Tome II
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome I

 

 

Louise prenait tous les jours le train de banlieue de 9 heures 23 qui la menait en un peu moins de 25 minutes de Maisons-Laffitte à la gare Saint Lazare. A côté d'elle, un homme d'une quarantaine d'années lisait son magazine de "business" comme on disait dans le jargon commercial et il n'était pas rare qu'il attire quelques regards amusés car Henri, le businessman, le coude appuyé au rebord de la fenêtre, le menton sur sa main ouverte, les yeux baissés vers son journal posé sur ses genoux, bercé par le balancement de l'omnibus matinal, dormait souvent jusqu'au terminus, ouvrant parfois un œil à l'occasion d'un coup de frein ou d'un ronflement un peu plus bruyant.
Ce matin là, ce fut Louise qui le réveilla d'un petit coup de coude alors qu'elle allait descendre dans le gris de la grande gare, avec ses allures d'années 1900 St Lazare rappelait les romans de Zola que Louise avait découverts lors de ses études à Paris.
Elle s'étonna que le monsieur n'ait pas l'air pressé de descendre et pensa que c'était sans doute parce qu'il était encore tout endormi.
Ici tout le monde était pressé. Des masses compacts descendaient les 27 quais de la gare de Paris Ouest disparaissant comme des fourmis à l'intérieur des couloirs sous-terrain.
Pour arriver jusqu'à son école il fallait encore que Louise emprunte deux lignes de métro différentes. Les premiers temps cela paraissait long et pénible, et puis on s'habituait, on marchait vite, on doublait par la gauche, on se faufilait par la droite, on avançait les yeux rivés sur les indications murales, répondant comme un animal entraîné à tous les sigles et signaux mis en place à cet effet : panneau bleu foncé aux lettres blanches, sortie ; ligne rouge encerclant une lettre capitale, RER A ; M1, ligne de métro qui traverse la capitale à l'horizontale, c'est la "touristique", qui couvre la plupart des centres de loisirs le Louvre, les Halles, la place de la Concorde, les Champs Elysées… ; M13 et M7, les "Universitaires" qui coupent Paris à la verticale de St Denis à Censier, en passant par Jussieu, Tolbiac et jusqu'à Malakoff.
Bientôt il y aurait une ligne desservant toutes les gares, les mailles de la toile se resserraient, Paris était déjà un gruyère, un fromage creusé de galeries innombrables sur trois ou quatre niveaux de profondeur et pourtant, les travaux continuaient dans la tentative aveugle de véhiculer toujours plus de gens du travail à la maison, de la maison au travail, du centre à la périphérie, de la banlieue à la capitale.
Louise émergea par l'escalier roulant de la station Place d'Italie.
Le ciel était gris, presque blanc, quelques gouttes de pluie annonçaient la fin d'une averse automnale à laquelle elle venait d'échapper. Sur la place les voitures tournaient à la recherche de la rue à suivre. Louise s'avança pour traverser et recula agacée par les projections d'eau boueuse des pneus passant à vive allure sur le béton parisien.

Le lycée où avait lieu la formation était semblable à la plupart des autres écoles de la ville. Un vieux bâtiment aux longs couloirs dont les galeries longeaient des cours fermées plantées de quelques marronniers où, à chaque pause, déambulaient de petits groupes d'adolescents qui parlaient un langage étrange et étaient presque tous mal habillés.
" Salut Louise ! "
La jeune femme qui arrivait derrière elle était assez blonde, elle avait de grands yeux d'un brun profond qui oscillaient comme deux billes de verre toujours en mouvement.
"Ca va ?" demanda Louise en guise de réponse, continuant à avancer le long du couloir interminable, "Ouais, ça va" répondit Aurélie son éternel sourire tirait en direction des pommettes ses grosses lèvres roses.
Comme Louise ne disait rien Aurélie reprit, toujours joviale, tentant de trouver un sujet qui encouragerait sa nouvelle camarade à bavarder.
"Alors, tu les as faits les exercices de comptabilité ? C'est vachement dur la compta, j'ai horreur de ça"
"Hmm, à mon avis tu n'es pas la seule…" Louise gardait pour elle ses impressions des différents professeurs qui avaient été choisis pour assurer la formation "Assistanat Commercial" où l'ANPE l'avait inscrite quasiment de force lorsqu'elle avait dit qu'elle venait du Brésil, qu'elle était bilingue et n'avait jusqu'à présent enseigné que peu de temps et, comble du malheur, pas en France…
Entre les mains de la fonctionnaire conseillère en formation, Louise avait bien dû se rendre à l'évidence : elle n'était pas "qualifiée", elle n'avait aucune "formation" qui intéresse les entreprises, son "expérience" était inexistante au regard des "exigences" des patrons.
Qu'allait-elle donc faire pour pallier toutes ces erreurs de parcours ? Une maîtrise de géographie, ça ne servait à rien, ce n'était un secret pour personne. Comment comptait-elle trouver un emploi si elle ne voulait pas apprendre ?
Effectivement, sous cet angle, Louise ne vit pas d'autre solution que la "formation qualifiante".
"Ca vous fera le plus grand bien !" lança la conseillère en tailleur-pantalon. "C'est un stage rémunéré, enfin, si votre dossier est accepté et, cela va sans dire, si vous assistez régulièrement à tous les cours."
"Et combien reçoit-on ?" demanda Louise curieuse de savoir à combien serait estimé son effort pour ne pas faire augmenter le taux de chômage national.
"Deux mille francs" annonça la conseillère sur un ton satisfait "par mois !" ajouta-t-elle en voyant l'air peu enthousiaste de sa chômeuse.

Comme le catalogue rose regroupant les métiers du tourisme et de l'administration se trouvait justement là dans les papiers qu'avait amenés avec elle cette femme si sèche mais si désireuse d'aider la pauvre jeune-femme semi-étrangère dans sa recherche d'une place dans la jungle commerciale française, comme, de plus, la plupart des formations étaient passées, à venir ou déjà pleines, Louise fut sommée de choisir entre "Secrétaire Comptable", "Agent de Réservation" et "Assistante Commerciale". Un silence dubitatif s'installa dans la salle vide et incolore. Louise gardait les yeux fixés sur les lignes décrivant le contenu des cours sans réussir à imaginer où tout cela le mènerait. Une partie de son esprit essayait de se souvenir d'une personne qu'elle connaissait qui aurait exercé l'une des professions en question. En vain.

La fonctionnaire finit par ouvrir un autre livret - également de couleur rose pale - et, passant en revue la table des matières, finit par ajouter "ou 'Assistante Maternelle', ça commence lundi et il reste une place !"
C'est comme au cinéma, pensa Louise il y a toujours des films pour lesquels il reste des places…
"Jeanne" se rappela-t-elle soudain "ma tante fait du commerce, elle connaît bien ce monde là, elle pourra m'orienter".
C'était ainsi que Louise avait accepté de s'enrôler pour une formation d'Assistante Commerciale au grand soulagement de la dame au sourire froid qui avait mis un petit signe incompréhensible sur sa liste, tout près du nom de Louise.

***

Arrivées en haut des marches du quatrième étage du lycée parisien, Louise et Aurélie entrèrent dans le hall du "couloir de formation", la partie du lycée où ne pénétraient que les "stagiaires en formation". Les enfants et les professeurs du lycée n'y étaient pas les bienvenus, ce petit espace haut perché leur était réservé. Là se trouvait le "secrétariat de formation" ainsi que la plupart des "salles de formation". Bref, tout avait rapport avec eux, un univers miniature où il y avait même une bibliothèque équipée en ordinateurs et audio-vidéo pour les cours de langue.
Aurélie s'avança vers le pôle d'attraction principal du couloir, une machine à café qui, pour 2 F 50, crachait un liquide amer et chaud au fond d'une tasse en plastique blanc.
"Tu veux quelque chose ?" lança-t-elle à Louise qui était restée près de l'entrée à feuilleter une revue d'actualité en anglais.
"Non merci, pas maintenant."
Aurélie appuya sur le bouton "plus sucré" avant de choisir sa boisson, son traditionnel 'capuccino', mélange de chocolat en poudre et de café instantané qui n'avait d'italien que le nom.
L'heure du cours arrivait, toutes les femmes plus ou moins jeunes participant à la formation "Assistanat Commercial" étaient arrivées et la plupart avait déjà pris place derrière les petites tables en aggloméré. Louise entra suivie de près par Aurélie, tasse en plastique à la main, qui adorait s'asseoir à côté de quelqu'un, aujourd'hui ce serait à côté d'elle…
Les tables étaient toujours disposées en U sûrement pour donner aux stagiaires l'impression qu'il ne s'agissait pas tant d'un cours que d'une réunion informelle à laquelle chacun pourrait se sentir libre de participer. Les tables ne disaient pas si les stagiaires pouvaient aussi se sentir libre de ne pas participer mais il était clair que l'absence de qui que ce soit se remarquait sur le U d'aggloméré comme une dent en moins dans un grand sourire, d'ailleurs on les avait bien prévenues : pas de présence, pas d'argent. Les Assedic étaient mauvais payeurs, il ne leur suffisait pas de ne délivrer l'argent du premier mois qu'au bout du quatrième, ils comptaient aussi les jours, voire même les heures, auxquelles vous n'aviez pas assisté… Ainsi parlaient les trois Isabelles - qui s'étaient tout de suite senties en famille à l'annonce de leur homonymie - lorsque le professeur de commerce fit son entrée dans la salle de cours.
Comme d'habitude il était enveloppé d'un nuage de tabac froid. On voulut ouvrir les fenêtres, les fumeurs n'avaient pas chaud et montrèrent une certaine résistance mais les non-fumeurs (étant en majorité) finirent par gagner le droit à un peu d'air parisien sinon pur tout au moins inodore.

 
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