LA CRISE
UNE SOCIÉTÉ MORIBONDE
Nous vivons la crise la plus profonde de l'histoire de l'humanité.
Pas la plus cruelle, bien sûr, mais la plus perverse, puisqu'elle
résulte directement de notre succès à nous libérer
de la malédiction faite à Adam de gagner son pain "à
la sueur de son front". Depuis qu'on écrit l'Histoire, on sait
que le premier objectif de l'humanité a été de produire
pour ses besoins en y consacrant un minimum de travail, le travail étant
défini comme cet effort désagréable qu'on doit consentir
pour obtenir un résultat.
L'humanité à commencé à se libérer significativement
de la Malédiction du travail au moment de la révolution industrielle,
il y a environ deux cents ans. Depuis une quarantaine d'année, nous
sommes en mesure de produire pour satisfaire aux besoins essentiels de toute
la planète; il ne reste à régler que des problèmes
de distribution. Distribution des biens et services, distribution de la
richesse, distribution du pouvoir.
Distribution... et ce problème fondamental de maintenir la production,
la motivation et l'ordre dans une société d'abondance. Car,
même si la malédiction du travail s'est estompée, il
faut encore que les individus fournissent un peu de cet effort désagréable
qu'est le travail. Or, il n'y a, depuis que le monde est monde, que deux
façons d'astreindre les gens au travail: les menaces, menant à
des punitions et les promesses menant à des récompenses. La
deuxième approche a prouvé qu'elle était infiniment
plus efficace, et la victoire récente du néo-libéralisme
sur le communisme n'est que le triomphe ultime de l'approche «récompense»
sur l'approche «punition».
Pourquoi l'approche «récompense» est-elle plus efficace?
Parce que, lorsqu'on menace, c'est la crainte qui est la variable et celle-ci
exige une intervention extérieure active: il faut surveiller, contrôler,
punir. Au contraire, lorsqu'on promet, c'est l'intensité du besoin
- au coeur même de l'individu- qui est la variable et c'est l'individu
lui même qui se surveille, se contrôle et, aussitôt qu'il
en a l'occasion, se récompense. Dans un système de «récompense»,
il n'y a qu'à contrôler l'accès aux récompenses
et à s'assurer que le besoin n'est pas totalement satisfait.
Le «besoin non totalement satisfait», c'est ce qu'on appelle
la pauvreté. Objectivement, la pauvreté est relative et on
peut en mettre le seuil là où l'on veut; ce seuil n'est pas
le même au Canada et au Mali. Subjectivement, la pauvreté c'est
l'insatisfaction qui découle de ne pas avoir «assez».
Cette pauvreté subjective est l'élément motivateur
qui, dans une société basée sur la récompense
plutôt que sur la punition, assure que le «pauvre» travaille,
que le système produit et que la société survit et
fonctionne.
Moralement parlant, il n'est pas évident qu'il soit plus acceptable
de maintenir la population dans une pauvreté relative pour l'inciter
au travail que de lui offrir tout ce qu'on peut au risque d'avoir à
la fouetter pour qu'elle produise. Pratiquement, toutefois, c'est l'approche
«récompense» qui optimise la production et la richesse
générale: il ne serait pas souhaitable d'y renoncer.
Mais que viennent faire l'approche «récompense» et le
néo-libéralisme triomphant dans la crise actuelle? Tout, puisque
c'est au niveau de cette approche qu'il y a des ajustements à faire
et que c'est parce que l'on ne fait pas ces ajutements que notre société
va droit vers sa perte. L'approche néo-libérale vise ingénieusement
à offrir à l'individu le choix entre le travail et la pauvreté.
Pendant des décennies, le travail à faire se modifiait lentement
et la main-d'oeuvre s'adaptait à ce changement. Avec les progrès
fulgurants de la technologie, il y a désormais BEAUCOUP moins de
travail à faire - (de travail, s'entend, que peuvent faire les travailleurs
actuels, dans la structure actuelle, avec leur compétence actuelle)
- de sorte que bon nombre d'entre eux n'ont plus le choix entre le travail
et la pauvreté. Ils sont CONDAMNÉS à la pauvreté.
Le progrès allant s'accélérant et la quantité
de travail traditionnel requise allant diminuant rapidement, un part croissante
de la population est donc maintenant réduite à une pauvreté
relative qui ne peut plus à l'inciter au travail - puisqu'il n'y
a pas de travail utile et légitime qu'elle puisse faire - mais qui
lui impose l'exclusion et l'incite à la criminalité ou à
la révolte. Une révolte qui vient d'autant plus rapidement
que le néo-libéralisme tend à culpabiliser les laissés-pour-compte
de l'évolution des techniques au lieu de faire une priorité
de leur ré-insertion.
L'erreur du néo-libéralisme (je ne parle pas de ses crimes,
ce qui serait une autre histoire !) c'est de monter en épingle la
supériorité de l'approche «promesses-récompenses»
- une supériorité que personne ne remet plus en question -
et d'en tirer argument pour ne pas faire les corrections bien concrètes
qu'impose l'évolution des technologies. La correction fondamentale
qui s'impose, c'est que la valeur du travail doit être réajustée
pour tenir compte de la productivité accrue.
On refuse de faire cette correction. L'appauvrissement progressif des couches
les plus démunies de la population entraîne donc une décroissance
faute de consommation, pendant que l'accumulation au palier supérieur
d'une richesse qui devient strictement symbolique ne finance plus que la
spéculation. Faute de faire ce réajustement nécessaire
de la valeur du travail le système néo-libéral est
à coudre le linceul d'une société qui agonise.
Le déroulement des événements est déja parfaitement
apparent.
1. Les emplois traditionnels disparaissent progressivement et le chômage
- occulté sous divers noms - va continuellement en augmentant.
Il n'y aura plus jamais de reprise de l'emploi tel que nous le connaissons.
2. Le budget de l'État étant inexorablement grevé,
d'une part des charges croissantes du maintien des exclus par la sécurité
sociale et, d'autre part, du coût des intérêts sur la
dette elle-même, la dette publique va aussi en augmentant. Elle ne
sera jamais remboursée au sens où nous l'entendons.
3. Ceux qui possèdent la richesse, même si le paiement des
intérêts sur la dette publique leur assure artificiellement
un rendement présumé acceptable, trouvent de plus en plus
meilleur profit à utiliser leurs capitaux pour la spéculation,
boursière ou autre, plutôt que pour faciliter des investissements
productifs.
4. Le fardeau de cette dette qui va s'alourdissant est supporté par
un nombre décroissant de travailleurs (inversement proportionnel
à celui des exclus, évidemment), le vieillissement de la population
aggravant le phénomène.
5. Parmi ces travailleurs en nombre décroissant qui constituent la
classe moyenne, ce sont les plus pauvres des contribuables qui écopent
naturellement davantage de l'alourdissement progressif du fardeau fiscal,
puisqu'ils ne disposent pas des abris fiscaux imaginés par les bien-nantis
et introduit au système au profit de ces bien-nantis.
6. En faisant reposer ce fardeau fiscal croissant surtout sur les travailleurs
salariés et les petits commerçants, on contribue encore davantage
à faire basculer les plus faibles de la classe moyenne dans une pauvreté
relative, à réduire leur incitation au travail, à augmenter
les disparités entre pauvres et riches et à promouvoir l'exclusion
sociale.
7. Afin de ralentir la progression de leurs besoins financiers - pour faire
face aux coûts croissants de l'exclusion et de l'intérêt
sur la dette - les gouvernements réduisent brutalement les services
- (justice, éducation, santé, soutien au revenu, etc) - sacrifiant
les acquis du passé, créant la misère, détruisant
surtout l'espoir d'un avenir meilleur.
8. Cette réduction des services entraîne, en plus d'une baisse
de la qualité de la vie, la morosité, le pessimisme, la rupture
de la solidarité sociale, le laxisme professionnel, le refus du risque
menant pour chacun au repli vers soi et, pour la société,
au choix FATAL de la décroissance.
9. Le choix de la décroissance, en plus d'un impact négatif
sur la qualité de la vie des citoyens, accélère l'augmentation
du chômage et la baisse de la consommation, cette baisse réduisant
d'autant la demande pour les capitaux productifs et donc la valeur réelle
de la richesse elle-même.
10. Cette spirale de décroissance et de déflation mine la
confiance en l'État et détruit le prestige de ceux qui gouvernent.
Cette perte de confiance en l'État et cette perte de prestige des
gouvernants tend à réduire l'intérêt des personnalités
de valeur pour le service public; les charges publiques tendent donc à
être occupées de plus en plus par des individus opportunistes,
ambitieux, moins compétents, moins honnêtes.
11. La baisse de la qualité des politiciens se reflète sur
la démocratie elle-même et a pour conséquence la répudiation
cynique de toutes les promesses, la corruption, les scandales en chaîne,
conduisant à un rejet global de la classe politique par les citoyens.
Le processus démocratique devient un exercice de manipulation de
l'information à des fins électorales.
12. La perte de foi en l'intégrité des politiciens et en l'autorité
morale de l'État mène à une détérioration
de l'éthique sur tous les plans. On assiste alors de plus en plus
à la fraude fiscale généralisée, le travail
au noir devient socialement accepté, la désobéissance
civile apparaît tout à coup comme un geste courageux.
13. De ces phénomènes comme des lenteurs de la justice naît
un doute sérieux en la capacité même de l'État
de faire respecter la loi. Ceci conduit d'abord à une recrudescence
de la violence et de la criminalité puis à la recherche de
solutions de rechanges. Port d'armes, gardes privés, villes murées...
14. On assiste ainsi à une mutation des valeurs, celles-ci s'accomodant
de la nouvelle réalité qui n'est plus tout a fait celle d'un
État de droit. Les modèles d'imitation changent. Les héros
de la télévision sont les justiciers privés: les policiers
et militaires qui font triompher la justice MALGRÉ les ordres reçus.
Dans l'imaginaire populaire, c'est le système qui devient l'ennemi
!
15. Quand le système devient l'ennemi, une part croissante de la
population se désinteresse de ses agissements et il n'existe plus
de solidarité active contre les éléments dynamiques
criminels pour qui le désordre est une opportunité. L'anarchie
devient une solution crédible. C'est ainsi que meurent les sociétés.
Notre société agonise.
UN PHÉNOMÈNE GLOBAL
La crise que nous vivons n'est pas un phénomène local, c'est
un problème mondial. A divers degrés, ce que nous vivons où
que ce soit n'est qu'une facette de ce qui se passe partout. Dans plusieurs
pays, dont certains pays ex-socialistes, le scénario que nous venons
de décrire a été entièrement joué. La
fin du monde est déjà arrivée; le pouvoir formel est
précaire, son emprise réelle faible, sa légitimité
nulle. Ce sont les États Mafieux.
En Afrique, en Amérique latine, une partie de l'Asie, c'est une pauvreté
objective abjecte qui aggrave les problèmes du chômage et de
la dette. L'anarchie est si totale qu'un pouvoir, même mafieux, ne
peut s'exercer que sur des territoires trop restreints pour que puisse s'y
maintenir une structure de développement stable: on souffre et on
meurt au jour le jour.
Aux Etats-Unis, la fracture sociale entre les pauvres et les riches, entre
les blancs et les autres, s'élargit et conduit à un inévitable
éclatement dont l'imminence est occultés par un cirque médiatique:
un déluge d'informations incohérentes qui, paradoxalement,
permet que le citoyen moyen n'ait plus qu'une vision de plus en plus floue
de l'ensemble de la situation.
Les pays d'Europe de l'Ouest suivent aussi la même voie. Une voie
balisée par la concentration de la richesse, l'exclusion des travailleurs,
la récupération de la démocratie par la manipulation
des médias, la rupture de la solidarité sociale, le choix
de la décroissance, la diminution progressive des services sociaux,
une perte d'éthique qui favorise la criminalité et qui, jointe
à une perte de confiance dans l'État, mène à
la prolifération de la délinquance. Une délinquance
allant du travail au noir à la fraude fiscale, à la désobéissance
civile et à la recherche de modèles d'imitation anarchiques:
le Héros qui fait cavalier seul et qui donne à chacun son
dû, en triomphant du système et au mépris de la loi.
Le système est devenu l'ennemi. Le problème, c'est que le
système est inextricablement lié à notre société;
la croissance exponentielle du nombre de ceux qui, exclus ou non, rejettent
le système marque l'agonie d'une société en phase terminale.
UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ
Personne ne viendra constater le décès de notre société.
Ce sera une astuce de politiciens de choisir le nom qu'il faudra donner
à sa transformation, comme il appartiendra aux historiens de déterminer,
un jour, le moment précis, symbolique, à partir duquel on
considérera comme close - et remplacée par «autre chose»
- la phase «néo-libérale mondialiste» (1989 -
?), de la période «post-Bretton Woods» (1944- ?), de
l'ère du «Capitalisme industriel» (c.1750 - ?).
On ne dira pas que notre société est morte. Pas plus qu'on
n'a marqué d'une journée de deuil la fin de l'Empire Romain
ou du Moyen-Âge. On dira pudiquement, au contraire, qu'elle a été
sauvée in extremis par «les mesures d'urgences adoptées
par des gouvernants éclairés et énergiques».
On dira ce qu'on voudra, mais la vérité, c'est que nous vivrons
alors, très bientôt, dans une société dont les
règles du jeu fondamentales auront changé au point de la rendre
méconnaissable. C'est cette société transformée
que nous appelons ci-après une «Nouvelle Société».
Ce site a pour but de décrire simplement les objectifs a fixer et
les moyens à prendre pour faciliter l'avénement de «gouvernants
éclairés et énergiques» et mettre en place les
règles du jeu d'une nouvelle société.
Nous avons TOUS intérêts à ce que la transformation
s'effectue le plus tôt possible. Car, aussi longtemps que dure l'agonie
d'un système moribond, c'est naturellement le sort des défavorisés
qui devient d'abord de plus en plus cruel mais la contagion du malheur ne
s'arrête pas là. Quand le sort des perdants devient insoutenable
- comme il est déjà insoutenable dans ces pays du Tiers-monde
dont les noms font la manchette - l'ordre public ne peut simplement plus
être maintenu et il n'y a pas de classe épargnée: hormis
les meneurs du désordre, tout le monde perd.
Vivement, donc, une nouvelle société. Mais quelles sont les
règles du jeu d'une nouvelle société, (en sus, bien
sûr, du respect des droits et libertés que tous les pays civilisés
reconnaissent déjà à leurs citoyens) ?
Une Nouvelle Société doit:
1. assurer à chacun de ses membres un revenu suffisant pour ses besoins
essentiels; elle a le droit, en retour, d'exiger de l'individu qu'il contribue
de son travail à la production des biens et services dont la collectivité
a besoin.
2. rembourser la dette publique; ce remboursement ne peut venir que d'un
apport en argent de ceux qui ont des biens et d'un apport en travail de
ceux qui n'en ont pas.
3. remettre démocratiquement à la population, dûment
éduquée et informée, le pouvoir de fixer les objectifs
de la société; le gouvernement n'a d'autre mandat que d'atteindre
ces objectifs et doit être démis s'il s'en écarte.
4. assurer efficacement l'ordre, la justice et la sécurité
commune; l'accès aux tribunaux et aux instances administratives doit
être facile et gratuit, leur démarche transparente et leurs
décisions exécutées sans délai.
5. favoriser le mieux-être de tous; en répartissant entre tous
les citoyens les acquis de notre progrès technologique tout en facilitant
à chacun l'atteinte de ses désirs compatibles avec le bien
commun.
Ce qui veut dire, d'abord, mettre tout le monde au travail et garantir à
chacun un revenu, renégocier la dette publique et redonner une légitimité
à nos gouvernants. Ce qui veut dire, ensuite, réformer la
justice civile et pénale, protéger et améliorer les
services sociaux (dont la santé), garantir la sécurité
des aînés et mettre en place un système d'éducation
intelligent. Ce qui veut dire, enfin, qu'il faut non seulement fixer à
notre société ses objectifs nécessaires... mais qu'il
faut lui offrir aussi, surtout, une raison d'être, un espoir de dépassement
et un idéal commun.
Pierre JC Allard
Accueil
Index général