomment pas. Aussi longtemps que les gagnants gardent leur argent dans un autre univers qui n'est pas celui de la consommation, il n'y a pas de problème d'inflation. C'est comme si je te donnais, Juliette, un chèque d'un milliard d'euros que tu me promettais de ne pas toucher ; ça ne changerait rien à mes fins de mois. Celui qui a le pouvoir politique peut créer une richesse virtuelle illimitée et la distribuer comme bon lui semble. Il faut seulement être bien prudent pour que cette richesse symbolique qu'on leur distribue et qui ne correspond à aucune richesse réelle ne filtre pas vers ceux qui ont des besoins et l'utiliseraient pour consommer.

Il faut garder cette richesse qu'il ne faut pas dépenser et qui est créée seulement « pour le pouvoir » loin du monde ordinaire et donc sous une forme intangible, virtuelle. Sous la forme de la valeur des titres boursiers, par exemple. Une valeur qui a si peu de liens avec la réalité qu'on pourrait un jour en supprimer pour 8 trillions de dollars (USD $ 8 000 000 000 000) après l'attentat du WTC - (USD $ 30 000 ­ par tête d'Américain moyen !) - sans que l'Américain moyen ne s'en sente vraiment plus pauvre ni que l'économie ne s'effondre sur le champ.

Mettre de l'argent en circulation en prenant pour acquis qu'il ne s 'égarera pas et ne sera pas dépensé n'est pas sans danger. Que se passerait-il si un « gagnant » venait sur le marché de la consommation, pour y spéculer par exemple, mettant son argent virtuel « pour le pouvoir » en conflit avec cet « argent pour consommation » qu'on donne au monde ordinaire ? Un très sérieux problème. Au niveau de la production industrielle, c'est pratiquement impossible ; la chaîne de distribution par grossistes et détaillants garde tout le monde à sa place. Mais, au secteur primaire, il y aurait des bavures.

Des bavures sur le marché du pétrole, par exemple. La vente à la pompe est trop proche de la vente « spot » à Rotterdam. On peut spéculer avec des moyens (relativement ) modestes. Il y a donc des gagnants et de petites fripouilles qui manipulent les prix. L'argent « pour le pouvoir » vient s'encanailler avec l'argent pour la consommation et fait des bêtises. C'est cet argent qui profite des « événements » qui font bouger les cours, comme des guerres en Iraq, des révolutions au Nigeria, des coups d'États au Venezuela. et qui au besoin les suscite. Le système peut survivre à ces incidents, même si ce n'est pas le cas pour tous ceux qui y sont mêlés et qui en font les frais.

Que se passerait-il si, en sens inverse, une bonne âme égarée dans la meute des gagnants décidait de DONNER quelques milliards aux déshérités ? Un problème tout aussi sérieux, ce qui explique pourquoi l'on pourrait promettre des milliards aux victimes d'un tsunami dans l'Océan Indien, mais qu'on ferait bien ce qu'il faut pour que cet argent ne leur tombe pas entre les mains et ne vienne pas déséquilibrer les prix des marchés, le plus simple, hélas, étant naturellement de ne pas tenir ces promesses et de ne pas le leur donner. Des sacs de riz ? Oui De l'argent ? Dangereux.

La distribution prodigue qu'on fait d'une richesse virtuelle, interdite de séjour au niveau de la consommation courante, peut permettre, à la limite, certaines extravagances à ceux qui ne sont pas tout à fait assez riches et n'ont donc pas encore absolument tout ce qu'ils veulent, mais ces petites folies sont des broutilles si on les regarde dans le contexte de l'économie globale. Tous les Cohibas, les Petrus, les Paradis, les Ferrari du monde ne représentent qu'un léger frémissement sur la courbe de consommation. Même les industries dites « de luxe » vivent surtout des gens à revenus modestes, et il se boit plus de Champagne dans les mariages du monde ordinaire que dans toutes les noubas des parvenus d'Hollywood. Tous les « jets » privés ne valent pas le seul coût de recherche et développement d'un nouveau gros-porteur comme le A 380. Après le New Deal, le système a pris pour acquis que l'« Argent pour le pouvoir » et l'« argent pour consommation » peuvent faire chambres à part.

 

2.4 Le bonheur tranquille

 

Après la crise est venue la guerre et après la guerre l'abondance. L'État et les producteurs avaient appris les Trois Nobles Vérités qui mènent l'industrie à son Nirvana. 1 Rien de pire qu'un client satisfait ; après un besoin, il en faut un autre. 2 On peut donner de l'argent aux pauvres, ils nous le remettent tout de suite ; on peut en donner aux riches, ils ne le dépensent pas. 3 C'est l'argent qui apporte le pouvoir, mais c'est le pouvoir qui fabrique l'argent. Forte de sa sagesse, l'industrie, après le New Deal, a pu continuer sa progression sans heurts pendant deux décennies.

L'industrialisation a d'abord balayé le secteur primaire, puis sauté d'une branche d'activité du secteur secondaire à l'autre, au rythme des innovations techniques qui le lui permettaient. Le capital laissait les marchés précédemment mécanisés dès que la demande tendait à y plafonner et allait vers les nouveaux marchés conquis un à un par la machine, là où il pouvait entrer en force, mettre en place l'équipement désormais disponible et faire un gros profit. La main-d'uvre migrait vers les domaines où un capital fixe ne pouvait pas encore être utilisé profitablement en attendant que les machines et donc le capital ne les y pourchassent.

Le capital vivait des aventures et se mariait peu. Le bonheur ? Pas tout à fait, car, comme je te l'ai déjà dit, Juliette, le capital n'aime pas voyager. Les déplacements sont pour les entrepreneurs, les aventuriers ; le vrai Shylock, le capitaliste endurci qui vit uniquement de ses intérêts n'est jamais si bien que dans ses pantoufles. Les producteurs qui passaient d'une branche à l'autre y perdaient souvent, certains y perdaient tout Rien n'est parfait. Mais d'autres les remplaçaient, Shylock gardait sa richesse et son pouvoir augmentait. La productivité augmentait aussi sans arrêt et le niveau de vie de la population, en termes réels, grimpait de 3% à 4% par année.

La mécanisation de l'agriculture avait été menée à terme si complètement qu'il ne restait plus en Amérique du Nord, dans les années ''50, que 3% de la main-d'uvre dans les champs, plutôt que 90% et plus avant la révolution industrielle. Ce 3% des travailleurs non seulement suffisait à nourrir la population locale, mais exportait des surplus dans le monde entier. Le pourcentage de la main-d'uvre dans le secteur secondaire, lui, était passé de quelques artisans à 55%.

On pouvait prédire en1955 qu'en l'an 2000, une date mythique à un horizon qu'on pouvait à peine discerner dans les brumes de l'avenir, le revenu du travailleur américain moyen dépasserait 100 000 dollars par année. Il aurait son hélicoptère et il vivrait 100 ans. On se sentait sur la voie du bonheur.

 

2.5 La menace du succès

 

En 1955, aux USA, le pourcentage de la main-d'uvre affecté au secteur secondaire - qui croît depuis qu'il y a des statistiques et sans doute depuis deux cents ans - cesse soudain de croître et commence à décroître. Un signe bien discret pour annoncer la fin d'une ère ? Le message est clair, pourtant, car il y a d'autres présages : les bonnes nouvelles affluent

D'abord, l'industrie a atteint son objectif initial, qui est aussi le but immémorial de l'humanité : pouvoir satisfaire la demande pour les biens matériels. La capacité de production estimée dépasse la prévision des besoins, non plus pour une branche d'activité, mais pour l'ensemble du secteur secondaire. Tous les marchés industriels importants sont devenus « matures » et ne peuvent plus avoir d'autres objectifs raisonnables que de produire pour le remplacement des équipements existants. Il ne reste qu'à produire quelques téléviseurs couleur. La demande est satisfaite. Enfin, l'abondance !

Ensuite - et c'est ce que signifie la baisse du pourcentage de la main-d'uvre en industrie ­ on sait que non seulement on peut produire désormais plus qu'il n'en faut pour satisfaire la demande globale pour tout ce que le système industriel peut produire, mais que les gains de productivité permettent de le faire sans un ajout de travailleurs. On peut même prévoir qu'il y aura rapidement un énorme surplus de travailleurs dans l'industrie. Enfin, le loisir !

Bonne nouvelle, nos besoins sont satisfaits ! Bonne nouvelle, on travaillera moins ! C'est aussi deux pavés dans la Mer de la Sérénité. Évidemment, il y a des aspects inquiétants à cette évolution. On pourra produire mieux, plus vite et en faisant plus de profit dès que l'on pourra se départir des travailleurs superflus et améliorer les équipements sans contrainte, mais il faut résoudre la question épineuse de maintenir effective la demande des travailleurs ainsi limogés. Il faut réagir aussi à l'ultime avatar de l'Abominable Satisfaction : la saturation complète des marchés industriels.

À première vue, on pourrait croire qu'il ne s'agit que du dernier épisode de ces passages successifs de la main-d'uvre et du capital d'une branche d'activité à l'autre au rythme de la mécanisation ; ces transferts ont jalonné le parcours de l'industrialisation depuis des décennies. On va produire mieux, on va aussi produire autre chose et tout le mode va s'enrichir. Mais la situation est bien différente au cours des années ''50, car il faudrait sortir du secteur secondaire.

Gavés des biens industriels déjà produits, les consommateurs des WINS veulent autre chose : ils veulent des « services ». Pas des services, domestiques ou autres, que quiconque peur fournir avec de la bonne volonté, mais des services haut-de-gamme, des services « professionnels » que ne peuvent rendre efficacement que ceux qui ont reçu une formation significative pour le faire. Surtout en santé, mais aussi en communications, en loisirs, etc. Dans les WINS, ce n'est pas de biens additionnels dont la population a besoin, mais de plus services. C'est au palier du tertiaire que la société veut désormais s'enrichir.

Des services ? Pourquoi pas mais on s'aperçoit qu'en sortant du secondaire pour entrer au tertiaire l'on bute sur la limite de ce que les machines peuvent faire. Et ça, Juliette, c'est dramatique. Le propre de la production industrielle, en effet, c'est qu'elle utilise un investissement en capital qui devient des machines et qui en multiplie la productivité. Un « service professionnel», au sens où la demande en réclame, doit être rendu par un être humain, car la partie essentielle en est justement celle que ne peut pas multiplier un équipement.

Et encore, parler de « tertiaire » ne rend plus compte de la situation réelle. Bien des activités du tertiaire « inférieur », celles qui sont répétitives ou qui appliquent des algorithmes, peuvent être mécanisées et le seront dès que les ordinateurs deviendront plus performants, mais ceci ne viendra pas répondre à une quelconque demande. Ces activités sont, la plupart du temps, celles qui se passent dans les coulisses de la production et dont le consommateur ne soupçonne même pas l'existence. C 'est le travail secrétarial et administratif courant, la manutention du papier, la supervision de proximité. Les ordinateurs vont de plus en plus s'en charger, ce qui ne fera qu'aggraver le problème de l'emploi et de la demande effective, mais le consommateur n'en saura rien et n'en tirera pas satisfaction. Sa satisfaction, c'est dans le tertiaire «supérieur », qu'elle se cache, celui des services professionnels qui exige des années de formation et qui reste inaccessible à la mécanisation.

Il y a bien des aspects des services professionnels dont la machine peut faciliter l'accomplissement ou dont elle peut même donner l'illusion qu'elle les multiplie. Un chirurgien qui opère en laparo est un exemple de service facilité par un équipement ; un professeur qui donne un cours à la télévision est un exemple de service apparemment « multiplié » ; mais on voit bien que, dans un cas comme dans l'autre, le rôle de la machine n'est plus l'essentiel. La machine peut prendre en charge les activités périphériques aux services, en assurer l'administration et la diffusion, par exemple, mais elle ne peut pas apporter la créativité, l'initiative, ni la relation humaine.

En fait, on doit mettre la frontière entre « industrie » et « services » précisément là où s'arrête ce que la machine peut faire. Les activités de production ne se partagent donc plus tellement entre primaires, secondaires et tertiaires, mais entre celles qui sont « programmables » et celles qui ne le sont pas. Les premières sont « industrialisables », la production en est devenue triviale et le coût en diminue sans cesse ainsi que la main-d'uvre qui y est affectée. Les activités « non programmables », au contraire, exigent encore une intervention humaine et même une compétence de plus en plus pointue ; le coût en devient progressivement plus élevé, au rythme du déséquilibre entre la demande pour ces services qui augmente et la rareté relative des professionnels aptes à les fournir. (701)

Pour répondre à la demande, la solution correcte serait d'affecter les travailleurs déplacés du secteur secondaire vers les tâches les plus productives du secteur tertiaire. Vers les services haut-de-gamme pour lesquels la demande est aigue. Assignés à la production de services utiles et en grande demande, les travailleurs produiraient une valeur ajoutée justifiant le paiement d'une rémunération, l'équilibre serait maintenu et la demande demeurerait effective.

Les désirs sont satisfaits pour tout ce que l'industrie peut produire ? Il y a une forte demande pour des services ? il faut transporter vers les services les ressources de l'industrie. Simple. C'est la voie de la raison. Mais il n'y a pas que la saturation des marchés et l'affectation des travailleurs qui posent problème. S'il n'y a plus d'équipement qui multiplie le résultat de son travail et sans lequel il ne peut vraiment produire efficacement, pourquoi le travailleur donnerait-il sa livre de chair à Shylock ? Pourquoi devrait-il même retirer sa casquette devant Shylock ?

Dans les années ''50, quand les services prennent le pas sur les biens dans la hiérarchie des valeurs des consommateurs, c'est tout le système de production qui est à repenser, car Il faut revoir les critères de distribution de la richesse et surtout du pouvoir

 

2.6 L'enjeu du pouvoir

 

Nous avons dit que, dans une société industrielle, le capital fixe à effet multiplicateur que constituent les équipements industriels confère une quasi-exclusivité de la création de la richesse et que ceux qui possèdent ce capital fixe obtiennent en prime le pouvoir politique. Pourquoi ? Parce que la satisfaction des désirs est le but primordial de l'immense majorité des êtres humains et que la production, qui permet de les satisfaire, devient la structure d'encadrement de toute la vie sociale. Contrôler la production, c'est définir les conditions d'accès à la richesse et à la satisfaction de la plupart des désirs. Dans une société basée sur la récompense plutôt que la punition (401), le premier avantage du contrôle de la production est apporter la possibilité d'établir l'ordre aux conditions qu'on juge avantageuses et de déterminer les règles du jeu social.

Il en découle un deuxième avantage, toutefois, qui n'est pas négligeable. Vue sous un autre angle, la richesse qui découle du contrôle de la production est aussi le pouvoir de transgresser l'ordre établi et de ne PAS être soumis soi-même aux règles du jeu. Celui dont la richesse excède ce qui est nécessaire à la satisfaction des désirs que l'argent peut satisfaire voit, en effet, cet excédent se transformer spontanément en pouvoir : le pouvoir de satisfaire les désirs de ceux dont les désirs ne sont pas satisfaits. Cette capacité discrétionnaire de satisfaire les désirs est l'ultime pouvoir social, car elle n'exige ni contrainte ni violence : chacun ne demande qu'à s'y plier. Or, le pouvoir politique, dans une société démocratique, est le plus souvent entre les mains de gens dont tous les désirs ne sont pas satisfaits, le pouvoir de satisfaire leurs désirs devient le pouvoir de corrompre.

Celui qui a la richesse a le pouvoir de corrompre. Celui dont les désirs ne sont pas satisfaits est en péril imminent d'être corrompu. Il n'est pas nécessaire que tous soient corrompus ; il suffit que quelques-uns le soient pour que ceux qui ont la richesse puissent s'assurer la complaisance du pouvoir politique. Dans les sociétés industrielles, l'industrie, c'est la richesse. Dans un État démocratique, la richesse, c'est le pouvoir.

La production industrielle, toutefois, n'apporte richesse et pouvoir qu'aussi longtemps qu'il reste des désirs insatisfaits que la production industrielle peut combler. La saturation des marchés est le présage que la demande pour les produits industriels est en voie d'être satisfaite. La satisfaction de cette demande conduit à un déclin de la production, à un perte de valeur des équipements, au marasme économique, à un chômage généralisé. Elle entraîne l'érosion progressive de la position de force de ceux qui détiennent le pouvoir par leur contrôle de l'industrie et donc à la fin de la société comme nous la connaissons. Dans un sens que Nietzsche n'avait certes pas en tête, la satisfaction, pour le capitalisme industriel, est vraiment le signe de la décadence.

Pourquoi la satisfaction de la demande pour les produits industriels est-elle une menace si grave pour la classe dirigeante de la société ? Pourquoi ceux qui ont la richesse et, avec le pouvoir qu'apporte la richesse, le contrôle du pouvoir politique et la discrétion d'ajouter à la richesse réelle une richesse symbolique illimitée, ne peuvent-ils pas garder la mainmise sur une société de services ?

Parce que, dans l'industrie, c'est le capital fixe qui est l'élément multiplicateur de l'efficacité du travail et il est APPROPRIABLE ; le propriétaire de l'équipement peut affecter d'autres ressources à son utilisation et en garder le contrôle. Quand on parle du tertiaire, définissant les services justement comme ces activités que les machines ne peuvent pas faire et qui requièrent essentiellement une intervention humaine, c'est la compétence qui devient le «« multiplicateur ». Dans une société de services, le facteur le plus important de la production n'est plus le capital, c'est l'expertise : la COMPÉTENCE.

Or, la « compétence » est une valeur ajoutée inaliénable qui découle de l'éducation et de l'expérience, indissociable de la matière grise de celui qui l'a acquise et qui seul peut l'appliquer. Elle n'est donc pas appropriable. On peut la louer, mais jamais l'acheter. Quelle que soit la façon dont on voudrait la contrôler, elle demeure toujours à la merci de qui l'a en tête et qui peut, plus ou moins subtilement, en manipuler l'efficacité au gré de sa motivation. L'éducation produit la compétence qui est l'«or gris » d'une Nouvelle Société et qui fixe son propre taux de change au capital. Une hypothèse bien gênante pour ceux à qui, depuis deux siècles, la propriété du capital a conféré un pouvoir absolu.

Le capital peut s'infiltrer dans le secteur des services et s'y rendre même indispensable ­ qui voudrait d'un dentiste qui n'a pas l'équipement le plus performant ? - mais il ne pourra jamais y jouer que le rôle de partenaire junior de la compétence. Dans une société de services, le pouvoir de celui qui est propriétaire des équipements industriels persiste mais s'effiloche, alors que grandit le pouvoir de ceux qui possèdent l'éducation, l'expertise, l'empathie, la créativité, l'initiative. Celles-ci deviennent les véritables sources de la richesse et le vrai pouvoir passe vers ceux qui ont la compétence.

Une situation d'autant plus difficile que la compétence, d'ailleurs, n'est pas un vrai multiplicateur, mais seulement un « valorisateur » des services. Rien n'est multiplié. Le service ne devient donc pas trivial avec le temps, comme un produit industriel qu'on peut stocker et dont le coût de fabrication baisse avec chaque nouvel équipement. Au contraire, les services deviennent plus rare et plus coûteux à mesure qu'augmentent les connaissances scientifiques qui permettent d'en rendre de plus complexes.

Un transfert de la demande vers les services n'est donc pas un phénomène passager, mais entraîne, dès qu'il est amorcé, un déplacement PERMANENT et sans cesse accéléré de la consommation effective vers l'achat de services professionnels. Le capital a toujours une place dans une économie de services, mais il n'est plus en position dominante ; le secteur des services ne constitue pas pour le capital un terreau aussi riche que l'industrie.

Dans les années ''50 tout indiquait qu'une réorientation de la demande allait bientôt entraîner un déplacement brutal de la consommation effective vers l'achat de services professionnels plutôt que de biens industriels. La main-d'oeuvre pourrait migrer sans encombre vers le tertiaire, mais, pour le capital, cette solution n'était pas satisfaisante car il ne pourrait pas y apporter tout son pouvoir avec lui. Quelles que soient les conséquences économiques de la montée en puissance des services, c'est cette perte de pouvoir qui en serait l'effet le plus dévastateur pour le capitalisme industriel.

 

2.7 La stratégie dilatoire

 

Ce passage de l'économie de l'industrie vers les services et cette passation du pouvoir, du capital à la compétence, étaient inévitables et étaient depuis longtemps annoncés. On savait bien que, tôt ou tard, la demande de biens industriels serait satisfaite, que la production deviendrait triviale et que la connaissance allait remplacer le capital comme premier outil de pouvoir. Il ne pouvait en être autrement. L'industrie, l'activité éponyme de notre société, était donc en sursis d'être remplacée comme centre de la production et moteur du développement

Inévitable. C'est néanmoins une échéance que souhaitaient retarder ceux dont le pouvoir était lié au capital. Il n'y a donc pas à s'étonner si, dès que la saturation des marchés industriels est apparue et que la demande pour les services a menacé de devenir prioritaire, leur réaction tout à fait prévisible a été, tout en cherchant à occuper tout l'espace possible au tertiaire, de mener un combat d'arrière-garde pour que la transition vers une économie de service ne se fasse que le plus lentement possible. Avant de se résoudre à la transition vers une société de services, ils ont choisi d'engager la lutte pour en minimiser l'impact et pour maintenir encore un temps la primauté de l'industrie.

Cette lutte exigeait une stratégie sur plusieurs fronts. D'abord, dans l'immédiat, repousser aussi loin que possible les frontières de l'industrie. D'une part, en créant des machines plus performantes, ordinateurs « intelligents », automates programmables, etc. ; d'autre part, en cherchant à substituer à des services complexes que la machine ne pouvait pas rendre des groupes de tâches dont celle-ci pouvait s'acquitter une à une.

Ensuite, il fallait, dans toute la mesure du possible, intégrer les services dans une structure salariée : si les professionnels sont des employés et peuvent apparaître interchangeables, le rapport des forces est meilleur. Ne pas hésiter, non plus à faire dévier la demande pour de services professionnels vers une demande n'exigeant que des compétences du tertiaire inférieur. Ainsi, répondre à une demande de compassion et de prise en charge médicale par une structure de distribution quasi automatique de médicaments.

Dans une perspective à plus long terme, deux mesures complémentaires. Premièrement, introduire autour des services tout un environnement mécanisé qui en facilite la prestation, rendant à la fois le professionnel et le consommateur dépendants de cet équipement. Avec le temps, il serait possible de mettre la majorité des services professionnels en symbiose avec un capital fixe tout autant que l'industrie l'avait toujours été et donc de garantir au capital qui financerait cet équipement une part du prix payé pour l'obtenir similaire à celle qu'il touchait de la production industrielle. A défaut d'être un multiplicateur, le capital pourrait justifier sa livre de chair en devenant le passage obligé pour la fourniture de tout service.

Deuxièmement, former des professionnels en grand nombre. Pour que l'industrie puisse concurrencer les services à armes égales, il faudrait que l'éducation inonde le marché de professionnels de tout acabit, offrant en abondance les profils correspondant à la demande encore largement implicite des consommateurs. Si un effort colossal d'éducation et de formation pouvait former des légions de professionnels, transformant le travailleur moyen en « professionnel' , les services ne seraient plus ni si rares ni si coûteux puisque, par construction, la rémunération de ce professionnel ne pourrait qu'être celle d'un travailleur moyen.

Ceci était crucial, car si la rémunération des professionnels demeurait élevée, ce serait, leurs besoins matériels pouvant être comblés rapidement, les inciter à rejoindre les rangs des « gagnants » et à envahir l'univers de la richesse symbolique. Une perspective inacceptable, car la richesse symbolique n'a pas de gratification tangible à offrir et ne peut donc servir de motivation que si elle est utilisée comme discriminant. La richesse symbolique vaut en ce que les autres en sont privés - pensez à la rose du Petit Prince ­ et la satisfaction qu'on en retire est en fonction inverse du nombre de ceux à qui on l'accorde. Si l'on pouvait devenir riche et satisfaire tous ses besoins en étant professionnel, à quoi servirait d'être capitaliste ? Pour que le pouvoir du capital se maintienne, il fallait que, hormis de rarissimes exceptions, on ne puisse accéder au pouvoir que par le capital et que seul le pouvoir et le capital apportent la richesse.

Un effort colossal d'éducation et de formation était urgent et incontournable pour un rééquilibrage à long terme, mais il fallait des nerfs d'acier pour l'entreprendre et distribuer l'éducation qui crée la compétence, rivale du capital. Il en résulterait dans l'immédiat deux effets contreproductifs pour la stratégie mise en place.

D'abord, on créerait ainsi une autre activité majeure de services (l'éducation) où le capital ne pourrait jouer qu'un rôle mineur. Ensuite cette activité, par surcroît, formerait des ressources qui au départ ne se percevraient pas comme des travailleur moyens, mais comme une élite ayant reçu non seulement une formation, mais une promotion sociale. Chacune d'entre elles voudrait tirer le maximum d'avantages de sa rareté, exigerait une rémunération élevée et viendrait se poser en rivale de l'industrie pour accaparer l'argent des consommateurs, diminuant encore plus la demande pour les biens industriels dont on savait que les marchés étaient déjà saturés.

L'industrie pourrait-elle, dans ce cas de figure, conserver une portion de la consommation qui garderait profitable la richesse investie en capital fixe dans l'industrie jusqu'à ce que le capital soit devenu indispensable aux services et que le nombre de professionnels soit devenu suffisant pour que leur position de faiblesse face au capital soit identique à celle qui avait été la leur dans le secteur industriel ?

Pour maintenir la demande pour les biens industriels et en poursuivre la production massive, malgré la saturation des marchés et la demande croissante pour des services professionnels, il fallait accorder à la production industrielle, une priorité absolue. Ceci serait possible, au moins pour un temps, avec la collaboration inconditionnelle de l'État. Par ses lois, la médiatique qu'il favoriserait, l'éducation qu'il transmettrait et les valeurs qu'il véhiculerait, l'État devrait apporter tout son appui à une structure sociétale où la production industrielle aurait priorité sur tout. Priorité non seulement sur les besoins, dont nous avons vu qu'on pouvait les laisser insatisfaits avec une grande désinvolture, mais priorité même sur la demande effective qu'on avait pourtant donnée pour but formel à l'industrie de satisfaire.

Ceci exigeait une parfaite connivence entre l'État démocratique et le capitalisme industriel. Cet appui des institutions démocratiques aux maîtres du système de production industrielle leur était acquis sans discussion, toutefois, car, comme nous l'avons dit, qui contrôle la richesse en retire la capacité de corrompre et peut donc compter sur le soutien du pouvoir politique. Il fallait en profiter pour rendre la société indissociable de sa production industrielle, avant que n'émerge une classe de fournisseurs de services riches qui pourraient des même moyens des mêmes moyens et dont l'agenda pourrait être bien différent.

Dès les années ''50, pour garder l'industrie comme priorité et conserver leur pouvoir intact, producteurs et shylocks avec l'aide de l'État ont totalement inversé la finalité de la production et mis en place une structure contre-nature qui ne vise plus la satisfaction des désirs, mais dont, au contraire, la nouvelle finalité est de faire en sorte que ces désirs ne soient JAMAIS satisfaits.

 

2.8 La nouvelle finalité

 

Notre industrie ne veut plus satisfaire les désirs, mais en retarder indéfiniment la satisfaction. C'est cette nouvelle finalité d'insatisfaction qui s'est imposée dès que l'on a reconnu, discrètement, que c'est la production elle-même, comme facteur déterminant du pouvoir et des structures hiérarchique, qui est vraiment importante. Plus importante que le produit industriel lui-même, dont la fabrication ne pose plus de défi, plus importante que le désir à satisfaire auquel le produit s'adresse et qui, dans une société d'abondance, tend à devenir simple caprice et pur discriminant social.

Quand on accepte cette priorité absolue de la production, ce qui est produit, au-delà de l'essentiel, n'a plus d'importance. Ce qu'en pensent les consommateurs et le goût du client ne deviennent qu'occasionnellement des critères de décision, seulement pour départager les options concurrentes quand tous les autres déterminants sont égaux. L'important, c'est que le système produise. Produire devient une fin en soi. Produire pour produire, peu importe ce qui est produit. La consommation est le gratifiant tout usage et le geste de produire un tranquillisant universel.

Cette nouvelle finalité s'ajuste parfaitement au type de gouvernance - par promesses et récompenses plutôt que par menaces et châtiments (401) - auquel est commis l'État démocratique. Elle s'inscrit bien dans cette attitude des gouvernants envers leurs commettants dont l'alpha et l'oméga est de planifier l'insatisfaction. De promouvoir la motivation qu'apporte l'insatisfaction, tout en gardant le mécontentement en deçà du seuil au-delà duquel il ne pourrait plus être facilement géré en donnant à chacun selon son pouvoir, surtout son pouvoir de nuire. Il faut éviter que les besoins ne soient trop négligés ou les désirs trop satisfaits.

Ceci, toutefois, crée une situation doublement perverse, car non seulement la finalité de la production est-elle inversée au profit de producteurs et propriétaires des capitaux, mais le système de production industrielle manifeste dorénavant, à un degré éminent, cette dysfonction de n'être plus déterminé par son but quel qu'il soit, mais uniquement par les exigences de son maintien et de son développement comme structure. L'industrie devient, selon l'expression anglaise, « process oriented »: son fonctionnement n'obéit plus qu'à la seule logique interne de sa structure. Dans chaque situation où les procédés devraient être ajustés et les objectifs révisés en fonction d'un but externe, c'est le but qui est mis au rancart et les objectifs qui sont manipulés, adaptés aux impératifs des schèmes opératoires.

La finalité du système de production ayant été détournée et n'étant plus d'apporter une satisfaction au client, mais simplement d'assurer la permanence du système, l'industrie n'existe plus que pour elle-même et ce sont les producteurs qui ont le pouvoir. Conséquemment, ce n'est plus la demande qui détermine l'offre mais l'offre qui contrôle la demande. Dès que ceci est compris, les bizarreries du système de production industrielle sont expliquées et apparaissent rationnelles, sinon raisonnables.

Pourquoi le système ne produit-il pas ce que les consommateurs veulent ? Parce que, comme nous l'avons déjà expliqué le consommateur veut sans cesse autre chose, mais il est plus rentable pour les producteurs de produire la même chose. Des producteurs qui ont le pouvoir produisent ce qu'ils veulent et le consommateur doit s'en contenter, car il n'a pas d'autre choix que d'accepter le produit qu'on lui offre sous divers camouflages ou de s'abstenir ; on ne lui offre jamais une alternative acceptable,

Pourquoi tolère-t-on et encourage-t-on même, un gaspillage éhonté des ressources ? Parce que le but de notre système de production est simplement de produire davantage et que satisfaire un besoin n'est plus qu'une excuse pour produire. Les intrants qu'on consacre à la production n'ont pas de vcaleur propre, mais ne sont perçus que comme des coûts à déduire du prix de vente, une conséquence directe de la désorientation qui pousse la structure de production à ne voir d'autre but que sa continuité ni d'autre valeur que son propre extrant, sans référence à un besoin qu'elle satisfait ou ne satisfait pas.

Une production qui n'est plus orientée vers la satisfaction d'un désir n'est donc plus limitée, comme il serait dans la nature des choses qu'elle le soit, par la réalisation du but qu'elle s'est fixé. Il n'y a plus d'autre contrainte à la fringale de produire que la disponibilité des facteurs et il y a nécessairement un seuil à partir duquel on en abuse, à la pleine mesure des techniques dont on peut disposer pour en abuser.

Quand notre société a vu à portée de la main l'abondance - le but que l'humanité poursuivait depuis cinq mille ans d'histoire et bien avant ! - elle aurait pu faire un virage abrupt et se choisir une autre vocation que la production de biens industriels. On manquait de services professionnels. C'est des services que la population exigeait. Au lieu de lui donner satisfaction, on a préféré donner un sursis à l'industrie et faire durer le plaisir de la quête elle-même, en feignant de ne pas pouvoir satisfaire les besoins.

C'est ce qui a été fait, et il y a 50 ans que ça dure. Aujourd'hui, cinquante (50) ans après que la capacité de production industrielle soit devenue suffisante pour satisfaire nos besoins, la capacité de production industrielle de la planète s'est encore multipliée, mais le sursis dure toujours. Si on regarde le précédent de la transition d'une économie agricole a une économie industrielle, il ne devrait rester aujourd'hui que 3 à 5% de la main-d'uvre dans l'industrie; il en reste encore près de 20%.

On fait durer le plaisir. La productivité industrielle augmente et la demande pour les services croît au rythme où les progrès de la science rendent disponibles des services plus efficaces, en médecine, en loisir, en communications L'effort pour maintenir la primauté de l'industrie sur les services apparaît de plus en plus futile. Le capital lui-même a tant perdu confiance dans la promesse d'un profit à tirer des marchés industriels saturés qu'il fuit vers la spéculation. L'argent virtuel consacré aux transactions financières représente chaque jour TROIS CENT (300) FOIS l'argent servant de monnaie d'échange pour des biens réels. Ne parlons pas des problèmes environnementaux qui découlent d'une production inutile, d'autres en parlent déjà avec éloquence.

Le sursis continue. La priorité est simplement de maintenir à tout prix la fidélité du consommateur envers des patrons de consommation qui permettent la rentabilisation constante du capital fixe investi dans l'industrie. Le capital fixe, aussi longtemps que notre société demeure simplement « industrielle », rester le seul investissement raisonnable et se confond donc avec la richesse et le pouvoir. C'est le but du capitalisme industriel depuis son origine ; la façon de l'atteindre est seulement devenue différente, dans le cadre de la nouvelle finalité qui est l'insatisfaction permanente. Une finalité dont les règles sont évidemment contreproductives.

 

3. Les voies de l'insatisfaction permanente

 

Quand l'industrie est en sursis de perdre sa prédominance et veut gagner du temps sans avoir de but précis, on a la situation d'un ensemble dont chaque élément vit de mouvement, mais qui ne survit, comme système stable, que si le statu quo prévaut. Comme des molécules d'eau qu'on chauffe dans une bouilloire bien étanche. Les molécules s'affolent et il se produit bien de l'énergie. Depuis cinquante ans, c'est une activité fébrile qui caractérise l'industrie ; on n'a jamais tant produit que depuis qu'il est devenu inutile de produire tant.

Mais lorsque c'est produire qui est important et que ce que l'on produit n'a pas d'importance, on en arrive à des jugements fallacieux, à des choix incongrus et à des comportements aberrants. Ainsi, la satisfaction d'un désir n'est plus un gain en soi, mais un danger ; la chose la plus importante à produire, c'est le désir lui-même, la seconde étant que chaque désir soit perçu comme un besoin - aussi « essentiel » que possible - ­ et la troisième d'apparier dans l'esprit du consommateur la satisfaction temporaire et toujours voulue incomplète de son désir à un produit qu'il peut acheter.

La valeur intrinsèque des choses - la rareté d'une ressource, ou le travail qu'exige la fabrication d'un produit - est donc traitée comme une variable qu'on prétend manipuler et c'est la valeur monétaire qu'on peut leur fixer qui devient la référence. L'efficacité est elle-même à prendre sous réserve, selon son impact sur le travail et donc la demande effective, sur les volumes de consommation ou les cycles de renouvellement des produits. Comme dans les phénomènes d'hypnose ou de psycho cybernétique qui permettent de pratiquer son golf bien assis, en IMAGINANT qu'on est sur les links, le miroir monétaire ne fait pas la différence entre une valeur réelle et l'image virtuelle d'une valeur.

Le critère d'utilité n'est donc plus pertinent. Est « utile » ce qui fait tourner la roue de la consommation, et l'on peut en arriver à juger utile une bombe « intelligente » dont le coût bénéfice s'établira en vérifiant si la valeur de remplacement de ce qu'elle détruit est supérieure ou inférieure à son coût de USD $ 9 000 000. Ou en arriver, autre distorsion qui ébahit, à juger sans importance que le consommateur paye ou non son écot pour consommer, en donnant en contrepartie une valeur quelconque, comme son travail, par exemple. Il suffit désormais qu'il y ait apparence de paiement. Nous en parlerons un peu plus loin.

Il va falloir changer notre structure de production. L'habitude nous ayant inculqué une grande indulgence envers les folies et vésanies de la production, toutefois, nous allons, avant de tracer les lignes directrices d'une nouvelle structure, jeter un coup d'il sur la situation dans laquelle nous a mis l'industrie en sursis et sur ce que fait encore le système actuel

 

3.1 La société obèse

 

Nous vivons dans une société qu'on a gavée et dont le foie éclate. On a dit que la pauvreté cesse lorsqu'on a un pantalon, et que la richesse commence quand on en a deux, puisque l'on n'en porte qu'un. Il faudrait ajouter que la pauvreté revient quand on en veut un troisième, car on est toujours pauvre quand on a un désir qui n'est pas satisfait et le système de production actuel, en ce sens, s'est donné pour but principal de nous appauvrir. De nous appauvrir et de nous engraisser. Comme ces roitelets des îles mélanésiennes qui voient l'obésité comme un signe de succès, dans une culture dont la faim n'a jamais été éradiquée.

Toute notre structure sociale est imprégnée d'une volonté d'avoir plus, plutôt que de devenir mieux : on est ce que l'on a. Tout est fait pour faire de la consommation le but central de l'existence. Ce n'est pas une évolution naturelle : la tendance normale est d'arrêter de consommer quand le besoin est satisfait. La boulimie est un désordre qui prend sa source dans la crainte déraisonnable d'une carence. Quand ce sentiment est exacerbé et mène à une gratification secondaire à laquelle on ne peut résister, même si elle est nuisible pour l'organisme, on peut parler d'assuétude.

En fait, le système nous conditionne à une consommation excessive de la même façon qu'utilisent les fabricants de cigarette et autres marchands de drogue pour créer une dépendance : rendre facile la consommation initiale puis monter les prix. Pourquoi la télévision est-elle gratuite ? Pourquoi l'accès au réseau routier est-il gratuit ? Prenez-en l'habitude Après, on vous vendra bien quelque chose.

Il ne faut pas croire que seule la publicité formelle qu'on voit dans les médias nous pousse à consommer ; ce n'est que la pointe du iceberg. C'est la partie visible d'un dispositif de conditionnement qui valorise la possession pour la possession et qui se met en marche pour toucher l'enfant dès qu'il peut voir des dessins animés. L'attaque continue de l'école primaire à l'université et ne s'arrête jamais. La gratification secondaire offerte, c'est le respect des autres : la position sociale se mesure en richesse ostentatoire. Ce qui est nuisible pour le corps social, c'est l'envie pathologique que cette approche suscite entre les partenaires sociaux - (Keep up with the Jones !.) - et l'incroyable gaspillage de nos ressources.

Quand tous les besoins que l'on éprouve spontanément ont pu être comblés, le système industriel a continué sur sa lancée et nous en a créé d'autres, artificiels. Il en est résulté la constitution presque obligée, par chaque citoyen qui se veut respectable, d'un invraisemblable patrimoine d'objets matériels hétéroclites dont l'utilité est souvent douteuse, mais le potentiel d'embarras bien évident. Dans un monde où la mobilité s'affirme comme condition de succès mais aussi de joie, l'industrie en déclin a imposé, par un conditionnement incessant, le modèle pervers de l'accumulation. La masse des choses que l'on possède ­ et dont il faut prendre soin ­ occupe une place démesurée dans la vie de l'individu moyen. C'est une contribution non négligeable de l'industrie à la menace qui pèse sur chaque être humain de limiter sa vie à gérer l'insignifiance. On a créé une société obèse.

Dans le contexte d'un sursis qui prend fin pour une industrie qui a tout donné, le credo de la Simplicité Volontaire (SV) qui fait chaque jour des adeptes est porté par l'esprit du temps et peut apporter la rationalisation dont ils ont besoin pour changer à ceux qui comprennent qu'une consommation boulimique est incompatible avec une Nouvelle Société.

La SV peut ratisser très large : c'est ce qui en fait une solution particulièrement valable. La SV peut mener à l'ascèse, mais aussi au choix tout à fait hédoniste de ne pas se laisser détourner du bonheur et du plaisir véritables par les sirènes du « consumérisme » qui voudraient nous faire croire qu'on ne vit heureux qu'entouré - et en fait alourdi - par un fatras de babioles. La SV peut amener à manger des lentilles et à cuire son propre pain, mais ça peut être aussi l'option de ne rien acheter que l'on peut louer et d'aller de palace en palace, en n'apportant pour tout bagage que deux kilos de soies et cachemires et une carte de crédit Platine. Pour riches comme pauvres, la SV est la voie intelligente de la fuite hors d'une société obèse. Jusqu'à ce qu'elle devienne la cure de minceur et donc le salut pour la société elle-même.

Quand nous disons que l'industrie conserve sa dominance en créant des besoins artificiels, nous ne pensons pas aux nouveaux « besoins » que crée la technologie. On peut vivre sans un téléphone cellulaire, un iPod et un Blackberry, être en forme sans utiliser une planche à voile, ni un deltaplane, mais certaines de ses innovations apportent vraiment un ajout, ne serait-ce qu'au niveau du plaisir, ce qui n'est pas négligeable. On est certes dans le domaine du superflu, mais si la société s'enrichit et que la technique le permet, pourquoi s'en priver ?

Le problème d'obésité de notre société ne vient pas de ce qu'on fait une place dans notre quotidien à 200 grammes de métal où se sont incarnées des décennies de science : les truffes blanches engraissent peu. La boursouflure littéralement viscérale dont notre société doit se débarrasser, c'est celle qu'entraîne la consommation sans réflexion et sans plaisir d'une production itérative de l'inutile en transit rapide vers le sac à déchet et le dépotoir.

Le problème de surproduction et de surconsommation se manifeste sur les biens de consommation courante et les produits semi-durables, mettant seulement en oeuvre pour ceux-ci les raffinements additionnels dans l'arnaque que justifie leur valeur supérieure et que permet l'ambiguïté des attentes qu'ils suscitent.

 

3.2 Les biens de consommation courante

 

Pour les produits de consommation courante, l'astuce assez grossière pour en produire et en vendre plus est à la fois de promouvoir la consommation de ce qui est inutile et d'encourager la consommation excessive de ce qui est utile comme ce qui ne l'est pas. On est ici dans la chasse gardée par excellence de la publicité, car c'est quand il faut faire beaucoup avec peu que celle-ci est surtout nécessaire.

Prétendre que le détergent A fait briller vos verres plus que le détergent B laisse sceptique. Dire que « du beurre, c'est du beurre » a un certain charme, mais n'est pas très instructif. De même les boissons qui « rafraîchissent » et autres lapalissades. Insignifiant mais relativement innocent. Parfois, cependant, la publicité glisse vers la « suggestio falsi » et la non-vérité. Ainsi, personne ne conteste qu'il soit utile de se brosser les dents ou de se laver les cheveux. On pourrait même concevoir qu'une population raisonnablement éduquée continuerait à le faire même sans publicité. On pourrait aussi penser que l'hygiène dentaire n'en souffrirait pas, si tout le mode choisissait l'une ou l'autre des grandes marques connues de dentifrice plutôt qu'une autre. Mais...

Il a été établi que l'usager moyen met sur sa brosse à dents quatre (4) fois la quantité de dentifrice nécessaire. Ne croyez pas les études, essayez : vous verrez si vos dents ne terniront pas. Personne n'a dit à l'usager d'en mettre 20 millimètres au lieu de 5, mais c'est 20, ce qu'il voit sur la brosse dans les annonces et personne ne l'a détrompé, bien sûr. Ça ne peut pas lui faire de mal et ça quadruple le chiffre d'affaires. Ce qui représente sans soute le revenu national brut d'un petit pays d'Afrique.

Ça ne lui fait pas de mal. Si, cependant, comme bien des gens, vous faites deux cycles lavage-rinçage à chaque shampoing, pour avoir des cheveux plus soyeux, ça devient un peu plus ambigu. Vous en aurez, des cheveux plus soyeux, mais vous devriez savoir que le premier cycle a rendu vos cheveux aussi propres qu'ils peuvent l'être ; le second enlève seulement toute trace résiduelle d'huile naturelle du cheveu et le rend plus fragile, plus friable Le problème n'est pas que vous le fassiez, c'est votre choix. Le problème, c'est qu'on ne vous informe pas des conséquences.

Le problème, c'est la consommation intempestive de produits de consommation courante dont on se garde bien de nous avertir qu'ils ne nous apportent rien ou parfois nous font du mal. La surconsommation des produits de consommation courante ne donne son plein potentiel de gaspillage, toutefois, que lorsque l'on quitte carrément le domaine de l'utile pour passer dans celui de l'imaginaire et de la superstition.

Le besoin artificiel parfait, c'est celui qui n'apporte rien, part d'un mensonge implicite et joue sur la bêtise humaine. L'industrie des cosmétiques est un exemple de mensonge implicite qui s'est fait une belle carrière, aidé au besoin de quelques autres mensonges, bien explicites ceux-là. Le mensonge implicite, c'est de laisser supposer, sans en avoir la moindre preuve, que quelque produit cosmétique connu que ce soit puisse régénérer votre peau, empêcher la calvitie, ou que sais-je Les mensonges explicites, c'est le recours massue à l' «effet chinchilla »

L'«effet chinchilla », en deux temps, c'est d'associer d'abord ce qui est cher avec ce qui est bon, puis de généraliser ensuite allègrement en laissant supposer que ce qui est bon pour quelque chose l'est pour n'importe quoi. Pour l'industrie des cosmétiques, c'est de prétendre que les huiles de vison ou de chinchilla, les extraits d'orchidées, de champagne ou de caviar - ou de quoi que ce soit dont le nom puisse projeter une image de cherté - puisse vous faire quelque bien, et surtout plus de bien qu'une concoction sortie des pissenlits, de la queue de rat ou de la crotte de mouton.

Peut-être existe-t-il un produit cosmétique miraculeux, mais on l'ignore. Au milieu des mensonges, même une vérité devient incroyable. S'il existe un produit qui tienne ce genre de promesses, il faudrait qu'on le sache ; s'il n'y en a pas, il ne faudrait pas le prétendre (117). Dans un prochain texte (713) nous verrons comment on peut mettre fin aux mensonges explicites de la publicité et faire en sorte que, si la cosmétologie peut avoir un effet vraiment bénéfique, ceux qui peuvent offrir des résultats probants puissent se faire entendre. Pour le reste, on ne peut qu'éduquer : l'humain est encore bien jeune.

On peut regretter, que l'industrie des cosmétiques exploite la sottise populaire ­ à la hauteur de 130 milliards de dollars par année ! - mais Il y a au moins 4 000 ans que les Egyptiens et les Chinois utilisent des fards. Aucune civilisation subséquente n'y a échappé. On peut donc dire que la victime, ici, est bien consentante, ce qui, dans une Nouvelle Société, est une raison suffisante pour qu'on n'interdise rien. C'est affaire d'éducation : aussi longtemps que le client le veut, il y a droit.

Les cosmétiques, d'ailleurs, ne sont visés ici que parce qu'ils sont une cible facile. C'est la seule illustration qui suffit, mais il faut comprendre que tout le champ des produits de consommation courante obéit à la même problématique d'une industrie qui vise avec acharnement à vendre plus de n'importe quoi à une population qui a déjà assez de tout, et bien trop d'une foule de choses que seule sa naïveté la pousse à acquérir

 

3.3 Les produits semi-durables

 

Quand on passe aux produits semi-durables, l'attaque des producteurs contre les consommateurs, pour traduire en profit leur pouvoir et affirmer le contrôle de la demande par l'offre commence, comme pour les produits de consommation courante, en cherchant à vendre tout ce qu'on peut à tous ceux qu'on peut. Pour satisfaire les désirs et les caprices qu'ils ressentent spontanément, mais aussi tous les faux besoins artificiels qu'on peut leur inventer et dont on peut les convaincre.

Le besoin artificiel, pour les produits semi-durables, c'est d'abord la troisième voiture qui ne roule presque jamais, l'équipement de camping qui ne sert que 10 jours par ans, les skis que les enfants n'utilisent qu'une fois, etc. Le désir irrationnel de posséder, soigneusement entretenu par la publicité, conduit le consommateur à acheter impulsivement ce qu'en bonne logique il devrait louer. Alors qu'un produit utilitaire, par définition, ne vaut que par les services qu'il nous rend, la publicité vise à remplacer cette motivation par une autre : celle d'avoir pour avoir, d'avoir pour paraître. La consommation tape-à-l'il est un facteur important de surconsommation pour tous les produits semi-durables comme pour les produits de consommation courante

Un facteur important auquel s'est aussi ajouté l'équivalent d'un « effet chinchilla » dont nous avons vu l'usage pour les cosmétiques. Truc qui prend ici la forme d'une « qualité » mal définie, dont on peut soupçonner qu'elle n'est pas tant la cause d'un prix plus élevé qu'elle n'en est un effet induit. Jadis, quand les choses devaient durer, celles qui duraient étaient de meilleure qualité. Critère simple et objectif. Mais quand rien ne dure plus vraiment, on peut dire « qu'est-ce que la qualité ? »et s'en laver les mains. On peut dire n'importe quoi et une pseudo qualité de pure convention prend une importance énorme.

On tient bien en main, par la publicité et la pression sociale, un consommateur de biens semi-durables qui n'a plus de vrais désirs qu'on puisse satisfaire. On ne peut plus justifier de lui vendre un nouveau produit par les services que ce produit est censé fournir, puisque le consommateur en jouit déjà. Comment maximiser le profit qu'on peut encore en tirer ? En lui vendant « autre chose » autour et en sus de chaque produit. Plus de gadgets, plus de produits d'entretien, etc., mais aussi plus d'intangible : plus de rêve et plus de prestige. Il faut faire dépendre la satisfaction que l'acheteur en retirera des caractéristiques secondaires du bien qu'il achète et qui lui confèrent une valeur exceptionnelle. Idéalement, une valeur totalement subjective, mais au besoin simplement inventée. On revient à l'huile de chinchilla ; l'essence du besoin artificiel devient la pseudo qualité.

L'automobile est un exemple emblématique. Même en laissant de côté, aux extrêmes de la courbe, les Ferrari et les tacots « faits maison », le prix des voitures varie encore du simple au quadruple dans la fourchette où se situent 80% des consommateurs. Une Cadillac donne-t-elle vraiment 4, 5, 6 fois plus de services qu'une Lada ?

Les systèmes de sons sont équipés, depuis bien longtemps, de haut-parleurs qui transmettent tous les sons audibles, sans distorsion perceptible pour une oreille humaine. Aujourd'hui, seuls les modèles d'une qualité vraiment lamentable n'en ont plus ; pourtant, il s'en vend tous les jours de certaines marques à dix (10) fois le prix de certaines autres dont les caractéristiques techniques sont bien similaires. Pourquoi ? Le même phénomène est présent sur tous les marchés d'objets pourtant dits «utilitaires », des casseroles aux écrans d'ordinateurs. Le critère « qualité» a été érigé en obsession.

Le bon sens, c'est qu'un produit qu'on achète strictement pour son utilité ne peut jamais valoir plus que le prix du produit le plus économique qui rend le même service. Quand vous payez plus, vous achetez autre chose. Vous achetez le nom, le « look », le prestige. C'est cet intangible que le système de production vous vend en plus du produit. Quand le prix moyen de l'objet utilitaire vendu dans une société de consommation opulente dépasse le double du prix minimal qu'on pourrait payer pour en obtenir l'équivalent, c'est SURTOUT cet intangible que l'industrie vous vend.

Honte et anathème ? Pas nécessairement. Quand le système de production nous inculque des critères qui nous font choisir des objets utilitaires pour une autre raison que l'utilité, ses intentions sont on ne peut plus mauvaises, mais les résultats sont mitigés. D'une part, nous avons développé un patron de consommation dont les priorités sont absurdes et nous nous tuons à maintenir le profil de consommation qui impressionnera nos voisins ; c'est la « consommation ostentatoire » de Veblen à l'état presque pur.

D'autre part, il y a un aspect positif. La recherche d'une qualité, même mal définie, garde notre société plus éveillée à des valeurs autres que la seule utilité. Nous ne brûlons pas tous les livres « parce que la vérité est en un seul », nous ne dynamitons pas les vieilles statues parce qu'elles rendent superstitieux et nous gardons le respect de l'esthétique et des souvenirs.

Ce n'est pas parce que l'on hausse les critères de qualité selon des critères qui confinent à l'escroquerie pour pousser le bon peuple à se tuer à la tâche afin d'acquérir des biens dont les avantages sont douteux qu'il faudrait interdire la production de ces biens. C'est un aspect important de la qualité de vie de pouvoir, si c'est ce qu'on veut, rouler dans la plus belle bagnole, dormir dans le lit de Napoléon, ou apprendre d'une Patek Philippe plutôt que d'une Timex qu'il est l'heure d'aller dormir. Il faut seulement que l'acheteur soit conscient qu'il ira à la même place, ne dormira pas mieux et que le temps ne s'arrêtera pas parce qu'il porte une montre devenue un bijou.

Il ne faut pas que la production vise à un utilitarisme qui fasse du monde entier un Moscou des années ''50 Nous verrons plus loin, d'ailleurs, pourquoi nous devrons au contraire, dans une Nouvelle Société, encourager la production de biens haut-de-gamme. Il faut seulement que le consommateur soit bien conscient des subterfuges des producteurs. Il faut qu'il sache que ce n'est pas un meilleur service qu'on lui vend quand on lui vend un produit de luxe plus cher, mais une autre valeur, bien subjective. C'est cette transparence qu'une Nouvelle Société va exiger. Mais, ça, c'est au palier de la publicité (713) qu'il faut le régler, pas à celui de la production ou de la distribution même.

Que le consommateur devienne un esthète ou un collectionneur ne crée pas de préjudice à la société, au contraire. Sans nous faire de bien, même celui qui veut se munir d'un pot de chambre en or massif ne nous fait pas plus de mal que si cet or était resté sous forme de lingots à Fort Knox. Il faut s'opposer à ce que le producteur mente à la population quand il lui crée des besoins artificiels, mais laissons-le agir quand il vend autre chose que de l'utilité. À condition, bien sûr, qu'il ne prétende pas alors vendre de l'utilité et qu'il n'ait surtout pas l'effronterie de prétendre vendre un produit plus durable quand il a tout fait pour le rendre éphémère.

 

3.4 Le plan Pénélope

 

On sait que Pénélope, épouse fidèle, voulant garder à distance les prétendants à sa main qui l'avait sommée de choisir parmi eux celui qui l'épouserait et accéderait au trône d'Ulysse, avait trouvé l'astuce de promettre de faire connaître son choix quand elle aurait terminé une tapisserie dont elle défaisait discrètement chaque nuit tout ce qu'elle en avait brodé le jour. De la même façon, si on veut empêcher que la production de biens industriels ne devienne triviale, il faut faire en sorte que ce que l'on produit ne dure jamais bien longtemps.

Le premier volet de la cour trop pressante que font les producteurs aux consommateurs consiste à susciter chez eux des besoins artificiels, à leur vendre le futile et l'inutile déguisé en essentiel et à tout affubler d'une pseudo qualité mythique pour rendre précieux ce qui est souvent inacceptable. Leur deuxième stratagème, c'est de faire en sorte que s'autodétruise ce qu'ils leur ont vendu pour pouvoir le leur vendre encore, pouvoir le refaire, le refaire encore, indéfiniment et de plus en plus souvent.

La voie royale vers l'insatisfaction permanente a été bâtie sur l'empattement de deux vérités indéniables. La première est que tout passe, tout lasse tout casse : l'usure est une réalité. La deuxième est qu'une société technologique peut faire sans cesse mieux : la désuétude est aussi une réalité. À partir de ces deux assises, l'industrie en sursis a pris avantage de chaque pli du terrain pour mener sa campagne de surconsommation.

Un système de production rationnel vise la satisfaction et cherche à contrer la fatalité de l'usure et de la désuétude en allongeant l'espérance de vie utile des produits. Une production qui veut satisfaire la demande s'efforce d'augmenter la robustesse du produit. L'augmenter peut accroître le coût de production et il y a donc un optimum à atteindre en tenant compte du coût supplémentaire de production d'un produit qui dure plus longtemps.

C'est cette optimisation qui est l'objectif de départ. On peut s'éloigner de cet objectif pour d'autres considérations, esthétiques, par exemple. Ceci ne cause pas problème, pour autant que ce soit clairement dit, mais c'est cet optimum de solidité et de permanence, cependant qui demeure le référentiel ; toutes autres choses étant égales, on favorise le produit qui dure. Du moins, c'est ce qu'implicitement l'acheteur attend du producteur.

Pendant des lustres, les producteurs ont misé leur destinée sur l'établissement d'une relation de confiance avec le consommateur et certaines firmes y sont parvenues. Elles ont produit pour la durée. Mais quand la finalité est devenue l'insatisfaction permanente, il est clair que les règles ont changé. On a souhaité le taux de remplacement le plus élevé possible pour maximiser la production et donc cherché à RÉDUIRE la durée d'utilisation des produits. Un système comme celui qui s'est instauré, et qui a pour but premier de produire pour produire, cherche à fabriquer des biens de plus en plus fragiles et à n'apporter qu'une satisfaction éphémère. Le nouvel optimum de référence pour la production est devenu la durée de vie utile la plus courte que puisse tolérer le client.

L'objectif immédiat des producteurs est donc de baisser tous les produits d'un cran sur l'échelle de la durabilité. Il y a maintenant plus de 50 ans que le système cherche à transformer les produits durables en produits semi-durables ­ - avec des maisons Levitt pour les vétérans, bâties à la fin des années "40 pour durer 20 ans ­- et à remplacer les produits semi-durables par des objets de consommation courante. En ce dernier cas, il y a des substituts qui méritaient d'être introduits. à cause de la valeur ajoutée du service qu'ils rendent, comme Kleenex et Pamper, par exemple. Mais que ces innovations soient souhaitables ne change rien à la motivation de ceux qui les ont introduites

Entre le durable qui ne l'est plus et le réutilisable qui cède la place au jetable ­- avec certains avantages, mais des conséquences pour l'environnement que nous verrons ailleurs - il y a cependant tout un univers de produits dont personne ne conteste qu'ils soient réutilisables, mais dont l'intérêt évident du consommateur est qu'ils durent et l'intérêt tout aussi évident du producteur est qu'ils ne durent pas. Ces produits vont de la lame de rasoir qui peut servir une, cinq, dix fois à l'automobile qui durera trois, dix, trente ans. C'est sur ce marché que la guerre entre consommateurs et producteurs s'est surtout engagée et elle n'est pas finie.

Dans cette guerre, le producteur a l'arme de la publicité et le consommateur le bouclier de la libre concurrence. Mais c'est une guerre bien inégale, car c'est toujours le producteur qui contrôle cette variable primordiale qu'est l'espérance de vie du produit semi-durable. Celle-ci ne dépend pas seulement du soin qu'on met à le fabriquer, mais aussi d'autres facteurs. Des facteurs comme la disponibilité après vente des pièces de rechange et des services d'entretien. Comme l'apparition sur le marché, surtout, d'un produit nettement supérieur qui rendre le premier désuet ou d'un produit dont on laissera croire qu'il est supérieur.

À l'usure bien physique qu'on peut accélérer, en fabriquant plutôt mal que bien, vient donc s'ajouter, au profit du producteur la désuétude, qui est non seulement pour une bonne part subjective - et donc manipulable à quia par la publicité - mais aussi planifiable, puisque la technologie est toujours de 5 à 10 ans en avance sur la production, que le producteur a l'information pertinente que le consommateur n'a pas et que la cédule de mise en marché de nouveaux produits est totalement discrétionnaire.

Le consommateur à qui l'on vend un produit semi-durable voudrait qu'il dure, le producteur veut qu'il ne dure pas. Le jeu sur la durabilité et l'usure d'une part, sur la désuétude (obsolescence) planifiée d'autre part, est le fin du fin de la manipulation de la variable « durée » dans l'équation des produits semi-durables qui constituent le volet le plus important de la production industrielle. Quand on maîtrise la durabilité des produits, on peut achever la mutation définitive d'un système de production afin qu'il n'existe plus que pour produire. On peut garantir que la demande ne sera jamais satisfaite. Et c'est l'offre qui a le pouvoir, pas la demande.

Quand on prend pour politique de produire des choses qui ne durent pas ou qui ne durent pas autant qu'elles devraient durer, on repousse aux calendes grecques la satisfaction du besoin qui devrait être le but ultime d'une société industrielle conçue pour apporter l'abondance. Quand, comme maintenant, tous les marchés industriels importants sont matures et qu'on ne produit vraiment de biens semi-durables que pour assurer le remplacement de ceux qui sont désuets, chaque baisse de durabilité est un APPAUVRISSEMENT collectif bien réel.

Un appauvrissement à deux niveaux. D'abord, la population, en termes des services qu'elle peut en attendre pendant une période prévisible, possède aujourd'hui un investissement en biens semi-durables à usage domestique dont la valeur est inférieure à ce qu'elle serait si ces biens étaient faits pour durer. Ensuite, chaque fois qu'on produit encore une fois la même chose pour répondre à un besoin qu'aurait continué à satisfaire le bien qu'on remplace si on ne l'avait pas fabriqué pour qu'il s'autodétruise, un producteur fait un profit et le système perdure, mais on consomme tout à fait inutilement davantage des intrants.

Quels sont les intrants (input) ? Les matières premières, le capital, et le travail. En ce qui a trait aux matières premières, on peut limiter les dégâts - bien imparfaitement - par le recyclage, mais il y a des ressources non renouvelables qui s'épuisent. Le capital ? Le capital fixe, celui qui est équipement et outils, s'use en pure perte à produire l'inutile et se transmute en une richesse monétaire symbolique qui s'enfle des profits réalisées. Une enflure qui suffit à faire jouir ceux qui en disposent. (*D ­ 04) En ce qui concerne le travail, cependant, il n'y a pas de recyclage possible ni transmutation. Une heure perdue à produire l'inutile ne reviendra jamais. Le temps, c'est de ça que votre vie est faite et c'est votre vie que le système gaspille.

Où est le bouclier du consommateur ? La concurrence ? Il n'y a pas de concurrence. Ou plutôt si, il y a une concurrence, mais elle n'est plus entre fabricants produisant des produits similaires et se disputant la clientèle des acheteurs, fabricants vulnérables donc, aux pressions que les consommateurs peuvent exercer ; elle est désormais à un tout autre niveau et ne le protège en rien.

 

3.5 Les cartels de fait

 

En théorie, l'offre doit se plier à la demande : c'est son rôle. Elle le fait lorsque l'acheteur a le choix entre une large gamme de fournisseurs dont chacun lui propose, pour satisfaire son besoin, un produit raisonnablement différent de celui des autres, ou un produit similaire, mais à un prix différent. Dans la mesure où ce choix est inexistant, trop limité ou purement spécieux, c'est la demande, au contraire, qui doit se conformer à l'offre. Avec d'autant plus d'empressement que son besoin est pressant.

Si les producteurs se concertent pour ne pas offrir un véritable choix au consommateur, ils sont alors en position de force et constituent de fait un cartel. Ils sont un cartel même si les ententes entre eux demeurent au niveau du non-dit. On a une situation qui confine au monopole. L'hydre a plusieurs têtes, mais c'est la même bête. C'est la situation que nous vivons présentement.

La croissance en volume et en complexité du système de production a conduit à sa division en grappes (clusters). Des groupes d'affinité qui ne sont précisément, ni les branches d'activités ni les ni occupations (professions) identifiées par les classifications traditionnelles, mais qui se définissent d'abord par les besoins connexes auxquels leurs productions d'adressent et qui ont en commun de pouvoir être satisfaits par un agencement des mêmes ressources humaines et techniques. Des grappes d'industries qui se définissent, donc, par un appel aux mêmes compétences et la nécessité de soutenir une même recherche.

Le nombre des joueurs dans chaque grappe tend à diminuer, par la nécessité de réaliser des économies d'échelle et la simple concentration du capital. À l'intérieur de chaque grappe, quelques producteurs peuvent donc se créer de plus en plus facilement une position dominante, en embauchant les travailleurs qui seuls ont les compétences requises et en soutenant une recherche bien ciblée. Ils ont alors le monopole de l'expertise, puisque ensemble ils ont sous contrat tous les travailleurs compétents et la propriété de tous les brevets. Les brevets qui permettent de produire aujourd'hui et, aussi, d'orienter l'évolution de la production pour des années à venir.

On en est arrivé assez vite au point où la production de quelque produit manufacturier que ce soit est réservée de fait à un groupe très restreint de producteurs, les seuls qui disposent des ressources et de l'expérience requise pour gérer cette production spécifique. Chaque grappe devient une chasse gardée o� pr�vaut une strat�gie coop�rative de type "commmensal" telle que d�crite par Astley. C'est un environnement où une industrie peut agir bien à l'aise. Tout le système de production industrielle tend donc à devenir une collection de semblables grappes

Prenez la liste « Fortune » des 500 plus grandes entreprises et répartissez-les par grappes. Vous verrez ainsi se dessiner, pour prendre une autre métaphore, un grand «Casino du Capital » où les gros pontes industriels sont assis à des tables différentes dont chacune correspond à un groupe d'affinités. A chaque table, il n'y a que quelques joueurs. Normalement une demi-douzaine, jamais plus de dix (10). À la table « Automobile », de GM à Toshiba, n'importe qui peut les compter. Même chose dans l'industrie pharmaceutique. Idem pour l'informatique ou l'électronique.

Les joueurs d'une même table s'échangent civilement les jetons que leur fournit le Grand Croupier ­, le système monétaire international ­, jetons qui représentaient à l'origine le travail des masses laborieuses, mais qui, de plus en plus, sont « virtuels » et créés de façon tout à fait discrétionnaire. Ils ne se mêlent pas. Un intrus n'a aucune chance de prendre sa place à la table voisine, car ce ne sont plus les jetons qui importent, mais les compétences, les brevets, les amis...

Les amis, car il y a longtemps que le nombre des joueurs été réduit au point où l'on est devenus copains et où chaque table est contrôlée par un cartel de fait. Chaque joueur joue pour lui, bien sûr, mais pour des avantages positionnels qui ne remettent pas la structure en péril Les participants à un tel cartel de fait n'ont pas besoin de s'échanger des mémos pour fixer les prix ou déterminer le rythme optimal d'acceptation de l'innovation qu'ils favoriseront. Comme des trapézistes, ils connaissent parfaitement les règles du jeu, voient du coin de l'oeil les mouvements de leurs concurrents - qui sont surtout plut�t des partenaires - et font les gestes qu'ils doivent faire. Vous avez vu récemment une différence significative du prix de l'essence entre Shell et Exxon ?

L'image que véhicule la théorie économique classique de producteurs aux aguets, anxieux de répondre au moindre désir de la clientèle, est une fiction. On voit plutôt des producteurs qui veulent vendre, bien sûr, mais dont chacun trouve son profit à ne PAS adapter sa production à la demande, si ce n'est in-extremis et à son corps défendant. La production ne s'ouvre à l'innovation, pour satisfaire de nouveaux besoins ou mieux satisfaire les besoins existants, que quand apparaît un étranger, traître/héros qui vient jeter un pavé dans la mare de complaisance de la production routinière.

Le héros ­ - ou le traître, selon le camp qu'on choisit ­- arrive dans ce qui paraissait une chasse gardée avec un nouveau concept et un capital financier qui n'est pas déjà investi et qu'il prend le risque de transformer en un nouvel équipement. Si le concept est porteur et que l'équipement produit mieux et à meilleur compte, ou répond mieux aux désirs des consommateurs constituant la demande effective, l' Étranger va s'accaparer du marché. Ceux qui le détenaient doivent réagir ou ils sont perdus. L'offre condescend alors à écouter la demande. Brièvement.

Dans ce nouveau scénario, ce ne sont plus, comme le voudrait la théorie classique, les signaux qu'envoie la demande qui entraînent une réaction automatique des producteurs. Ceux-ci sont en attente d'un autre signal : celui de l'investisseur trouble-fête. En fait, ce n'est plus de la demande mais de l'offre que doit venir l'initiative du changement. L'équilibre à maintenir entre l'objectif de satisfaire la demande et l'exigence d'amortir les équipements est évidemment biaisé en faveur du report de la décision de réinvestir et l'adaptation de l'offre à la demande subit un décalage systémique.

Un décalage d'autant plus important que le pouvoir du producteur est grand face à celui du consommateur, car la tentation est forte de tirer un peu plus de profit de l'équipement. De retarder l'innovation et, au besoin, d'abattre dans un défilé - ­ symboliquement, on veut le croire - les héros en puissance qui voudraient compromettre les profits des cartels de fait qui règnent sur la production de chaque branche d'activités. Les héros n'arrivent pas. La production continue inchangée pour encore un temps et la demande, pendant ce temps, est de moins en moins satisfaite. C'est le scénario le plus fréquent, car, comme disait Macchiavel, rien n'est plus difficile que de changer l'ordre établi. (*D-05).

Les joueurs peuvent feindre des rivalités mortelles, mais ils ont, du simple fait qu'ils sont à la même table, plus d'intérêts communs que de différends. Le marché est saturé, mais chacun a un énorme tapis et, derrière lui, un ou plusieurs États qui ne le laisseront pas tomber. Personne ne crie banco. Le système feint une libre concurrence, mais ce n'est qu'un leurre. La «concurrence» n'est jamais qu'une émulation courtoise entre joueurs acoquinés qui se renvoient l'ascenseur. Que ce soit Ford ou GM qui prévale cette année, l'an prochain sera différent et recréera l'équilibre. C'est le jeu qui importe.

Ce qui est vraiment crucial pour chaque joueur, c'est ce qui l'est pour eux tous. Pour la table « Automobile », par exemple, la position concurrentielle de chacun à un moment donné est anecdotique ; l'important c'est que le transport par voitures particulières ne soit pas délaissé au profit du transport en commun et que le jeu continue. Les vrais concurrents, ce sont les joueurs de la table à côté. Ceux du rail qui voudraient qu'on passe au transport en commun. Ceux de l'aéronautique qui trouvent bien injuste que l'on construise encore des routes sans péage alors qu'on impose des taxes d'aéroport.

La concurrence se fait de table à table et par lobbies interposés. L'État sert d'amiable compositeur et ses lois sont ses jugements. Les jugements font le constat de la force relative des parties en présence. L'automobile, pas le train. Pas de supersoniques ni de super-jumbos aux USA : Boeing. Seulement Boeing. Concurrnce entre tables, mais ans jamais, toutefois, même à ce niveau, compromettre la stabilité du Casino lui-même. Le Casino du Capital a intérêt à ce que la production industrielle se fasse en optimisant l'utilisation du capital fixe, et donc à ce que la « concurrence » n'oppose que quelques joueurs bien élevés qui respectent les règles du jeu et ne trichent jamais sur les choses sérieuses. Les intrus ne sont pas les bienvenus, surtout s'ils ont des idées.

Quelques joueurs, donc, à chaque table et chacun à la sienne. Bill Gates en informatique, mais pas en chimie ; Hoffman-Laroche pour les pilules mais pas pour les pneus et je vous prédis que Wal-Mart - qui circule trop allégrement entre les tranchées de la distribution - va subir bientôt bien des avanies Le capital financier, par sa nature même pourtant indifférencié, a mis fin à la prolifération des conglomérats et garde désormais ses industriels dans des cages à part, permettant une concurrence contrôlée qui n'est plus une véritable concurrence.

On est loin du capitalisme sauvage mais dynamique de John Rockefeller ou d'Andrew Carnegie. Un marché bien élevé, mais, sauf pour Shylock et son capital qui se multiplie sans contrainte dans son univers virtuel, le système stagne. Cette fragmentation du marché réduit à néant l'effet de la concurrence dont on fait tant état pour assurer le dynamisme du système de production et garantit que c'est l'offre et non la demande qui mène le marché.

Qu'est ce que ça produit un système dominé par l'offre, qui n'existe que pour se perpétuer et retourner un profit au fabricant ? N'importe quoi. N'importe quoi, mais préférablement la même chose. Le résultat du marché géré en connivence est de freiner l'innovation puisque la rentabilité de la production industrielle va de paire avec l'utilisation prolongée des équipements.

Chaque innovation abrège le temps d'amortissement des équipements dont cette innovation suggère le remplacement, hâte leur mise au rancart et réduit le profit du producteur. Donc, rien ne presse pour innover. Il s'est écoulé 7 ans entre la mise au point du DVD et son introduction commerciale aux USA ; personne n'a triché et les écrans à plasma attendent sagement leur tour, sans doute quand sera vraiment saturé le marché de la téléphonie cellulaire.

 

3.6 Les jeux de la demande effective

 

Notre système de production produit pour rien, entretient l'insatisfaction, dilapide nos ressources et crée une distorsion entre valeur réelle et valeur monétaire qui est l'une des causes premières de l'injustice et de la misère. C'est beaucoup, mais ce n'est pas tout. Simultanément, comme nous allons le voir dans ce chapitre, il détruit peu à peu le lien apparent entre travail et valeur, sapant la solidarité qui est indispensable au maintien d'une société.

On s'attend du système de production, non seulement à ce qu'il produise pour nos besoins, mais aussi à ce qu'il distribue aux travailleurs - dans le sens le plus large de quiconque apporte une contribution au processus de production - un revenu qui leur permettra de consommer ce qui est produit. Nous avons vu précédemment ce qui arrive s'il ne le fait pas : la demande effective chute, le niveau de consommation effective globale n'est pas maintenu et la société tout entière entre en crise.

Il y a bien des scénarios de distribution de revenus, mais un seul est acceptable : celui d'une distribution de revenus par la participation à l'effort productif commun de tous ceux qui ont la capacité de travailler et la rémunération de leur travail à un prix qui permette à l'ensemble des travailleurs/consommateurs d'acheter et de profiter de tout ce qu'ils produisent. Ce n'est pas, de toute évidence, le scénario que joue le système actuel.

Le système a compris la nécessité de la demande effective, mais il se fiche comme d'une guigne de la façon dont les fonds sont distribués. Dans l'apposition « travailleur/consommateur », c'est le terme consommateur qui est ciblé et le revenu distribué colle donc de moins en moins au travail accompli. Puisque l'argent n'est plus qu'une création discrétionnaire et que le profit même qu'on peut retirer de la production n'a plus d'importance - seul le pouvoir qui s'y rattache étant signifiant - on peut rendre toute demande effective sans exiger un travail correspondant. La création de demande effective devient une simple formalité de distribution de billets de banque.

Le niveau de consommation effective nécessaire au système de production est maintenu, mais il l'est toujours par les moyens les plus faciles, au total mépris de l'indispensable rapport à maintenir entre effort et rétribution qui est le ciment d'un consensus social. En négligeant ce rapport, le système va droit au désastre, car on peut briser le lien entre travail et revenu, mais un système de production qui repose sur le travail de quelques-uns et l'exclusion de la majorité mène à des conflits sociaux, à cause de la rancoeur de ceux qui portent un fardeau démesuré, à la stagnation par le manque à produire de ceux qui ne produisent pas et à la décadence par le manque de motivation de tous.

Le néolibéralisme est le régime de domination sociale le plus efficace qu'on ait encore inventé. En maintenant la satisfaction juste hors de portée, comme la carotte devant l'âne, on obtient que l'âne marche droit - ce qui évite des coups de trique - et Coco porte tout guilleret à la grange le bien de son maître, un fardeau d'autant plus léger qu'il est devenu virtuel. Maître Jacques suit Coco en sifflant, les mains dans les poches, pense au vin tiré qu'il faut boire, aux demoiselles et, de temps en temps, à de nouvelles façons de rendre les carottes attrayantes.

Mais si Coco voit beaucoup d'autres baudets qui gambadent dans les prés et ne portent rien, tout change et le bât blesse. Coco est bien nourri, mais il a cette vague impression d'être utilisé. En dissociant le travail du revenu, on exacerbe le sentiment d'exclusion chez ceux qui sont exclus et la conscience d'être exploités chez ceux qui portent le fardeau de la production. Cette polarisation forme un mélange détonant avec la politique néolibérale de renforcement positif, autrement fort astucieuse, qui a donné l'insatisfaction permanente comme nouvelle finalité à l'industrie, au système de production en général et à toute la société.

Dans sa stratégie de maintien de la demande effective, le système mène trois démarches parallèles. La première dans les pays développés (WINS), lesquels constituent pratiquement aujourd'hui un seul vaste marché ; la seconde dans le tiers-monde et la troisième dans un univers virtuel, un monde miroir ou tout apparaît à l'envers mais dont on peut tirer quelques gratifications moroses. Dans chacune de ces trois démarches, on rend la demande effective à la hauteur de ce qui convient au système de production, mais on affaiblit le lien entre travail et consommation.

On a choisi la solution de facilité - et trois fois plutôt qu'une - mais la façon dont on rend la demande effective n'est pas sans importance. Il résulte de celles qu'on a choisies des incohérences insupportables et des tensions sociales croissantes.

 

3.6.1 Le 4ème travailleur

Là où il faut d'abord maintenir la demande effective, c'est dans le vaste marché unique des pays développés (WINS). Au début de l'industrialisation, nous l'avons vu , le processus se déroulait spontanément. À mesure que la production se complexifiait, cependant, il n'était plus suffisant de tirer le travailleur de son champ et de l'installer devant un métier. Il fallait lui enseigner quelque chose. La productivité augmentant beaucoup, il n'était plus nécessaire non plus d'avoir en usine toute la population, y compris les femmes et les enfants. On est arrivé à ne plus avoir qu'une minorité de travailleurs au sein de la population, leur travail assurant les besoins d'une majorité de « non travailleurs ».

Un progrès social indubitable, mais le message n'a pas été perdu que le maintien du niveau de consommation effective - qui exigeait qu'on remette au travailleur/consommateur la pleine valeur de son travail pour qu'il puisse acheter toute la production - n'était en rien compromis, si on rendait effective la demande de non travailleurs au lieu de celle des travailleurs. Ce faisant on pouvait même résoudre l'équation avec moins de problèmes : celui à qui l'on donne ne rouspète pas tant que celui qui gagne sa croûte et celui qui ne produit rien n'a pas à être formé. Le non travailleur dont la demande est rendue effective est un « bon » consommateur.

Lorsqu'on a constaté que les gains de productivité permettaient de produire désormais sans travail et qu'il y aurait un énorme surplus de travailleurs dans l'industrie, on a donc choisi la solution de la facilité. On ne s'est pas trop embarrassé d'utiliser au mieux le travailleur déplacé de son emploi par les gains de productivité. Beaucoup se sont retrouvés dans les postes bas-de-gamme du secteur tertiaire : ceux dont les machines ne sont pas exclues parce qu'il faut un travailleur humain pour les occuper, mais seulement parce qu'il est encore plus rentable pour un temps de les confier à un travailleur mal payé. D'autres ont été mis en chômage, chômage souvent déguisé sous des noms d'emprunt. Le « non travail » s'est développé et est devenu endémique.

Le système a gardé la demande effective en distribuant des revenus aux non travailleurs, sans faire aucun effort sérieux pour utiliser toute la main d'uvre de façon productive. Il a pu le faire sans contrevenir à la règle du niveau de consommation effective qui accorde déjà TOUTE la valeur de la production aux consommateurs et donc sans créer de pression inflationniste ; il s'est contenté de déduire le revenu donné aux non travailleurs du revenu accru qui autrement serait allé aux travailleurs de la richesse additionnelle correspondant aux gains de productivité. On a seulement permis que se développe, à côté des travailleurs et consommant comme eux, toute une classe de consommateurs non travailleurs vivant à leurs dépens.

Cette utilisation extrêmement inefficace des ressources humaines n'a pas suscité la réaction qu'elle aurait causée s'il en était résulté une baisse de la consommation. Les gains de productivité ainsi gérés ont permis de produire pour la demande effective additionnelle des non travailleurs, sans inflation et sans que la consommation réelle du travailleur ne diminue. Est-ce que le système n'a pas réalisé ainsi un miracle dont il faudrait lui savoir gré ? Ça dépend de ce qu'on veut. Quand la demande est rendue effective sans qu'un travail ne soit fourni quelqu'un s'appauvrit. Quelqu'un s'appauvrit, en fait, dès qu'on paye à un travailleur plus que ce que vaut, au prix du marché, ce que son travail peut produire... et ce n'est pas les « gagnants» qui s'appauvrissent.

Dans la réalité quotidienne, les hausses de productivité ayant permis une production supplémentaire avec le même travail, le travailleur n'a pas vu diminuer le pain dans sa corbeille ; il a seulement reçu une part décroissance de ce qu'il aurait dû recevoir pour son travail. Les gains de productivité, qui auraient pu servir à le libérer pour la production d'autre chose ­ ou le simple loisir ­, n'ont finalement été utilisés que pour exclure de la main-d'oeuvre ceux que l'évolution de la production laisse pour compte. Aujourd'hui, c'est environ UN TRAVAILLEUR SUR QUATRE. (701) qui ne travaille pas et ce sont les trois autres travailleurs qu'on a responsabilisés lespour l'entretien du quatrième.

Eux et seulement eux, car on fait face ici, en sens opposé, à la même réalité qui protége le travailleur quand le producteur veut l'exploiter : le niveau de consommation effective. Le « gagnant » dont les besoins sont satisfaits ne consomme pas. Lui enlever quoi que ce soit ne diminuerait donc pas la pression inflationniste sur la consommation du revenu donné sans contrepartie productive au « quatrième travailleur » exclu de la main-d'oeuvre. A moins que ce dernier ne revienne au travail et ne produise pour ce qu'il consomme, seule peut le faire la production découlant du travail des trois autres travailleurs.

Un travail qu'ils ne sont pas payés pour faire, car le niveau de vie réel des travailleurs stagne depuis 30 ans et la semaine de 40 heures reste la vraie norme pour beaucoup de travailleurs. Comme en 1936. Tous les gains de productivité semblent finalement avoir surtout servi à réduire le nombre de travailleurs sur lesquels repose le poids de produire. Obnubilés par sa quête de la demande effective, le système de production et l'État son complice optimisent le rendement de la production sans faire AUCUN effort pour remettre tous les travailleurs au travail. Or, augmenter la demande effective n'a de sens que si s'ajoute un nouvel élément à la production comme à la consommation ; autrement, collectivement, on s'appauvrit.

Les efforts pour rendre effective la demande de tous et de chacun ont atteint la limite de ce qu'on peut faire sur le marché domestique d'un pays développé occidental et dans le marché des WINS vu comme un tout. On peut dire, dans une perspective sociale, que certains ne reçoivent pas suffisamment, mais c'est une autre question. En ce qui a trait à la production, le système a non seulement atteint mais largement dépassé le seuil ou la demande n'est rendu effective qu'au prix d'une baisse du revenu réel du travailleur.

Cette baisse de son revenu réel, c'est la ponction qui est faite sur le pouvoir d'achat du travailleur pour soutenir le sans-travail. Elle équivaut à la valeur de ce que pourrait produire le sans travail, mais qu'il ne produit pas parce que la structure de la production ne le lui permet pas. Par son incurie, son incapacité à voir les occasions d'utilisation des ressources humaines et à prendre les mesures pour en adapter la qualification à la nature de la demande, le système nous appauvrit.

Que l'on subventionne par solidarité les enfants, les vieillards, les infirmes, les malades et autres inaptes au travail, cela va de soi dans une société civilisée. Qu'on en fasse autant pour 20 à 25 % des travailleurs pour la seule raison que le système ne se donne pas la peine de les utiliser est tout à fait inacceptable. C'est de 25 à 33 % qu'augmenterait le revenu réel moyen des travailleurs, si tous ceux qui peuvent travailler, mais ne travaillent pas, étaient remis a travail à des conditions similaires à celles de ceux qui travaillent déjà. Coco se sent un peu utilisé

3.6.2 El Dorado

Quand on retourne déjà au consommateur ­ travailleurs et non travailleurs - la valeur totale de son travail, que peut-on faire de plus pour augmenter la demande effective et la production? Chercher ailleurs. Élargir la clientèle, pour le système de production industriel, ne veut plus dire aujourd'hui, une distribution supplémentaire de monnaie et de crédit sur des marchés domestiques saturés - le surplus distribué, d'ailleurs, irait droit vers l'acquisition de services ! - mais une politique agressive de commercialisation vers les marchés des pays sous-développés.

Il semble que toutes les sociétés ont le mythe d'une terre lointaine d'où peut venir la richesse ou la solution des problèmes. Il y a eu l'Atlantide, l'El Dorado, le Klondike, Shangri-la... Pour les pays sous-développés, aujourd'hui, les pays de cocagne ce sont les WINS, au premier chef les USA. Pour ceux dans les WINS et en premier lieu aux USA qui se préoccupent aujourd'hui de la demande effective, ceux qui cherchent encore des marchés providentiels pour un système de production industrielle en décroissance, l'El Dorado, ce sont les pays du tiers monde, les pays en voie en développement.

Certains de ces pays sont vraiment en voie de développement ; d'autres sont simplement des sous-développés à qui l'on étend le vocable "en voie de développement" par courtoisie, au risque de créer une grande confusion : la Chine n'est pas dans la ligue du Mali, ni le Brésil dans celle d'Haïti. Sous-développés ou en développement, les pays du tiers-monde ont droit à toute notre courtoisie : ce sont eux, maintenant, l'El Dorado.

Pour ceux qui rêvent de maintenir en croissance les marchés industriels des WINS, le développement des marchés du tiers-monde apparaît souvent comme une panacée. Cette approche, cependant, ne peut être à moyen terme, une solution. Il n'est pas possible de rendre effective la demande des pays sous-développés afin qu'ils puissent absorber le surplus de nos usines et de préserver en même temps le modèle de société que nous avons. C'est une contradiction.

En effet, Il n'y a que deux (2) scénarios possibles pour les pays du tiers-monde... Le premier, c'est que ces pays s'industrialisent, comme hier le Japon, aujourd'hui la Corée et demain la Chine, par exemple. Alléluia ! Nous en sommes heureux, mais ils deviennent alors évidemment une partie du problème de la surproduction systémique du secteur industriel plutôt qu'une solution. Sans parler des problèmes inhérents à un scénario de délocalisation éventuelle des usines vers le tiers-monde et des conséquences de ce réajustement des rôles sur le simple équilibre de l'emploi dans les pays développés.

Le deuxième scénario, c'est que ces pays ne continuent à offrir, en contrepartie des produits industriels que nous leur exportons, que les seuls biens dont la fabrication repose sur l'utilisation intensive du facteur travail. Mais la part du travail non spécialisé dans la production globale ne pouvant être que dégressive, il y aura alors de moins en moins de produits que des travailleurs sans formation des pays du tiers-monde pourront produire et vendre à meilleur prix qu'une exploitation industrielle de pointe en pays développé. En ce cas, contrairement à ce qu'on feint de craindre aujourd'hui, la balance des comptes et les termes d'échange entre les WINS et ces pays tendront à évoluer de plus en plus au désavantage de ceux-ci.

Or, balance des comptes et termes d'échange ayant déjà été établis et étant sans cesse manipulés pour permettre toute l'exploitation possible des pays pauvres par les pays riches, promouvoir davantage la vente de produits industriels dans les pays sous-développés n'est alors possible qu'en leur prêtant davantage, sans espoir de profit ou même une chance crédible de remboursement. Ce scénario conduit à l'hérésie contre le dogme capitaliste de donner quelque chose pour rien. Est-ce que le système va arrêter ou continuer cette démarche ?

Il continue, bien sûr ! Le dogme capitaliste n'a plus d'importance. On vendra au tiers-monde tous nos surplus. Il nous les payera avec l'argent qu'on lui prêtera. On prêtera au tiers-monde tout ce qu'on pourra. On annulera cette dette ou on ne l'annulera pas, simple jeu de relations publiques. De toute façon, il ne nous remboursera jamais, puisqu'il ne dégagera jamais un profit pour le faire. Entre temps, on touchera un intérêt sur l'argent prêté, ce qui fera un profit virtuel sur un écran, mais ne sortira pas un seul grain de riz réel du tiers-monde en remboursement. Pendant qu'on joue au Monopoly sur les ordinateurs, on lui aura prêté davantage m�me que l'équivalent de ce profit virtuel et sa dette se sera encore alourdie..!

La demande effective qu'on crée au tiers-monde est une « charité » qui n'ose pas dire son nom. On a bien raison de le taire, d'ailleurs, car les dons qu'on fait aux antipodes sont aussi aux antipodes de toute charité. Le nouveau colonialisme qui prête et qui donne pose un obstacle insurmontable au développement du tiers-monde et a déjà fait bien du mal.

On a déjà affamé les pays pauvres en leur exportant nos surplus agricoles � vil prix et en ruinant ainsi leur agriculture. Leur évolution normale est encore une fois contrariée par la promotion intensive des ventes du secteur industriel des WINS dont l'output n'a pas, de toute évidence, été planifié en fonctions de leurs besoins. Il n'est pas souhaitable, pour ces pays - qu'on dit souhaiter en développement - qu'ils deviennent de plus en plus le déversoir principal d'un trop plein de produits industriels fabriqués dans les usines des WINS. Nous leur faisons des cadeaux empoisonn�s. Mais c'est produire qui importe, n'est-ce pas ?

Une Nouvelle Société mettra fin à cette escroquerie. Il FAUT développer le tiers-monde, mais le développement du tiers-monde doit se faire en obéissant à sa propre logique. Il ne doit pas être perçu et instrumentalisé comme une solution au problème de surproduction des WINS, ce qui est l'essence même de l'exploitation colonialiste. Prolonger la primauté du secteur industriel et maintenir la demande effective en prenant le Sud pour faire-valoir n'est pas une solution acceptable.

3.6.3 Le cr�dit

La règle du niveau de consommation effective oblige le système à donner aux consommateurs, ­ travailleurs et non travailleurs confondus ­, un revenu qui leur permettra d'acheter tout ce qui est produit. Si les producteurs ne le font pas en salaires, l'État le fera en paiement de transferts et passera par la fiscalité la facture aux « gagnants », coupables alors d'avoir été trop gourmands et d'avoir mis le système en péril.

Jusque­là, ça va, mais qu'est-ce qu'on fait pour maintenir le niveau de consommation effective si les consommateurs ­, dont il ne faut pas oublier que les besoins sont de plus en plus satisfaits ­, décident tout à coup, que leur demande soit effective ou non, de ne pas consommer ? On peut mener l'âne à la rivière, on ne peut pas le forcer à boire. Que faire si les consommateurs choisissent plutôt d'épargner, d'investir et donc de faire avec l' « argent pour la consommation » ce qui ne devrait être fait qu'avec l'« argent pour le pouvoir » ? Si les consommateurs manifestent des velléités de sous-consommation, on appelle au secours l'univers parallèle de la richesse virtuelle et on distribue du crédit.

Rien n'est plus facile que d'augmenter ou de restreindre le crédit. Non seulement il y a des sommes qui dépassent l'imagination d'argent virtuel qui n'attendent qu'une excuse pour s'activer et devenir du crédit, mais l'État et les banques peuvent en créer plus d'un simple clic d'ordinateur. Le crédit est un jeu d'écriture. Une magie. Le crédit à la consommation n'obéit pas à d'autre règle que d'ajuster l'offre à la demande et suit les instructions des alchimistes financiers au service des « gagnants », les maîtres du système.

Le Grand Savoir des alchimistes financiers, c'est que la richesse RÉELLE n'est strictement rien d'autre que la somme des services que nous retirons des biens tangibles que nous utilisons et des services intangibles que nous rendent nos co-sociétaires. Toute autre « richesse », monétaire, symbolique, virtuelle n'est qu'une clef d'accès à la richesse réelle et n'a pas d'autre valeur que ce rôle de clef. On peut donc s'en servir comme bon semble. Si on sait comment.

Les alchimistes financiers savent que le système de production industriel a pour unique but réel de produire des biens dont nous retirerons les services qui nous rendront satisfaits. Ils savent très bien aussi, toutefois, que les gagnants ont d'autres objectifs intangibles, comme le « Pouvoir » ou même la « Richesse », mais celle-ci n'étant plus alors la réalité d'objets concrets pouvant rendre des services, mais LA Richesse, concept mythique affublé de la propriété de satisfaire tous les besoins et d'assurer le bien-être. Ces objectifs des gagnants interfèrent avec le processus de production de la richesse réelle, parfois même s'y substituent.

Ces autres objectifs des gagnants ont leur épiphanie dans l'univers virtuel, mais leur simple reflet sur la réalité peut créer au monde ordinaire bien des tracas. Des tracas qui, à la limite, peuvent voir un impact négatif sur le Grand Oeuvre d'enrichissement virtuel des alchimistes et des gagnants eux-mêmes. Il faut donc prévoir qu'une providence vienne résoudre les problèmes causés aux simples mortels par les activités d' « en-haut ». Le crédit est le geste de mansuétude du monde virtuel envers la réalité.

Quand le crédit descend en Pentecôte sur la réalité, il efface les bévues des péquenots consommateurs et rétablit l'équilibre. On peut faire confiance à la nature humaine : pour un travailleur qui veut épargner, on peut toujours en trouver plusieurs qui ne demandent pas mieux que de dépenser plus qu'ils ne touchent en revenu. On trouve ceux qu'il faut et ils font ce qu'on veut. Actuellement, par exemple, le consommateur moyen s'endette. C'est parce qu'on le veut bien. C'est parce que l'équilibre est par là.

Si les consommateurs y vont trop fort, on augmentera le taux d'intérêt ou, plus simplement encore, on alourdira les exigences et l'on privera de crédit des classes entières de la population, commençant souvent par celles qui ont de vrais besoins. Si la population revient vers la parcimonie et hésite à s'engager, on baissera les taux, ou l'on augmentera simplement les marges disponibles sur les cartes de crédit, sans même consulter les bénéficiaires. C'est une faveur qu'on leur fait, n'est-ce pas ?

Avec l'avènement du crédit à la consommation, on a étendu au marché du monde ordinaire les artifices qu'on utilisait déjà sur les marchés financiers et gardé avec la réalité des liens uniquement discrétionnaires. Croyez-vous, par exemple, qu'une population qui dépense plus que son revenu vit « au-dessus de ses moyens » et risque des lendemains qui déchantent ? Pas du tout. Elle utilise précisément comme on veut qu'elle les utilise les crédits mis à sa disposition pour que le pouvoir d'achat découlant de son travail coïncide avec la valeur monétaire fixée à la production découlant de son travail... comme il ne peut en être autrement si on veut maintenir le niveau de consommation effective. Le crédit ajuste tout. On ne demande au consommateur qu'une simple formalité, comme Méphisto à Faust : signer cette reconnaissance de dette qui porte intérêt et qu'on lui présente quand on lui consent le crédit.

Vend-il son âme quand il la signe ? Pas vraiment. Il la prête pour qu'elle serve de jeton dans le jeu financier virtuel qui se déroule autour de la production. Le crédit n'est qu'un jeton du jeu financier. La position financière d'un individu n'est plus jugée saine ou malsaine en regard d'une quelconque réalité objective, mais par rapport à la moyenne des comportements des acteurs économiques dont on sait que les manipulations du pouvoir feront après coup que ces comportements auront été ceux qui gardent le système stable, enrichissent les riches et gardent les autres tranquilles. Le crédit garantit que les producteurs ont toujours raison. Comme dans 1984 d'Orwell, le pouvoir qui contrôle le présent peut réécrire la valeur monétaire passée et nous faire l'avenir financier qu'il veut.

Si on voit comme un tout l'ensemble des consommateurs devenant ainsi débiteurs, leur dette commune ne peut avoir aucun effet, car il n'est pas question qu'on veuille jamais vivre dans l'avenir le problème de déséquilibre qu'on a créé ce crédit pour éviter de vivre aujourd'hui. La somme de toutes ces créances augmente sans cesse la dette de ceux qui n'ont rien envers ceux qui ont tout, mais on joue ici sur des infinis. « Tout » n'augmentera pas et il n'y a que dans les livres comptables que rien peut devenir moins que rien.

Globalement, cette dette ne représente que la correction de la somme des erreurs d'ajustement de la valeur globale du travail à la valeur du produit global. Dans l'univers réel, cette dette n'a aucune valeur. Elle ne sera remboursée que par l'usage judicieux de la touche « delete » d'un ordinateur central, noble héritière de la gomme à effacer. Passez à la caisse, on vous rendra votre âme.

La masse des travailleurs peut jouir du crédit qu'on lui consent, acheter tout ce qu'elle produit, dépenser plus que son revenu et dormir sur ses deux oreilles. Un ajustement fiscal, un réajustement des salaires, une modification des taux d'intérêt, une inflation ou une dévaluation fera à posteriori que sa décision aura été la bonne. Un individu peut se tromper, mais la population, non, puisque c'est l'équilibre global qui est tenu pour acquis et qui sert de point de référence dans l'univers virtuel. Les variations monétaires sont introduites de façon purement discrétionnaire pour confirmer cet équilibre. C'est le reste qui est en mouvement.

Est-ce à dire que quiconque peut s'endetter sans risque ? Non, puisque c'est l'ensemble des consommateurs qui sera tenu indemne du remboursement global de ce crédit-fiction. Si vous vous endettez PLUS que la moyenne, vous devrez en supporter les conséquences, car si vous pouvez compter que le système remettra la moyenne à zéro par une astuce quelconque, il n'épongera pas l'écart au bilan, positif ou négatif, de chaque joueur par rapport à cette moyenne.

Ce que ne fera pas non plus une Nouvelle Société. Le crédit ne disparaîtra pas du système de production ; il est d'une extrême importance et il ne s'agira à aucun moment d'annuler les dettes publiques ou privées et de faire disparaître ainsi le sommaire de toutes les parties financières jouées depuis des décennies. C'est sur le résultat de ces parties que tous les citoyens ont bâti leur sécurité et leur espoir d'une rente. Il faut le respecter.

Le crédit, toutefois, ne servira pas comme aujourd'hui à rendre la demande effective. Une Nouvelle Société a d'autres moyens plus justes et plus sûrs d'en arriver à cette fin, garantissant à chacun un revenu suffisant pour satisfaire ses besoins et un nombre croissant de ses désirs. Le crédit jouera un rôle distinct, dont nous parlons dans la deuxième partie de ce texte. Ce nouveau rôle ­ ainsi que la baisse généralisée des taux d'intérêt et l'inflation contrôlée dont nous parlons au texte 706 - feront en sorte que, dans une Nouvelle Société, le crédit à la consommation reprenne contact avec la réalité de la production et soit utilisé à bon escient.

 

 

Partie II

 

4. Produire pour nos besoins

 

Considérant la situation que nous venons de décrire et ce que l'on attend d'un système de production, comment pouvons-nous déterminer succinctement le rôle de l'industrie dans une Nouvelle Société et donc poser les critères qui nous permettront de la doter d'une structure propice à sa mission ? Avant tout, il faut faire le constat que l'industrie ne sera plus au coeur d'une Nouvelle Société.

Une Nouvelle Société sera postindustrielle. Produire des biens ne sera ni le but, ni la principale activité du citoyen moyen. L'industrie dont la finalité a été pervertie et qui n'est plus orientée vers la satisfaction de la demande, mais uniquement vers sa continuité comme système, est devenue une fin en soi. Une fin absurde, car elle exige du travailleur un effort qui souvent n'est plus nécessaire, pour lui remettre un argent qui n'a plus valeur réelle, pour rendre effective sa demande. pour des produits dont on arrive à grand peine à le convaincre qu'il les veut vraiment.

C'est à cette absurdité qu'il faut échapper. Il est évident que, dans une société d'abondance matérielle, la richesse devient triviale et que l'importance de toute production ne peut que s'estomper au rythme des désirs satisfaits. Aujourd'hui, c'est le travail industriel qui a fini son tour de piste. L'industrie doit se résigner à rentrer dans le rang et laisser les feux de la rampe à d'autres priorités. Nos priorités sont ailleurs.

Nos désirs ne sont pas tous satisfaits, loin de là, mais la vraie demande est pour des services. Des services que la production industrielle ne peut pas rendre et dont elle retarde la disponibilité, voulant à tout prix garder notre attention sur la fabrication de gadgets amusants, mais dont l'importance ne justifie pas les efforts qu'on insiste pour y investir.

La production industrielle hypertrophiée que nous entretenons est devenue un passe-temps imposé par les &laqno; gagnants » aux gens simples que l'abondance a désoeuvrés, ceux-là abusant du désarroi de ceux-ci. (*D-06), et un faire valoir pour une hiérarchie sociale qui ne correspond plus aux nouvelles priorités d'une société d'abondance. (709). Même le retour d'un profit aux investisseurs n'a plus que valeur de symbole, puisque ce profit ne fait que s'ajouter à la quasi-totalité de la richesse qui demeure sagement dans l'univers virtuel comme outil de pouvoir et ne conduit plus jamais à la consommation de biens réels.

Nos nouvelles priorités sont dans les domaines de la santé, de la culture, des loisirs de la pensée et de la spiritualité, dans celui des simples échanges gratifiants entre individus. Nous ne régresserons pas vers l'indigence, au contraire, mais la production industrielle, comme la production agricole l'est devenue il y a déjà longtemps dans les pays développés, sera considérée comme un acquis. Comme en agriculture, il ne restera finalement que 2 à 3% de la main-d'oeuvre en usine et l'on produira tout ce qu'on voudra, mais sans trop y accorder d'attention.

Dans une société postindustrielle qui s'assume comme telle, on ne produira plus pour produire mais pour satisfaire nos besoins. Nos besoins, nos désirs et même nos caprices, car une Nouvelle Société ne sera pas ascétique, mais au contraire résolument hédoniste, voire ludique. Considérant lucidement la condition humaine et les options qui s'offrent à l'individu, une Nouvelle Société mettra au pinacle de ses priorités le droit de l'individu de chercher son bonheur là où il croit le trouver et le devoir de la société de l'y aider. La société existe pour l'individu et non l'individu pour la société, la solidarité n'étant pas une forme d'abnégation, mais le passage obligé vers le mieux-être.

 

4.1 Les règles du jeu

 

Sans aucun compromis quant à la satisfaction totale que doit pouvoir chercher le consommateur, sa capacité à trouver cette satisfaction avec une consommation réduite plutôt que pléthorique de biens divers sera perçue comme une forme de civisme aussi bien que d'intelligence. Un consensus s'établira spontanément à ce sujet et c'est une valeur que véhiculeront le système d'éducation comme les médias.

Dans une Nouvelle Société, la création d'un besoin artificiel ou d'un critère de qualité illusoire ainsi que la promotion d'une surconsommation seront assimilées à de fausses représentations et les normes assurant la véracité de la publicité tendront à ramener celle-ci au niveau de l'information factuelle. Les producteurs auront la responsabilité de réduire l'obsolescence au niveau que le progrès des techniques impose ainsi que d'offrir aux consommateurs le moyen de se tenir raisonnablement indemne des conséquences d'une désuétude imprévue. La garantie légale qu'ils devront consentir fera que cette responsabilité soit assumée.

Ne produisant des biens que pour optimiser le mieux-être, une Nouvelle Société, dans le respect de la nature, de l'efficacité et du simple bon sens, n'en produira que ce qu'il faut pour que soit pleinement satisfaite la demande. Elle n'en produira pas qui, au vu du service qu'on en attend, ne soient pas de la meilleure qualité quant à leur durée, leur fiabilité et l'économie de leurs intrants. Qu'un marché de biens semi-durables se stabilise au niveau de remplacement le plus bas ne sera pas vu comme une calamité, mais comme la confirmation d'un objectif atteint.

Dans cette optique, les marchés pour les biens industriels comme pour les biens durables seront saturés rapidement dans les pays en voie de développement, comme ils le sont déjà dans les pays développés (WINS). Les 300 milliards de dollars de la guerre en Irak sont l'équivalent du coût de construction en géobéton (adobe renforcé) des 500 millions d'unités d'habitation rudimentaires mais salubres, qui constituent la demande insatisfaite à ce niveau de TOUS les pays sous-développés. Cette demande peut être satisfaite en 18 mois. Dans le système actuel, elle ne le sera pas dans cinquante ans.

Quand la production industrielle devient triviale, la fourniture de services prend le pas sur la production de biens. Les « services » qu'on ne peut programmer, qu'on doit fournir un à un et qui exigent donc un apport humain constant, deviennent de plus en plus recherchés et coûteux, relativement aux &laqno; biens » dont la fabrication industrielle garantit l'abondance. Le pouvoir bascule. Le capital ne perd pas toute importance, mais sa rémunération devient moins généreuse.

Ne pouvant jouer son rôle multiplicateur que pour une part de la production ­ la fabrication industrielle - le capital ne mérite pas et ne conservera pas, quand il s'en écarte et collabore à la satisfaction de la demande pour les services, le caractère magique de se multiplier lui-même. Il devra s'activer pour survivre (706). Quand l'importance de l'industrie est décroissante, c'est la connaissance et la compétence, plutôt que le capital, qui sont les outils de pouvoir. Le savoir devient le pouvoir. &laqno; Knowledge is power ».

Revenant à sa finalité première, le système de production industrielle va apporter satisfaction, le mieux possible et au moindre coût. Il se dotera d'une structure qui mettra à profit tous les acquis de la technologie, notamment de la croissance exponentielle de la productivité machine et de la vitesse d'accès à l'information, celle-ci qui rendant possible ce qui auparavant ne l'était simplement pas.

Une Nouvelle Société tiendra compte des tendances incontournables qui découlent de cette évolution technologique : la saturation des marchés qui rend la possession matérielle triviale ; une demande accrue pour les services qui rend la compétence relativement plus rare - et donc plus précieuse - que le capital comme outil de pouvoir (*D-07) ; l'évolution du travail vers la créativité et l'initiative et donc vers l'autonomie et une rémunération liée aux résultats. Un lien stable entre la richesse réelle et son image virtuelle, lien sans lequel celle-ci est en péril imminent de perdre toute crédibilité, s'imposera aussi bientôt de lui-même

Ces tendances - et d'autres - convergent, se combinent et appellent des changements radicaux de notre société. La nouvelle structure de la production industrielle est une pièce maîtresse de la construction du nouvel édifice social. Les changements que nous proposons sur ce site tiennent compte de ces tendances, de leurs exigences, de leur interrelation et des effets cumulés qu'elles produisent.

La production industrielle joue un rôle différent dans une Nouvelle Société. Sa structure et son fonctionnement sont donc différents. C'est à l'usage que ses mécanismes prendront leur forme définitive. Nous croyons, toutefois, que trois (3) changements simples en constitueront des éléments essentiels Le système de production d'une Nouvelle Société va connaître la demande, produire pour cette demande et produire pour apporter la satisfaction.

 

4.2 Connaître la demande

 

La mission du secteur secondaire est de produire pour satisfaire nos désirs. Plus précisément, celle de l'industrie est de produire en masse les biens manufacturés qui font l'objet d'une demande et d'une consommation de masse. En masse, toutefois, ne veut pas dire nécessairement beaucoup, ni surtout le plus possible. L'industrie doit obéir strictement à la demande, une demande qu'une Nouvelle Société rend effective pour tous, bien au-delà de ce qu'il en faut pour satisfaire leurs besoins essentiels.

Pour obéir à la demande, il faut d'abord la connaître. Parlant ici strictement de l'industrie ­ que nous avons définie comme la production de biens matériels exigeant l'usage de machines et la collaboration de plus d'un travailleur - la connaissance de la demande suit deux voies parallèles, selon qu'il s'agit de la production de biens de consommation courante ou de biens semi-durables.

 

4.2.1 Les biens de consommation courante

 

En ce qui a trait aux produits de consommation courante, c'est par un suivi au niveau des ventes des détaillants que l'on obtient cette information sur la demande, par le biais d'un simple rapport des vendeurs à tous les paliers. L'information est compilée pour former un agrégat qui seul est rendu public et qui respecte donc la confidentialité des données de chaque commerçant. Cette démarche est déjà bien connue des organismes spécialisés en recherches de ce type, dont en France l'INSEE.

Aujourd'hui, on se sert de rapports mensuels, le plus souvent obtenus de simples échantillons, et le temps que requièrent la compilation, le traitement, et l'analyse des données recueillies font que l'image qu'on en obtient de l'activité commerciale est celle d'un passé récent mais révolu. Ce procédé ne peut donc être qu'un outil de politique commerciale et fiscale globale à moyen ou à long terme.

Pour que ce procédé de suivi devienne un outil de contrôle efficace de la production et de la distribution, il faudrait que les données remontent par paliers du commerce de détail vers le commerce de gros, vers le distributeur et de là vers les producteurs. Il faudrait y assigner des ressources dont les gouvernants actuels ne voient pas la nécessité. Pourtant, c'est ça qui est nécessaire. C'est techniquement tout à fait possible et c'est ce que l'on fera. Tôt ou tard. Le plus tôt sera le mieux,

Dans une Nouvelle Société, on le fait. Au départ, précisons que l'information est disponible. Tout ce qui est vendu par qui que ce soit à qui que ce soit, commerçant ou particulier, laisse une double trace. Une trace, d'abord, au palier du paiement, puisque chaque paiement est fait par le virement d'une somme de l'institution financière de l'acheteur à celle du vendeur et qu'il y a compensation à la Banque de l'État. (Cette première trace existe donc au moins en duplicata, souvent en triplicata si l'institution financière du vendeur n'est pas la même que celle de l'acheteur). Une deuxième trace de la transaction apparaît aussi aux bilans mensuels pour fin fiscale du vendeur comme de l'acheteur.

On sait que, dans une Nouvelle Société, tout individu responsable et chaque entité corporative doit remettre à l'État un bilan mensuel (BM) à partir duquel est fixé l'impôt sur le capital que chacun doit acquitter (706). Ce rapport mensuel, lorsqu'il émane du particulier non-commerçant, n'a qu'une valeur de contrôle fiscal, mais celui du commerçant devient l'outil maître de la prévision de la demande pour les biens de consommation courante.

Quiconque est commerçant - le volume de ses transactions étant le critère qui sépare un commerçant en semblables matières d'un non-commerçant est en effet tenu de produire, non seulement ce rapport mensuel, mais aussi un avis EN TEMPS RÉEL de toute transaction et de toute livraison qu'il effectue ou reçoit. Cet avis est envoyé par ordinateur au site Internet de l'État, à la section de l'Office National des Acquisitions d'Equipements (ONAE) créé à cette fin. Il contient la même information que le contrat, la facture ou le récépissé émis par l'une ou l'autre des parties et en est généralement la copie, transmise à l'ONAE simultanément à la remise de l'original à l'autre partie à la transaction.

Si quelque raison empêche cette simultanéité, le commerçant doit donner cet avis toutes affaires cessantes. C'est un délit pour lui de négliger de donner cet avis d'une transaction ou d'une livraison dans les 15 minutes qui suivent sa conclusion et il alors devra rendre compte de cette négligence. Chaque avis reste confidentiel, mais les totaux des opérations sont calculés automatiquement et publiés sur le site de l'ONAE, avec la restriction habituelle de confidentialité.

Les biens livrés du fabricant, au distributeur, au grossiste, au détaillant et finalement au consommateur sont suivis dans leur périple physique grâce aux avis donnés aux divers paliers et l'on connaît du même coup la variation des stocks qui équilibre l'équation à chaque palier. On sait où sont les choses. En parallèle, l'avis des ventes effectuées, émis aussi à chaque palier, permet de connaître en tout temps qui en est le propriétaire, indépendamment de qui en a la possession, celle-ci étant alors assimilée à la garde de l'objet.

Complexe ? Il n'y a rien dans cette procédure qui la distingue de celle de DHL ou FedEx suivant le cheminement de ses envois, ou de l'inventaire en continu (rolling inventory) qu'utilise aujourd'hui même, pour la gestion interne de ses opérations, tout détaillant ou grossiste de quelque importance. Rien, sauf la transmission de l'information à l'État. Le volume des renseignements ainsi traités ne constitue plus un défi pour la capacité des ordinateurs actuels. En fait, l'ordre de magnitude des transactions du groupe Wal-Mart se situe plus près de celui de l'économie globale que de celui d'un individu !

Quand tout fabricant peut, à tout moment, voir sur son écran d'ordinateur les fluctuations des stocks à tous les paliers de la chaîne de distribution, il possède l'information clef pour ajuster sa production à la demande. On peut l'aider davantage, car l'État possède et peut rendre accessibles les données des extrants du secteur primaire et celles des catégories du tableau des échanges entre branches d'activité de la comptabilité nationale, chiffres qui pourront corroborer ou nuancer l'information que l'on retire des rapports de vente et livraison des divers produits industriels.

Ceci d'autant mieux que le suivi en temps réel de toutes les transactions transforme aussi les comptes nationaux qui deviennent aussi l'image en temps réel de l'activité économique. Ceux d'entre nous qui avons connu l'époque des enquêtes par courrier et des compilations sur machines Burroughs devons nous pincer pour y croire, mais il est tout à fait possible, dès qu'on universalise l'accès à Internet, de constituer et de gérer aujourd'hui une Table d'input-output DYNAMIQUE de l'ensemble de l'économie nationale

L'État peut aider les producteurs encore davantage, en mettant en ligne les volumes de consommation de chaque produit au cours des dernières années, la tendance (trend) à la hausse ou à la baisse, les prix moyens payés aux divers paliers, les données relatives aux variations saisonnières et tout autre indicateur jugé pertinent. On peut, par exemple, fournir à tout moment aux fabricants le montant du revenu distribué au titre du revenu garanti ainsi que la marge du crédit global disponible, on peut raffiner et le lui donner pour les diverses tranches de revenu, de même que les études comparatives liant le profil de la consommation aux catégories de revenus jusqu'à un seuil de saturation.

Avec la capacité de traitement de l'information dont on peut disposer maintenant, aucun aspect de ce scénario ne présente plus un défi technique sérieux. Le défi est seulement de comprendre que la production n'est pas une partie de poker entre initiés - dont une part de l'astuce est de ne pas donner aux concurrents l'information qui leur permettraient de prendre des décisions éclairées et donc adéquates - mais de SATISFAIRE LA DEMANDE.

C'est avec ce principe bien en tête - et sachant pertinemment que le seuil de saturation pour la plupart des biens de consommation courante est déjà atteint dans les pays développés et le sera bientôt partout - que le fabricant doit décider de stabiliser sa production pour le bénéfice d'une clientèle déjà fidélisée ou d'engager une lutte pour augmenter sa part de marché.

A moins qu'il n'offre une valeur spécifique bien nouvelle, il doit être conscient que ses chances de modifier significativement sa part de marché est mince, pour deux raisons. D'abord, une Nouvelle Société a mis en place un réseau efficace d'accès à toute l'information VRAIE concernant les produits de consommation courante comme les autres produits et la publicité peut utiliser l'hyperbole, mais pas le mensonge. Ensuite, le contrôle exigeant de la qualité et la notion omniprésente d'une garantie de résultats rend pratiquement impossible la distribution d'un produit de qualité vraiment inacceptable. Il n'est donc pas facile de se démarquer des autres.

La concurrence est un élément essentiel de la production dans une Nouvelle Société, mais la concurrence entre fabricants doit se faire entièrement au niveau de la valeur intrinsèque de leur produit et de leur efficacité à produire. Personne n'empêche un fabricant de produire ce qu'il veut, mais celui qui survivra sera celui qui produira mieux un meilleur produit ; produire trop ne sera plus une stratégie gagnante et les volumes de production tendront vers la satisfaction de la demande : RIEN DE PLUS.

En ce qui concerne les biens industriels de consommation courante, on voit que les mécanismes de connaissance de la demande et de commercialisation s'apparentent, mutadis mutandis, à ceux pour les produits agricoles que nous avons vus au texte 711 touchant le secteur primaire. Ceci est normal, puisqu'on fait face, dans les deux cas, à des marchés dont la saturation, lorsqu'elle est atteinte, peut bien difficilement être contestée

 

4.2.2 Les biens semi-durables

 

Ce qui n'est pas le cas lorsqu'on passe à la production de biens semi-durables. C'est en ce qui a trait à ce type de production, surtout, qu'une adaptation de la production aux besoins exprimés peut apporter une meilleure adéquation. Comment connaître les intentions des consommateurs à ce sujet et en tirer profit ? On peut ici aussi faire des analyses théoriques, mais rien ne semble aussi efficace pour connaître la demande des consommateurs en bien semi-durables que de leur demander ce qu'ils veulent. La capacité de traitement de l'information dont on dispose rend désormais cette démarche pratique.

La nécessité pour chacun de produire un bilan mensuel (BM) pour fin fiscale établit une communication périodique permanente entre l'État et chaque contribuable. Cette communication peut être élargie en demandant à chaque citoyen d'autres renseignements et particulièrement, en ce qui nous intéresse ici, ses intentions d'achat en biens durables (*D - 08) et semi-durables. Chaque agent économique peut ainsi, en cochant une liste qui apparaît sur demande à l'écran de son ordinateur, jointe à sa déclaration d'impôt mensuelle, indiquer s'il entend acquérir tel ou tel type de biens au cours des trois, des six, douze ou vingt-quatre prochains mois, ainsi que le prix approximatif qu'il compte payer pour l'acquérir.

Attention. On ne fait pas ici un sondage sur ses pieuses intentions. Quand un déclarant indique qu'il veut acquérir quelque bien semi-durable que ce soit, il s'agit d'une décision d'achat ferme, même si des éléments en demeurent à préciser, comme l'identité du vendeur éventuel, par exemple. Le déclarant rend sa décision ferme et crédible en versant immédiatement au compte de l'ONAE 2% du montant approximatif qu'il fixe lui-même de l'achat dont il donne ainsi avis. Il ne s'agit pas d'un dépôt ; cette somme ne lui sera jamais remboursée, qu'il donne suite ou non à son avis d'achat.

Pourquoi le déclarant donnerait-il cet avis et verserait-il 2% du montant en jeu ? Parce que celui qui donne un tel avis, il reçoit de l'ONAE, au moment où il effectue son achat, une ristourne sur le montant de l'achat ou, s'il a donné avis d'un montant moindre, sur le montant a fixé pour cet achat. Ristourne de 6, 9, 12 ou 15% selon que l'avis donné a été de trois (3), six (6), douze (12) ou vingt-quatre (24) mois. Une économie nette, donc, de 4, 7,10 ou 13 %, considérant le 2% qu'il a initialement versé.

L'acheteur reçoit cette ristourne directement de l'ONAE et elle vient donc s'ajouter à tout autre avantage que lui consentirait le vendeur lors des tractations menant à la vente. Il n'a pas à aviser le vendeur de l'avis qu'il a donné à l'ONAE et qui lui vaut une ristourne, pas plus que l'ONAE n'en avisera les producteurs. Les producteurs sauront qu'ils doivent prévoir le remboursement à l'État de ces ristournes et devront en tenir compte dans l'établissement de leurs prix, mais ils n'auront pas l'information qui leur permettrait de consentir un meilleur prix à celui qui ne reçoit pas de ristourne, ce qui viderait cette démarche de son sens.

Le consommateur fera-t-il sérieusement cet exercice ? Rien ne l'oblige à donner cet avis d'achat, mais s'il ne le fait pas il renonce à une ristourne qui peut être significative, surtout s'il s'agit de l'achat d'une automobile ou d'un ordinateur, par exemple. En revanche, s'il émet cet avis et n'y donne pas suite, il perd le 2% qu'il a versé, ce qui n'est pas non plus toujours un montant négligeable. Si ce pourcentage n'est pas suffisant, d'ailleurs, pour que les ristournes créent la motivation nécessaire et que les consommateurs donnent l'avis qu'on attend d'eux, la valeur des ristournes sera simplement augmentée jusqu'à ce qu'elles jouent leur rôle.

Elles joueront leur rôle quand la publication de la compilation journalière des offres d'achat par types de produits, sur le site de l'État, permettra aux producteurs de suivre efficacement en continu les fluctuations de la demande. Ici, comme pour les produits industriels de consommation courante, toute une batterie de données statistiques sur la saisonnalité, les tendances et le crédit/revenu permettront au fabricant qui le veut de d'ajuster son offre à la demande.

La spécificité des produits semi-durables, toutefois, laisse la porte ouverte à des ambitions plus larges pour le producteur qu'une simple variation de sa part de marché. La tentation est grande pour lui d'être proactif et le danger est donc là d'une production qui s'emballe et tente encore de manipuler la demande. Pour canaliser l'énergie des vendeurs tout en s'assurant que l'offre des produits semi-durables se plie vraiment à la demande, il faut faire plus qu'une simple diffusion de renseignements. Au lieu d'une adéquation de l'offre globale à une demande estimée, il faut tenter d'en arriver le plus possible à une offre précise répondant à une demande précise. Produire sur commande.

 

4.3 Produire sur commande

 

Notre système de production actuel fonctionne à partir d'une présomption de boulimie dans une société obèse. On prend pour acquis que, si on lui en donne les moyens, le consommateur achètera éternellement n'importe quoi, sans égard à ses besoins. La passerelle permettant de quitter un tel système pour un autre où c'est la satisfaction qui est le but découle tout naturellement de la procédure que nous venons de voir pour connaître la demande et en est l'extension.

Lorsque le contribuable donne avis de son intention ferme d'achat à terme, on peut lui offrir le choix d'autoriser l'ONAE à transmettre son nom aux fournisseurs du type de biens qu'il a l'intention d'acquérir. Il n'est pas tenu de le faire et il n'est pas indispensable qu'il le fasse, car sa demande, même anonyme, sera prise en compte dans la compilation de toutes les intentions d'achat exprimées pour un produit donné qui sera transmise aux fabricants concernés.

S'il le fait, toutefois, il en retire un avantage et la société également, puisqu'il deviendra la cible des efforts des fabricants et fournisseurs pour s'assurer sa clientèle et qu'il sera alors activement informé sur ces produits qu'il désire acquérir. Ceci lui sera utile, car n'oublions pas que la publicité dans une Nouvelle Société quitte l'hyperbole et devient essentiellement une information. En invitant le démarchage des vendeurs pour les produits spécifiques qu'il VEUT acquérir, le consommateur retrouve le sentiment d'être dorloté par un vendeur qui s'intéresse passionnément à lui sans être soumis a un barrage de sollicitations concernant l'acquisition de biens qu'il ne veut pas

Producteurs et commerçants approcheront ceux qui auront accepté d'être identifiés comme acheteurs potentiels -acheteurs sérieux, puisqu'ils ont versé des arrhes à l'ONAE ­ et ils feront l'impossible pour les convaincre d'acheter leur marchandise. Le consommateur en contact avec les vendeurs aura l'occasion de préciser sa demande. Son intérêt pour l'achat d'un type de biens pourra vite devenir le choix du modèle bien précis d'un fabricant bien identifié. Plus seulement une petite voiture d'environ n dollars, mais une Smart décapotable, jaune, avec des banquettes blanches

Et quand il sait ce qu'il veut, pourquoi ne pas l'acheter ? Le vendeur lui consentira bien un petit avantage de plus pour conclure sa vente Les producteurs seront avides de convaincre ceux qui se sont déjà jusqu'à un certain point commis à acheter, à se commettre définitivement en passant immédiatement avec eux et non un concurrent un contrat final, indiquant les termes et conditions de la vente.

Les conditions que les vendeurs offriront aux consommateurs seront les meilleures, chaque fabricant souhaitant conclure ainsi des ventes fermes avec un préavis qui lui permettra de déterminer son volume de production à moindre risque. Rien n'interdit d'ailleurs à un fabricant, au cours de la négociation qui va alors s'engager, d'offrir au client potentiel des conditions exceptionnelles pour le convaincre d'allonger l'échéance de livraison du produit.

Quand le fabricant en arrive à conclure une vente de bien semi-durable si longtemps avant le moment prévu pour la livraison qu'il peut ne commencer sa production qu'à partir d'un carnet de commande déjà suffisant pour garantir la rentabilité de sa production, la démarche de vente au consommateur devient une entreprise différente et les paramètre de base de la production et de sa rentabilité sont totalement transformés.

Si un fabricant peut vendre une part significative de ses produits avec une anticipation suffisante, il peut ajuster sa production à la demande, non seulement en quantité mais aussi en tenant compte des désirs spécifiques du client. Le risque inhérent aux caprices changeants du client s'estompe et, du même coup, le risque d'avoir produit pour rien ce que le consommateur ne veut pas. Le risque d'avoir privilégié, par exemple, un détail insignifiant qui devient tout à coup un désavantage marqué au moment de la vente.

Surtout, le producteur qui travaille habilement pourra finaliser ses plans de production et vendre sa production avant même d'approcher un investisseur, élément crucial dans une structure de production basée sur des projets dont nous verrons le détail ci-dessous. S'il y est parvenu, il aura alors avec ce dernier une tout autre discussion Cette commande ferme réduit à bien peu de chose, en effet, le risque du fabricant, surtout quand on considère que les engagements du consommateur sont avalisés par l'État à la hauteur de son revenu garanti et d'une marge de crédit équivalant à un facteur variable mais toujours significatif de ce revenu garanti (701). En fait, c'est une demande non seulement effective, mais cautionnée par l'Etat qu'on identifie et souvenons-nous que la faillite n'existe pas dans une Nouvelle Société (702b).

En fixant à un montant suffisant le coût de son dédit - dont l'ONAE, contre une prime, garantira aussi le paiement éventuel - le fabricant peut même obtenir du consommateur un engagement ferme, tout en conservant lui-même l'option de renoncer au projet. Cette situation n'est pas totalement inouïe ; c'est celle d'un promoteur immobilier vendant des maisons sur plan, ou d'un fournisseur d'équipement militaire faisant payer par l'État les frais de développement d'un prototype, sans devoir même annoncer à quel prix il vendra les unités produites en série. Dans le domaine des bien semi-durables, à usage civil, toutefois, c'est une nouvelle approche et qui devrait susciter chez les producteurs une béatitude confinant au satori ou à l'orgasme.

Cette approche produira une allégresse plus sereine, mais tout aussi indiscutable, chez tous ceux qui souhaitent que le système de production reprenne du service auprès de la demande. Le profit est le prix du risque. Quand le risque diminue, diminue de même la provision que doit prévoir le fabricant pour s'en prémunir et donc le prix qu'il faut exiger du client pour le produit. Produire sur commande - et largement « sur mesure » - signifie une meilleure efficacité, une plus grande satisfaction du consommateur et un enrichissement sociétal, puisqu'on met fin au gaspillage de ressources naturelles et de travail.

Cette approche, d'autre part, fait appel comme on le voit à une collaboration accrue entre l'État et les entreprises. Non seulement l'ONAE fournit aux fabricants les données d'analyse du marché qui permettent à ceux-ci d'estimer correctement la demande, mais l'ONAE intervient aussi pour valider les offres d'achat, recueillir des arrhes qui engagent le client et cautionner en quelque sorte les paiements aux fabricants, à partir de retenues à la source automatique sur le revenu garanti de l'acheteur

L'État, en contrepartie, impose aux fabricants des conditions de garantie légale allongée : un bien semi-durable ne peut être vendu comme tel que si le fabricant, hormis le cas d'usage abusif dont il a le fardeau de la preuve - en garantit totalement le fonctionnement pour trois (3) ans, cinq (5) ans ou dix (10) ans, selon la nature du produit. L'ONAE est caution de cette garantie, s'assurant que le produit est de qualité acceptable et que le fabricant dispose d'une réserve lui permettant de faire face à cette obligation. Si le commerçant cesse ses activités ou fait autrement défaut à ses engagements, l'ONAE en tient le consommateur indemne, prenant ensuite les mesures pour récupérer ses frais du fabricant en faute, sans que le client ait à en porter le poids.

L'État joue donc un rôle actif dans tout le processus de commercialisation, mais uniquement comme facilitateur, jamais comme décideur. L'État est ici au service des parties. Il découle des services que rend ainsi l'État qu'un lien direct peut plus facilement s'établir entre fabricants et consommateurs et que se développera considérablement l'approche aujourd'hui relativement timide de la vente directe du fabricant au consommateur.

Cette approche va apporter une réduction des coûts de transport, de publicité et de commercialisation en général, permettre la suppression de tous les coûts liés aux erreurs d'appréciation de la demande et, surtout, faciliter grandement la protection du consommateur dont producteurs et détaillants peuvent aujourd'hui esquiver la responsabilité en compliquant à plaisir la maquette de leurs engagements respectifs envers le client. Les avantages d'une vente directe du fabricant aux consommateurs feront qu'une proportion significative des transactions concernant les biens semi-durables s'effectuera de cette façon.

Doit-on penser que tout le réseau d'intermédiaires allant du distributeur au détaillant est désormais superflu et que le commerce deviendra peu à peu simplement un volet mineur du processus de production ? Ce serait mal comprendre l'avenir des notions de services et de commodité. Il y aura toujours des acheteurs pour qui les avantages de ne décider qu'au moment de conclure l'affaire l'emporteront sur la différence de prix, quelle que soit cette différence. Disons plutôt que la vente directe du producteur au consommateur se développera en parallèle à un réseau de distribution, dont le rôle et les objectifs seront plus larges que ceux du réseau actuel.

La commercialisation des biens semi-durables se fera selon l'une ou l'autre de deux (2) voies. L'une suivra la &laqno; voie courte » que nous venons de décrire, allant du fabricant au consommateur, alors que la seconde passera par un système de revente similaire au réseau de distribution actuel. C'est au texte 713, traitant du secteur tertiaire, que nous parlerons en détail de la relation entre les producteurs et les revendeurs à tous les paliers et du nouveau rôle qui échoit aux commerçants dans une Nouvelle Société, mais nous ne pouvons donner une vue claire du fonctionnement de la production sans en dire ici quelques mots.

Disons donc seulement que les commandes placées à terme auprès des fabricants ne proviendront pas seulement des consommateurs, mais aussi de revendeurs/commerçants. Ceux-ci, mettant à profit leur expérience et leur pouvoir d'achat, achèteront aussi à terme des produits semi-durables, avec l'intention de les revendre avec profit, au moment de leur livraison, à une clientèle qui, justement, aura préféré ne pas se commettre avec un fabricant mais plutôt attendre et acheter de ces revendeurs.

Ces revendeurs ne pourront évidemment pas concurrencer au niveau des prix les fabricants qui vendront directement aux consommateurs et qui, en plus d'éviter le coût des intermédiaires, auront minimisé leurs risques en finalisant leurs ventes des mois ou des années avant la livraison. Les revendeurs devront offrir une valeur ajoutée sérieuse. Les revendeurs joueront le rôle de la structure de distribution actuelle, mais en y ajoutant autre chose. Ce faisant, ils feront faire un autre pas en avant à la structure de production et distribution d'une Nouvelle Société : ils offriront une gestion de la satisfaction du besoin.

 

4.4 La gestion de la satisfaction

 

Quand les biens industriels semi-durables sont produits et vendus sur commande, la quantité des divers équipements en service et la demande pour ces biens tendent à se stabiliser. La production industrielle trouve un rythme de croisières qui correspond à une prévision des changements technologiques, qui détermineront l'obsolescence et les taux de remplacement. La production ajuste ses prix pour effectuer l'amortissement de ses équipements en fonction de ces taux de remplacements, mais sans perdre de vue son obligation légale d'assurer pour trois ou cinq ou dix ans le bon fonctionnement des biens semi-durables qu'elle a vendus.

C'est une évolution positive, mais on peut faire encore mieux. Dans une étape suivante, on peut passer de la notion traditionnelle d'un bien qu'on vend à celle d'un service qu'on assure et donc se rapprocher de la réalité qui est celle d'une satisfaction qu'on offre. Même aujourd'hui, quand on achète des &laqno; biens », c'est toujours un « service » qu'on achète et une satisfaction qu'on recherche. Ce qui satisfait, c'est ce qui donne le meilleur service. Celui qui vend un produit doit se percevoir comme un fournisseur de service et faire tout en son pouvoir pour gérer la satisfaction de son client.

Nous avons dit qu'il ne fallait pas croire que la distribution ne deviendrait qu'un volet mineur de la fonction production. C'est presque le contraire que l'avenir nous réserve. C'est la fonction production qui ne deviendra qu'un volet mineur d'une activité plus générale qui inclura la distribution et aura pour mission explicite d'offrir au consommateur la satisfaction de ses désirs.On lui procure cette satisfaction en mettant à sa disposition un objet dont il tire certains services qu'il requiert, mais il est convenu que c'est le service rendu et non l'objet lui-même qui est l'essence de la transaction.

Une transaction qu'on peut préciser et redéfinir. « Mettre à la disposition » ne veut pas nécessairement dire « vendre ».Vendre implique un transfert total de propriété, conférant à l'acheteur le droit d' « user et abuser » de ce qu'il acquiert ; ce n'est qu'une modalité parmi toutes celles qui permettent à un vendeur et un acheteur de convenir de la cession d'un bien contre paiement.

Pour les biens de consommation courante ­ une bière ou une aspirine, par exemple ­ il n'y a pas d'ambiguïté : le produit doit être vendu puisqu'il est consommé (détruit) au premier usage. (*D - 09)

Pour les biens durables, il y a divers scénarios, mais la société a la plupart du temps intérêt à ce que l'occupant d'un bâtiment - surtout résidentiel - en soit le propriétaire. On peut présumer qu'il sera alors mieux à même d'en constater les besoins d'entretien et plus motivé pour s'en occuper, assurant donc une gestion plus efficace du patrimoine. Dans le cas des biens durables, la vente semble la bonne solution.

Pour les biens industriels semi-durables, toutefois, les vendre n'est pas toujours la meilleure façon de procéder. À moins qu'on ne parle d'art ou d'objets à valeur sentimentale - auquel cas l'objet doit être assimilé à un bien durable par destination, puisque l'intention est d'en prolonger indéfiniment la durée - ce que le consommateur veut d'un objet semi-durable strictement « utile », c'est le service qu'il en retire. Il ne cherche rien d'autre d'un bien utilitaire que l'usage qu'il peut en faire.

Mais alors, pourquoi les acheter ? Un téléphone, une voiture, une chaise nous sont utiles et l'on en attend un « service », lequel ne se distingue des services que nous rendent les gens qu'en ce que les choses ne peuvent discuter ni marchander les services qu'elles nous rendent. On achète des objets et l'on en tire les services qu'on veut. Mais ne peut-on pas cesser d'acheter des biens et n'acquérir que le droit d'en tirer les services qu'ils peuvent rendre ?

Le consommateur qui achète simplement un service et en paye le prix a ce qu'il veut et n'a pas d'autre responsabilité que d'en faire un usage normal, un concept auquel la coutume donne vite son plein sens juridique Si l'objet loué ne rend pas ce service, il a le droit d'en exiger un autre. En revanche, il n'a rien d'autre à en exiger que ce service. Ce n'est pas une bizarrerie, c'est bien ce qu'on fait chaque fois qu'on utilise un équipement collectif.

Une Nouvelle Société va encourager, dans toute la mesure du possible, le recours à des équipements collectifs ­ à commencer par le transport en commun ! - simplement parce que c'est l'utilisation la plus efficace qu'on peut faire d'un équipement et qu'une société qui partage ses équipements a, de toute évidence, plus de services et de satisfaction pour le travail qu'elle y met, même si le consommateur veut se réserver l'exclusivité d'un objet dont il tire des services, pourquoi voudrait-il en devenir propriétaire ? S'il en a la possession et la pleine disposition pour le temps qui lui convient, n'est-ce pas suffisant ?

Si, pour les immeubles, c'est le manque d'entretien courant qui est la première cause de détérioration, ce qui suggère que l'occupant en soit propriétaire, ce sont les vices de fabrication et l'obsolescence qui menacent surtout un objet semi-durable. Il est donc raisonnable que ce ne soit pas le consommateur qui en devienne propriétaire, mais plutôt le fabricant (vendeur) qui le demeure, ce dernier étant plus en mesure de se prémunir contre ces deux risques.

Une Nouvelle Société exigera que la vente de tout bien semi-durable soit accompagnée d'une garantie légale de bon fonctionnement de 3. 5 ou 10 ans, selon la nature du bien vendu, mais pourquoi assumer même le risque des ennuis découlant de la nécessité de faire valoir ce droit s'il y a une mal fonction intempestive de l'objet ou une obsolescence accélérée ? Pourquoi, dans une société dont la fiscalité imposera le capital - et donc le patrimoine - plutôt que le revenu (706), encombrer son bilan d'un bien sujet à dépréciation ?

Il vaut mieux louer qu'acheter un bien semi-durable. Ce raisonnement a déjà été fait depuis longtemps dans le secteur des véhicules automobiles, où la location à long terme tend de plus en plus à remplacer l'achat. Même phénomène pour les ordinateurs, avec un peu de retard, mais autant d'enthousiasme. Ce qui est déjà en marche sur le marché des voitures et des ordinateurs peut être appliqué à TOUS les biens semi-durables.

Ce qui limite aujourd'hui l'universalisation de cette approche locative, ce sont les exigences du crédit et l'incertitude du commerçant quant à la durée de vie utile de ce qu'il vend, deux facteurs qui l'obligent, le premier à exiger un paiement initial qui n'optimise pas la demande effective et, le second, à exiger des paiements mensuels alourdis d'une prime de risque qui les rend trop onéreux. Dans une Nouvelle Société, ces contraintes n'existent plus.

Le locateur peut toujours exiger un montant initial au moment de la location, mais il n'a plus aucune raison de le faire ­ sauf la couverture de la perte de valeur inhérente à la première utilisation du produit qu'on « étrenne » - puisque le contrat de location lie le locataire pour la durée de son engagement et que l'État, par le biais de l'ONAE se porte garant du respect de ce contrat quelle qu'en soit la durée. Les montants à payer sont prélevés directement du revenu garanti du locataire comme ils le seraient du revenu d'un acheteur et versés directement par la Banque de l'État au compte du locateur. Il n'y a plus de risque significatif inhérent à la location.

Si tout ceci ne suffisait pas à le rassurer, le locateur doit considérer les autres avantages que lui offre une Nouvelle Société. D'abord le crédit disponible de chacun est parfaitement connu ­ et divulgué avec sa permission à ceux, comme ses créanciers, qui ont un intérêt à le connaître - et garanti par l'État à la hauteur d'un facteur connu de son revenu garanti. En cas rarissimes de conflit, tout jugement comporte une saisie de plein droit des actifs du débiteur au profit de ses créanciers, l'insolvabilité entraîne la mise en curatelle immédiate et la faillite n'existe pas. (702b)

Quant à l'incertitude concernant la vie utile des bien semi-durables, il faut ici tourner la table. C'est justement pour inciter le fabricant à fabriquer des choses qui durent qu'on préfère qu'elles soient louées plutôt que vendues. Celui qui ne voudra pas louer sera soupçonné, souvent à bon droit, de ne pas vouloir produire des biens qui durent vraiment. On surveillera avec une grande vigilance ses réserves lui permettant de dédommager les acheteurs si les biens ne durent pas le temps minimal que fixe la loi. On ne l'empêchera pas de vendre - une Nouvelle Société n'aime pas les prohibitions ­ mais il est bien probable que sa position concurrentielle se dégradera rapidement face à ceux qui accepteront de louer.

Le fabricant pourra louer directement au consommateur et certains le feront, mais généralement ce sont des revendeurs/commerçants, dont nous verrons le rôle au Texte 713, qui assureront ce service. Au lieu de constituer une chaîne allant de grossistes en détaillants, ces commerçants se situeront à un unique palier et deviendront les seuls intermédiaires utiles entre le fabricant et l'usager

Que le fabricant lui-même en prenne l'initiative ou que ce soit un intermédiaire qui le fasse, les avantages de la location sur la vente font que la consommation de biens semi-durables prendra vite la forme d'un réseau de location universel. Tout bien semi-durable, c'est-à-dire dont on peut tirer des services pendant trois (3) ans ou plus, tendra à ne plus être acheté mais loué. C'est un service qui sera offert et c'est la satisfaction du besoin qui sera gérée.

La gestion de la satisfaction du besoin ira de paire avec la rationalisation de la gestion du parc des équipements eux-mêmes. Dans un système de production où les biens sont faits pour durer, le marché de la location consiste de plus en plus en biens usagés plutôt qu'en biens neufs. Prenons l'exemple du marché de l'automobile, avec lequel tout le monde est familier, tout en nous souvenant que la même logique s'applique à tous les biens semi-durables.

Quand on construit les voitures pour qu'elles durent et que la question de solvabilité du client ne se pose plus, le marché de la location d'automobile se transforme de deux façons. D'abord, au lieu de deux (2) types seulement de contrats - à court terme (renting) ou à long terme (leasing) ­ les exigences de la concurrence font qu'on offre désormais une infinité de contrats de durée variable. Ensuite, la location d'un véhicule usagé n'est plus une rare aubaine, mais la transaction la plus courante. La structure des prix de location doit refléter cette double innovation.

Les prix de location varient donc selon l'âge du véhicule loué, la logique étant que, neuf à sa location, le produit devient de plus en plus usagé avec le passage du temps et que sa valeur locative diminue d'autant selon l'offre et la demande pour de tels produits usagés. Les taux, toutes autres choses étant égales, sont donc réajustés chaque mois selon l'âge du véhicule. Celui qui loue une voiture &laqno; neuve » paye normalement une prime liée à la perte de valeur qu'elle subit quand elle a déjà servi, ne serait-ce qu'une fois. Il a donc intérêt à amortir cette prime sur un contrat de location à plus long terme, mais il n'y est pas tenu.

Ce cas mis à part, celui qui loue pour une journée ou une semaine une voiture qui n'est pas « neuve » paye le taux en vigueur pour cette voiture, tenant compte de son âge en mois. Si la voiture est louée pour une période plus longue, la logique d'un taux dégressif s'applique, même si, par souci de commodité, on calcule la moyenne de ces taux dégressifs et qu'on applique au client un même taux mensuel sur toute la période. Le taux appliqué est alors égal à cette moyenne, mais bonifié pour tenir compte de l'avantage du locateur à ne pas devoir passer durant la durée de ce contrat à long terme, les multiples petits contrats qui en tiendraient lieu et dont le coût administratif d'exécution n'est pas nul. Le coût mensuel de location, pour un même bien, varie donc non seulement selon l'âge du véhicule , mais aussi selon la durée de l'engagement

Ces taux dégressifs établissent de façon rationnelle et tout à fait empirique la valeur de location normale de tout véhicule usagé. Dans un système où la location est la façon normale de satisfaire un besoin, mais où il n'est tout de même pas interdit d'acheter, cette valeur de location devient aussi automatiquement le déterminant de la valeur d'achat du produit lui-même.

Ces contrats de durées variables peuvent sans difficulté permettre des changements en cours de contrat, en échange naturellement d'une prime à payer. On peut prévoir le changement du modèle loué pour un plus récent après un an, deux ans, etc. On peut louer un modèle déjà usagé et en prévoir le remplacement, après des mois ou des années, par un autre, usagé également. Des marchés distincts s'établissent donc pour ceux qui ne veulent louer que du neuf et pour ceux qui préfèrent renoncer au prestige et louer la voiture de deux, trois ou cinq ans d'âge. Pour ceux, aussi, qui cherchent une économie en louant des voitures de dix ou vingt ans, ce qui sera tout à fait raisonnable quand on construira des voitures pour qu'elles durent.

Cette approche, en plus de ces avantages évidents, a deux (2) autres conséquences hautement bénéfiques. D'abord, celui d'intégrer tout le marché des véhicules usagés à celui des véhicules neufs, ce qui permet aux fabricants de raffiner encore davantage leurs plans de production pour tenir compte de l'amortissement optimal du parc de véhicules existants. Ensuite, de soumettre toutes les transactions touchant des véhicules usagés aux règles de garanties établies pour les véhicules neufs qui jouissent d'une caution de l'État, à la seule exception de la règle touchant la garantie légale de fonctionnement minimal de (10 ans, pour un véhicule), laquelle le commerçant locateur peut faire valoir contre le fabricant, mais non le consommateur contre le locateur.

En ce qui a trait à la relation entre l'usager et le locateur, la garantie légale du véhicule n'a plus d'importance. Le locateur est astreint à l'obligation plus exigeante de voir à ce que le locataire puisse retirer le service prévu du bien loué, quelle qu'en soit la vétusté. Le locateur d'un véhicule qui tombe en panne a la responsabilité d'en fournir un autre sur le champ au client et de dédommager celui-ci des inconvénients prévisibles qui résultent de cette panne.

On comprend qu'à ces conditions, le locateur décide lui-même d'envoyer à la casse les véhicules dont il estime que, compte tenu de la fréquence des avaries, il ne peut plus tirer un profit. Ce n'est plus le consommateur jocrisse qui doit prendre cette décision. En remplaçant vente par location, on permet donc aussi au système de gérer l'introduction raisonnable de l'innovation et l'on optimise le service qu'on retire des biens produits, ce qui sont bien des objectifs qu'une Nouvelle Société veut fixer à la production.

Nous avons mentionné les véhicules, mais le même scénario est possible pour les ordinateurs, les électroménagers, l'ameublement Quand on pense à un système de production sur commande et à la location des biens semi-durables, on voit se profiler une amélioration qualitative stupéfiante des équipements. Lorsque le fabricant ne calcule plus la rentabilité de son entreprise en fonction du profit immédiat sur ses ventes, mais plutôt en tenant compte des coûts et bénéfices de fournir à ses clients un SERVICE permanent, durant une période illimitée, changeant au besoin les produits qui leur procure ce service, il a une nouvelle vision de sa mission. Et nous avons une économie sans gaspillage.

Pour les produits en évolution rapide, les prix de location tiennent compte d'une mise à jour biennale, voire annuelle de l'équipement. Faut-il souligner que les produits sont alors conçus pour faciliter cette mise à jour plutôt que d'encourager la mise au rancart ? Pour les produits dont la désuétude est moins rapide ­ et souvent planifiée aujourd'hui sans autre raison que de maintenir actif un marché autrement totalement saturé ­ c'est la pure qualité qui devient l'objectif, puisque l'entretien et les réparations deviennet les plus graves aléas du métier.

Il sera facile d'obtenir l'adhésion de la clientèle à cette transformation du marché des biens semi-durables, la garantie de l'État /ONAE venant pallier le manque de confiance qui s'est installé et qui détourne maintenant les consommateurs de la qualité. Celui qui aujourd'hui achète un réfrigérateur de 500 euros verra avec enthousiasme la possibilité de louer, pour 10 ou 15 euros par mois durant dix ans, un appareil haut de gamme qui en vaudrait de 1 200 a 1 800 à l'achat et dont on lui garantira de façon crédible l'entretien inconditionnel sauf sinistre, mauvaise foi ou grossière négligence.

>Et quel mobilier pouvez-vous vous permettre, si on en étale le prix sur les 360 mensualités d'un contrat de 30 ans ? Surtout si vous pouvez, à peu de frais, changer votre simili Louis XV usiné, mais de haute qualité, pour un Queen Ann tout aussi manufacturé, mais de toute aussi bonne facture, votre commerçant ayant déjà la liste des propriétaires de Queen Ann qui voudraient du Louis XV.

Cet échange de biens industriels semi-durables, devenant peu à peu durables parce qu'ils sont faits avec un souci de qualité qui leur confère progressivement une valeur autre qu'utilitaire, va incessamment se développer sur Internet ; il se développera mieux et offrira une meilleure protection au consommateur si en sont parties prenantes des fabricants et des commerçants reconnus.

Quand on échappe au miroir monétaire et qu'on voit la réalité des objets eux-mêmes, c'est cette amélioration de la qualité de tout ce qui est produit - et donc la possession croissante par tous et chacun de produits haut-de-gamme - qui est la conséquence bien tangible d'une nouvelle structure de production industrielle.

 

 

5. Une nouvelle structure de production

 

Connaître les désirs des consommateurs et produire à la commande a pour conséquence de prioriser la fabrication de produits de qualité dont la durée de vie est optimisée. C'est un grand pas en avant vers le bon sens, car on élimine ainsi une énorme part du gaspillage des ressources matérielles et du travail. À remarquer, cependant, que l'on n'a pas changé ainsi pour autant la volonté des producteurs de ne produire que ce qui les avantage le plus. Le client devient proactif, mais c'est encore, en bout de piste, le producteur qui décide.

Pour faire culbuter le système de façon permanente et que ce soit la demande qui détermine vraiment l'offre, et non l'inverse, il faut que ce soit le consommateur qui ait le pouvoir plutôt que le fabricant. Ceci veut dire que le client doit avoir une très large gamme de choix quand il décide d'acquérir un bien et que le producteur qui ne précipite pas pour le satisfaire périclite et disparaisse. Ceci implique une vraie concurrence.

Une Nouvelle Société prend pour acquis que la libre concurrence est la condition essentielle de la satisfaction du besoin et de l'innovation qui conduit au mieux-être. Toute structure monopolistique est anathème, qu'elle soit gouvernementale ou privée, et c'est une priorité de l'État de rendre le système plus concurrentiel. Une Nouvelle Société favorise une libre concurrence beaucoup plus ouverte et plus dynamique que celle que défend des lèvres, mais nie en pratique, la société néolibérale actuelle.

Nous avons vu dans la première partie de ce texte comment, en monopolisant les ressources humaines spécialisées et en produisant à partir de la position de force d'équipements déjà amortis, les producteurs dominants de chaque branche d'activité peuvent évincer les intrus et constituer des cartels de fait. Cela sans jamais enfreindre formellement la loi puisque la marche à suivre pour protéger les intérêts de tous est si évidente qu'aucune conspiration n'est nécessaire : on n'a qu'à écouter et l'on peut chanter au diapason. Ceci d'autant plus facilement que tous les concurrents sont financés par les mêmes institutions financières sans l'appui constant desquelles ils sont impuissants. Tant que Shylock ne fronce pas les sourcils, c'est qu'on est dans la bonne voie...

Comment briser ces cartels de fait qui se sont développé entre les cloisons étanches d'un système de production dont les gros peuvent systématiquement éliminer les petits et les anciens les jeunots ? En abattant ces cloisons étanches, ce qui va découler de la mise en application simultanée de deux (2) mesures dont nous avons déjà parlé sur ce site. La première de ces mesures est le partage du travail et le revenu-travail garanti (701) qui transforme les travailleurs experts en agents libres; la seconde est le remboursement de la dette publique et la fin de l'État-emprunteur (706), inversant le rapport de force entre le capital et l'initiative. La première crée une structure ENTREPRENEURIALE de production.

 

5.1 Une structure entrepreneuriale

 

Nous allons expliquer comment se crée une structure entrepreneuriale, mais voyons bien, d'abord, comment le système néo-libéral actuel n'est entrepreneurial que de nom. La notion d'entreprise, dans le système actuel est viciée au départ par deux facteurs. D'abord, par la ponction systémique sur les résultats du travail et de l'entrepreneurship que prennent les shylocks, les propriétaires du capital accumulé ; ensuite, par une approche salariale de la rémunération qui est un vestige du travail à la chaîne, procédé typique de la production industrielle .

Au début de l'industrialisation, quand chaque ouvrier surveille sa navette, on rémunère au résultat. Plutôt mal que bien, puisque la machine est reine et l'ouvrier quasi interchangeable. Quand arrive la grande industrie - et la chaîne de production qui fait de chaque usine une seule énorme machine dont les ouvriers ne sont que des pièces détachables - les écarts de productivité entre ouvriers ne sont plus un avantage mais un inconvénient, comme le serait dans une machine un rouage tournant plus vite qu'il ne faut. Il devient préférable de restreindre le rythme de travail de tous les ouvriers à celui que peuvent suivre tous les ouvriers sur la chaîne et, si on ne demande à personne d'en faire plus, pourquoi en payer certains davantage ?

Un seul salaire pour tous et la machine sera bien gardée. Les syndicats seront heureux, puisque nul n'aura intérêt à se les casser et qu'on semblera avoir ainsi mis un frein à l'exploitation. En réalité, l'exploitation augmentera dans toute la mesure du possible, c'est­à-dire en fonction inverse du pouvoir des travailleurs, lequel tend à diminuer puisque, étant tous égaux sur la chaîne, ils sont désormais parfaitement interchangeables et il y en a toujours trop. L'exploitation sera seulement plus supportable, puisque chacun en portera sa « juste » part.

Avec les progrès de l'automation et de la robotisation, toutefois, on substitue de vraies pièces détachables aux travailleurs qui en tenaient lieu à l'intérieur des chaînes ­machines. L'ouvrier sort de la machine et doit recommencer à penser. Il n'est plus interchangeable. L'efficacité du système dépend de sa capacité à penser, ce qui lui donne un pouvoir. Sa capacité à penser dépend pour une large part de sa motivation. Il faut qu'il veuille en faire plus. Il faut doter le secteur secondaire d'une structure qui en augmente l'efficacité, tout en en conciliant le fonctionnement avec les objectifs de justice comme de bien-être d'une Nouvelle Société.

Ceci est possible si on reconnaît le pouvoir croissant de chaque participant dans une société d'interdépendance et qu'on accepte la nature humaine comme l'une des constantes du problème. Ce n'est pas parce qu'on veut plus de justice et moins d'inégalités qu'on peut ni qu'on doit ignorer que les gens ne travaillent que pour atteindre LEURS objectifs. Ils ne travaillent pour la collectivité que si le bien commun est placé dans la trajectoire qui mène à leur bien personnel ; le défi d'une société est de faire en sorte que ce transit obligé par le bien commun soit incontournable.

Pour qu'un système de production soit efficace, il faut que tous ceux qui y prennent des décisions et tous ceux qui y exécutent des tâches y trouvent leur compte, c'est-à-dire que soit mis en place un système qui récompense la sagacité et l'effort. Une Nouvelle Société va redonner une légitimité à la notion que la rémunération doit dépendre des efforts et des résultats et généraliser l'application de ce principe. C'est en ça que consiste un système entrepreneurial.

L'avènement d'un système entrepreneurial est une révolution tranquille, puisqu'il découle tout naturellement de la prolifération de travailleurs autonomes à tous les niveaux au sein de la structure de production, un phénomène dont nous avons décrit les mécanismes au texte 701 et dont nous reprenons ici l'essentiel de l'argument pour éviter un renvoi.

Dans une Nouvelle Société, quiconque veut travailler peut travailler. S'il ne parvient pas à se trouver lui-même un emploi salarié, l'État a la responsabilité de lui procurer un emploi pour lequel il sera rémunéré selon son niveau de compétence, certifié par l'État sur la base de sa formation et de son expérience. (701, 704). Nul n'est cependant obligé d'accepter un travail salarié, ni surtout de s'y limiter. Celui qui peut s'assurer un revenu comme travailleur autonome est félicité, aidé et laissé en paix.

Même celui qui a recours aux services de l'État pour trouver un emploi peut aussi, dès qu'il s'est acquitté du travail que lui a confié l'État à sa demande, devenir simultanément un travailleur autonome et agir comme entrepreneur à sa guise et comme il l'entend. Il peut le faire sans devoir renoncer à ce poste que lui a confié l'État, ni au salaire qui y correspond et qui constitue alors pour lui un revenu de base garanti. Dans un système de travail partagé, où le travail salarié n'occupera qu'une fraction décroissante de son temps, le travailleur moyen aura tout le loisir de mener ces deux activités en parallèle. La plupart du temps, il sera salarié, mais deviendra AUSSI un entrepreneur.

Pour certains travailleurs, l'entreprise sera un « petit boulot ». Pour d'autres, elle sera un projet personnel de créativité artistique ou littéraire. Pour d'autres, toutefois, elle sera simplement une poursuite à leur propre compte d'activités similaires à celles dont ils s'acquittent dans le cadre de leur travail salarié. Quand c'est ce qu'il fait, le travailleur devient ainsi, dans une certaine mesure, le concurrent de son employeur.

Des normes seront établies qui éviteront que cette concurrence ne soit déloyale ; le travailleur qui prendra avantage des renseignements confidentiels auxquels il a eu accès dans le cadre de son travail pourra faire l'objet de poursuites judiciaires. Mais rien n'empêchera le travailleur autonome d'avoir pignon sur rue et rien n'empêchera que les clients de son employeur puissent faire appel à ses services. Rien n'empêchera qu'il puisse leur offrir ses services à de meilleures conditions que son patron. Dans ce genre de situation, il deviendra vite plus avantageux, tant pour le travailleur que pour l'entreprise, de transformer la relation salariale traditionnelle en une relation de consultation, d'impartition ou de sous-traitance qui permettra de rémunérer le travailleur comme un entrepreneur et en fonction des résultats qu'il produit.

Le travailleur qui accepte cette proposition voit son entreprise grandir mais se retrouve à nouveau sans emploi salarié. Peut-il demander à l'État de lui en fournir un autre ? Bien sûr. Le voudra-t-il ? Pour un temps, peut-être, mais tôt ou tard le salaire qu'on le paye ne justifiera pas qu'il y consacre le temps qu'il sera plus profitable pour lui de consacrer à son entreprise. Il cessera d'être un salarié, mais sans jamais perdre le droit de le redevenir si son entreprise tourne mal.

Ayant supprimé le droit du travailleur à garder son emploi et lui assurant en échange le droit imprescriptible à son revenu, lui permettant également de travailler en parallèle comme salarié et travailleur autonome, une Nouvelle Société va effectivement faciliter la disparition progressive du travail salarié. Du travail salarié qui sera partagé en tranches aussi fines que la technique le permet, mais pas des travailleurs salariés, puisque le travail à salaire, remplaçant les paiements de subsistance aujourd'hui jetés en pitance à ceux qui ne travaillent pas, la proportion de ceux qui y goûteront pour un temps va au contraire augmenter.

Au début, tout au moins, il y a plus de travailleurs salariés, dans une Nouvelle Société, car l'emploi est le filet sous le trapèze. Dans une société entrepreneuriale, plus dynamique, tout le monde peut y tomber et l'on y choira plus souvent mais l'on n'y restera pas longtemps. Surtout, on ne s'y sera pas fait mal, car il n'y aura pas d'opprobre à avoir touché un salaire pendant qu'on cherchait une activité plus rentable. C'est vers cette nouvelle structure de travail dont le travailleur autonome est l'élément de base que va évoluer l'industrie.

Parfois, le travailleur agira de façon totalement autonome. Parfois, des groupes de travailleurs se constitueront en équipe au sein d'une entreprise et se verront sous-traiter un objectif de production en considération d'un prix ferme. En ce dernier cas, ils pourront travailler au sein d'une entreprise et avec l'équipement de celle-ci, l'amortissement de l'équipement faisant partie des conditions du contrat, mais ils pourront aussi déplacer leurs pénates.

Le contrat ferme qu'ils auront signé avec leur ex-employeur leur assurera la crédibilité requise pour obtenir le financement nécessaire et assumer la responsabilité d'un l'équipement, de son entretien et de son amélioration progressive. Il deviendra alors logique ­ et avantageux pour tous ­ qu'ils deviennent eux-mêmes une entité corporative, sous-traitante de la corporation initiale, mais ne lui accordant son exclusivité que dans la mesure où cette exclusivité a été consentie, un consentement qui n'est jamais illimité. L'équipe des travailleurs autonomes sera devenue une compagnie et assumera toutes les responsabilités d'une compagnie.

À l'Intérieur de cette compagnie, il pourra se développer des inégalités, certains travailleurs devenant de quasi-patrons et d'autres de quasi employés. La compagnie qui dérivera dans ce sens, toutefois, fera face aux mêmes problèmes motivationnels que la compagnie mère initiale ; il tendra à s'y développer des équipes qui, à leur tour, s'émanciperont pour ramener sans cesse la rémunération du travail en correspondance avec l'utilité du travail produit par chacun. L'équilibre ne s'établit que quand chaque travailleur peut gagner plus en travaillant plus et ne peut espérer gagner plus dans une structure autre que celle à laquelle il participe.

Dans une société où la spécialisation tend à rendre chacun indispensable et où son revenu de base garanti met chaque travailleur en position de force pour exiger son dû, le système tend vers cet équilibre. La structure industrielle globale tend à devenir un agencement de structures participatives, à l'intérieur de chacune desquelles prévalent la compétence pour les décisions et l'équité pour le partage des revenus. Cette structure globale de l'industrie n'exige pas qu'on l'impose, seulement qu'on la laisse naître

Dans cette structure globale, une nouvelle compagnie qui se forme peut avoir pour cliente une corporation géante type General Motors, mais les avantages de gérer en participation et donc de produire au sein d'une entité de taille humaine ­ en fait, « familiale » - sont tels, qu'il faut envisager une structure presque totalement par paliers. L'équipe de travail devenue compagnie n'aura pas normalement pour cliente la corporation géante initiale, mais plutôt une entité bien plus petite, devenue elle-même sous traitante d'une autre et cette dernière sous-traitante d'une autre également et ainsi de suite, jusqu'au palier d'une ex-division (profit center), devenue compagnie, déjà énorme, et dont la corporation géante primitive est devenue la cliente.

Ce processus de constitution en équipes de travail et d'incorporation, visant à la sous-traitance sans s'y limiter, peut être appliqué avec profit à autant de paliers qu'il est possible d'en définir où le résultat est clairement identifiable et où la valeur ajoutée dépend de la motivation, de la qualité et de la quantité du travail effectué. C'est ce processus qui jouera pour maintenir la motivation essentielle à l'efficacité et au profit dans une structure de production industrielle dont l'importance relative dans l'économie sera inévitablement décroissante.

La structure industrielle devient ainsi une collection de mini entreprises dont chacune a son plan, son équipement, sa structure interne, sa notion de partage des profits. Le mot « mini » se réfère ici à la volonté de garder à échelle humaine le nombre des acteurs participants, pas à l'importance du groupe ni à la richesse dont il dispose. Pas plus que la taille d'un Conseil d'Administration, aujourd'hui, n'est révélatrice de l'importance des décisions qu'il prend. Dans une structure industrielle par paliers, des mini-groupes collés aux ateliers peuvent ne gérer que quelques milliers de dollars, alors que d'autres mini-groupes, au faîte de la pyramide, peuvent en gérer des dizaines de milliards.

Ce que décident et font les groupes au faîte de la pyramide a naturellement plus d'impact sur ceux qui sont en bas que ceux-ci n'en ont sur ceux-là. L'impact des petits sur les grands n'est pas nul, cependant, et ceux qui réussiront seront ceux qui seront très attentifs aux attitudes de la base. Ce qui caractérise cette structure modulaire, en effet, c'est que si les objectifs sont fixés à chaque groupe par son ou ses contrats et donc par les groupes « acheteurs », l'exécution est entièrement à la discrétion des participants du groupe « vendeur », où le profit que chacun en retire dépend du volume et de la qualité de son travail. C'est à ce niveau que se scelle l'efficacité du système. La motivation est donc la clef. L'attitude de ceux qui exécutent est primordiale. Le respect qu'on doit leur témoigner est incontournable.

Le travail autonome, qui relie étroitement résultats obtenus et rémunération, est le SEUL efficace quand la nature du travail exige une initiative, une créativité une qualité de la relation interpersonnelle qui ne se développent que si existe une grande motivation. C'est cette façon de travailler qui prévaudra presque partout dans le secteur tertiaire, lequel occupera peu à peu la quasi-totalité de la main-d'uvre. Dans toute la mesure du possible, en y apportant les ajustements que nous venons de décrire, c'est le travail autonome qui sera aussi appliqué dans le secteur secondaire.

 

5.2 Une structure par projets

 

La structure industrielle d'une Nouvelle Société doit refléter l'autonomie du travailleur et son désir d'entreprendre. Elle doit tenir compte des progrès de la technique qui rendent la production de biens industriels triviale, de la saturation des marchés et de la demande croissante pour les services. Tenir compte aussi d'une nouvelle conscience de l'environnement qui suscite le désir de mettre fin au gaspillage des ressources naturelles et d'une désaffection pour le travail inutile à mesure que croît la quête d'une « simplicité » qui est, en fait, une réorientation vers des valeurs qui ne sont pas fondamentalement plus simples, mais simplement plus fondamentales.

C'est dans ce contexte qu'il faut repenser la structure de l'industrie, laquelle demeure la pierre d'assise de l'abondance, mais qui ne sera désormais considérée que comme un acquis et dont l'importance relative est donc en décroissance. Il ne devrait pas rester 5% de la main-d'uvre dans l'industrie dans 20 ans. Même si le capital se bat d'arrache pied pour retarder cette évolution, il n'en restera sans doute pas 10 %.

Tous les grands besoins matériels étant satisfaits et tous les marchés industriels importants étant arrivés à maturité, l'industrie doit se mettre en vitesse de croisière, répondant à une demande déjà optimisée pour les biens de consommation courante et à une demande de biens semi-durables visant au remplacement de ceux déjà en place. Quand l'aberration du « produire pour produire » est stoppée par une production sur commande et une mise au pas de la publicité, le plus grand danger qui demeure, en ce qui touche la production industrielle, c'est la menace des monopoles, des « cartels de fait » dont nous avons déjà parlé. Un monopole n'a pas la motivation pressante d'optimiser son efficacité ni d'innover.

Nous avons tracé, dans la section précédente, le portrait d'une main-d'uvre autonome, mobile, permettant des permutations de ressources humaines et une structure de production plus dynamique. Cette approche, nous l'avons dit, est nécessaire pour la motivation des travailleurs. Elle est aussi celle qui nous apportera protection contre la menace des cartels. La structure actuelle est composée essentiellement de corporations géantes, occupant par grappes, dans chaque secteur, une position de dominance pérenne garantie par leur contrôle des ressources humaines qualifiées qu'exige ce type de production. Cette structure est désuète et va disparaître.

Une structure industrielle « modulaire », composée d'une myriade d'unités de production autonomes et entrepreneuriales, devient plus flexible et crée les conditions pour une nouvelle dynamique de concurrence. Les cloisons étanches entre branches d'activités sont abattues, puisque les ressources humaines qualifiées deviennent autant d'agents libres qu'on peut réagencer comme un jeu de meccano. Rien n'empêche plus un milliardaire du pétrole de financer un Steve Job et de disposer rapidement en cascade de toute une série d'équipes qui lui permettent d'affronter Microsoft sur son terrain. L'argent de Mitsubishi peut concurrencer Hoffman-Laroche. Cargill peut miser sur une voiture à carburant végétal et défier Toshiba ou GM, aujourd'hui au Brésil, demain dans le monde entier.

Dans une structure modulaire, la concurrence n'existe pas seulement entre géants, mais à l'intérieur des frontières corporatives. Ceci n'est pas une surprise pour ceux qui connaissent les luttes intestines féroces qui se développent parfois dans les entreprises actuelles, mais la structure par modules rend cette émulation omniprésente. C'est aussi un facteur de dynamisme, mais aussi d'efficacité, dans la mesure où la duplication des équipements n'est pas toujours indispensable pour permettre l'expérimentation concrète simultanée de deux ou plusieurs façons de les utiliser et est souvent pur gaspillage. Il n'est pas nécessaire, non plus, qu'une expérience de gestion porte sur un échantillon plus grand que ne le suggèrent les exigences techniques pour en tirer une conclusion.

Entre l'analyse théorique dont la fiabilité est toujours sujette à caution et l'application d'un procédé, il manque souvent l'étape pilote qui est sa mise en application restreinte, non pas par des théoriciens, mais par des gens qui y croient et dont la récompense dépend du succès de l'expérience. Tout « acheteur », dans une structure de production composée de modules autonomes, reçoit des « vendeurs » potentiels des propositions, des offres de services qui couvrent une large gamme des possibilités raisonnables de réalisation. Quelle meilleure façon de départager le bon grain de l'ivraie que de confier de petits mandats à plusieurs d'entre eux, de voir les résultats, puis de privilégier la meilleure solution en la retenant pour la réalisation d'un plus gros contrat ou du contrat global ?

Cette façon de faire n'est pas si différente de ce que fait tous les jours Wal-Mart pour le choix de ses fournisseurs. On n'est pas si loin d'une structure de production modulaire. Il suffit d'attacher quelques fils

Un monde plus concurrentiel vient ajouter un autre appui à la démarche pour remettre la demande en contrôle de l'offre. Une structure entrepreneuriale à tous les niveaux et disposant, comme nous le verrons plus loin, d'un accès facile à des capitaux pratiquement illimités, crée une concurrence si vive que les fabricants DOIVENT adapter leur production à la demande plutôt que de tenter de manipuler celle-ci.

Les grandes corporations qui contrôlent aujourd'hui leurs segments respectifs du marché vont devoir se prémunir des incursions de nouveaux rivaux, raids que vont rendre faciles non seulement la mobilité accrue des compétences mais aussi un capital de risque devenu bien plus abondant avec le remboursement de la dette publique (706). Empêchés par une concurrence accrue de prolonger ad nauseam la production des mêmes choses pour rentabiliser encore davantage leur équipement - au moment même où la technique exigerait qu'ils en changent de plus en plus fréquemment - les producteurs vont prendre la décision réaliste de réduire dramatiquement les temps d'amortissement. Surtout, ils répondront à une exigence des investisseurs en montrant clairement l'impact de cette décision dans leurs plans d'affaire.

La concurrence ne pouvant que se faire sur les parts respectives de marchés matures et la publicité « galéjade » (117) n'existant plus, c'est l'efficience de la production qui sera le meilleur atout et le plus important critère de profitabilité. Quand le changement des équipements peut s'imposer si vite qu'il devient le principal risque que soit réduite à néant l'espérance de gain, le résultat inévitable est que l'on produise désormais par projets. Comme les fournisseurs de matériel militaire, comme les bâtisseurs de barrage. Parce que les meilleures choses comme les pires ont une fin et que, dans l'industrie, la croissance exponentielle des techniques rend toujours prochaine la satisfaction de tout besoin et la fin de tout équipement.

Une structure de production devenues modulaire fait vite le saut pour substituer peu à peu à ses composantes statiques que sont les grandes corporations, des regroupements ad hoc, plus dynamiques et plus efficaces ayant pour but défini la réalisation de projets et de « mégaprojets » (ceux-ci mettant en jeu plus d'un milliard d'euros et devant faire l'objet d'un suivi attentif de l'État). Le système de production devient une mosaïque de « projets», dont chacun exprime d'abord une décision d'investissement en capital fixe qui s'est donné un horizon de rentabilité.

Un projet est constitué pour une durée précise et il se définit par un but et des objectifs intermédiaires, quantitatifs et qualitatifs. L'horizon est fixé en tenant compte de la durée réaliste d'amortissement du capital fixe qu'on y investit ; les équipements sont acquis avec ce terme en vue et leur amortissement est établi sur cette période. Établi, donc, avec un il sur le moment de l'apparition probable d'un substitut permettant une production plus rentable ou plus conforme aux désirs de consommateurs, ce qui signifiera alors la mise au rancart de cet équipement devenu suranné, avec une provision le cas échéant pour une valeur résiduelle. C'est en fonction de cet horizon « naturel » que les marges de profits sont estimées, non en supposant que des astuces publicitaires ou réglementaires permettront d'en poursuivre indéfiniment la rentabilisation.

Le système de production cesse d'être une collection de grandes entreprises permanentes pour devenir un réseau dynamique de projets de durées variables mais déterminées, réalisés par des structures temporaires agencées par des entrepreneurs avec l'appui de financiers et auxquelles sont jointes les ressources nécessaires. En devenant modulaire, la structure industrielle permet que non seulement l'équipement mais tous les facteurs de la production soient optimisés. Les ressources humaines sont mises sous contrat pour la durée du projet, ou mieux, pour la durée du segment du projet où leur participation est utile. La production par projet est motivante, favorise la concurrence et est souverainement efficace.

Comment viendra cette conversion de la structure industrielle en un vaste réseau de projets? Elle est déjà bien en marche. Une grande société d'ingénierie qui le souhaiterait pourrait y arriver en quelques jours. Son organigramme actuel tient déjà compte de l'affectation de la plupart de ses ressources humaines à des projets distincts et des conditions de partage de la compétence de celles qui sont communes à plusieurs. Il suffit d'un travail juridique et comptable relativement simple pour que naisse, en place de la compagnie actuelle, toute une constellation d'entreprises inter reliées, mais dont les participants de chacune ont l'essentiel de la responsabilité des engagements qui découlent de LEUR entreprise et en retire chacun une rémunération conforme à la nature, au volume et à la qualité de son apport.

Le même scénario est plus complexe, mais tout aussi réalisable, pour quelque grande entreprise que ce soit, d'autant mieux déjà amorcé, d'ailleurs, qu'il s'agit de compagnies à multiples vocations. Mitsubishi, par exemple, peut se transformer en une constellation ­ une galaxie ! ­ de « projets », presque sans aucun délai. Le bon sens a fait que, dans certaines transnationales, sans lui donner son nom, on mette déjà en place une structure qui soit l'embryon de celle ici proposée.

Par-delà la transformation des entités existantes, il faut penser à l'émergence de nouveaux « projets ». Qui est l'initiateur d'un projet ? Qui en est l'entrepreneur.qui en assume les risques et en retirera les profits ? Quiconque le souhaite peut le faire s'il en a les moyens, ce qui en pratique veut dire quiconque sait établir un plan de production, assembler les ressources pour son exécution et a la crédibilité requise pour que le financement lui en soit assuré.

Parfois, c'est un concepteur professionnel, avatar du MBA actuel, qui prendra l'initiative de monter un projet et qui, seul ou avec une équipe, en dressera le plan détaillé, en obtiendra le financement de la Banque d'État ou d'un groupe financier (voir section suivante), puis mettra sous contrat les ressources humaines essentielles à sa réalisation.

Parfois, au contraire, c'est un groupe financier qui, ayant choisi un secteur où il veut s'investir donnera à un concepteur professionnel le mandat de mettre en place le projet et sa structure, incluant ou non la mise sous contrat des ressources et/ou l'acquisition des équipements, ainsi que l'identification d'un président et d'un conseil d'administration. Le rôle du concepteur est alors terminé. Le projet suit ensuite son cours, comme suivrait aujourd'hui le sien une corporation, à cette distinction près qu'il a un objectif précis - souvent un seul - un plan d'action, un budget fixe qui ne varie plus et une échéance. Dans une structure industrielle par projets, on voit tout l'intérêt de la production sur commande dont nous avons discuté au chapitre précédent.

L'industrie faisant face à des marchés matures, une importante dimension de son activité consistera en une recherche constante de l'innovation. Innovation sur le plan des procédés de fabrication, puisque la rentabilité passe par l'efficience. Innovation sur le plan des produits, aussi, car les changements techniques font que les produits évolueront vite, leur évolution, toutefois, devant signifier dorénavant une amélioration réelle et non plus seulement cosmétique, du service qu'on en tire

La recherche est primordiale dans une Nouvelle Société. De gigantesques moyens de recherche pure et appliquée doivent faire avancer la science et préparer l'avenir à moyen et à long terme ; la question de la recherche et des droits d'exclusivité sera abordée au texte 713. C'est au sein même de la structure de production, cependant, qu'on doit chercher des procédés de fabrication concrets plus efficaces et qu'on a la compétence et la motivation pour en trouver

Sur ce plan, une structure de production modulaire est plus efficace que la structure actuelle. Chaque module de la structure globale, - mini entreprise ou projet ­ est tout entier tourné vers un aspect bien pointu de la réalité industrielle : il est parfaitement ciblé et c'est sa force. Ce sont ceux qui sont collés à la réalité de la production quotidienne qui voient l'ineptie cachée dans le mécanisme de production mis en place par les experts venus d'ailleurs. Ce sont eux, aussi, consommateurs autant que producteurs, qui voient l'irritant qui doit être corrigé et le besoin du client qui apparaît peut-être insignifiant, mais qui a l'avantage de ne PAS être satisfait. Et qui représente donc un marché nouveau.

Ces marchés nouveaux dont l'industrie a bien besoin, non pas tant pour augmenter ses bénéfices que pour garder son dynamisme. En parallèle aux projets et mégaprojets, il faut penser aussi à de petits projets dont certains deviendront grands. Tout en maintenant son mariage avec la production tranquille de ce dont nous avons besoin, l'industrie, dans une Nouvelle Société, trouve son plaisir et crée des fortunes en identifiant de nouveaux marchés.

Des marchés qui sont bien marginaux, si on les compare au patrimoine de base du consommateur moyen, mais qui créent tout de même quelques fortunes. Même aujourd'hui, que représente la valeur d'un cellulaire dans le bilan d'un consommateur moyen ? Mais il s'en vend tout de même beaucoup pour un temps. À côté des marchés industriels traditionnels saturés, vont continuer apparaître des occasions d'affaires passagères mais passionnantes.

Compte tenu de la rareté relative des nouveaux produits qui peuvent passionner les consommateurs, apporter l'innovation qui y parvient est maintenant la découverte d'un Klondike. Un Klondike qui ne peut durer que ce que durent les Klondike, puisque, considérant la capacité de production énorme dont dispose maintenant l'industrie et l'intensité de son désir à vouloir satisfaire un nouveau caprice, elle peut désormais le faire à une vitesse inouïe. Il a fallu un siècle pour que plafonne la demande pour l'automobile, 20 ans pour les ordinateurs, même pas 10 ans pour les cellulaires. Une nouvelle structure industrielle doit constamment innover.

Dans une structure de production industrielle modulaire, la rentabilité des mini entreprises dépend de leur productivité et donc, pour une bonne part, de leur initiative. Elles ont aussi un besoin constant de financement et donc une ligne ouverte avec le système financier. Les mini entreprises, à tous les niveaux, sont donc un terrain fertile pour l'innovation et deviennent une pépinière d'entrepreneurs, de découvreurs et d'aventuriers. Ce sont eux qui explorent de nouveaux territoires et, quand la demande réagit à une innovation et en fait un Klondike, ce ne sont pas les gros pontes qui vont s'en emparer mais les aventuriers

Jadis, pour satisfaire la demande de véhicules automobiles ou d'avions par exemple, tout le système de production pouvait tourner lentement sur lui-même comme une majestueuse armada. Vu la marginalité des nouveaux besoins et les moyens dont on dispose pour y répondre, cette approche n'est plus nécessaire et serait la cause d'un énorme gaspillage. Il ne s'agit plus, pour répondre à la demande à une vitesse compatible avec l'amortissement des équipements, que de dépêcher une canonnière et quelques vedettes. Monter quelques projets Le système de production industrielle va donc apprendre à réagir avec célérité, mais efficience, en fonctionnant par projets dont la majorité seront conçus au palier de mini entreprises

Comment les mini entreprises auront-elles la crédibilité financière pour le faire ? Dans la structure actuelle, il y a des contes de fées, Land, Job, Gates, mais la norme est encore que ce soit le capital qui rafle l'idée et le profit qui en découle. Dans une Nouvelle Société, le capital est toujours indispensable, mais c'est la compétence qui est le meneur de jeu. Quelle que soit sa position dans la maquette de la production, qu'elle joue avec des milliers ou des milliards de dollars ou d'euros, la « mini entreprise » qui trouvera un filon aura une chance raisonnable de pouvoir l'exploiter. À une nouvelle structure de production va correspondre une nouvelle structure de financement. Plus accessible, plus accueillante.

 

5.3 Le financement de l'entrepreneuriat

 

Une structure de production par projets met en évidence les fonctions du concepteur - qui fait le plan et l'assemblage des modules de ressources - et celui de l'entrepreneur qui prend le risque et les décisions, mais celle du banquier demeure naturellement tout aussi indispensable. Le banquier, dans le sens ici de quiconque assure la disponibilité du capital, travaille dans le contexte financier d'une Nouvelle Société, tel que nous l'avons décrit au texte 706.

On sait que, dans une Nouvelle Société, la dette publique est remboursée et les institutions financières réduites à prêter ce qu'elles possèdent. Le taux de base qui établit le plancher absolu des taux d'intérêts n'existe plus. Simultanément, une inflation fiscale programmée et parfaitement jugulée fait le point tous les mois d'une diminution en continu de la valeur de la monnaie.

Si on prend l'exemple d'un taux de base de 4% qui disparaît et d'une inflation programmée de 6%, on a pour résultat une translation de la moyenne des taux d'intérêts annuels payés sur le capital, en monnaie constante (indexée), d'environ 10%. Ce qui signifie que le taux réel de 6 à 8% que paye aujourd'hui un emprunteur solvable baissera en moyenne à un taux nominal de 3% à 5% et donc, tenant compte de l'inflation programmée de 6%, à un taux réel NEGATIF de ­1 à -3%.

Est-ce acceptable ? Il faudrait se demander s'il y a une façon moins pénible de retourner vers les citoyens ordinaires le surplus de richesse qui ne sert plus à satisfaire aucun désir, mais simplement de faire valoir au pouvoir. Il faudrait se demander si on peut faire mieux, mais surtout se demander ce qui arrivera si on ne fait rien. Je suis persuadé que dans les années qui ont suivi 1789 et 1917, bien des gens se sont demandés souvent pourquoi diable on n'avait pas laissé sortir un peu la vapeur

La question, toutefois, n'est pas de discuter ici les mérites de cette approche ­ on le fait au texte 706 ­ mais d'en voir les effets sur le financement d'une nouvelle structure de production. Il faut toujours un capital pour démarrer une entreprise et produire. En termes réels, c'est le coût des matières premières, des outils et équipements, du travail qui est exécuté et doit être payé bien avant que l'uvre ne rende les services qu'on en attend. Comment finance-t-on les activités d'une structure de production par projets ?

L'énorme masse des capitaux disponibles résultant du remboursement de la dette incitera les institutions financières privées à offrir des taux bien avantageux. A quel taux la Banque d'État consentira-t-elle ses prêts ? Elle s'adaptera à la demande, exigeant plus que le taux du marché, cherchant à ne se positionner que comme le prêteur de dernier recours pour faciliter aux financiers du secteur privé le placement de leurs capitaux, mais sans laisser se creuser un hiatus, toutefois, entre ses taux et ceux du marché.

L'hypothèse de taux nominaux allant de 3 à 5% alors que l'inflation programmée est à 6% n'est pas irréaliste. Ce n'est qu'une hypothèse de travail, cependant. Si des circonstances ou une manipulation poussaient le marché des capitaux à la hausse, ce serait une question d'opportunité et une décision politique pour l'État de maintenir alors ses taux inchangés alors que ceux des financiers privés augmenteraient et de devenir ainsi le prêteur de premier recours. C'est ce que l'État ferait pour empêcher que les taux réels ne redeviennent supérieurs à 0% et que ne recommence donc la création de richesse virtuelle qui nous a menés au bord de l'abîme.

La responsabilité d'apporter le capital pour lancer un projet peut être assumée par l'une ou l'autre des parties au projet ou par toutes, conjointement ou solidairement. Quand sont appliquées les règles d'une Nouvelle Société, le crédit personnel devient une source de financement bien plus crédible, mais, dès qu'un projet a une certaine envergure, on lui donne néanmoins, comme aujourd'hui, une vie juridique qui lui permet de devenir aussi un emprunteur à part entière. Il est alors généralement fait appel à une source distincte de financement et, dans une Nouvelle Société tout comme maintenant, il existe deux sources distinctes de financement : l'État et le secteur privé.

 

5.3.1 L'emprunt personnel

 

Quand chacun y met du sien, on peut déjà faire beaucoup. Le citoyen majeur et en possession de ses facultés d'une Nouvelle Société est toujours un travailleur et un contribuable. Il a toujours une « Carte de travail » qui indique la qualification professionnelle la plus élevée qui lui a été certifiée et détermine donc le salaire le plus bas qu'il peut toucher pour sa participation à la production dans le système des emplois. Il a toujours aussi un bilan qui fait foi de la valeur de son patrimoine, bilan d'autant plus précis qu'il doit être mis à jour mensuellement pour le paiement de l'impôt sur le capital qui est devenu l'outil fiscal par excellence.

Tout citoyen a donc des biens et un revenu. Le citoyen de la société actuelle a aussi des biens et un revenu, mais ses biens ne sont pas identifiés et son revenu est précaire. Le citoyen/travailleur d'une Nouvelle Société a des avoirs qui peuvent être modestes, mais que l'on connaît avec précision. Il est possible que, réussissant comme travailleur autonome ou entrepreneur, il ne touche pas présentement le salaire minimum auquel il a droit, mais ce salaire peut être à lui n'importe quand, s'il choisit de s'inscrire au Bureau du Travail et de s'acquitter de l'emploi qui lui sera alors confié. Il est quelqu'un à qui l'on peut faire crédit.

La Banque d'État lui prête sans discussion sur la garanti de son revenu garanti, s'il en fait la demande, un capital dont les mensualités de remboursement, sur une période limitée à son espérance de vie actuarielle, ou à 10 ans au maximum, ne dépassent pas l'excédant de son revenu mensuel garanti sur le minimum jugé vital établi par la loi. Cela, que l'emprunteur soit ou non à se prévaloir. au moment où il demande ce prêt, de son droit à obtenir un emploi salarié et le revenu que justifie sa certification professionnelle.

La Banque de l'État lui prête aussi sans discussion sur son patrimoine un montant - remboursable à terme n'excédant pas 10 ans - équivalant à 80% de la valeur déclarée de quelques-uns ou de tous les éléments qui apparaissent depuis au moins 3 ans au bilan mensuel qu'il présente au fisc pour fin du paiement de l'impôt sur le capital. L'État s'assure simplement qu'il n'y a pas une disproportion manifeste entre la valeur marchande et la valeur déclarée des biens ainsi mis en garantie, ce qui créerait une présomption d'incompétence sinon d'intention frauduleuse.

L'emprunteur sur bilan doit simplement accepter de surseoir à l'aliénation de ces biens mis en garantie, aussi longtemps que le prêt n'est pas remboursé, puisque ces biens sont alors considérés comme sous saisie par l'État et qu'il n'en est plus que le gardien. Si un bien mis ainsi en garantie est sujet à amortissement et que la valeur en diminue donc progressivement, un bien supplémentaire doit être mis en garantie ou une partie équivalente de la dette remboursée. Sont exclus seulement de ce type de mise en garantie les biens dont la valeur fiscale a été fixée de gré à gré avec le fisc, à un niveau supérieur à leur valeur marchande, pour éviter qu'ils ne puissent être acquis par acceptation d'une Offre de Vente Irrévocable (706).

L'État prêteur sur gage ? Ceci n'est surprenant que pour ceux qui oublient le rôle des monts-de-piété, - bien présents dans tout l'Occident depuis le Moyen âge - et dont cette mesure ne fait que permettre à l'État d'assumer pleinement la fonction

Tout citoyen d'une Nouvelle Société a donc, auprès de la Banque d'État, l'équivalent d'une marge de crédit permanente dépendant de son revenu et de son patrimoine, consentie sans discussion en fonction de sa capacité à rembourser. Cette marge n'est pas négligeable. Si le salaire minimum garanti d'un travailleur est le double du minimum vital établi par la loi et que ses biens valent trois fois son revenu annuel, sa capacité d'emprunt équivaut à 7,4 fois son revenu annuel.

À titre d'exemple, avec un minimum vital fixé à 15 000 euros par années, le travailleur de soixante ans et ayant donc une espérance de vie de plus de 10 ans, gagnant 30 000 euros par année et propriétaire de biens meubles ou immeubles dont la valeur nette est de 90 000 euros, peut obtenir une crédit de 222 000 euros. 72 000 euros sur son patrimoine, 150 000 euros sur son revenu garanti pendant 10 ans. Ce n'est pas rien. Des citoyens qui veulent mettre en commun leurs ressources et marges de crédit peuvent dégager ainsi un capital significatif, bien suffisant pour lancer une petite entreprise. Surtout si, comme ce sera souvent le cas, les entrepreneurs s'auto exploitent en retirant au départ de leur affaire un revenu inférieur à la valeur du travail qu'ils y mettent.

Beaucoup de travailleurs salariés, voulant devenir autonomes ou entrepreneurs, pourront le faire tout simplement en empruntant sur leur crédit personnel. Ils devront seulement tenir compte de l'ensemble de leurs engagements, puisque aucun crédit personnel ne peut être consenti si les mensualités de remboursement en sont telles que le débiteur, en s'y conformant, ne disposerait plus du revenu mensuel minimum vital établi par la loi. Cette restriction est contraignante, puisque non seulement la Banque d'État en ce cas ne lui en prêtera pas, mais aucun prêteur privé ne le fera sous peine pour ce dernier que la transaction ne soit déclarée non valide et que le montant prêté ne puisse plus jamais être réclamé.

N'est-il pas hasardeux de donner ainsi à chaque citoyen l'accès inconditionnel à tout son crédit ? Une Nouvelle Société accorde la liberté à ses citoyens majeurs et en pleine possession de leurs droits. Si quelqu'un ne peut pas gérer son revenu et devient insolvable, il sera mis sous curatelle (702b) ; en attendant, il est présumé apte à le faire, avec, comme nous le verrons au texte 713, l'assistance gratuite d'un professionnel pour le conseiller dans sa gestion financière.

La mise en circulation de las richesse au palier des individus est l'une des deux mesures fondatrices d'une Nouvelle Société; l'autre est la liberté d'entreprendre que leur apportent le travail autonome et le revenu garanti.

 

5.3.2 Le prêt au projet

 

Si on parle d'une entreprise ou d'un projet considérable, les individus pourront y apporter leur caution, mais c'est l'entreprise ou le projet même qui sera l'emprunteur. Le prêt sur projet sera consenti a une compagnie crée pour cette fin et dont la limite de l'engagement financier sera clairement identifiée, comme elle le sera toujours dans une Nouvelle Société. (702 b),

 

5.3.2.1 Le capital public

Sur examen et approbation d'un projet jugé viable, l'État pourra en assurer le financement, en contrôlant cependant chaque semaine les déboursés et engagements, afin que le capital versé soit bien affecté tel que prévu selon le plan soumis. La politique normale de la Banque d'État sera d'exiger la caution personnelle du prêt par le ou les entrepreneurs, à la hauteur du montant dont les conditions de remboursement n'auraient pour conséquence, pour aucun d'entre, de ramener son revenu mensuel disponible sous le minimum vital.

Le respect de cette règle suggérera parfois que des ententes entre entrepreneurs fassent porter à certains une plus large part de la responsabilité ; rien ne s'y opposera, à condition que cette disparité soit clairement énoncée par écrit et librement acceptée par tous. Comme toujours dans une Nouvelle Société (702 b), le montant de cette responsabilité financière des entrepreneurs sera clairement indiqué et aucune faillite ne leur permettra de s'en libérer

Le projet aura ainsi l'aval de ceux qui le proposent, une exigence qui est en accord avec la stratégie de l'État de se positionner comme prêteur de dernier recours. La Banque d'État, toutefois, si elle considère un projet comme d'intérêt public, pourra agir de façon discrétionnaire pour le financer à d'autres conditions. À toute condition acceptable à l'entrepreneur. Elle pourra, entre autres, limiter la garantie personnelle des entrepreneurs au montant qu'elle jugera suffisant pour faire la preuve de l'intérêt et du dévouement que doit susciter en eux le projet.

C'est une discrétion que la Banque d'État exercera cependant avec prudence, car il faut encourager une relation entre l'initiative personnelle et le capital ; c'est la meilleure garantie d'une transition sans violence vers une société où la compétence assume le pouvoir. Toutes ces opérations de financement de la Banque d'État seront donc publiques ­ accessibles sur Internet ! - et parfaitement transparentes ; si le résultat final d'un projet financé à des conditions exceptionnelles est un échec, il est clair qu'il y aura un prix politique à payer par le gouvernement qui aura autorisé cette transaction. Comme toute décision hasardeuse d'un fonctionnaire sera scrutée très attentivement, dans une société où toute corruption sera considérée et punie comme un crime grave.

 

5.3.2.2 Le capital privé

Sans parler des prédateurs ou des riches philanthropes qui seront toujours là pour lui servir d'anges gardiens ou de démons familiers, l'entrepreneur en quête de financement aura deux types d'interlocuteurs au secteur privé: les « banques d'affaire » et les « investisseurs institutionnels».

La distinction entre banques d'affaire et investisseurs institutionnels est largement formelle et ne sert qu'à suivre plus facilement les mouvements du capital, capital dont une Nouvelle Société ne souhaite ni l'extinction ni la confiscation, mais seulement une meilleure utilisation. Les deux types d'entreprises auront souvent les mêmes actionnaires et opéreront parfois côte à côte.

Une banque d'affaire est un prêteur à intérêt, la réincarnation du shylock d'aujourd'hui, lequel une Nouvelle Société n'interdit pas de séjour, mais à qui elle offre cependant un marché où la vie est moins facile. D'abord, parce que le remboursement de la dette publique aura rendu disponible un énorme capital ; la concurrence pour prêter sera énorme et ce sera un « marché d'acheteurs » pour celui qui veut emprunter. Ensuite, parce qu'il il devra compter avec la présence sur le marché des capitaux de la Banque d'État.

Le banquier d'une banque d'affaires privé prêtera à un taux aussi élevé qu'il le peut ­ c'est son commerce et il a la liberté de l'exercer - mais l'État n'est plus, comme maintenant, un prêteur occasionnel pour ceux qui ont des amis ou ceux qui ne satisfont pas vraiment aux exigences du crédit. La Banque d'État, au contraire, est devenu un prêteur concurrent.

La Banque d'État a des critères à suivre. La qualité de son travail n'est pas évaluée par le rendement sur ses investissements, mais par l'utilité publique et le succès des entreprises dont elle facilite la mise en marche. Son but n'est pas d'acculer les banques d'affaires à la ruine, mais de boucler son budget La Banque d'État est un concurrent aimable. Un concurrent toutefois qui, comme un kangourou, peut boxer avec retenue et élégance mais peut aussi vous étriper d'un coup de patte si vous trichez.

Que fait une banque d'affaire dans ce contexte ? Elle devient vraiment une source de capital de risque et accepte des projets plus aléatoires. Elle doit exiger de sa clientèle cible un taux d'intérêt moins élevé que la Banque d'État, tout en demeurant un placement intéressant pour ses propres actionnaires, leur offrant un rendement supérieur à celui des obligations indexées de l'État (Texte 706) qui constituent l'alternative simple pour quiconque veut simplement placer son capital plutôt que de travailler activement à le faire fructifier.

La banque d'affaire n'a comme clientèle que ceux qui préfèrent ne pas céder une participation dans leur projet, car il y a une autre source de financement : l'investisseur institutionnel. L'investisseur institutionnel peut n'être qu'un seul individu constitué en compagnie. Il peut s'agir, au contraire, d'un groupe complexe représentant des capitaux colossaux. Ce qui le différencie d'une banque d'affaire, c'est qu'il ne prête pas : il investit. Il participe comme il l'entend aux projets qu'il finance, mais il en accepte les risques et en profite ou y perd selon que le projet réussit ou non.

Un investisseur institutionnel n'est donc pas un créancier du projet ou de l'entreprise. Il doit être considéré comme le partenaire du ou des entrepreneurs. Il peut même en être ou en devenir le seul entrepreneur, le concepteur acceptant alors de n'être que son employé ou son conseiller, aux conditions que lui et l'investisseur institutionnel auront négociées.

Banques d'affaires et investisseurs institutionnels travailleront généralement en symbiose. Analysant les projets qu'on lui soumet, la banque d'affaires se sert de l'information qu'on lui a légitimement transmise. Elle évalue son risque et établit son taux, en s'ajustant à la concurrence. Elle cherche du même coup, toutefois, l'occasion exceptionnelle que les concurrents n'ont pas vue. Si elle voit une bonne affaire, plutôt que de consentir un prêt, elle réfèrera l'entrepreneur à un investisseur institutionnel avec qui elle entretient des relations privilégiées.

Pendant que la banque d'affaire gère une inévitable décroissance en bon ordre du capital, l'investisseur institutionnel est là pour accroître la richesse. Ce qui est légitime, car le but d'une Nouvelle Société n'est pas d'étouffer la richesse mais de l'amener à produire pour le bien commun en même temps que pour le bien de celui qui la possède.

C'est dans le cadre de ces institutions financières qui justifieront leurs profits par la justesse de leurs décisions et la profitabilité de leurs investissements que devra s'activer le capital qui, aujourd'hui, se contente de toucher une rente sans apporter rien de concret à l'activité économique. L'expertise des investisseurs institutionnels, leurs contacts, leur expérience et leur clairvoyance seront leurs contributions valables à la production du secteur industriel.

 

CONCLUSION

 

Si on regarde les décisions à prendre et les gestes à poser pour transformer notre structure de production dans le sens que nous venons de décrire, on s'aperçoit que, mises à part des mesures qui ne sont pas vraiment contestées, comme un meilleur contrôle de la publicité et l'imposition de garanties légales sur la qualité des biens, il ne s'agit que de mettre en marche un seul organisme.

Il suffit de créer un Office National des Acquisitions d'Équipement (ONAE) qui diffusera l'information permettant aux fabricants de prévoir la demande et facilitera la relation entre ceux-ci et les consommateurs de sorte qu'on ne produise plus que ce que nous voulons vraiment. Pour le reste, les changements arriveront d'eux-mêmes, en suivant simplement la ligne de moindre résistance ; une structure de production industrielle modulaire par projets naîtra d'elle=même qui sera adéquate, efficace, économe de ressources, innovatrice et répondra à nos désirs.

Faire si peu et obtenir tant? Oui. Mais il faut être bien conscient que la mise en place de l'ONEA vient simplement poser la clef de voûte qui complète le gros oeuvre de la cathédrale NS. Elle est le lien qui permet qu'on puisse tirer le plein profit de deux (2) mesures préalables indispensables qui ne sont, elles, ni simples ni faciles à mettre en place.

Pour avoir le système de production d'une Nouvelle Société, il faut poser les assises d'une Nouvelle Société.

- Il faut instaurer le partage du travail, garantir un revenu selon la compétence et permettre le travail autonome en parallèle au travail salarié. (701).

- Il faut établir un impôt sur le capital, rembourser la dette publique et ne plus s'endetter, gérer l'inflation et éliminertoutes les autres mesures fiscales (706).

Pour avoir le courage d'entreprendre la construction de ces deux murs de la nef, il faut avoir en tête l'image du bâtiment achevé. Il faut voir la structure de production industrielle que nous venons de décrire et qui en est la voûte. Pour justifier la tâche de réorganiser la main d'uvre et les finances de la société, il faut penser à la récompense. La récompense, c'est la prise de possession de l'abondance par le moyen d'un système de production nous donne CE QUE NOUS VOULONS.

Pour que la construction soit possible, il faut cette vision et il faut aussi que les maçons puissent travailler en paix. Il n'y a pas ici de bataille à gagner. L'évolution des technologies rend inéluctable une société où le travail est création, initiative et interaction et où le système doit donc privilégier l'autonomie et la motivation. Cette partie est déjà jouée. Ce qui reste à définir, c'est un processus de transition qui soit assez souple pour ne pas mener à la violence. Il faut pouvoir travailler en paix.

Il en coûterait trop cher de le faire autrement. Notre système de production, complexe et dynamique, est inévitablement fragile et en équilibre précaire. On ne peut changer de barreur et de cap sans faire chavirer la barque - et s'éviter des décennies de désordre ! - que s'il existe un large consensus pour faire ces changements et qu'en soit partie prenante une majorité effective de ceux qui ont le pouvoir économique et politique. (401).

Cette acquiescence au changement de ceux qui ont aujourd'hui le pouvoir n'est pas une utopie, mais il faut bien comprendre l'obstacle qu'elle doit franchir et la condition sine qua non pour qu'elle soit accordée.

L'obstacle, c'est la méfiance bien compréhensible d'une classe dont le pouvoir repose sur le contrôle du capital envers une évolution qui met l'accent sur la production de services et fragilise le lien entre une richesse investie dans l'équipement industriel et le pouvoir politique. Il faut rassurer ceux qui ont aujourd'hui le pouvoir. Il est donc crucial de souligner deux (2) évidences.

D'abord, l'indispensabilité de la structure industrielle. On produira moins, dans une Nouvelle Société, mais ce qui sera produit demeurera essentiel. Ce n'est pas de la taille de la clef que dépend la sécurité d'une serrure. Même s'il est clair que l'agriculture n'occupe plus le centre de l'échiquier, le pouvoir de ceux qui contrôlent la production et la distribution des produits alimentaires dans le monde n'est pas devenu négligeable. L'inquiétude qui pousse présentement les investisseurs à fuir le secteur industriel et à courir comme des lemmings vers la richesse virtuelle et l'imaginaire de la spéculation n'est pas seulement littéralement « contreproductive », elle est aussi injustifiée.

Ensuite, l'indispensabilité du capital lui-même dans toute production. Dans le secteur industriel, le transfert énorme des ressources humaines vers la production de services exigera que l'efficacité en soit spectaculairement accrue. La population d'une Nouvelle Société, comme de toute autre société avant elle, ne sera satisfaite qu'à la mesure de l'aisance dont elle jouira et c'est l'output du secteur industriel qui apporte le signe le plus tangible de l'abondance. Il faudra y investir et chaque investissement sera une occasion de rentabiliser le capital.

Dans le secteur des services, le capital devient peu à peu incontournable. Le capital s'est taillé une place au sein des services. Il suffit de voir un grand centre hospitalier moderne pour comprendre comment la symbiose s'est faite ; l'investissement en équipement par travailleur de la santé n'est pas aussi considérable que l'investissement par travailleur dans l'industrie automobile, mais celui par médecin l'est devenu. La stratégie de démocratiser les services ­ ici la médecine ­ en transformant le travailleur moyen en fournisseur de services professionnels été abandonné, au moins pour l'instant, au profit d'une autre qui a permis l'accession au cercle des « gagnants » d'un nombre croissant mais limité de professionnels dont l'enrichissement repose sur la rémunération bien inférieure de la masse des travailleurs de la santé.

On a reproduit en santé le modèle des branches d'activité industrielle et le rendement du capital y est tout aussi élevé que dans l'industrie. Même le professionnel haut-de-gamme tend à devenir un salarié et, dès qu'il réussit, un « gagnant » comme ceux qui l'ont précédé préférant, même s'il est outrageusement bien payé, miser sur le rendement de son capital acquis plutôt que sur la rémunération de son travail. La lutte titanesque entre « industrie » et « services », qui s'étire depuis 50 ans, se régle a l'amiable par l'accession d'une petite partie des professionnlel à la caste des seigneurs shylocks. Mais les services nécessaires ne sont toujours pas fournis et la lutte continue

Voyez les équipements en médecin, et aussi dans le secteur des loisirs qui est le plus dynamique de tous ; le pouvoir de la richesse ne sera plus absolu, dans une société basée sur la compétence, mais il ne disparaîtra pas.(*D -10)

Il ne suffit pas de rassurer, toutefois, pour que ceux qui ont le pouvoir s'empressent de transformer le système de production et de l'adapter à nos nouveaux besoins. Même le constat, pourtant bien évident, que le système est en perdition ne sera pas suffisant pour susciter l'action. Une condition sine qua non, pour que le changement soit accepté par tous, c'est que ce changement non seulement satisfasse enfin les besoins de ceux qui n'ont pas assez, mais apporte aussi PLUS à la grande majorité de ceux qui sont déjà les gagnants. Il faut que riches comme pauvres trouvent leur profit au changement. C'est à ce prix seulement que leur indispensable collaboration sera acquise.

Qu'est-ce qu'on peut offrir à celui qui a tout pour qu'il choisisse la voie d'une évolution dans la sérénité ? D'abord, il faut privilégier le consensus, plutôt que la revanche et renoncer à confisquer le trop-plein de la richesse, la laissant se résorber sans éclat, comme indiqué au Texte 706. Ensuite. Il faut mettre accent sur la production des services, des équipements collectifs et des infrastructures qui sont aujourd'hui laissés pour compte. C'est une erreur de croire que les gagnants sont à l'abri des embouteillages, de la pollution, de l'incompétence des experts et de l'incurie administrative... Même celui qui a tout pour s'éviter les problèmes a encore celui de devoir les éviter et préfèrerait que les choses soient belles et qu'elles fonctionnent. Si on ne lui enlève rien, bien sûr...

Mettre l'accent aussi sur la production de biens haut-de-gamme. La valeur objective des choses ne se mesure qu'en travail. Le prix qu'on assigne aux produits de grand luxe est intimement lié à l'inefficacité de leur mode de fabrication - qui est souvent voulu artisanal - et nulle pénurie de travailleurs ne viendra imposer à une Nouvelle Société le choix de produire pour l'essentiel ou pour le luxe. La production et la consommation de produits haut-de-gamme ne priveront personne Le système de production produira sans peine les produits de première nécessité ; il ne doit pas rougir de produire aussi des biens d'un luxe outrancier.

Il faut encourager cette production d'objets de luxe qui motivent et accélèrent du même coup la redistribution de la richesse. Chaque fois qu'on facilita l'acquisition de bijoux « sans prix », on échange en fait des cailloux pour du papier, rien de plus. On permet, aussi, qu'une partie de cette anti-matière financière qu'est la richesse virtuelle reprenne contact avec notre réalité en apportant une gratification plutôt qu'une cataclysmique explosion. Ces petites gratifications valent mieux que des manipulations supplémentaires de cette richesse virtuelle dont on risque, chaque fois qu'on y touche, de laisser paraître qu'elle n'est qu'une construction mentale, au grand dommage de ceux qui la possèdent et des autres.

Les gagnants ont aussi à gagner à l'avènement d'une Nouvelle Société. Les « quasi-gagnants », aussi, ceux qui n'ayant pas tout, sont aujourd'hui satisfaits, mais peuvent tout à coup vouloir plus et faire basculer la majorité effective qui décide en dernier ressort de la direction que prend une société (401). Pour les uns comme pour les autres, toutefois, il y a en faveur du changement et de l'avènement d'une Nouvelle Société, l'argument de l'impact sur la qualité de vie de tous d'un climat social paisible.

À un premier niveau, et en pays développés, la paix entre les catégories sociales traditionnelles est à s'établir par défaut. Le déclin de l'industrie marque la fin d'une situation où des solidarités se créaient parce que ce sont les groupes qui étaient indispensables et, du même coup, fait des syndicats, par exemple, un phénomène du passé. Désormais, chacun a le pouvoir qui correspond à son propre talent à se rendre indispensable et c'est chacun pour soi. On peut affirmer que la guerre des classes n'aura pas lieu. On peut le regretter, mais le regretter n'y changera rien.

Il faut se garder de pavoiser, toutefois, car à un autre niveau, c'est un autre clivage qui menace. Clivage entre ceux qui favorisent la contnuité et ceux qui n'on même plus un espoir de changement ni même le désir d'une action concertée. Ceux qui n'ont aucun pouvoir... sauf un pouvoir individuel de destruction qui est croissant dans une société de haute technologie...et est devenu terrifiant. Une force totalement négative. Comme celle des terroristes dont le contrôle échappe même à ceux qui veulent en utiliser l'action à leurs propres fins. Comme celle de ces adolescents du Honduras qui errent sans buts, sans revendications et qui ne tuent que pour tuer.

Le terrorisme n'est pas une toquade ; c'est la réaction finale à une situation devenue intolérable. Une Nouvelle Société offre une réponse à ce problème en mettant fin à la misère et à l'exclusion, en offrant la solution de la solidarité et d'un encadrement (709). Créons la paix. Si les gagnants n'acquiescent pas au changement parce qu'ils en ont compris les avantages, souhaitons qu'ils comprennent au moins les cons�quences n�fastes d'en retarder l'av�nement. Ce ne serait pas la première fois qu'on b�tirait une cathédrale pour éviter une jacquerie... et les cathédrales n'en sont pas moins belles

 

Pierre JC Allard


Accueil

Index Section 7

Index général

 


 




Hosted by www.Geocities.ws

1