LE CHÔMAGE

 

 

[ L'essentiel de ce texte en langage simple, dont le but était de faire comprendre à la population la problématique du chômage, a été publié en quatre (4) articles consécutifs en section éditoriale de La Presse durant la campagne électorale de septembre/octobre 1994 au Québec ]


 

1. Ce que nous voulons tous savoir sur le chômage
... et ce que vous devriez avoir le courage de nous dire



Messieurs les Candidats,

Il y a 861 000 sans-travail au Québec. Un travailleur québécois sur quatre n'a plus de travail. Le "4ème travailleur", celui qu'on a mis au rancart, vit sous le seuil de la pauvreté. L'assisté-social moyen et son ménage reçoivent, en moyenne 657 $ par mois. Plus personne ne croit qu'on va rétablir le plein emploi et ramener l'abondance en construisant un gymnase par ci et un bout de route par là.

En fait, de plus en plus de gens sont convaincus qu'on ne redressera pas la situation par les moyens traditionnels, et que si quelqu'un n'a pas le courage de mettre en marche des mesures exceptionnelles, notre société est fichue. Fichue, parce que 21,7% de sans-travail parmi nous constituent désormais une classe de perdants, une sous-société de troisième classe - sous les nantis et sous ceux qui peuvent encore gagner leur croûte - qui perd confiance en notre société et en ses valeurs. Les Québécois ont aujourd'hui moins de bien-être, moins de sécurité, moins d'espoir que leurs parents n'en avaient.

Fichue, parce que ceux qui vieillissent sont inquiets. Parce que ceux qui vont vers la retraite sentent confusément qu'il restera bientôt trop peu de gens au travail pour que notre société puisse honorer ses engagements envers les futurs retraités. Parce que le risque augmente tous les jours, avec la dette et le chômage, que ceux qui ont contribué toute leur vie à des plans de pension ne touchent plus finalement leur dû qu'en monnaie dévaluée et que leur retraite se transforme en déroute.

Fichue, surtout, parce que les jeunes disent, en décrochant dès le Secondaire, qu'ils n'ont rien à faire d'un système d'éducation qui ne les mène nulle et d'une formation qui ne les prépare à rien, et qu'ils ne veulent pas de l'avenir que vous leur offrez.

Messieurs les candidats, êtes vous conscients que nous sommes en crise? Que vous le vouliez ou non, que les intellectuels et les experts le veuillent ou non, il faut que l'un d'entre vous reçoive le 12 novembre ce que le Petit Catéchisme appelait une «grâce d'état»... et devienne providentiel. Malheureusement, vous n'avez pas, jusqu'à ce jour, parlé le langage du salut.

Vous avez tous deux affirmé que vous étiez contre le chômage et pour l'emploi. Bravo. Mais, d'une élection à l'autre, on radote à peu près le même discours sur la création d'emplois. L'année dernière à Ottawa, je suppliais poliment Kim, Jean et les autres de changer de disque; maintenant, on vous entend servir la même rengaine et on a l'impression de déjà-vu d'un film nouvelle vague. Ca donne envie de vous poser des questions.

Parce que ce que vous avez dit ne nous satisfait pas. Parce que nous avons l'impression que le PQ s'intéresse d'abord à l'indépendance et que le Parti libéral pense surtout à boucler son budget. Nous avons l'impression que les 861 000 sans-travail forment, en bloc, une donnée statistique ennuyeuse, qui empêche celui-là de réaliser un projet grandiose et celui-ci de résoudre une équation passionnante. Nous ressentons, profondément, que vous avez hâte de vous attaquer qui au Projet et qui à l'Équation, après quoi vous pourrez retourner tous deux à votre milieu naturel - qui n'est pas celui des sans-travail - pour dire "mission accomplie" et passer à l'Histoire.

Minute, nous sommes là et nous sommes nombreux. Prenez une minute pour «nourrir ceux qui ont faim et vêtir ceux qui sont nus». Nous vous aimons bien tous les deux, vous êtes des cousins qui avez réussi; mais donnez-nous l'espoir que vous êtes encore avec nous et que vous partagez les malheurs de la grande famille québécoise.

Dans quelques jours, nous allons remettre à l'un d'entre vous les clefs de la maison familiale. Nous voulons les remettre à celui qui pourra la remettre en ordre. C'est pour ça que nous voulons vous poser des questions. Nous voulons savoir comment vous voyez le problème, si vous êtes conscients de sa gravité et à quel point vous vous engagez à le résoudre, en prenant au besoin des mesures impopulaires. Le résoudre au profit de tout le monde, pas au profit d'une seule classe de la société.

Dites-nous comment vous allez vous y prendre. Vous n'avez rien dit de sérieux au cour de cette campagne. Vous avez distribué des promesses qui ne seront pas tenues, mais vous n'avez rien dit sur la façon de régler cette crise du travail qui est la maladie mortelle, presque terminale, dont souffre le Québec. Vous n'avez rien dit que de trivial pour parler du placement, de la formation, du partage du travail, de la sécurité du revenu. Vous n'avez rien dit de ce qu'il en coûtera pour remettre à flots le navire Québec.

Je vais donc vous poser des questions qu'on prétend complexes dans un langage simple: rien n'est trop compliqué si on se donne la peine de l'expliquer. Nous allons essayer de ramener le débat au niveau du bon sens, loin du vocabulaire des experts en "paramètres", en "paradigmes" et autres «universitailleries» mises au dictionnaire pour épouvanter les citoyens trop curieux. Nous voudrions savoir ce que vous pensez vraiment et ce que vous allez vraiment faire.



Question #1 Quels sont vos outils privilégiés pour résoudre la crise ?

 

Parce que les Québécois ont le droit de savoir à quoi s'attendre et que vous ne nous l'avez pas dit. Mêmes les experts ne savent pas, à ce jour, si vous êtes de la secte des "structuralistes" ou des "conjoncturalistes". En mots plus simples, on ne sait pas si vous pensez que la crise actuelle est causée par une baisse temporaire de l'activité économique ou par une transformation profonde de nos moyens de travailler et de produire.

Ce n'est pas une question académique, car la façon dont vous voyez la crise va déterminer ce que vous allez faire pour nous en sortir. Et ne nous dites surtout pas qu'il s'agit d'une "crise structurelle aggravée par la conjoncture"..., ou d'une "récession sévère s'inscrivant dans une restructuration obligée de nos schèmes de travail". Ne dites plus ça à la population : elle pourrait se fâcher.

Dites nous plutôt les moyens d'action que vous privilégiez, et nous tirerons nos propres conclusion. Pour faciliter l'exercice, j'indique ci-dessous neuf (9) "approches" qui sont, en proportion diverses, les ingrédients à partir desquels sont concoctées les potions magiques de lutte contre le chômage.

1. faciliter le contact entre celui qui a un emploi à combler et celui qui a une compétence à offrir; c'est l'approche &laqno;mécanismes de placement»

2. doter le travailleur d'une nouvelle compétence, afin qu'il puisse contribuer à la société un travail pour lequel il existe une demande non satisfaite; c'est l'approche «formation»;

3. accroître la demande en diminuant les taxes et impôts, ce qui augmente le revenu disponible de certains segments de la population; c'est l'approche &laqno;à la Reagan»;

4. accroître la demande globale, en augmentant les paiements de transfert et en faisant tourner la presse à billet; c'est l'approche «inflation»;

5. soutenir les usines en difficultés et/ou diminuer le prix de certains services qui occupent beaucoup de main-d'oeuvre, en les subventionnant - soit en partie pour tous, soit entièrement pour certains, comme on le fait, par exemple, pour l'aide aux études universitaires: c'est l'approche «subvention».

6. encourager le travailleur à baisser son prix et à augmenter sa clientèle (comme l'a fait la Loi 142 pour la construction résidentielle); c'est l'approche de la «loi du marché»

7. dépenser au niveau de l'État et refiler la note au contribuable sous forme d'impôts - la santé, l'éducation.. et aussi le plan de travaux d'infrastructure du fédéral; c'est l'approche «intervention»

8. modifier les habitudes de consommation de la population pour que la demande colle aux ressources disponibles; c'est l'approche «publicité»;

9. enrichir le pays - en y découvrant du pétrole, par exemple, en augmentant la productivité, la recherche, en renouvelant les équipements, en montant des blitz marketing sur l'étranger - ce qu'on pourrait appeler l'approche « ponctuelle».

Dites nous lesquelles vous paraissent utiles ou néfastes, et l'importance que vous accordez à chacune; nous pourrons alors vous situer clairement quelque part entre la gauche et la droite, entre le passé et l'avenir, et entre l'audace et la prudence.... et savoir à quoi nous attendre

Si vous n'acceptez pas de le faire, ayez d'abord une pensée pour les étudiants dont l'avenir dépend d'un questionnaire d'examen à choix multiples... et ensuite répondez comme il vous plaira, en vos propres mots, ce que l'étudiant lui, hélas, ne peut pas faire. Ou ne répondez pas du tout. Vous êtes libres de ne pas répondre: un vieux proverbe - rendu ici librement - dit qu'on peut offrir un verre à un ami mais qu'on ne peut pas le forcer à boire.

Vous êtes libres; mais le Québec est libre, aussi, de n'inviter à sa table que ceux qui trinquent avec lui.




Question #2 Êtes-vous totalement commis à régler la crise du travail ?

 

Messieurs, soyons sérieux. Il n'est pas suffisant que les candidats nous fassent connaître leur perception de la crise du travail. Il faut encore qu'ils nous convainquent qu'ils sont prêts à s'investir corps et âmes dans la lutte contre l'exclusion qui est la conséquence de l'absence de travail. Les candidats nous ont offert si peu de renseignements sur la façon de régler le problème du chômage qu'on est en droit de se demander s'ils en voient toute l'importance.

La crise est infiniment plus grave qu'on ne veut l'admettre. Il y a présentement 11,5% de chômeurs au Québec; en novembre 1992, ils étaient 14,3 %. Surtout, n'allez pas croire que la situation s'est améliorée ! Les statistiques du chômage ne sont là que pour détourner l'attention. Ajoutez aux 395 000 chômeurs les 466 000 Assistés sociaux, et vous aurez une meilleure idée du nombre des sans-travail . On parle de 861 000 ménages, ce qui veut dire tout près de 1,5 millions de personnes qui vivent du B.S. et de l'Assurance chômage.

Comptant seulement les chômeurs qui font encore partie de la main-d'oeuvre et les Assistés sociaux, c'est 21,7 % de sans-travail involontaires que nous avons au Québec. Tous cercles de l'enfer confondus, il ne nous reste finalement que 3 millions de travailleurs au travail sur une population active de 5,5 millions, soit un taux de non-participation de l'ordre du 45%! Nous vivons une situation "infernale".

Messieurs les candidats, les 861 000 sans-travail du Québec et leur famille veulent savoir si vous allez penser au problème du travail du matin au soir, les fins de semaine, durant les vacances et ne penser qu'à ça, comme Clemenceau qui, en 1914-18, n'avait qu'une politique: &laqno;Faire la guerre». Dites nous si vous êtes sérieux. Si résoudre la crise du travail est pour vous une priorité absolue, comparable à un effort de guerre, si vous êtes prêts à faire la guerre au chômage et à vous attaquer à l'enfer de l'exclusion pour redonner une vraie vie aux sans-travail.

N'essayez pas de nous convaincre que vous n'augmenterez pas les impôts, que vous allez réduire le déficit et que vous allez créer miraculeusement des emplois. Au cour de cette campagne, vous nous avez parlé comme à des malades à qui on cache la vérité, comme à des enfants qui ne peuvent pas comprendre. Vous ne nous avez pas parlé de sacrifices, mais nous ne croyons pas que le problème va se régler sans sacrifices. Nous savons qu'il va falloir des mesures sévères pour sortir le Québec de la crise. Les Québécois sont prêts à faire les efforts nécessaires. Mais si vous voulez la solidarité, donnez-nous la vérité. Le Québec est prêt à vous suivre mais seulement si vous faites confiance au Québec. Il va falloir que l'un de vous reçoive la grâce d'état et devienne un chef.

Dites-nous avant les élections à combien vous évaluez une politique de plein emploi et où vous trouverez l'argent pour la mettre en oeuvre. Nous nous attendons au pire, mais donnez-nous l'heure juste. Si vous pouvez et voulez répondre à cette question, nous en avons d'autres. Sinon, permettez-nous d'être très, très inquiets.




Question #3 Mettrez-vous fin à la discrimination, tout de suite ?

 

On parle des chômeurs, mais le chômeur est l'aristocrate des sans-travail. Par définition, il a déjà travaillé, il est apte au travail, il recherche activement un emploi; il peut avoir la fierté de ne recevoir que des sommes qu'il a contribué à amasser et qui représentent souvent moins que ce qu'il a lui même contribué au cours des années. Il a encore un espoir raisonnable de trouver un emploi et il lui reste une voix pour attirer l'attention. Le chômeur vit un purgatoire; il y a pire. Souvent, quand le purgatoire se vide et que les chiffres du chômage s'améliorent, c'est l'enfer qui se remplit

L'enfer, c'est l'exclusion: la probabilité qu'on ne retournera jamais au travail et qu'on restera toujours un citoyen de troisième classe. Avec le chômage et les Assistés sociaux, vous n'avez pas encore fait le plein de l'enfer, loin de là. Pour tracer la frontière de l'exclusion, il faudrait inclure les jeunes en âge de travailler et que leur famille prend en charge; les conjoints qui voudraient travailler mais qui doivent rester aux crochets de leur partenaire; les presque-vieux mis à une retraite forcée; les handicapés légers qu'on traite comme s'ils étaient totalement invalides; les marginaux et les sans-papiers, qui ne touchent que ce qu'on leur donne... et les délinquants qui n'ont que le revenu qu'ils prennent...

Il y a deux routes vers l'enfer de la "non-participation" et de l'exclusion. La première consiste à ne pas être assez fort, assez vite, assez intelligent, assez compétent, assez acceptable... Dans une économie libérale, quand le nombre des emplois diminue, un triage se fait et seuls les soi-disant "meilleurs" restent en poste, généralement le mâle de race blanche entre 30 et 40 ans, avec au moins 12 ans de scolarité. C'est la sélection vitale, une route dure, mais où il y a une certaine cohérence des choix, même si les critères retenus sont souvent aberrants.
Nous voudrions donc savoir des candidats ce qu'ils comptent faire: a) pour recycler ceux qui perdent à ce jeu de chaise musicale, b) pour les aiguiller vers la prestation de services pour lesquels il existe une demande, et c) les soutenir financièrement durant la transition. Ce sont des questions que nous formulerons au cours des prochains jours.

Parce que l'enfer a ses prédestinés, nous voudrions savoir aussi les mesures qui seront prises pour lutter contre : a) le sexisme, b) le racisme, c) la discrimination relative à l'âge et d) la discrimination relative à la scolarité, quand celle-ci est absolument sans pertinence avec les exigences du poste. On ne peut pas exclure de la main-d'oeuvre la moitié de la population qui n'a pas terminé son secondaire.

 




Question #4 Allez-vous PRÉVOIR l'évolution du travail et de l'emploi?

 

La deuxième route vers l'enfer introduit un élément de fantaisie qui permet même aux "meilleurs" d'être éliminés à leur tour; c'est la route du chômage technologique, le loto du malheur. Quelle que soit la capacité individuelle du travailleur, il reste à la merci d'une mise-à pied qui peut devenir permanente si le marché est saturé des biens que produit son secteur où si le métier qu'il fait est en voie de désuétude, pour cause d'informatisation ou d'automation.

Nous voudrions savoir des candidats comment ils entendent anticiper: a) la désuétude technologique des secteurs industriels - (les pâtes et papiers ne réinvestissaient plus depuis des décennies, personne n'avait remarqué !), b) les phénomènes de saturation des marchés, c) les besoins de perfectionnement des travailleurs. On doit prévoir les mises-a pieds et permettre la migration des travailleurs vers d'autres postes, sans pénaliser ni l'employé qui doit conserver son revenu, ni l'employeur qui DOIT demeurer concurrentiel.


Il y a d'autres problèmes à résoudre dans notre société, mais rien n'est plus urgent que de réaccueillir ce "4ème travailleur" qu'on a exclu de la société. A la racine, nos autres problèmes sont liés à la crise du travail. Je voudrais particulièrement attirer l'attention de notre futur premier ministre sur les liens évidents entre le chômage et la dette publique.

Si on suppose 5% de chômeurs et d'Assistés sociaux - ce qui serait déjà très élevé, dans une société moderne, où tous les outils sont là pour assurer la transparence du marché - on voit que nos gouvernements, au Québec seulement, épargneraient déjà 10 milliards par années en paiements de transfert et engrangeraient du même coup 10 milliards de taxes et impôts supplémentaires. Le Revenu National Net canadien dépasserait les 600 milliards par années ! C'est ça, la façon de régler le déficit du Grand Prodigue d'Ottawa comme de l'État du Québec.

Mais il n'y a pas que l'argent. Le crime, la violence, sont à devenir la priorité en milieux urbains. De 1983 à 1992, le nombre des crimes de violence au Canada à grimpé de 84%. Tout n'est peut-être pas la faute du chômage, mais une situation économique qui se détériore ne peut que renforcer le phénomène de la violence. De même l'oisiveté forcée des jeunes, à Montréal surtout, qui les amène, ainsi que les adolescents, a recréer le modèle américain des guerres de gangs. Nous aimerions savoir des candidats, s'ils ont accordé une pensée au problème de la violence comme conséquence de la non-participation des jeunes au marché du travail, et s'ils ont prévu pour eux des mesures de prévention et d'encadrement.




Question #5 Qu'allez-vous faire pour intégrer les jeunes chômeurs ?

Nous voudrions savoir des candidats s'ils comprennent le sérieux de la situation. Les candidats prendront-ils les mesures qui s'imposent ? A ce jour, on parle de millions là où il faudrait parler de milliards, on ne parle jamais de budget et rien de sérieux n'a été proposé. Il faut que les candidats prennent une position claire quant à la priorité et à l'importance des efforts qu'ils affecteront à la résolution de la crise du travail.

Il y a deux jours que nous soumettons les candidats à la question, dans le sens médiéval du terme, et ce n'est pas fini: nous trouvons salutaire que le Québécois ordinaire puisse obtenir de ses gouvernants des réponses claires. D'abord des réponses claires, ensuite des décisions fermes et enfin des gestes concrets. Nous sommes à l'heure des réponses.

Je pose des questions simples: je veux donner aux candidats la chance de répondre. Il faut tourner la roue énergiquement pour obtenir des réponses, parce que l'habitude est bien prise, en hauts-lieux, de ne parler de la question du travail qu'en s'appuyant sur des réponses toutes faites. Ceci est un troisième tour de manivelle pour faire craquer le masque rassurant de nos chefs présomptifs et mettre a nu leur vision d'une solution à crise. Il est urgent de tourner la roue, car la population, résignée, a presque renoncé à gêner les candidats en leur demandant de préciser leur pensée.

J'ai déjà posé 5 questions, d'autres suivront. Plus précises. Plus dérangeantes. Aujourd'hui, toutefois, pendant que les fers sont au feu, je voudrais que nous regardions ensemble pourquoi il y a une crise et pourquoi elle est différente des autres. En comprenant le pourquoi de la crise on trouve des indices quant à la façon de la résoudre.

On peut trouver des indices, mais il faudra une bonne dose d'intuition pour brasser la potion magique qui va remettre les travailleurs au travail. C'est pour ça que nous voulons que le futur chef nous réponde et nous livre sa recette. C'est parce qu'il aura cette intuition qu'il sera un chef, et gageons que le Québec aura l'intuition de l'élire. Historiquement, nous avons eu les bonnes intuitions; c'est pour ça que nous sommes encore le Québec.

Pour bien situer la crise actuelle, nous allons littéralement remonter au déluge. Pourquoi? Parce que si vous prenez le train en marche, les futés de la terre vous diront que vous avez sauté une étape et que la cause profonde de la crise vous échappe. Ne prenons pas de chances.

Rappelons donc que, pendant des dizaines de milliers d'années, l'humanité a subi la Malédiction du plein emploi: l'homme primitif &laqno;gagne son pain à la sueur de son front» et ne rêve surtout pas d'avoir plus de travail. Au contraire, il s'en décharge autant qu'il peut sur des &laqno;bio-machines» - les esclaves - et toute l'Histoire va être une quête pour trouver de meilleurs outils, puis de meilleures machines, afin de travailler moins: la civilisation naît du loisir.

Les hommes apprendront vite à travailler en groupe et à se diviser le travail selon leurs habiletés; la vraie naissance de la société, c'est avant tout un ensemble de travailleurs qui décident de profiter de leurs compétences complémentaires. Dans la société primitive, on ne manque pas de travail; chacun apporte sa compétence spécifique et a recours à la compétence des autres, mais quiconque a des muscles demeure utile et peut contribuer. Les autres sont mis au rancart, plus ou moins discrètement.
A mesure qu'on invente de nouveaux outils, qu'on découvre de nouveaux "arts" et que les travailleurs deviennent des artisans, la division du travail se raffine et mène à l'établissement d'une structure sociale où chacun va occuper une position liée à son "utilité" - au travail qu'il peut faire - et à sa "rareté" s'il n'est pas facile à remplacer.

Avec la révolution industrielle, tout change. Le travailleur moyen n'offre plus sa compétence à d'autres travailleurs qui lui offrent la leur; il travaille dans le cadre d'un "emploi", en liaison étroite avec une machine sans laquelle il ne peut plus produire. L'artisan, devenu opérateur d'une machine et interchangeable, cesse d'être "rare", de sorte que sa position gravite vers le bas de la structure sociale. L'accès à la machine, à l'emploi et à un salaire devient un privilège. La Malédiction du chômage remplace celle du travail.

Les machines multiplient la production des biens et augmentent la richesse. La richesse permet l'éducation, tout en créant de nouveaux besoins qui exigent des travailleurs mieux instruits et formés - donc plus "rares" - dont la position s'élève dans l'échelle sociale. Simultanément, les machines se transforment en automates et fonctionnent sans l'intervention de leurs opérateurs qui deviennent superflus.

Les travailleurs superflus doivent donc quitter la production industrielle; seul un travailleur sur cinq, aujourd'hui, y est encore affecté. Chassés de la production industrielle, les travailleurs qui sont adéquatement formés peuvent satisfaire des besoins auxquels les machines ne peuvent répondre et pour lesquels il y a une demande: ils passent au secteur tertiaire, celui des services. Ceux qui ne sont pas formés, hélas, sont trop nombreux, et ne peuvent que rivaliser pour les postes disponibles, créant le dilemme d'une baisse générale des conditions de travail... ou de l'exclusion de certains pour préserver les acquis des autres.

Choisissant la deuxième alternative faute d'imaginer une vraie solution, notre société a mis au rancart le quart (25%) des travailleurs, comme s'ils n'avaient plus rien à offrir... mais la réalité est qu'ils n'ont rien d'autre à offrir que ce que 75% des travailleurs peuvent déjà produire en quantité suffisante pour la &laqno;demande effective», c'est à dire pour satisfaire les besoins de ceux qui ont les moyens de satisfaire leurs besoins. Ce n'est pas du tout la même chose.

Le &laqno;4ème travailleur», celui qu'on a mis au rancart, n'est plus utile à la société - c'est-à-dire, en fait, aux trois autres travailleurs - puisqu'il n'a pas la compétence de produire un nouveau service qui correspondrait à une demande effective. Mais il peut encore offrir un surplus de ce dont nous disposons déjà, et prouver qu'il est utile en travaillant au noir et à rabais. Ce faisant, il recrée le dilemme - mais en forçant le choix de la baisse générale plutôt que de l'exclusion - et assure ainsi sa survie... en entraînant toute la main-d'oeuvre par le fond. C'est ça la crise du travail.

Le nombre des travailleurs mis au rancart et qui sont entretenus par des paiements de transfert et le travail au noir augmente par bonds depuis 40 ans; à moins qu'on ne modifie les règles du jeu, leur nombre va continuer d'augmenter au rythme de l'automation. C'est la Malédiction de l'exclusion. Rien n'est plus important pour notre société que de réintégrer le «4ème travailleur» au marché du travail.

Il n'est pas question de freiner les gains de productivité dans le secteur de la production industrielle en y ajoutant d'autres travailleurs, ce qui nous appauvrirait collectivement et rendrait toute notre économie non concurrentielle. Il faut donc élargir la demande effective pour des services que peut rendre à la population ce travailleur sur quatre qui est aujourd'hui laissé pour compte.

Ce que nous voulons savoir des candidats, c'est comment ils comptent y parvenir. Pas en ânonnant des vérités sur lesquelles tout le monde est d'accord autant que sur la vertu et la maternité, mais en nous disant quelles options concrètes ils privilégient, quelle est la combinaison "trois étoiles" des neuf ingrédients dont nous avons parlé qui va régler la crise actuelle. Une crise qui, ne l'oublions pas, n'a pas de précédents.

C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que nous pouvons non seulement produire de plus en plus avec de moins en moins de travailleurs, mais où ne pouvons même pas sérieusement considérer qu'une augmentation quelconque de la production pourrait techniquement exiger de mettre au travail un seul travailleur permanent de plus. Et avec l'informatisation, c'est tous les emplois répétitifs, même du secteur tertiaire, qui sont aussi condamnés.

Si nous voulons intégrer le "4ème travailleur" - et garder au travail ceux qui y sont encore - il va falloir définir nos nouveaux besoins, ceux que les machines ne peuvent pas satisfaire et qui exigent donc créativité, initiative et empathie. Il va falloir rendre effective la demande pour ces nouveaux besoins et former les travailleurs en masse pour répondre à ces besoins.



Question #6 Êtes vous prêt à faire face au défi de la créativité et de l'initiative ?

 

Ce qui précède n'est pas une vision originale du problème, c'est ce que pensent à peu près tous les spécialistes de la question, même si chacun préfère le dire à sa façon et prétendre avoir inventé la roue. Aujourd'hui, j'ai choisi de le dire simplement .

Messieurs les candidats, si vous avez une autre vision du problème, dites nous le vite. Sinon, dites nous vite comment vous allez répondre à ce défi, lequel est commun à toutes les sociétés industrielles mais auquel il faut répondre, dans chaque cas, en mettant en oeuvre les forces, les ressources et les moyens dont on dispose.

Jusqu'à ce jour, nous avons posé aux candidats des questions générales, pour savoir où ils se situaient, quelle était leur approche au problème de l'emploi. Désormais, il va falloir aller plus en profondeur. Savoir les techniques qu'ils préconisent, comprendre COMMENT ils ont l'intention de faire les choses, parce que les meilleures intentions du monde ne suffisent pas si on ne les met pas en pratique. Nous allons parler pour finir, du placement, de la formation et, finalement, du partage du travail et de la sécurité du revenu.

Les Québécois ne demandent pas que les candidats soient des experts en ces domaines. Après tout, être politicien est un job à plein temps. Les Québécois s'attendent, cependant, à ce que les candidats puissent s'appuyer sur des experts qui connaissent ces questions et à ce que leurs programmes reflètent la compétence de leur équipe.

Car c'est cette équipe de conseiller technique qui va venir donner la note pour orienter les fonctionnaires et qui va nous guider vers une solution de la crise. C'est cette équipe qui devrait donc suggérer aux deux candidats les réponses à apporter aux questions qui suivront. Ce sont les candidats, cependant, qui doivent naturellement garder la responsabilité des réponses qu'ils endossent.

Au départ, il faut parler placement. Parce que, quelle que soit la potion magique que propose le candidat, les mécanismes qui permettent aux employeurs et aux travailleurs de se rencontrer sont indispensables et que, par surcroît, leur efficience est largement indépendante des autres choix que fait le décideur. Qu'il soit d'obédience "structurelle" ou "conjoncturelle" Celui qui nous réglera la crise du travail devra compter sur des mécanismes de placement.

Les techniques de placement ne sont pas là pour régler le problème à long terme. S'il y a une disparité entre ce que veulent les employeurs et ce que les travailleurs ont a offrir, les mettre en contact plus vite ne changera rien. Mais, à tout moment donné, le placement est nécessaire pour tirer le meilleur parti possible de la situation présente.

Le centre de placement est un lieu de rencontre. Dans un monde de solitude, il est normal que les Clubs de rencontre prolifèrent: tout le monde ne veut pas organiser sa vie sentimentale au hasard des rues et des bars. Dans une société ou le chômage est omniprésent, il serait normal qu'un vaste Bureau du Travail permettent de faire la paire entre les demandes et les offres d'emplois. Ce grand Bureau du Travail, actuellement, n'existe pas.

Il existe, bien sûr, des Centres d'Emploi et des Centres de Main-d'oeuvre. Mais on est loin d'y faire tous les mariages heureux qu'on pourrait. On ne le fait pas, nous diront les candidats, parce que la confusion règne entre le système du Québec et celui d'Ottawa. Je suis heureux de leur donner raison... en partie. Il est vrai que les systèmes de main-d'oeuvre du Québec et du gouvernement fédéral sont mal arrimés, que la façon dont ils se repartissent les tâchent est inefficace et que somme toute, il serait utile que l'un ou l'autre disparaisse.

Ceci dit, le conflit Québec-Ottawa n'explique pas tout. Ni Ottawa ni Québec n'ont vraiment posé les gestes qui auraient permis d'appliquer les techniques modernes d'information pour faciliter le "mariage" entre l'offre et la demande de travail. Personne, à ce jour, ne tire vraiment parti des renseignements dont on dispose sur la main-d'oeuvre et sur les postes de travail.

Parlons d'abord du travailleur. Un travailleur, pour celui qui l'emploie, c'est le dépositaire d'une compétence, c'est à dire d'aptitudes qui sont mises en valeur par des connaissances. Ces connaissances que possède chaque travailleur, qu'il les aient acquises en formation ou par l'expérience, nous sommes en mesure de les connaître. Ses diplômes en font foi, les postes qu'il a occupé les confirment. Au besoin, un examen et quelques tests permettraient de les établir et de reconnaître formellement sa compétence.

Ceci, nous ne le faisons pas systématiquement. Nous sommes réticents à reconnaître les acquis des travailleurs expérimentés, et d'aucuns prétendent que cette réticence n'est pas parfaitement pure. Qu'elle cache, en fait, aussi bien le désir du système de formation de ne pas comparer son apport à celui de l'expérience sur le tas, que la crainte de ceux qui sont reconnus pour pratiquer un métier de voir s'y infiltrer de nouveaux concurrents.

Envers et contre tous, un gouvernement qui veut la justice et la rationalisation de nos ressources humaines doit faire en sorte que la compétence qu'ils possèdent soit reconnue à tous ceux qui possèdent cette compétence.




Question #7 Mettrez-vous en place un mécanisme de reconnaissance des acquis professionnels?

Avec ou sans reconnaissance formelle de ses acquis professionnels, nous ne faisons présentement que bien peu d'efforts mettre en forme accessible le bagage de formation et d'expérience qui fait qu'un travailleur est ce qu'il est et qu'il devient "séduisant" pour un employeur. Nos 861 000 sans-travail ne sont pas des êtres anonymes, puisqu'ils touchent une assistance financière de l'État, mais ils ne sont pas efficacement identifiés en termes de toutes leurs compétences et de tous les postes qu'ils pourraient occuper. Nous en sommes encore à un stade folklorique où l'on ne tien compte que d'une parcelle de la compétence du travailleur, souvent limitée aux exigences du dernier poste qu'il a occupé

Pourquoi ne pas identifier complètement nos sans-travail, incluant donc la compétence de faire tout ce qui est une composante reconnue pour faire ce qui est leur principal métier ? Pourquoi ne pas identifier TOUS les travailleurs du Québec selon leurs compétences ? Pourquoi ne pas donner à chacun sa Carte de Compétence. Pourquoi ne pas savoir de qui et de quoi on parle, quand on discute des sans-travail? Pourquoi ne pas diriger en tout temps, vers l'employeur, le travailleur le mieux qualifié ?

Pour ce faire, bien sûr, il faudrait interroger chaque travailleur: on le fait déjà. Il faudrait que les réponses obtenues s'inscrivent dan une grille commune, et que la correspondance soit établie entre les codes du Ministère de l'éducation et les codes utilisés sur le marché du travail. Ce travail n'a jamais été fait...




Question #8 Voyez-vous l'intérêt d'un enregistrement professionnel ?

 

On ne peut marier le travailleur à un poste de travail que si on connait les caractéristiques de ce poste. Ceci est possible quant on a fait l'analyse des tâches de ce poste. C'est un travail ardu. Cependant - et pavoisons, Québec, quand nous en avons l'occasion ! - il y a des années que le Ministère de l'Éducation du Québec développe un système d'analyse des postes de travail, couplé à une méthode de préparation de programmes didactiques, qui est probablement le plus performant au monde. Nous avons exporté ce système en Tunisie, au Maroc, au Portugal et ailleurs..., même au Ruanda !

Ce système pourrait-être généralisé à toutes les entreprises québécoises de plus de 20 employés. Avec quelques modifications, il pourrait peut-être même s'avérer utile pour toutes les entreprises de 5 employés et plus. Si ce système était généralisé, il fournirait l'autre ensemble sur lequel viendrait s'appliquer la "Carte de Compétence" qui résulterait d'un enregistrement professionnel. Nous pourrions vraiment faire des mariages entre l'offre et la demande de travail.




Question #9 Voyez-vous l'intérêt de l'analyse des postes de travail ?

 

Si nous le faisions, nous ferions un grand bond en avant. Le travailleur pourrait alors, à partir d'un guichet automatique, introduire sa Carte de Compétence et connaître tous les emplois disponibles pour lesquels il est qualifié. Nous serions à la pointe du progrès. Personne ne dispose d'autant d'atouts que le Québec pour le faire.

A partir d'une opération supplémentaire, le travailleur pourrait, s'il le veut, obtenir plus de renseignements sur l'emploi disponible. Il pourrait transmettre par fax à l'employeur de son choix son nom et ses coordonnées, voire tout son résumé déjà inscrit au système. Ceci est aujourd'hui, sur le plan technique, tout à fait possible.




Question #10 Allez-vous mettre en place un système de placement moderne et vraiment performant ?

 

Ne nous faisons pas d'illusions, faciliter le placement ne résoudra pas à long terme le problème de l'emploi. Mais, à court terme, on supprime ce qu'on appelle le "chômage frictionnel" qui dépend en grande partie des délais de rencontre: c'est 1 à 2 % de la main-d'oeuvre qu'on retourne peut-être au travail. Si on ne créait de cette façon que 20 000 emplois, savez-vous que c'est encore 30 fois ce qu'a créé à Sept-Iles l'Aluminerie Alouette, laquelle a demandé un investissement de 1,5 milliard de dollars... et a créé 700 emplois ?

On peut, à court terme, obtenir certains résultats en modifiant le système de placement. Mais si on veut régler vraiment et pour longtemps la crise du travail, il faut agir sur le travailleur lui-même. Il faut, si on peut dire, refaire le "monde". D'abord, il faut donner une nouvelle compétence utile à ce quart de la main-d'oeuvre qui, actuellement, ne produit rien.

Cette compétence ne peut être qu'au niveau des services ou du travail manuel non qualifié, car c'est de la haute fantaisie de penser qu'on va former une main-d'oeuvre abondante pour l'&laqno;industrie de pointe». Le propre de l'industrie de pointe, d'ailleurs, c'est justement qu'elle n'utilise pas une main-d'oeuvre abondante. A 3 millions de dollars pour un poste de travail, il faudrait d'ailleurs investir 2,5 TRILLIONS de dollars pour remettre au boulot les sans-travail du Québec, ce qui représente environ cinq fois le PNB du Canada tout entier.

Si même nous convainquions les investisseurs étrangers de nous transformer en une espèce d'atelier technologique du 21ème siècle, produisant à nous seuls autant qu'un pays comme la France, nous ne saurions que faire de toute cette production "de pointe", sinon la ré-exporter sans grandes retombées économiques secondaires.

C'est d'ailleurs ce qui se passe avec l'aluminium d'Alouette dont nous parlions plus tôt. Le minerai vient d'ailleurs, la production part ailleurs. Le Québec n'y met qu'un tout petit peu de main-d'oeuvre... et beaucoup d'électricité vendue à rabais. Les candidats doivent nous dire s'ils s'aventurent dans cette voie périlleuse ou, dans le cas contraire, s'ils visent la création d'emplois dans les services ou dans les postes à faibles qualifications.



Question # 11 Quels types de travailleurs voulez-vous former en grande quantité; des techniciens de production, des travailleurs manuels ou des travailleurs pour le secteur des services?

 

Il y a deux ans, en Commission parlementaire à Québec, j'ai eu le rare plaisir d'être félicité à la fois par le Ministre Bourbeau et Madame Louise Harel pour un exposé qui vantait l'apprentissage, la formation en entreprise, et le système de formation professionnelle qu'on applique en Allemagne. Aujourd'hui, il est tout aussi clair qu'il y a deux ans que la formation professionnelle qu'on donne au Secondaire et dans les CEGEPS n'obéit pas aux besoins du marché dans les diverses régions du Québec. Notre premier critère pour décider de la formation qu'on donne dans les CEGEPS semble être d'utiliser les enseignants et les équipements dont nous disposons.




Question #12 Voulez-vous former des travailleurs strictement selon les besoins de notre économie, ou en tenant compte d'autres facteurs?

 

La façon la plus efficace et la plus économique de former selon la demande est, la plupart du temps, la formation en entreprise ou un jumelage qui permet de donner les cours théoriques en institutions mais les cours pratiques en ateliers, au sein de l'entreprise, avec des travailleurs professionnels comme instructeurs. On le fait en Allemagne (Dual) , mais aussi en Angleterre depuis des décennies sous le nom de &laqno;Sandwich courses».

On peut intégrer la formation professionnelle à l'activité de l'entreprise et ne confier aux institutions que la formation de type "tronc-commun", c'est à dire celle qui ne sert que de base générale à l'apprentissage de ce qui est vraiment utile sur le marché du travail. Dans ce cas, nous pourrions avoir une formation à temps partagé entre l'usine et l'école. Plus efficace, plus économique, plus motivante.




Question #13 Voulez-vous transporter vers l'entreprise la formation professionnelle spécifique?

 

Le défi colossal de la formation professionnelle, aujourd'hui, c'est qu'il ne s'agit pas seulement de former le quart de la main-d'oeuvre qui est sans-travail à des compétences et des attitudes nouvelles. Tout change. Personne n'acquiert au départ une formation qui vaudra pour toute sa vie active. il faut inscrire en perfectionnement continu, en rotation, un autre 15% de la main-d'oeuvre, puisque même les tâches de ceux qui sont au travail vont rapidement se transformer.

Est-ce que vous êtes conscients de l'urgence de mettre en place un programme universel de formation professionnelle continue et de le doter des ressources des entreprises comme de celles du réseau de l'éducation ? Entendez-vous intégrer totalement ce programme au système d'éducation, de telle sorte que jamais aucune formation ne devienne un cul-de-sac, que personne ne soit jamais à la fin de son apprentissage ?




Question #14 Mettrez-vous en place une formation continue ?

 

Quand on parle de formation, les techniques didactiques et pédagogiques du Québec sont remarquables. Le problème qui se pose est au niveau des structures et surtout des moyens financiers. Êtes vous prêts à mettre le paquet sur la formation professionnelle ? Et nous ne parlons pas de millions, nous parlons de milliards. C'est le passage obligé vers l'avenir.

Êtes-vous prêts, si nécessaire, à taxer et à imposer les entreprises pour réaliser ce programme ? Et si un fardeau fiscal supérieur met en péril vos industries, êtes vous prêt à faire jouer la solidarité et à taxer et imposer la population elle-même pour garder toute la main-d'oeuvre au travail ? C'est un choix de société. Faites ce que vous voulez, mais dites nous franchement ce que vous allez faire.

Et savez-vous ce qu'il en coûtera pour le faire ? Si vous n'avez pas estimé le coût de l'investissement requis en formation professionnelle, vous m'inquiétez. Si vous le savez et nous le cachez vous m'irritez. Calculez et parlez, c'est ça la démocratie. Je crois que l'exercice en vaudrait la peine et que le résultat intéresserait les électeurs.




Question #15 A combien estimez-vous l'investissement en formation ?

 

Le financement de la formation professionnelle dépend d'Ottawa. Oui, il faudrait ramener cette compétence au Québec, mais il n y a rien à ajouter puisque vous êtes tous deux d'accord. La question n'est pas là, mais sur l'ineptie de maintenir des discussions sur le sujet.

Le financement de la formation professionnelle semble dépendre d'Ottawa. En fait, compte tenu de la situation politique, il dépend de votre compétence. Car aucun gouvernement fédéral ne fera obstacle à une politique de formation qui serait indiscutablement plus efficace et qui contribuerait visiblement à ramener les chômeurs au travail. Les sans-travail votent à Ottawa comme à Québec.

Préparez le plan dont nous avons besoin et appliquez-le. Il ne s'agit pas de négocier, il s'agit d'avoir raison: le reste se fera sans problème. J'attire votre attention sur le fait qu'aucune Loi 101 ni aucune négociation n'a été nécessaire pour convaincre tous les grands restaurants du monde d'établir leurs menus en français. Il a suffi d'être les meilleurs.




Question #16 Allez-vous préparer et appliquer sans délai un plan global de formation professionnelle ?

 

En fait, on fait porter à Ottawa bien des torts dont nous sommes responsables. Quand Ottawa et Québec offrent des services similaires, ce n'est pas toujours à la porte québécoise qu'on est le mieux reçu et que le service est le plus efficace. Il est vrai, que la confusion règne entre Ottawa et Québec dans le domaine de la formation et qu'elle est source de difficultés. Mais la confusion règne aussi entre le (ou les) ministères québécois qui s'occupent de travail et de main-d'oeuvre, et entre ceux-ci et le (ou les) ministères québécois qui s'occupent d'éducation.

La confusion règne aussi entre tous ces ministères et la Société Québécoise de Développement de la Main-d'oeuvre, laquelle est venu faire la synthèse de toutes les confusions des Centres de Formation Professionnels qu'elle a remplacés... et n'a pas de rôle utile, étant seulement en attente d'hypothétiques transferts de fonds fédéraux.

Les Universités ont aussi leurs propres approches indépendantes, chacune la sienne, pactisant quand il le faut avec Ottawa comme Québec; les CEGEP sont autant de centres de profit indépendants, court-circuitant les Centres de main-d'oeuvre auprès des employeurs pour vendre leurs programmes de formation. Les centres de formation privés jouent aussi leur propre jeu, et la formation en entreprise, subventionnée ou non, a aussi ses règles.

Le Québec ferait mieux de mettre de l'ordre dans sa propre maison et dans le grand bazar de la formation et des politiques de main-d'oeuvre. Les sans-travail seraient mieux servis si on créait ici, comme on vient de le faire à Ottawa, un Ministère des Ressources Humaines, tel que le Bureau International du Travail le recommande depuis des lustres.




Question # 17 Allez-vous créer un guichet unique pour la formation ?

 

Il y a bien plus à dire sur la formation. Il faudrait revoir l'arrimage entre l'éducation générale et la formation. Accorder aux besoins professionnels l'importance qu'ils devraient avoir lorsqu'on décide du contenu des programmes...




Question #18 Allez-vous revoir l'éducation de base pour qu'elle soit aussi une préparation à la vie professionnelle ?

 

On parle toujours pudiquement du plein emploi et de la sécurité d'emploi, mais il faut décoder et comprendre que ce que tout le monde demande, en fait, c'est un plein revenu et la sécurité du revenu. Avec un quart des travailleurs qui ne travaillent pas, cette sécurité du revenu est obtenue actuellement, au Québec, par le versement chaque année d'une dizaine de milliards de dollars aux sans-travail.

C'est beaucoup et ça augmente. C'est en mars cette année qu'on a atteint, pour la première fois, le seuil des 300 000 000 $ par mois pour les seuls versements du B.S. C'est beaucoup pour celui qui paye, c'est bien peu - 657 $ par mois en moyenne par ménage - pour celui qui reçoit. Il est surtout clair que ce qu'on verse aux sans-travail n'est manifestement pas suffisant pour faire tourner à plein les roues de notre économie... mais qu'il n'est pas évident que ce sont nos roues qui tourneraient à plein si on leur en donnait plus.

Attention, je sais que ce que je viens de dire n'est pas simple. Je vais l'expliquer pour que tout le monde comprenne, au risque d'avoir bien des ennuis, car ce sont des choses que tout le monde ne tient pas à ce que tout le monde comprenne.

Comprenez d'abord que si on verse dix milliards par année aux sans-travail, ce n'est pas uniquement par charité chrétienne. Ils sont chrétiens aussi au Pérou, ils sont charitables aussi à Bombay, mais là-bas, on ne donne rien à personne. Ici, on donne parce que, dans une société industrielle comme la nôtre, la richesse est investie directement ou indirectement dans la production. Si la production restait invendue faute d'argent aux mains des consommateurs, c'est la valeur des entreprises elles-mêmes qui s'effondrerait et ce serait la ruine pour ceux qui possèdent les entreprises, lesquels ont aussi un mot à dire sur la façon dont on gère l'argent dans notre société.

Notre société ne peut pas fonctionner sans qu'il y ait l'argent qu'il faut dans les mains des consommateurs qu'il faut... et qu'une très grande part au moins de ce qui est produit soit vendu et vendu avec un profit. C'est en fait la première fonction d'un gouvernement moderne de maintenir cet équilibre.

Autre fait intéressant à noter, ce sont les pauvres qui sont de bons consommateurs. Ceux qui ont tout ce dont ils ont besoin ont la mauvaise habitude de ne pas dépenser l'argent qu'on leur donne mais de le garder. Il n'y a donc rien d'étonnant, mais rien d'édifiant non plus, à ce que les sans-travail, devenus inutiles comme producteurs, reçoivent une pitance - assurance-chômage, B.S, allocations diverses - pour demeurer des consommateurs. Ils achètent, les entreprises vendent; une partie des profits des entreprises va en impôts, avec lesquels on donne aux sans-travail le revenu qui leur permet d'acheter... etc.

Le problème se pose, toutefois, si le consommateur à qui on verse l'argent le dépense à acheter autre chose que ce que produit celui qui a autorisé le versement. Plus de profits, plus d'impôts, plus de transferts. Au Québec, comme dans les autres pays d'ailleurs, nous ne produisons pas tout. Tout ce que consomme le sans-travail à qui on donne un revenu n'est donc pas produit au Québec, il faut donc être prudent, et il y a des limites concrètes à notre "générosité".

Il y a des "produits" que l'on consomme au Québec, cependant, qui sont presque entièrement du Québec: les services. Ça ne règle pas le problème de base, car si on peut aujourd'hui produire des biens presque sans main-d'oeuvre, on ne peut et on ne pourra jamais survivre sans produire des biens: nous sommes dépendants, pour les biens que nous consommons, d'une structure de production qui est internationale et qui le restera quoi qu'on fasse. Produire plus de services ne règle donc pas totalement le problème... mais ça nous donne une marge de manoeuvre.

Si nous produisons plus de services, nous augmentons notre qualité de vie et nous créons une valeur pour laquelle il existe une demande "effective" , c'est à dire une demande de la part de ceux qui produisent aussi une valeur pour laquelle il y a une demande. Si nous pouvons donner aux sans-travail un préparation qui leur permette d'offrir un service utile, nous aurons les moyens de leur offrir un revenu décent. En fait, nous n'aurons plus à leur offrir quoi que ce soit: ils gagneront correctement leur vie à vendre leurs services.

Nous parlons de services, mais nous pourrions ajouter tout travail qui ne requiert pas une structure industrielle pour produire un bien. Il y a une demande pour ces biens comme pour les services La rénovation en est un bon exemple, comme la petite construction résidentielle, et la loi 142 est une tentative pour ouvrir ce marché. Il est seulement dommage qu'elle n'ait pas pris en compte les droits acquis des travailleurs et qu'elle ait mené à une confrontation plutôt qu'à une concertation où tout le monde aurait trouvé son compte... et surtout les syndicats. La transition, en fait, va de l'emploi salarié vers le travail professionnel autonome, hors la structure traditionnelle des emplois.

Le problème est de financer la transition: le temps pendant lequel les sans-travail et une bonne partie de ceux qui sont encore au travail mais qui en seront bientôt chassés par les machines plus performantes apprendront à vendre leurs services comme travailleurs professionnels autonomes, hors de la structure actuelle des emplois.

On ne peut pas payer la transition en imposant davantage ceux qui travaillent pendant qu'une partie croissante de la population ne travaille pas. Il faut créer de la richesse en mettant tout le monde au travail. La seule façon d'assurer un revenu décent à tous sans mener la classe moyenne à la banqueroute - et à la révolte ! - c'est de mettre en place un système de revenu minimum garanti.



Question #19 Mettrez-vous en place un système de revenu minimum garanti ?

 

Mais ne parlons pas d'un revenu minimum garanti sans contrepartie. Le revenu minimum garanti doit aller de paire avec une prestation minimale de travail, sans quoi nous allons à la ruine. Il faut exiger de tous une contribution à l'effort collectif.

Une contribution qui revête la forme, d'abord, d'un emploi à temps plus ou moins complet en échange d'un salaire - c'est ce qu'on vise par le travail partagé. Une contribution parallèle, ensuite, par le travailleur qui ne passant qu'une partie de son temps dans un emploi salarié peut développer une compétence de fournisseur de services et la mettre en valeur comme travailleur autonome.

C'est cette double approche qui permet de financer la transition. Le travailleur a son salaire minimum garanti, en échange d'un emploi, et c'est la responsabilité absolue de l'État de lui procurer cet emploi. Il développe une compétence supplémentaire et en tire en parallèle un revenu comme travailleur autonome, à la mesure de son travail et de son ambition, ce qui est tout à fait dans la ligne de la philosophie économique actuelle. La seule responsabilité de l'État, à ce titre, est de lui donner accès à la formation pour qu'il développe cette compétence.



Question #20 Accepteriez-vous un système qui permettrait au travailleur, à certaines conditions, de toucher ce minimum garanti mais de parfaire son revenu par un travail autonome en parall�le ?

 

Cette évolution vers l'autonomie du travail est inévitable. Elle correspond au besoin de laisser un travailleur plus instruit et mieux formé mettre à profit son initiative et sa créativité sans les contraintes rigides d'un emploi. La structure des emplois a été créée parce qu'elle collait aux nécessités de la production en chaîne dans une structure industrielle. Elle ne répond pas aux besoins d'une économie de services, alors que c'est la relation humaine et la motivation qui sont les grandes exigences.

Pendant que nous allons vers une structure de travail qui encadrera des professionnels autonomes plutôt que des employés, il ne faut cependant pas perdre les acquis de la sécurité qui devrait aller de paire avec le développement de notre richesse collective. Des douzaines de programmes de soutien au revenu et à l'emploi apportent aujourd'hui une grande confusion et sont souvent source d'injustices et de frustration. L'heure du revenu minimum garanti a sonné. Le gouvernement qui offrira de le faire mériterait d'avoir le mandat de le faire.


Pierre JC Allard

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