Tome II
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome I

 

 

De l'intérieur on oubliait complètement que l'on était près des Champs Elysées ou même tout simplement à Paris dans les années 2000, les studios paraissaient énormes, on y voyageait, de salle en salle, d'un décor de jeu télévisé, à celui d'un feuilleton qui se passait en Provence, des dizaines de portants apparaissaient derrière les portes de loges entrouvertes, couverts de costumes et de vêtements de toutes les époques et régions du monde.
Lors d'une de ses sorties, José avait suivi Brian, ils étaient entrés par la porte des livraisons comme tout coursier qui se respecte et chargés chacun d'une pile de courrier du jour, étaient montés dans les étages, personne ne semblait remarquer la présence de José, le personnel changeait souvent, les acteurs étaient parfois embauchés pour une journée, voire quelques heures seulement, et pour assister les metteurs en scène et autres dirigeants, tout un tas de petites mains s'affairaient : retoucheuses à genou leurs aiguilles dans la bouche, coiffeurs armés de bombes de laque menaçantes, maquilleurs aux idées lumineuses et pailletées, habilleuses autoritaires ou compréhensives, secrétaires discrètes courant derrière les chefs les plus rapides, stagiaires servant les cafés et sandwichs… José aurait pu être n'importe lequel de ces acteurs de la vie quotidienne des studios Naché.
Au détour d'un couloir un peu plus long que les autres, les deux jeunes hommes arrivèrent à l'endroit où se tournait au même instant une scène de film en costume. A l'intérieur de la moitié d'un wagon SNCF des années cinquante, se trouvait un couple de vieux acteurs, l'homme en feutre gris, la femme portant un chapeau noir orné d'une fleur rouge, un panier entre leurs pieds contenant une grande oie blanche, vivace et tonitruante. Le metteur en scène se tenait devant eux et leur expliquait d'une voix forte comment ils devaient regarder le jeune homme qui allait entrer dans le wagon, puis il se tourna vers l'acteur principal dont l'habilleuse tirait encore la veste pour ajuster son costume avant la scène.
"Il est content, tu vois ? heureux, tu comprends ça ? heureux, tu me la joues HEU-REUX parce que là, je te sens, bon, je vais pas dire triste, mais je te sens comme "moyen", "ni chaud ni froid", "bon j'ai réussi mais après tout ma vie n'en est pas changée !" Eh bien si ! Justement, ta vie va changer ! N'oublie pas que ce type il a étudié à la force du poignet, il n'avait pas papa-maman derrière lui pour payer ses études, il a bossé à l'usine comme ses parents et là tu vois, la vie noire, l'esclavage moderne, tout ça, il voit tout ça s'envoler parce qu'il a réussi son examen, tu comprends ??"
"Oui, oui, c'est bon Arny je la sens cette scène, on se la fait maintenant, je la sens !"
"ON TOURNE !!"
Le clapet indiquant le numéro de la scène retentit et l'étudiant en costume élimé entra dans le wagon qui se trémoussait maintenant comme une vieille deux chevaux, il n'y avait pas de paysage mais seulement des rails et des pierres sous les roues du train. L'homme avançait avec un sourire immense du fond du wagon en direction de la caméra, arrivé au niveau du couple âgé il s'arrêta et regarda vers les sièges en face d'eux, tournant alors la tête vers l'homme au feutre gris, il lui demanda :" Je peux m'asseoir, c'est libre ?"
"Oui, oui, bien sûr Monsieur, allez-y je vous en prie !"
L'oie se mit alors à crier et l'étudiant à rire de bon cœur, le metteur en scène ne disant rien, la scène pouvait continuer, et là l'étudiant pris par un fou rire plus fort que les indications scéniques mit sa mallette sur ses genoux, en sortit ses papiers, tous ses cours écris à l'encre noire d'une toute petite écriture et regardant le couple de voyageurs dit :
"Vous voyez tout cela ? J'ai réussi ! Oui Monsieur ! J'ai réussi mes examens ! Vous me croyez Madame ? Un fils d'ouvrier va devenir médecin, j'ai tout fait, tout ! j'ai travaillé plus dur que dix fils de bourgeois réunis, j'ai tout sacrifié, pas de famille, pas d'ami, pas de distraction, pas de vie privée, juste un but : réussir ! et j'ai réussi, j'ai réussi !!" cria-t-il en jetant d'un grand geste tous ses cours par la fenêtre ouverte.
"COUPEZ !"
"Superbe, bravo Nino, c'est la bonne, allez on remballe". Les petites mains se précipitèrent dans le décor, qui attrapant l'oie, qui rassemblant les accessoires, quatre gros bras commençaient déjà à démonter le wagon pour libérer la place à un nouveau décor.
José, pendant qu'ils se préparaient à partir, resta à observer les feuilles éparpillées sur les voies comme les mille pages d'un manuscrit perdu.

***

En ressortant de la salle Brian avait attrapé sur la table roulante qui s'approchait du Studio 21 un sandwich club emballé dans du plastique alimentaire.
"Oh !" fit la jeune femme qui poussait la desserte "rends-moi ça !" mais Brian avait déjà tourné au coin et disparu dans un autre couloir, José à sa suite. Arrivés dans l'entrepôt où l'on gardait tous les accessoires, il voulut partager son repas avec son nouvel ami mais celui-ci avait des scrupules à manger une nourriture qui ne leur était pas destinée.
"Mais non !" rigola Brian "je mange ici tous les jours, ça fait partie de mon contrat, le sandwich du midi…" dit-il en retirant la pellicule de plastique "je t'invite !"
Alors José ne pouvait plus refuser et le remercia pour cette nourriture inespérée, il était plus de 13h30 et il n'avait rien mangé.
"Il faut que j'y aille" dit-il à Brian "on va me chercher partout."
"Bon, ben, à une prochaine" répondit le jeune office boy tout en plaçant les courriers arrivés dans la matinée à l'intérieur des pochettes de son chariot.
"D'accord Brian" fit José en lui tendant une main amicale" à une prochaine fois. Je te remercie pour la visite."
"Oh, de rien, c'était marrant."
"Oui, et instructif ! Salut !"
"Salut !"
José se dirigea au pas de course vers les doubles portes de l'entrepôt et se retrouva dans une courette pavée au cœur du bâtiment en pierre de taille, aveuglé par la lumière du dehors il mit quelques secondes à repérer la porte et le couloir qui donnaient sur la rue. Poussant enfin l'énorme porte cochère de l'immeuble il retrouva les bruits et le mouvement de la rue, et s'élança en direction de Peterson avec la ferme intention de ne pas arriver assez en retard pour que qui que ce soit le remarque.
Les trottoirs étaient encombrés d'une clientèle huppée qui se promenait sans hâte d'une boutique de luxe à une autre, José doublait adroitement les costumes trois pièces et les manteaux de vison, sans regarder derrière lui les visages de ces passants endimanchés. C'était dans ces rues qu'il avait le plus de chance de croiser la star qu'il n'avait pas rencontré dans les studios de cinéma, peut-être verrait-il un jour Philippe Noiret et d'autres acteurs français ou même américains dont il connaissait bien le visage, allant acheter leur caviar, leurs stylos en or ou leurs montres suisses… Ainsi travaillait son esprit journalistique au fil des rues élyséennes. Il n'était pas treize heures quarante cinq lorsqu'il passa la grosse horloge digitale qui surplombait le guichet du concierge. Il n'y avait personne dans l'entrée, tout était calme. L'ascenseur semblait attendre José au rez-de-chaussée, il le prit donc et monta jusqu'au troisième où il retrouva sa chaise à roulettes à temps pour voir entrer sa responsable chargée d'un gros classeur gris foncé et d'une pochette de photos fraîchement tirées.
"Tou prends et mets les photos dans les pochettes s'il vous plaît."
"Pas de problème Madame, je le fais tout de suite." Helen sortit satisfaite en se dandinant un petit peu, ses chaussures d'école catholique rappelaient vaguement à José les palmes d'une oie.

 
 
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