Sécurité : Police et armée
La société doit d'abord être gouvernée et
administrée, sans quoi elle ne peut constituer un tout cohérent.
Quand cela est fait et que son identité est acquise, son besoin prioritaire,
pour continuer d'être comme société, est d'être
protégée. Elle a besoin d'une force qui la protège
contre ses ennemis de l'extérieur et aussi d'assurer, sur son propre
territoire, la protection des sociétaires, de leurs droits et de
leurs biens, contre ceux au sein de la société qui menacent
les droits des autres.
Une société a ces deux besoins de sécurité
à satisfaire, auxquels on ne peut pas répondre de la même
manière. À l'origine, il n'y a naturellement que les soldats
du Roi à tous les créneaux, mais vite le guet apparaît
et les sociétés répondent à cette double demande
en mettant en place deux structures distinctes. D'une part, l'« armée
», dont la mission est de défendre la souveraineté de
l'État contre les attaques d'autres États souverains ; d'autre
part, la « police » dont la mission la plus évidente
est de mettre chaque citoyen à l'abri des malfrats et les voyous.
Armée et police ont des missions de sécurité complémentaires.
L'armée surveille les menaces qui viennent d'ailleurs, la police
celles qui peuvent sourdre au sein de la société même.
Ces deux structures de sécurité ont donc, dès le départ,
tendance à évoluer en parallèle et à devenir
différentes, tant dans leurs moyens et leurs méthodes que
dans leurs objectifs.
L'armée a des ennemis à soumettre ou détruire.
Elle doit lutter contre des adversaires qui ont des ressources non négligeables
de même nature que les siennes et qui peuvent parfois être les
plus forts : elle peut gagner ou perdre. Les deux parties à une guerre
se soumettent en principe à des règles mutuellement acceptées.
On peut tricher, mais les règles sont là. Entre militaires
ennemis, on peut se battre sans cesser de se respecter.
Entre la police et ses adversaires, au contraire, le rapport de force
est présumé totalement inégal, puisqu'il oppose les
ressources de la société tout entière à celles
d'un seul ou d'un nombre relativement restreint de malfaiteurs. Le défi
est de débusquer un adversaire dont, si on le force au combat, on
ne doute pas d'avoir facilement raison. On ne « lutte » pas
contre les criminels ; on leur fait la chasse L'ennemi ici n'obéit
à aucune règle. Il n'y a pas de respect entre criminels et
forces de l'ordre.
Comment se poursuivra l'évolution de ces deux structures dans
une Nouvelle Société ? Pour le prévoir, il faut d'abord
être bien conscient qu'en sus et en arrière plan de leurs missions
ostensibles dont nous venons de parler, « police » et «
armée » se partagent toujours une autre mission. Une mission
commune qui est de maintenir l'ordre public et donc de défendre l'État
contre ceux qui en contestent l'autorité.
Pour protéger l'État, sans lequel il n'y a plus de société,
armée et police se répartissent le travail, l'armée
n'intervenant en principe que si la contestation de l'État vise ouvertement
à renverser le gouvernement par la violence et prend la forme d'une
insurrection armée. Les gestes illégaux qui n'ont pas cette
prétention de changer l'ordre établi sont du ressort de la
police. En théorie, la police et l'armée répondent
donc à des problématiques totalement différentes.
LA POLICE
La menace des gangs
En pratique, cependant, les choses ne sont plus si claires dès
que la police ne fait plus face à des malfaiteurs agissant seuls,
mais à des criminels agissant en bandes, à des « bandits
». Quelques braqueurs, uniquement mus par l'appât du gain, qui
s'assemblent, exécutent un coup, décampent et se séparent,
troublent évidemment l'ordre public, mais ne constituent pas un défi
à l'ordre établi ; le désordre qui résulte de
leur geste criminel n'est pas une fin en soi mais un effet induit. La police
qui les poursuit ne fait qu'accomplir sa première mission : assurer
la protection des citoyens.
Quand se constitue un groupe de motards ou de trafiquants qui s'affichent,
recrutent, s'organisent et se préparent une relève, toutefois,
on fait face à un phénomène bien différent.
Des criminels qui se constituent en bandes peuvent développer un
sentiment d'appartenance, la bande s'appropriant alors la loyauté
que l'État attend de ses citoyens. Avec ce sentiment d'appartenance
naît une tradition, voire une mystique - tongs, mafias yakuzas - et
donc un désir de permanence du groupe qui ajoute à la notion
de criminalité celle d'une continuité dans l'illégalité.
Quand à l'appât du gain vient ainsi s'ajouter la volonté
affirmée de rester indéfiniment hors la loi, ce choix d'une
irréductible insoumission est une contestation ouverte de l'autorité
de l'État qu'on ne peut comparer qu'à celle de l'insurgé
qui prend le maquis. Le « banditisme », au sens littéral,
est le transfert à une bande de la loyauté due à l'État.
Le bandit, en fait, entre en rébellion. Une montée en puissances
des bandes (gangs) a donc pour effet de déplacer la priorité
de l'action des forces policières, laquelle cesse d'être la
capture de malfaiteurs individuels pour devenir une lutte à ces bandes
qui posent un défi à l'ordre public. La défense de
l'autorité de l'État passe au premier plan.
Ce changement de priorité entraîne un changement d'approche,
car les « bandits » sont des adversaires différents des
malfaiteurs solitaires. En bandes, des criminels peuvent opposer une sérieuse
résistance et devenir des adversaires redoutables pour les corps
policiers ; l'affrontement entre policiers et bandits cesse alors d'être
une « chasse » de ceux-ci par ceux-là pour devenir une
sorte de « guerre ». Une guerre d'usure, puisque les bandes
se renouvellent sans cesse par un apport de nouveaux adeptes et peuvent
donc subir de graves revers sans qu'elles soient jamais éradiquées.
Une guerre dont les belligérants comprennent vite qu'elle sera sans
fin et qu'il n'en sortira ni vainqueurs ni vaincus.
Dans cette problématique d'une guerre permanente aux gangs, le
rôle traditionnel de la police se transforme et aussi ses comportements.
Se réclamant d'une appartenance et se voulant permanentes, les bandes
se créent des normes de conduite qui deviennent des « codes
d'honneur », puis des règles tacites régissant non seulement
la loyauté au groupe, mais même l'affrontement entre policiers
et bandits, puisque les deux protagonistes ont intérêts à
respecter ces règles quand le rapport des forces entre les protagonistes
n'accorde plus toujours une supériorité écrasante aux
forces de l'ordre.
Quand le travail prioritaire de la police devient la défense
de l'État, que les forces en présence s'équilibrent,
qu'il y a des règles à suivre et donc une forme de respect
pour l'adversaire, on a des conditions qui suggèrent l'intervention
d'une armée plutôt que d'un corps policier. L'intervention
de l'armée, cependant, constituerait une reconnaissance de fait de
la force de l'adversaire et lui confèrerait le droit au respect que
mérite un ennemi sérieux. Plutôt qu'une intervention
de l'armée, les États qui font face au défi des bandes
préfèrent donc souvent augmenter les moyens de la police,
parfois au point d'en faire une quasi-armée au sein du pays lui-même.
Quand des bandes naissent et montent en puissance, il apparaît
incontournable de mettre progressivement en place une quasi-armée
de l'intérieur, tout entière dédiée non plus
à la défense du territoire national, mais à celle de
l'État et de l'ordre public. Ce qui n'est pas sans danger pour un
État démocratique, car, du point de vue de l'État, c'est
l'insoumission qui menace l'ordre public et que les motifs de cette insoumission
soient socialement progressistes ou crapuleux n'y change rien. À
la mesure des gestes qu'il pose, le révolutionnaire qui passe à
l'illégalité n'est pas moins un criminel que le bandit de
grand chemin.
L'État DOIT être protégé, envers et contre
tous et, pour l'État, un mouvement révolutionnaire est une
bande, rien de plus. Cette bande peut s'appuyer sur un projet politique,
mais toute bande criminelle ne peut-elle pas dorer son image en s'affublant
aussi d'un projet politique ?
La mafia sicilienne l'a utilisée, nationaliste à ses heures
avant de fuir Mussolini aux USA et de devenir une cinquième colonne
américaine en Italie durant la Deuxième guerre mondiale. C'est
une excuse trop facile. Le critère du crime doit rester la nature
du geste posé et ses conséquences plutôt que ses motifs.
J'ai déjà dénoncé (412) la
complaisance et l'amnésie sélective qui transforment rétrospectivement
en héros les terroristes qui ont du succès.
Puisque l'intention politique ne justifie pas le crime, en quoi l'évolution
de la police vers un statut de quasi-armée peut-elle mettre en danger
la démocratie ? Le danger vient de la confusion qu'on peut créer
entre l'État et le gouvernement et du pouvoir de celui-ci sur les
lois et les mots. Le risque, c'est qu'un gouvernement qui devient impopulaire
manipule les définitions et cherche à assimiler à des
contestataires de l'État lui-même - et donc à des ennemis
de l'ordre public - tous ceux qui s'opposent à ses politiques.
Quand tout désaccord avec le gouvernement en place peut être
redéfini comme « insoumission » - et donc comme un défi
à l'État - justifiant que la police reçoive instruction
de le réprimer, comment éviter que toute critique soit présentée
comme un rejet de l'État et que l'on puisse brimer toute contestation
légitime d'un régime en rendant illégaux tous les moyens
par lesquels elle pourrait se manifester ? Quand le pouvoir est de mauvaise
foi -- et ne l'est-il pas toujours au moins un peu ? -- une police qui devient
une armée pose le risque de mettre une force démesurée
au service du statu quo. C'est un risque, toutefois, qu'on ne peut refuser
de courir.
Le défi des bandes qui deviennent plus puissantes est la conséquence
inéluctable d'un crime qui devient « organisé »,
cette organisation découlant inévitablement des moyens de
communication plus efficaces que rend disponible la technologie moderne.
Ce sont les mêmes moyens qui permettent à l'État de
s'organiser encore mieux et de créer une police plus puissante. IL
DOIT LE FAIRE. S'il ne le faisait pas, la société ne reposerait
plus sur un équilibre entre des droits soutenus par une force consensuelle,
mais sur des tractations entre bandes qui suivraient le sort de la force
brute dont ils disposent.
Il faut courir ce risque, mais être bien conscient de ses conséquences
et insérer dans la structure de l'État des mécanismes
de contrôles adaptés à cette nouvelle situation. Dans
une Nouvelle Société, ce risque est jugulé, non seulement
par des contrôles formels efficaces 702A) mais par le principe explicite
que la légitimité du pouvoir en place repose sur son respect
absolu du Contrat Social et, dans le cadre de ce respect, sur l'expression
du consensus populaire. Les moyens sont là pour que soit déclaré
lui-même illégal un gouvernement qui tenterait de manipuler
les frontières de la légalité Section
6.
La police va évoluer pour faire face au défi des bandes
; la société doit se doter d'une police plus forte, mieux
armée, plus fière de sa mission. La police doit évoluer
dans la direction d'une armée de métier. Elle doit aussi évoluer
dans une tout autre direction, pour faire face au nouveau défi que
lui lance le pouvoir accru de l'individu.
La menace de l'individu
Les techniques modernes mettent entre les mains de tout individu un
effroyable pouvoir de nuire. La société doit se protéger
contre le désir de nuire de ceux qui voient dans ce pouvoir accru
une arme de chantage, de ceux qui ne respectent pas la solution d'un arbitrage
démocratique et donc pacifique aux différends qui surgissent
dans la collectivité et, plus que tout, de ceux dont le comportement
n'obéit simplement pas à la raison.
On pourrait en donner comme preuve le terrorisme, qui aujourd'hui apparaît
partout, mais ce serait faire fausse route. Le terrorisme est un phénomène
complexe. On ne connaît pas vraiment les méandres de sa genèse,
ni de sa fulgurante propagation dans la société actuelle.
On sait encore moins à qui vraiment il profite, ni sur quels agendas
il s'inscrit. On peut penser que le terrorisme découle des injustices
de la société -- et une Nouvelle Société
espère que le terrorisme se résorbera quand ces injustices
seront corrigées --, mais il ne faut pas croire que la menace d'un
dommage insensé causé à la société, avec
ou sans même l'apparence d'une justification, disparaîtra d'une
société juste. Cette menace est là pour rester ; elle
est inhérente au progrès technique, à ce pouvoir de
nuire qu'a acquis l'individu.
Les dommages que peut causer un individu par des moyens chimiques et
biologiques - sans même parler du simple camion bourré d'explosifs
qui est devenu une réalité quotidienne - sont devenus
terrifiants et le deviendront chaque jour davantage. Le pouvoir croissant
de l'individu menace la société et les défis à
l'ordre public seront de plus en plus graves. On pourra diminuer le risque
en réduisant les « irritants » que sont les injustices,
mais la menace sera toujours là et peut être plus difficile
à contrer que celle des gangs.
Les gangs son visibles et ont des buts, ce qui les rend prévisibles
et permet en y mettant les efforts qu'il faut de contrecarrer leur action.
L'individu qui agit seul est invisible et n'apparaît que si on le
prend sur le fait ou si on l'identifie par les avantages qu'il a retirés
de son geste. S'il n'en retire pas d'avantages -- agissant au service
d'une « cause » ou n'étant simplement pas rationnel -
il peut rester invisible indéfiniment.
« Unibomber », aux USA, a pu tuer impunément durant
des années et n'a été pris que quand il a voulu être
pris. Il envoyait des lettres piégées, mais supposez qu'il
s'en soit pris aux lignes de transmission ou aux pipelines ? Un kilo d'explosif,une marche de santé, deux fois par semaine... et les dommages sont effarants.
On estime qu'une personne sur seize en Amérique du nord - plus de
quinze millions d'individus ! - auront au cours de leur vie un ou plusieurs
épisodes d'irrationalité qui justifieraient leur internement
au moins temporaire.
Comment se défendre contre l'individu ? Pour s'en protéger
efficacement, ce n'est plus d'une quasi-armée, qu'on a besoin, mais
d'autre chose. Cette « autre chose » doit pouvoir prévoir
et prévenir. Pour prévoir et prévenir, il faut mettre
en place autre chose que des hommes armés. Il faut un service de
renseignement ubiquitaire qui soit à la fois le FBI et le CIA, métissé
de Gestapo et de KGB, avec une Loi des Suspects à la clef et des relents
d'Inquisition. Un service écoutant toute conversation et lisant tout
courrier, s'appuyant sur la délation et l'infiltration de toutes
les couches de la société par des agents provocateurs. C'est
une abomination. L'embryon de cette abomination est en développement
aux USA sous le sigle NSA. 40 000 employés y travaillent déjà.
Le foetus est bien viable.
Cette abomination est-elle une fatalité, ou peut-on penser à
une adaptation intelligente de nos mécanismes de sécurité
à ce nouveau rapport de forces entre l'individu et la société
? Une surveillance ubiquitaire qui soit respectueuse de la démocratie
et de la liberté individuelle ? Une Nouvelle Société
reconnaît le besoin d'un suivi permanent de tout le monde ; c'est
une conséquence de l'interdépendance qui se développe
dans une société complexe. Pour que ce suivi ne soit pas odieux,
cependant, il ne doit devenir la responsabilité professionnelle de
spécialistes qu'au palier de l'interprétation des données
et des mesures à prendre quand un problème s'est manifesté.
Le suivi quotidien et de proximité de tout le monde ne peut être
toléré que s'il est fait par tout le monde.
Est-ce dire que tout le monde surveille tout le monde ? Surtout pas
! Il ne faut pas que chaque citoyen fasse l'objet d'un contrôle actif,
mais passif. Il faut que ce soit le citoyen lui-même, par son seul
comportement, qui déclanche les mécanismes qui permettront
de se prémunir de sa malice quand une intervention sera requise.
Cela n'est possible que dans une société où est remise
en valeur l'appartenance et où est omniprésent un encadrement
qui découle de cette appartenance (709)
Ce n'est pas un secret que le crime crapuleux est rarissime dans les
sociétés primitives bâties sur l'appartenance à
la famille et au clan. Aujourd'hui même, dans la société
fragmentée que nous avons héritée de l'époque
industrielle, l'expérience montre une forte corrélation entre
solitude et comportements antisociaux. Il y a de notoires exceptions, bien
sûr, mais les individus problèmes qui ne sont pas des bandits
sont des solitaires ce qui est une lapalissade. Ils sont généralement
EXCEPTIONNELLEMENT solitaires, ce qui n'a rien de surprenant, puisque ceux
qui ont des relations avec d'autres doivent avoir un comportement acceptable
à leur groupe de pairs. Celui qui est enclin à la délinquance
entretient des relations sociales assidues avec d'autres délinquants
ou reste seul. La grégarité est non seulement un indice de
normalité, mais aussi un facteur de normalisation.
C'est en tirant les conséquences de cet effet de la grégarité
que sont nés les Alcooliques Anonymes - sans doute la plus efficace
initiative sociale de notre époque - et les groupes qui s'en sont
inspirés. Les gens que l'individu côtoie dans ces groupes de
libre appartenance ne le surveillent pas, mais ils ne peuvent que noter,
sans même vouloir y penser, toute modification de son comportement.
Les changements qui indiquent une dérive hors des principes du groupe
sont vite remarqués, notés en passant, discutés autour
d'une tasse de café puis donnent lieu à des initiatives d'aide.
Dans les cas extrêmes, une assistance professionnelle sera spontanément
suggérée par quelqu'un du groupe, puis sans doute appuyée
par le groupe tout entier
Dans une Nouvelle Société, en plus de sa famille, de son
milieu de travail et de son cercle d'amis, l'individu moyen est encadré
de toute part, de l'école à la maison de retraite ; il appartient
à tout un réseau d'associations de son choix et participe
à leurs activités. Ce réseau exerce sur lui une forte
pression. Elle est généralement positive, mais il doit appartenir
librement aux associations qu'il veut et il doit n'avoir aucun mal à
s'en retirer.
Ceci est important, car c'est en abusant de cette même force du
groupe que sont nées des sectes qui ont pu façonner sans contraintes
ostensibles les schèmes de pensée, puis les comportements de
leurs adhérents. Il est donc nécessaire que l'État
exerce une surveillance sur les groupes d'appartenance, mais en limitant
strictement à y garantir la liberté des individus.
Le système de sécurité d'une Nouvelle Société
ne fait pas de ce réseau d'appartenance qui quadrille la société
un mécanisme de délation, mais il le met à profit en
lui accordant une écoute attentive. Si, de l'avis d'au moins trois
(3) personnes, l'individu semble devenir une menace, ces trois personnes
pourront en aviser conjointement les autorités compétentes
et une enquête discrète aura lieu. Un suivi formel sera peut-être
mis en place. Au besoin, avec l'autorisation du tribunal, une véritable
enquête policière suivra et les mesures adéquates seront
prises.
Un encadrement social dense réduit la criminalité et en
permet un meilleur contrôle. C'est la situation qui prévaut
naturellement dans une société primitive ou que reconstituent
les États totalitaires en forçant l'adhésion a des
structures imposées. Une Nouvelle Société, qui n'est
ni primitive ni totalitaire, veut avoir les bénéfices de cet
encadrement dense, sans subir les restrictions à la liberté
qui découlent de l'appartenance à des regroupements monolithiques
mis en place par la tradition ou un gouvernement. Elle y parvient en favorisant
l'éclosion d'une multitude d'associations auxquelles le citoyen choisit
librement d'appartenir.
Ce maillage de la société par appartenances librement
choisies permet un contrôle de proximité des individus, par
un échantillonnage constant de leurs comportements. Une surveillance
qui n'est pas faite par l'État, mais par d'autres citoyens qui ont
avec l'individu des affinités et qui ne le surveillent même
pas ! Une surveillance qui n'applique pas des règles formelles, mais
s'assure simplement que chacun reste entre les balises de ce que le consensus
social juge acceptable, dans une société multiculturelle et
de très grande tolérance.
Nous avons donc trois cas de figure pour le contrôle de proximité
des individus, celui qui peut si facilement devenir odieux. . Dans le premier
cas, l'individu, comme l'immense majorité des citoyens, appartient
à une ou plusieurs associations qui ont des objectifs tout à
fait légaux ; il est en relations constantes avec ses pairs et ce
sont eux qui décèlent ses dérapages. Dans le second
cas, l'individu grégaire qui des tendances à l'illégalité
se joint ou tard à une bande, puisque c'est le seul groupe où
il est accueilli et la société s'en occupe dans le cadre de
ses mécanismes de protection contre les bandes. Dans le troisième,
on a l'individu solitaire qui n'émerge à la liste des membres
d'aucune association. Il n'est certes pas nécessairement un malfaiteur
! C'est peut-être un poète, un philosophe et c'est bien son
droit de vivre aussi seul qu'il le veut ; mais ce choix étant atypique,
la société s'assurera, par un suivi discret occasionnel, que
son choix ne dissimule pas une menace pour les individus ou l'ordre public.
Cette surveillance et surtout ce profilage du « solitaire »
sont-elles des atteintes tolérables à la vie privée
? Il faudrait surtout se demander s'il y a une façon plus discrète,
moins envahissante et aussi efficace d'optimiser la sécurité
dans une société complexe et de haute technologie, où
la vie et les biens de tous sont à la merci de chacun Tolérer
ce contrôle est essentiel si l'on veut pouvoir se tolérer les
uns les autres et s'aimer un peu sans vivre dans la peur.
Face au pouvoir grandissant à la fois de l'individu et des bandes,
les corps policiers doivent être structurés autrement. La place
que l'on peut laisser aux corps de sécurités privés
doit être repensée, de même que toutes les mesures de
contention au sens large, incluant tout ce qui restreint la liberté,
allant de l'utilisation des menottes et du port du bracelet de localisation
au bagne, en passant par l'obligation de se présenter, l'incarcération
temporaire et tous les niveaux de résidence surveillée
Nous proposons un modèle pour cette restructuration au texte
702A.
L'ARMÉE
Le rôle de la police doit se transformer, celui de l'armée
aussi, car nous n'aurons plus les guerres que nous avions. La guerre traditionnelle
opposait deux États ou groupes d'État ayant des intérêts
opposés et qui, se jugeant de forces égales, décidaient
d'en découdre sur le champ de bataille, le vainqueur imposant sa
loi au vaincu. Ce scénario est devenu ridicule : un sujet d'opérette
ou le fantasme d'un cerveau fêlé. Ce type de guerre n'aura
plus lieu.
Il semble saugrenu, dans la situation qui prévaut aujourd'hui,
de suggérer que la guerre traditionnelle en en voie de disparaître,
mais c'est pourtant le cas. Elle ne disparaîtra pas parce qu'elle
est abominable elle l'a toujours été - mais parce qu'elle
constituera de moins en moins un projet rentable pour ceux qui ont le pouvoir
de la faire. Historiquement les guerres servaient, soit à asservir
des populations et à tirer profit de leur travail, soit à
occuper des territoires, pour des fins stratégiques ou pour en tirer
des ressources rares, soit à détruire un rival commercial.
Or ces trois (3) motifs de faire la guerre sont aujourd'hui disparus.
D'abord, dans un monde où la main-d'uvre est surabondante et
où aucun travail signifiant ne s'accomplit sans une grande motivation
du travailleur, gérer une population conquise occasionne des frais
qui dépassent largement le profit qu'on peut tirer de son exploitation.
Dans le meilleur des cas, l'envahisseur a sur les bras une multitude pauvre
et incompétente qu'il faut nourrir ; dans le pire, son invasion peut
susciter une guérilla et une résistance interminable.
Ensuite, l'occupation du territoire par conquête est devenue désuète,
depuis qu'il a été bien compris que l'on peut se garantir
l'accès aux ressources rares dont on a besoin, sans s'embarrasser
du reste, par la simple corruption des potentats locaux. Il suffit d'encadrer
les forces armées de ces derniers de « conseillers »
et, au besoin seulement, de quelques bataillons d'élites si ces forces
locales s'avèrent trop ineptes ou déloyales pour protéger
le périmètre absolument nécessaire à la cueillette
de ces ressources.
Enfin, l'élimination des rivaux commerciaux se fait maintenant
par des embargos sur les approvisionnements, des contraintes à la
distribution ou, plus proprement encore, par de simples prises de contrôles
sur les marchés boursiers. Occuper la Ruhr, au vingtième siècle,
était encore essentiellement la tactique de Rome détruisant
Carthage. Aujourd'hui, les procédures ont changé. Mittal n'a
pas pris Arcelor à la tête d'une horde de cavaliers en turbans.
Il ne reste désormais que deux types de « guerres »
qui, même si elles en entraînent toutes les horreurs, ne sont
pas vraiment des guerres. Le premier type résulte d'une querelle
entre petits pays dont les moyens sont dérisoires au vu des capacités
militaires modernes. Il suffit qu'une force supérieure crédible
intervienne pour que les hostilités cessent et c'est cette force
supérieure qui départagera les prétentions des parties
: c'est l'Éthiopie contre l'Érythrée ou la Somalie.
Le deuxième type de conflit suppose une telle disparité des
forces en présence que le résultat n'est jamais en doute.
Ce sont les USA envahissant Panama et Granada, ou Israël attaquant
le Liban et Gaza.
Ces deux types de « guerres » ne sont pas vraiment des guerres,
puisque ce n'est pas la force des armes qui en déterminera la conclusion.
Dans un cas comme dans l'autre, l'action militaire des protagonistes n'est
qu'une amorce, une simple péripétie. Pour les conflits de
ce type, le déroulement de l'intrigue ne prévoit pas la victoire
d'une armée sur les champs de batailles, mais l'intervention en temps
opportun d'une tierce partie, normalement une force des Nations Unies, de
l'OEA ou de l'OTAN, qui répondra à l'appel et viendra mettre
fin à ce qui, en rétrospective, apparaîtra dans le premier
cas comme une escarmouche entre gangs et dans le second comme une querelle
domestique.
Une tierce partie viendra jouer le rôle d'une police. «
Opération de police » est d'ailleurs l'expression maintenant
acceptée pour désigner les interventions de forces internationales
qui viennent séparer les belligérants et rétablir l'ordre
public devenu l'ordre international. Pendant qu'au sein des États
la police doit devenir une armée, l'armée, sur le plan international
doit donc devenir une police.
Qu'une police intervienne pour régler entre petits pays des conflits
qui ressemblent à des guerres des gangs semble raisonnable, mais
pourquoi une intervention de « police » quand un État
puissant a imposé sa volonté à un plus petit ? Désir
de légitimité ? En un sens, oui. La disproportion entre les
moyens militaires des États rend encore plus odieux l'usage de la
violence, crée une sympathie pour le faible et une condamnation de
l'agresseur que les tiers ses rivaux utiliseront pour miner sa crédibilité
sur le plan commercial, lui causant plus de dommages que les profits qu'il
aura pu retirer de la guerre inégale qu'il a engagé.
Cet effet négatif de l'agression conduit à chercher le
soutien moral de la communauté mondiale, ce qui suggère la
transformation progressive même des armées nationales en «
forces de police ». Quand on va « policer » les pays gênants
ou riches en ressources, on sous-entend qu'on va procéder avec plus
de retenue que si on leur avait déclaré la guerre. On veut
laisser penser que ceux qu'on agresse ne sont pas des ennemis, mais des
innocents qu'on va délivrer de quelques mauvais sujets L'invasion
de la Tchécoslovaquie par l'Armée rouge lors du Printemps
de Prague, ou l'action d'Israël au Liban contre le Hezbollah, en 2006,
sont des exemples caricaturaux de cette approche.
Une rationalisation qui ne leurre évidemment personne, de sorte
que la voie de l'avenir est de confier la tâche de policer la planète
à une entité internationale idoine qu'on aura investie de
la force et de l'autorité requise. L'autorité dont disposera
cette entité ne sera légitime, toutefois, que si elle lui
est conférée par ceux dont elle assumera par la suite la responsabilité
de mettre fin aux différends. Elle va donc de paire avec un mandat
d'arbitrage qui doit appartenir à une Cour Internationale. Les Nations
Unies et la Cour de La Haye semblent tout désignées pour ces
rôles.
Pour qu'une telle force de police soit parfaitement efficace, toutefois,
elle devrait disposer d'une force si écrasante qu'aucun État
ne puisse sérieusement vouloir s'y opposer. C'est un rapport de forces
que ne souhaitent pas les États qui ont aujourd'hui le pouvoir de
ne se soumettre à aucun droit, comme les USA, ni même ceux
qui aspirent à avoir bientôt ce pouvoir, comme la Chine ! Même
si cette force est multinationale et que ses ressources humaines lui sont
fournies par les petits États, la rendant ainsi moins menaçante
pour les « grands », les Nations Unies ne peuvent donc rêver
que les superpuissances permettent aujourd'hui l'émergence d'une
telle force internationale minimalement crédible, encore moins disposant
d'une supériorité écrasante.
Une force internationale multinationale permanente devient nécessaire
pour faire la police et sera donc créée incessamment, mais
elle restera impuissante jusqu'à ce qu'un équilibre des forces
se crée qui rendra désirable pour tous qu'une telle force,
identifiée au consensus planétaire et au bon droit, non seulement
serve d'arbitre, mais puisse jeter son glaive dans la balance et imposer
un arbitrage. Le moment de cet équilibre viendra bientôt, avec
l'essor prodigieux de la Chine, si un rapprochement entre la Russie et l'Europe
arrive à temps pour créer une troisième force et éviter
l'affrontement auquel mènerait un monde bipolaire.
Dans un monde à trois joueurs autonomes et dont les alliances
« 2 contre 1 » fluctuent selon leurs intérêts
on remarque que c'est exactement le modèle de Orwell dans «
1984 » - une force multinationale puissante est un facteur de stabilité
dynamique. Elle est un utile contrepoids qui n'obéit pas à
des intérêts nationaux nais dont on peut attendre une certaine
impartialité - et donc accepter l'arbitrage - quand une confrontation
serait périlleuse. C'est l'Europe, déjà multinationale,
qui parrainera la création et l'évolution de cette force internationale.
Dans un monde où les vrais enjeux sont économiques et
où sont en équilibre trois superpuissances que leur taille
rend absolument impossibles à conquérir et à occuper,
le bon droit a donc sa chance. Les conflits entre « grands »
ne se régleront que par arbitrage, puisqu'il n'y aura rien à
régler par les armes : les vraies victoires et défaites auront
lieu au FMI ou à l'OMC. Quant aux conflits mettant en cause les «
petits », ils le seront finalement toujours par l'intervention «
policière » d'une force permanente crédible des Nations
Unies s'appuyant sur les décisions d'une Cour internationale de justice.
Ces conflits entre satrapies disparaîtront eux aussi, d'ailleurs,
aussitôt qu'on aura mis hors d'état de nuire le complexe militaro-industriel
que dénonçait Eisenhower dans ses adieux à la nation
américaine. (Farewell
Speech 1961) Quel que soit le prétexte avancé, ces «
guerres » n'ont en effet ni sens, ni réelles raisons d'être
et sont uniquement fomentées, de provocations en provocations savamment
orchestrées, par ceux qui en tirent profit : ceux qui vendent des
armes aux combattants et ceux qui reconstruisent ce qui a été
détruit. L'action militaire initiale de ces conflits ne règle
jamais rien. Elle n'est là que pour justifier les ventes et causer
la destruction. Quand ventes et destructions ont eu lieu, on appelle la
« police » qui vient mettre fin au conflit, pacifier et rétablir
l'ordre. On remet au tiroir la cause du conflit. qui pourra peut-être
encore servir.
Cette horreur se terminera dès qu'une Nouvelle Société
pourra offrir au capital une activité plus rentable, comme nous en
traitons dans un autre texte. Mêmes les opérations de police
deviendront alors bien moins souvent nécessaires, exigeront un équipement
moins lourd et feront bien moins de victimes. La guerre traditionnelle va
disparaître et avec elle aussi l'armée traditionnelle.
La guerre traditionnelle devenant peu à peu anachronique, il
apparaîtra opportun de transférer vers la police les ressources
et les méthodes de l'armée. On le fera, mais avec des contraintes
et des restrictions, puisque l'adversaire n'a pas à être détruit,
mais subjugué, éventuellement ramené dans le droit
chemin et que, l'affrontement n'ayant pas lieu en territoire hostile, il
faut limiter les dégâts. Il y a des avantages à cette
évolution, l'armée ayant historiquement un sens de la discipline
et du devoir ainsi qu'une résistance à la corruption supérieure
aux corps policiers. On devrait certainement s'inspirer de la formation
militaire pour celle des policiers.
La vraie sécurité
Une Nouvelle Soci�t� va constituer une force polici�re dont la force devra �tre incomparablement sup�rieure � celle des bandes, de quelque nature que ce soit, qui contesteraient l'autorit� de l'�tat. Cette quasi-arm�e constituera-t-elle un danger pour la d�mocratie ? En aucune fa�on. En fait, elle ne serait m�me jamais assez puissante pour d�fendre la soci�t� contre les attaques des individus, si elle n'avait pas la collaboration active d'une tr�s vaste majorit� de la population.
Dans une soci�t� de haute technologie, personne ne peut emp�cher l'individu qui veut s'attaquer � la soci�t� de causer un dommage terrible. Cette vuln�rabilit� est in�vitable. La bonne nouvelle, c'est que si quelqu'un peut parfois intervenir et emp�cher ce dommage, ce n�est pas un policier ni un militaire, mais un autre individu : celui qui est l�, tout pr�s, � ses c�t�s.
C'est la r�action spontan�e de quelqu'un qui d�fend la soci�t� qui peut le mieux contrecarrer l'action de quelqu'un qui l'attaque. Une Nouvelle Soci�t� ne cherchera donc pas � conf�rer � un corps policier la force de d�fendre la soci�t� contre les individus, car c'est la population elle-m�me qui est le mieux en mesure de se d�fendre contre les attaques des individus.
Les chances que quelqu'un soit l� qui veuille prot�ger la soci�t� sont en proportion directe du consensus dont jouit l'�tat. Pour se pr�munir contre des initiatives s�ditieuses qui n'ont pas de soutien populaire r�el, ou contre la simple l'irrationalit�, une soci�t� n'a pas de meilleure d�fense qu'un tr�s large consensus. Dans une soci�t� complexe, la vraie s�curit� passe par une adh�sion aussi totale que possible de la population au maintien de l'ordre.
Une soci�t� complexe est si fragile, en effet, que si une majorit� de la population veut sa perte, les milliers de petits gestes et de petites omissions qui sont � port�e de main du monde ordinaire peuvent la paralyser et la d�truire en quelques jours, sans m�me qu'une concertation soit n�cessaire, sans m�me une action violente, sans qu'on puisse jamais trouver un coupable Seulement une myriade de sabotages qui font que rien ne fonctionne plus. L'�tat, dans une soci�t� complexe, ne survit que si sa population veut tr�s majoritairement qu'il survive.
Le vrai danger ne vient donc pas d�une action concert�e ; dans ce genre de situation, l��tat a toujours l�avantage. C'est quand la contestation est au niveau de l'individu agissant seul - et qu'elle devient un non-dit dont la cause est totalement internalis�e - que l'�tat doit prendre garde, puisqu'il ne voit alors le m�contentement qu'� ses effets sur les variables �conomiques.
Il doit alors s'empresser de satisfaire la population avant que les roues ne grincent et ne s'arr�tent. Mai 1968 a �t� un exemple de ce genre de ph�nom�ne, mais encore au stade de l��bauche, la contestation trop ostentatoire pour �tre un parfaitement efficace.
Un large consensus est si n�cessaire dans une soci�t� complexe, que la r�surgence d'une tyrannie ouverte qu'une force polici�re puisse soutenir efficacement n'est pas une option cr�dible. Qu'on ne craigne donc pas abusivement la mise en place d'une force polici�re efficace. Cette force peut pr�venir le danger d'actions subversives par de petites minorit�s, mais elle serait totalement inefficace contre la volont� d'une majorit�. M�me contre la mauvaise volont� d'une minorit� un peu substantielle...
C'est le soutien des citoyens � l'�tat et leur volont� d'intervenir qui est la vraie s�curit�. Le vrai risque est donc que l'on ne puisse pas cr�er et maintenir le consensus qui est le v�ritable bouclier. Le risque que la tyrannie par manipulation, la tyrannie occulte de quelques-uns et les injustices qui en d�coulent, dissuade un nombre croissant de citoyens d'intervenir quand la soci�t� est menac�e. On a besoin qu'ils interviennent.
Si on ne leur donne pas la motivation pour le faire, on en fait peu � peu des complices, puis des acteurs de ce sabotage diffus des m�canismes sociaux contre lequel il n'y a pas de parade. C'est ce d�sengagement de la population, fatal dans une soci�t� complexe, que doit pr�venir l��tat.
C'est l'outil que manie le terrorisme, mais en y associant une violence
si inutile et qui rend si odieuse la contestation du régime, qu'on
doit s'interroger sur le véritable but de ceux qui l'emploient. De
même la grève qui, n'étant pas spontanée est
vulnérable à toutes les corruptions et est la plupart du temps
contreproductive.
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Pierre JC Allard