VOUS AVEZ DIT... LE SYSTÈME ?
0. PRÉAMBULE
Il y a quelques semaines, on m'a posé une question : "D'où
viendra l'initiative de transformer notre société moribonde
en une Nouvelle Société? De l'État...? Des entreprises,
qui en mènent désormais si large...? Des individus....?"
J'ai apporté une réponse qui me semblait évidente,
pour m'apercevoir après coup que j'avais commis l'erreur que moi-même
- et bien d'autres avant moi ! - avons dénoncée: utiliser,
comme s'il avait un sens précis, un mot-clé pour lequel, hélas,
chacun a sa définition propre.
Cette fois, le mot-piège était "système".
Le mot "système" est utilisé dans plusieurs disciplines,
et revêt des sens si différents que son emploi peut créer
la confusion plutôt qu'éclairer le débat. Or, nous sommes
désormais si nombreux à dénoncer le "système"
qu'il devient vital de diffuser son signalement. Sinon, à défaut
de reconnaître le loup de profil comme de face, on risque de plus
en plus de se tirer dessus entre chasseurs.
La définition que j'en donne ici ne fera sans doute pas l'unanimité.
D'abord, parce que le loup se déguise en Mère-Grand, en Chaperon
Rouge et même en descente de lit quand ça l'arrange, de sorte
que nombreux sont ceux qui, de bonne foi, ne le reconnaissent pas toujours.
Ensuite, parce que chacun aime bien avoir sa propre définition du
Système, peu importe la confusion, ayant ainsi l'impression d'avoir
un ennemi bien à soi et d'être le protagoniste dans la lutte
entre le Bien et le Mal.
Je ne prétends donc pas imposer ici mes vues sur le sujet; je tiens
seulement à préciser ce que je veux dire, moi, quand je parle
du "Système", afin d'assurer la cohérence interne
de mes propositions. Libre à chacun d'en faire autant.
1. SYSTÈMES ET SOCIÉTÉS
Avant de parler de notre "Système", définissons
d'abord les systèmes en général. Un système,
dans le sens où nous l'entendons ici, est un ensemble d'éléments
en interaction ; un système est entièrement défini
par ses éléments et les interactions qui constituent son fonctionnement.
Il existe une infinité de systèmes: naturels, artificiels,
fermés, ouverts... Votre corps est une système. VOUS êtes
un système. Une société est un système. Les
puristes diront qu'il faudrait plutôt parler ici de "machine",
mais c'est "système" qui est d'acception courante.
Une société est un système dont les individus sont
les éléments et dont les interactions sont des activités
de production et d'échange, "échange" incluant ici
toute forme de transmission de biens, de services ou d'information, avec
ou sans contrepartie, consentie ou imposée.
Pourquoi vivre en société? Vivre en société
est un plus, parce que les "sociétaires" ont des capacités
complémentaires et peuvent produire ensemble plus que la somme de
ce qu'ils pourraient produire chacun pour soi. Une société
permet la division du travail, de sorte que l'un est médecin, l'autre
menuisier, l'autre agriculteur et que nous pouvons tous manger, nous loger
et vivre en meilleure santé en société que Robinson
sur son île.
2. SOCIÉTÉS NATURELLES
Si l'on créait une société idéale, les participants
en seraient tous indispensables et, conséquemment, tous ÉGAUX
et également respectés. Chacun exécuterait avec enthousiasme
la tâche qui lui est dévolue et l'appartenance au groupe serait
joyeusement consentie. C'est la situation qu'on imagine dans un monastère
bénédictin. Hélas, les États que l'histoire
a connus jusqu'à ce jour n'ont pas été des sociétés
idéales.
Les sociétés que nous connaissons, y compris celle dans laquelle
nous vivons, sont des structures qui ont pris forme spontanément,
longtemps avant qu'un intello de service ne décide de les appeler
"sociétés" et n'en analyse le fonctionnement. Ces
sociétés n'ont donc pas été créées
pour une finalité, mais se sont développées selon les
circonstances. Ce sont des sociétés qu'on pourrait dire "naturelles".
Les principes de fonctionnement des sociétés "naturelles"
n'ont pas été créés non plus; ils ont simplement
été découverts, de même qu'on n'a pas créé
mais qu'on a découvert les principes de la nature: loi de la gravité,
loi de la conservation de l'énergie, etc. Il y a longtemps qu'on
a découvert les règles qui régissent le fonctionnement
des sociétés naturelles: ce sont celles qui découlent
de la nature humaine.
3. PRINCIPES FONDAMENTAUX
Il y a deux principes fondamentaux qui déterminent l'avènement,
le fonctionnement et l'évolution de société naturelles:
A) l'ÉGOÏSME EST PARTOUT
Chaque "sociétaire" tente de retirer tout ce qu'il peut
de la société en y contribuant le moins possible. Altruisme,
dévouement et abnégation peuvent exister dans une société
naturelle - surtout quand, comme l'explique Maslow, l'individu, bien repus,
cherche des plaisirs plus subtils ou voit son bénéfice au
ciel ou ailleurs - mais le comportement prévalent d'une société,
celui qui permet de prévoir son fonctionnement, c'est que chacun
tire à soi la couverture. Ceci demeure vrai même si certains
mettent à le faire plus d'élégance et de bienveillance
que d'autres.
B). LA FORCE TRIOMPHE TOUJOURS
Au départ, il y a la simple force physique - à laquelle s'ajoute
vite celle des armes; ensuite, il y a l'intelligence, à laquelle
vient s'ajouter l'information (connaissance, éducation); enfin, il
y a la richesse, laquelle permet de manier la promesse en plus de la menace.
Les circonstances, bien sûr, modifient les rapports de force et il
faut en tenir compte... mais, dans une situation donnée, le plus
fort gagne toujours.
4. LES PASSAGES OBLIGÉS
Au cours de son évolution, toute société naturelle
va obéir à ces deux principes fondamentaux, ce qui aura pour
conséquence d'amener quatre (4) développements parfaitement
prévisibles: la création d'alliances, l'émergence d'un
marché, la mise en place d'un cadre légal et une consolidation
des alliances qui provoquera un phénomène d'exclusion.
Ces quatre (4) développements vont se manifester dans chaque société
selon les circonstances propres à chacune, entraînant la mise
en place de "systèmes" dont les modalités seront
spécifiques, mais ils seront toujours présents. Ils constituent
des passages obligés
4.1 La création d'alliances
La primauté de la force ne disparaît pas quand une société
grandit et devient plus complexe, mais la manière d'utiliser la force
doit changer car même le plus fort se sent faible s'il doit affronter
plusieurs adversaires. Dans une société mature, la véritable
force cesse d'être celle qu'on peut exercer soi-même pour devenir
la somme des forces qu'on peut rallier et contrôler. Ce sont les ALLIANCES
qui deviennent la clef du pouvoir.
Ces alliances se font et se défont à tous les paliers d'une
société. Elles se recoupent et se chevauchent, imbriquées
comme des poupées-gigognes: moi et mon frère contre mon cousin;
moi et mon cousin contre le voisin; nous et nos voisins contre l'étranger....
Toutes les combinaisons de "nous" contre "eux" apparaissent,
l'objectif demeurant pourtant toujours d'unir des forces diverses en une
force commune, laquelle sera supérieure à celle des opposants
et permettra aux "alliés" d'imposer leur volonté.
Ce jeu des alliances constitue la dimension politique de l'activité
humaine. Une dimension toujours présente à tous les paliers,
mais dont la manifestation la plus ambitieuse est la construction, au sommet
de la pyramide, d'une "alliance dominante". L'alliance dominante,
c'est l'union de ceux qui, ensemble, possèdent la force d'imposer
leur volonté à la société. Il y a toujours une
alliance dominante dans toute société, mais elle n'est pas
toujours constituée de ceux qu'on croit. Identifier les éléments
de l'alliance dominante et les rapports de force au sein de celle-ci est
le plus grand défi de quiconque veut que la société
change.
4.2 L'émergence du marché
Une société existe pour produire en mettant à profit
la complémentarité des sociétaires et pour répartir
entre ceux-ci la masse de ce qui est produit: c'est la dimension économique
de la société. Dans une société naturelle, cette
répartition est faite en fonction de la force dont chacun dispose
et elle tend à être aussi inégale que faire se peut
sans compromettre la survie de ceux qui n'ont d'autre pouvoir que leur utilité.
Dans une société primitive, les forts prennent sans discuter.
Quand ce sont des alliances qui détiennent le pouvoir, on ne peut
plus piller à sa guise: il faut y mettre des formes. On ne prend
plus, on marchande. "Utilité" et "rareté"
prennent alors une importance accrue et on dit que la "loi du marché"
s'impose.
Ce qui est vrai... avec certaines réserves. Il est vrai que les biens
et services prennent sur le "marché" une valeur variable
- et que chaque sociétaire retire un pouvoir précaire de cette
valeur du service qu'il offre - mais il est faux de prétendre que
l'inégalité s'arrête là et que seules les lois
du marché déterminent les "conditions d'échange".
Le pouvoir circonstanciel que confèrent les "lois du marché"
à quiconque offre un service sur le marché ne fait que s'ajouter
au pouvoir, significativement plus stable, que chacun tire de son appartenance
au réseau des alliances qui quadrille la société.
Utilité et rareté sont mises en évidence, pour maintenir
une apparence d'équité aléatoire sur le marché,
au palier des chances sinon des résultats, mais l'avantage concurrentiel
n'est qu'une des composantes du rapport de force qui prévaut au moment
de chaque transaction et qui fera que l'une des parties gagnera à
l'échange... et l'autre pas.
Chaque sociétaire qui se présente sur le marché cherche
à biaiser en sa faveur les "conditions d''échange"
(Terms of Trade) en utilisant tout le pouvoir dont il dispose, y compris,
au premier chef, celui qui découle de son appartenance à des
alliances qui ont la force pour eux .
4.3 L'instauration du cadre légal
Jouer de sa force au cas par cas, toutefois, ne permet pas l'exercice serein
du pouvoir. Le pouvoir circonstanciel cherche donc à devenir permanent
et la société évolue vite vers la mise en place d'un
cadre "stable" et "légal" de marchandage qui
donnera une légitimité à l'inégalité.
L'inégalité se prétend légitime quand des normes
existent qui la font respecter. L'alliance dominante - le regroupement de
ceux qui, ensemble, ont la force d'imposer leur volonté à
la société - définira donc des lois, des règlements,
une moralité, des normes de conduite... C'est la dimension normative
de l'activité humaine.
Parmi ces normes on trouvera en bonne place - peut-on s'en étonner
? - les lois qui établiront des conditions d'échange systématiquement
favorables aux membres de l'alliance dominante. Pour retirer plus de la
société et y contribuer moins, ce qui est l'enjeu que l'égoîsme
impose aux sociétaires, l'étape ultime de ceux qui ont le
pouvoir est de mettre en place des règles qui biaiseront toute transaction
en leur propre faveur. Cette mise en place d'un cadre normatif (moral, constitutionnel,
juridique, réglementaire) à la convenance de ses membres est
l'expression la plus significative du pouvoir qu'exerce l'alliance dominante
Quand les lois ont été édictées qui assurent
la suprématie de l'alliance dominante et régissent les rapports
entre les membres de celle-ci en tenant compte de leur force respective,
chacun peut tirer légalement la couverture à soi et optimiser
l'inégalité en fonction de sa propre force sans remettre en
question l'ordre établi, c'est-à-dire sans compromettre la
stabilité de la société ni de l'alliance dominante:
la rapine est institutionnalisée.
Dans une société naturelle, les lois, loin de garantir la
justice, visent à garantir la pérennité de l'équilibre
des forces tel qu'il existait au moment où les lois ont été
édictées. Corollairement, tout ce qui pourrait modifier substantiellement
cet équilibre des forces deviendra illégal, puis, peu à
peu, immoral... C'est ce qu'on appelle maintenir l'ordre.
4.4 L'exclusion
Quand un cadre légal est établi, les lois vont favoriser le
maintien du statu quo mais l'égoïsme des sociétaires
va veiller à ce que l'évolution continue. Toute alliance tend
à optimiser les avantages pour ses membres: elle le fait en limitant
le nombre de ceux-ci au nombre minimum compatible avec l'atteinte de ses
objectifs. Dès que certains sociétaires ne sont plus indispensables
pour assurer la supériorité effective de l'alliance sur ses
opposants, ces sociétaires superflus sont évincés aussitôt
que possible.
Ce processus d'exclusion, d'ailleurs, se poursuit aussi dans une autre dimension.
Si le nombre des participants requis pour atteindre l'objectif est si élevé
que certains ne soient pas indispensables à la gestion interne de
l'alliance, il se constitue aussitôt, au sein de celle-ci, un "parti"
restreint, plus exclusif et plus discret, ne regroupant que ceux qui se
savent nécessaires au contrôle de l'alliance elle-même...
et qui retireront de plus grands avantages encore de leur appartenance à
ce parti au sein de l'alliance.
La même tendance à l'exclusion se manifeste à l'intérieur
de ce parti, si le nombre des participants le justifie, pour que s'y constitue
un "groupe" encore plus subtil, plus secret et plus puissant.
Au sein de ce groupe, des factions chercheront à se démarquer,
à obtenir pour eux seuls plus de pouvoir... et ainsi de suite, palier
par palier, jusqu'à un "saint des saints" dont les membres
ne sont généralement ni nommés ni élus, mais
qui se reconnaissent implicitement comme ceux dont le pouvoir est suffisant
pour que rien ne puisse être fait contre le gré d'un seul sans
que tous en pâtissent. Le processus d'exclusion s'arrête lorsque
ce point est atteint où tous les participants à ce "club"
sélect sont - et se savent - indispensables.
4.5 La mort des systèmes
À la lumière de ce qui précède, on voit que
ce qu'on appelle le "système" n'est rien d'autre que l'ensemble
des normes et mécanismes mise en place pour maintenir la suprématie
de l'alliance dominante, son contrôle de la société
et le partage entre ses propres membres des profits et avantages que peut
procurer la société.
Le système, toutefois, n'est pas au service d'une alliance dominante
en particulier ni des groupes et individus qui la composent. La stabilité
d'un système n'exige pas que tous ceux qui participent à l'alliance
dominante y demeurent, ni que tous ceux qui n'y sont pas admis au départ
en soient à jamais exclus... il suffit que le rapport des forces
demeure favorable à un groupe quelconque qui puisse tirer son profit
des normes et mécanismes qui constituent le système.
Au sein de l'alliance dominante, de plus forts remplacent donc sans cesse
ceux dont le pouvoir s'étiole: les individus changent, l'alliance
se transforme mais le système perdure. L'alliance dominante - et
les alliances à un niveau inférieur dont la coalition de fait
constitue l'alliance dominante - peuvent donc, sans raffiner leur contrôle
des conditions d'échange, optimiser le profit et les privilèges
de leurs membres en réduisant leurs effectifs et se complaire dans
un élitisme croissant tout en utilisant le système.
Les systèmes risquent de s'effondrer quand l'alliance dominante commet
l'erreur d'exclure un élément indispensable et que cette erreur
n'est pas promptement corrigée. Cette erreur ne mène pas simplement,
comme on pourrait le croire, au remplacement d'une alliance par une autre
selon des règles du jeu qui seraient loyalement respectées.
Si quiconque est indispensable est exclus, il réagit en s'attaquant
aux règles elles-mêmes qui permettraient son exclusion et,
étant indispensable, il en obtient le changement.
Ce changement crée un déséquilibre qui peut mener à
d'autres exclusions injustifiées, à d'autres modifications
des règles, mettant en péril un système d'autant plus
fragile qu'il aura atteint un plus grand raffinement et fonctionnera donc
avec un minimum de ressources au profit d'alliances réduites à
leurs éléments indispensables.
Si le déséquilibre est trop grand, les forces du changement
triompheront de l'inertie et le système sera mis à jour, intégrant
de nouvelles technologies qu'on avait voulu occulter et permettant l'émergence
de nouveaux acteurs dans des alliances nouvelles.
5. LE SYSTÈME NÉO-LIBÉRAL
Les principes que nous venons de décrire s'appliquent à toutes
les sociétés naturelles, qu'on parle d'une tribu primitive
ou de notre propre société néo-libérale. Chacune
a "son" système, portant sa spécificité propre,
laquelle dépend de l'histoire, de la géographie, du hasard...
et surtout des technologies disponibles.
Notre société néo-libérale a "naturellement"
développé son propre système. Le fil et la trame des
étapes qui nous ont conduits là où nous sommes est
passionnante; elle va de Bonaparte renvoyant l'ascenseur et créant
la Banque de France à l'AMI, passant par Bretton-Woods, le Plan Marshall
et la fin de l'étalon-or. Nous conterons cette histoire une autre
fois. Ici, on se contentera d'identifier les rôles au sein de l'alliance
dominante actuelle, de même que les nouveaux procédés
qui permettent à l'égoïsme et à la force de garder
le même pouvoir qu'au temps de Nabuchodonosor... et même d'en
avoir beaucoup plus.
5.1 La richesse virtuelle
Il y a déjà des siècles que la promesse a surpassé
la menace comme premier instrument de contrôle et que la corruption
s'est avérée plus efficace que la violence. La richesse se
confond donc pratiquement avec le pouvoir. Mais, aussi longtemps que la
richesse a un support matériel, la richesse est en péril.
On peut engranger les récoltes, on peut thésauriser l'or,
cacher des billets de banques, mais ces biens demeurent appropriables par
la violence, vulnérables à des "accidents", guerres,
catastrophes, etc. La grande innovation du système néo-libéral
actuel, c'est l'identification du pouvoir à un symbole totalement
intangible et donc PARFAITEMENT contrôlable: l'argent électronique.
L'argent électronique est invulnérable.
Il est invulnérable, parce qu'il ne repose sur rien d'autre qu'un
consensus. Une note électronique à coté de votre nom
codé peut vous faire le maître du monde. C'est une décision
libre, réversible, sans contrainte et arbitraire du Pouvoir, le Pouvoir
étant l'élément décisionnel de l'alliance dominante,
l'équipe qui assure le fonctionnement et la permanence du système
. Le Pouvoir peut effacer cette note électronique et rien de tangible
ne se passe; il peut la ré-écrire, l'effacer à nouveau...
la magie n'est pas là. Mais que le Pouvoir fasse connaître
OFFICIELLEMENT que la note n'est plus là et vous n'êtes plus
rien.
Le pouvoir crée l'argent qu'il veut et le donne à qui il veut;
c'est une création totale, discrétionnaire. L'argent, qui
est devenu le symbole ultime du pouvoir, est désormais sous le contrôle
absolu du Pouvoir lui-même. C'est la situation de César faisant
apparaître des légions armées en nombre infini d'un
simple effort de volonté. Aucun État n'a jamais été
aussi proche d'un pouvoir divin.
5.2 L'enrichissement sans cause
On est riche ou pauvre, désormais, par simple décision du
Pouvoir, décision prise et exécutée selon des règles
que le Pouvoir détermine. La règle première et suffisante,
celle qui assure à l'alliance dominante le contrôle imparable
des conditions d'échange, c'est que quiconque a de l'argent en reçoit
plus. C'est ce qu'on appelle toucher un intérêt.
Le montant de cette prime à la richesse est fixée par le système
financier international, appliqué par les banques nationales, et
l'est de façon à maintenir la stabilité du Système
et le pouvoir de l'alliance dominante. (Lisez: enrichir les plus riches,
préserver l'aisance de ceux qui ont quelque richesse et exploiter
les autres).
Le mécanisme précis de création d'argent passe par
le privilège des banques de prêter ce qu'elle n'ont pas; ce
privilège leur est garanti par l'État, lequel "émet
des obligations" qui sont autant de promesses de donner plus à
ceux qui ont déjà beaucoup, tout en contrôlant l'inflation
qui devrait en résulter en réduisant la consommation de ceux
qui manquent du nécessaire. Le paiement d'un intérêt
par l'État détermine le taux d'intérêt à
tous les paliers de la structure et équivaut au détournement
continuel de la plus value du travail de la société vers les
membres de l'alliance dominante.
Il n'y a aucune logique au paiement d'un intérêt par l'État,
si ce n'est le maintien du pouvoir en place. Les rationalisations qu'on
en donne s'appuient sur des pétitions de principe et des sophismes
Seul un lavage de cerveau incessant empêche la population de se rendre
compte que là est la source de toute iniquité. Seule une population
totalement endoctrinée peut croire aux balivernes qu'on lui raconte
pour justifier ce transfert éhonté de richesse des pauvres
vers les riches. On a mis la population sous hypnose et on la manipule.
4.3 Le centre du Système
L'alliance dominante qui contrôle notre société consiste
d'abord en ceux qui créent à volonté, distribuent à
leur guise et possèdent à leur discrétion la richesse
virtuelle, elle-même symbolique de TOUTE richesse. Au centre du Système,
il y a donc les organismes qui permettent ces opérations: le Fond
monétaire international (FMI), les banques centrales - comme la Banque
du Canada, les Caisses de dépôts - comme celle du Québec,
les banques commerciales, les sociétés d'assurance et de fiducie
... et les Ministères des finances des États, ceux qui assurent
l'interface avec le pseudo pouvoir démocratique et lui transmettent
les directives du vrai Pouvoir.
Ce centre du Système est géré par des administrateurs,
mal connus du public. pour le compte d'une élite mondiale de possédants
anonymes. Parmi ceux-ci - ou peut-être seulement au service de ceux-ci
- quelques figures emblématiques jouent le rôle de paratonnerres
contre la vindicte populaire. Aujourd'hui c'est Bill Gates, mais avant ce
fut Howard Hugues, les Rothschild... ou - sans les consulter, quand la foudre
est sur le point frapper - des boucs émissaires: "les cheiks
arables"... " les Juifs"...
Le pouvoir quasi-parfait de l'alliance dominante repose sur une richesse
électronique qui est créée et distribuée par
un réseau d'institutions et de mécanismes financiers dont
l'informatique est l'outil. Ceux qui gèrent ce réseau sont
au véritable centre du Pouvoir. Le Système, toutefois, est
tout aussi dépendant d'un CONSENSUS quant à la valeur de l'argent
virtuel et quant à la légitimité du paiement d'intérêts.
L'autre grande innovation du système néo-libéral, aussi
indispensable que l'argent électronique, a été l'essor
fabuleux des moyens de contrôle de l'opinion publique.
4.4 Les ouvriers du consensus
Il y a 50 ans, on stigmatisait le "viol des foules". Aujourd'hui,
les foules n'on plus à être violées: elles sont en état
d'hypnose et séduites à merci. Discrètement, la psychosociologie
est devenue une science exacte; on sait, désormais ce qui doit être
dit pour obtenir l'adhésion ou susciter la répulsion. Le "politically
correct" n'est que la queue de la comète "propagande",
comme la publicité commerciale n'en est que l'aspect anodin. La véritable
manipulation est politique.
La manipulation politique commence par un système d'éducation
qui ne véhicule que les valeurs dites "néo-libérales".
Le citoyen, émasculé dès l'école de tout esprit
critique, est ensuite suivi par un réseau de médias et d'agents
culturels qui lui redisent ce qui est bien et ce qui est mal et, surtout,
qui lui impose, avec toutes les ressources subliminales dont dispose la
technique moderne, la conviction que l'argent EST la richesse et vaut bien
ce qu'on nous dit qu'il vaut.
"Voici un dollar, il vaut un rouble", disaient les Soviets,et
les Russes mangeaient mal - mais tous les jours - des choux et des betteraves
qui valaient quelques cents. "Voici un dollar, il vaut 5 000 roubles"
- disent les nouveaux proconsuls en Russie de l'alliance dominante... et
les Russes ne mangent plus tous les jours, leur espérance de vie
a diminué de 6 ans, le banditisme gère le pays. Pourtant,
les champs n'ont pas bougé, les usines sont toujours là, même
si désormais en voie de perdition; on a seulement changé la
notation électronique de 200 000 000 d'individus. Un nouveau consensus
s'est établi quant à la valeur de l'argent, consensus qui
sert mieux les intérêts de l'alliance dominante.
Tout à la dévotion de l'alliance dominante, on trouve les
ouvriers du consensus: les éducateurs, les communicateurs, les experts
en relations publiques, les leaders religieux et les moralistes, les artistes
"corrects" qui suivent les directives et maintiennent l'état
d'hypnose collective de la population dont Orwell nous avait prévenu
et qui est nécessaire au consensus. Certains sont conscients et responsables
de façonner l'image de la réalité qui convient à
l'alliance dominante, mais la majorité de ceux qui collaborent à
cette oeuvre en sont inconscients. Il réagissent comme on sait qu'ils
réagiront aux impulsions qu'on leur transmet: on montre du sang,
ils pleurent; on montre du fric, ils se courbent .
4.5 Les mercenaires
Plus conscients et donc mieux rémunérés, on trouve
au sein du pouvoir et à son service les mercenaires qui assurent
le fonctionnement et la protection du système. Ils se divisent en
trois classes d'importance inégale. D'abord, les juristes, lesquels
ont pour double mission: a) assurer la légitimité du Système,
en créant et en justifiant les normes ingénieuses qui permettent
à chaque individu et à toutes les alliances de tirer de la
société tout ce que leur pouvoir respectif les autorise à
en tirer, et b) arbitrer les différends entre les membres des alliances,
au divers paliers, quand le rapport des forces n'est pas évident
et qu'un recours à la violence serait à craindre au détriment
de la stabilité du Système.
Ensuite, les économistes, ceux qui manipulent les conditions de l'échange
sous toute ses formes. Ce sont les comptables, les fiscalistes, les courtiers,
ceux qui font fonctionner les bourses - où se négocient les
enjeux virtuels, donc importants - et les marchés de produits tangibles,
dont les transactions servent de faire valoir aux opérations boursières.
Enfin, les militaires, les policiers et tous ceux qui portent un fusil.
Dans les marches du royaume, au tiers-monde et dans l'Est, cette classe
de collaborateurs du Système joue un rôle primordial; au siège
social de l'alliance dominante - dans notre civilisation occidentale - son
triple rôle, moins visible, est néanmoins important.
Ce triple rôle consiste: a) faire rentrer dans le rang - ou à
faire disparaître - ceux sur qui l'hypnose collective ne prend pas
ou qui ne jouent pas le jeu avec civilité..., b) à rappeler
par sa seule présence qu'il y eut un temps où la force s'exerçait
moins subtilement et donc qu'il vaut mieux se soumettre..., et c) à
mener la "guerre" contre la drogue.
Cette guerre contre la drogue a pour premier but évident de percevoir
de deux classes faibles - les narcomanes et les victimes des vols servant
à payer la drogue - une masse monétaire non négligeable
qui finit, comme tout autre argent, dans les goussets de l'alliance dominante,
mais elle a aussi un autre objectif plus insidieux.
Cet autre objectif est de canaliser la violence et l'initiative de ceux
dans notre société qui, animés d'un esprit libertaire,
auraient pu devenir en d'autres temps les leaders d'une révolution.
La rentabilité du trafic de la drogue et l'accès au pouvoir
qu'il permet attirent ces individus "exceptionnels", éduqués
dès l'enfance à préférer leur succès
personnel à celui d'une cause collective. Trafiquants plutôt
que rebelles, ils cessent d'être un danger réel pour la stabilité
du Système.
Si on voulait montrer le Système sous la forme d'un calvaire baroque,
on verrait un Capitaliste sans visage, exalté sur un trône
entre son Comptable et son Avocat, confiant son Banquier à la garde
du Politicien, pendant que quelques soldats et policiers rigolent et que
des trafiquants jouent aux dés à l'arrière-plan. Des
magiciens et des jongleurs s'agitent, cachant la scène aux multitudes
qui travaillent, souffrent, meurent de faim sans rien voir...
5. CHANGER LE SYSTÈME
Les exclusions malhabiles se multiplient: le système est à
s'autodétruire. On pourrait l'aider - et nous en reparlerons - mais
le défi est autre. Il est illusoire de penser que notre Système
particulier est l'ultime responsable de nos maux et que tout ira bien quand
on en créera un autre. L'égoïsme, l'inégalité,
la primauté de la force sur la justice, l'iniquité des lois,
l'élimination des faibles par les forts... ces vices sont inhérents
à la notion même de société "naturelle"
et resteront présents, d'un système à un autre, aussi
longtemps qu'une Nouvelle Société n'aura pas été
créée. Il faut créer une société "contre
nature".
Dans une société qui se développe comme un système
"naturel", l'égoïsme et la force sont les règles
du jeu. Alain Minc - l'homme qui aura le Nobel, pour avoir dit cette évidence
que le "capitalisme est l'état naturel de la société"
- a bien raison: la concurrence est "naturelle"; le triomphe du
fort sur le faible est "naturel". Là où il faut
divorcer des Mincs de ce monde, toutefois, c'est quand ceux-ci tirent argument
de ce caractère "naturel" du capitalisme pour prétendre
que ce système est souhaitable. La réalité est à
l'opposé de cette conclusion.
La réalité, c'est que notre Mère la Nature est une
garce; l'humanisme est justement un effort pour échapper à
l'état naturel des choses. La civilisation, c'est ce qui résulte
de nos tentatives pour établir des singularités locales comme
la justice, la solidarité et la compassion MALGRÉ l'état
naturel du cosmos. Si l'Homme ne peut pas faire mieux que la nature, nous
ne sommes qu'une autre espèce de chimpanzés, moins agiles,
plus bavards, aussi bêtes et méchants.
Est-ce qu'on peut concevoir un autre type de société que le
modèle "chimpanzé"? Bien sûr. Dès qu'une
société est perçue comme un système, il ne manque
pas de gens pour l'améliorer et lui fixer un but. L'ennui de cette
démarche, c'est qu'elle mène souvent à percevoir alors
les éléments constituants du système comme des outils
dont l'interaction doit être optimisée par le système,
lequel est tout entier orienté vers l'atteinte de sa finalité.
Or, les "éléments constituants", du système
"société", c'est vous et c'est moi ... et nous ne
voulons pas être des outils. Il n'est donc pas facile de remplacer
une société "naturelle" par une société
orientée vers un but, même si ce but est le plus grand bien
de tous.
Jusqu'à ce jour, les efforts pour constituer des sociétés
autres que naturelles n'ont pas été couronnés de succès.
Est-ce dire que la démarche est impossible, qu'il faille renoncer
à mettre en place une structure sociale plus juste? Pas plus que
l'humanité n'a renoncé à atteindre ses autres objectifs.
Au contraire, les progrès de la technologie ont tous leurs adrets,
même si le Système actuel s'est complu à en développer
les cotés sombres. L'informatique PEUT mener à une meilleure
allocation des ressources. L'argent virtuel PEUT permettre une meilleure
répartition de la richesse. La psychosociologie PEUT mener à
la création de structures sociales plus efficaces et mieux acceptées...
Nous en reparlerons.
Pierre JC Allard