Tome II
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13

 

 

José travaillait depuis plusieurs semaines dans les locaux de Peterson, une entreprise multinationale qui avait installé ses bureaux parisiens dans les beaux quartiers.
C'était un travail sans intérêt mais ce n'était pas uniquement pour l'argent qu'il avait voulu le prendre. Désireux de s'introduire dans "l'âme" du français il avait cherché le moyen le plus efficace d'entrer en contact avec une multitude de personnes et la profession s'était imposée d'elle-même, tout le monde cherchait des gens sans qualifications particulières pour aider à faire des photocopies, à déplacer des meubles, à ranger des fournitures…
José n'avait pas eu de mal à se faire passer pour un ignorant, un immigré était un analphabète présumé et les employeurs se moquaient bien de savoir la vérité sur ses qualifications.
Les premiers jours avaient été fatigants, bien que sportif dans son adolescence, José n'avait jamais fait ce type de métier et était plus habitué à manier l'information que les cartons de papier machine.
Au bout d'une semaine ou deux il commençait à parler un peu avec le personnel, découvrant rancœurs et déboires de bureaux à la française. Ce ne fut qu'au bout de quelques mois que les jours commencèrent à lui paraître interminables.
Il y avait de longues heures d'attente entre les moments d'empressement, il y avait même parfois des jours entiers à ne rien faire. On pensait au départ que c'était un repos bien mérité pour tous ces jours où on avait travaillé double, où on n'avait pas arrêté une seconde, tous ces moments de stress où les urgences se succédaient au rythme des appels avec un degré d'importance toujours plus grand et des priorités qui se chevauchaient, chaque chef cherchant à faire passer son travail avant celui des autres.
Mais les moments vides devenaient vite pénibles, ils pouvaient même atteindre l'insupportable pour qui savait que là, dehors, une vie attend. Des dizaines, des centaines de sujets de reportages surgissaient là dehors à chaque minute devant les yeux de celui qui savait regarder. Et pendant que José se retrouvait prisonnier d'un siège à roulettes, attendant qu'enfin un ordre vienne, les articles qu'il devait envoyer à Verde ne s'écrivaient pas. Son éditeur-chef, Ricardo, lui envoyait régulièrement de courtes lignes assassines par courrier électronique mettant en doute le fait même qu'il soit bien en France, sous-entendant qu'il essayait de tromper ses collègues, ses "pauvres" collègues, comme il disait, lui rappelant que Verde avait investi dans son hypothétique voyage en France et que, s'il n'avait pas revendu les billets d'avion pour s'acheter une maison dans son village natal, il allait bien falloir qu'il se décide à envoyer ses articles !
Peu à peu, à force de tourner en rond, des toilettes au bureau, du bureau à la machine à café, de la machine à café aux toilettes et des toilettes à sa chaise à roulettes, ayant épuisé les charmes de la conversation de bureau et les idées de blagues brésiliennes qu'il ne manquait pas d'aller raconter à son collègue le coursier portugais pour attiser gentiment ses préférences raciales, à force et enfin, José avait fini par trouver la sortie.
Il n'était pas difficile d'aller et venir, d'autant plus pour un "office-boy" comme on disait, qui était amené fréquemment à se déplacer entre les deux bâtiments qui abritaient l'entreprise en forte croissance. Sortir n'était pas un problème, ce qu'il fallait c'était gérer le temps. Un bon sens de l'observation servit rapidement José dans son entreprise d'extension territoriale et temporelle. Il y avait principalement deux types de personnes à convaincre : les secrétaires et le portier.
Le portier ne relevait pas de la direction de l'entreprise, il était donc a priori moins important que les secrétaires, mais en y regardant de plus près on pouvait se demander si cela n'était pas une erreur de jugement. En effet, ce petit monsieur aux cheveux noirs et gras organisés en mèches autour de son front brun avait probablement derrière son bureau-guichet en marbre rouge (qui rappelait beaucoup les administrations d'antan) un petit écran de contrôle et une ligne directe lui permettant d'informer le Directeur des faits et gestes de chacune des personnes qui traversaient le hall d'entrée. Même si ce n'était pas le cas José ne le saurait jamais et sa stratégie était basée sur cette prudente maxime qu'il avait fait sienne : Dieu seul sait jusqu'où va l'imagination des hommes.
Ainsi José avait-il développé sa stratégie des "trois passages".
Pourquoi trois ? Le triple passage du hall était une technique qui avait fait ses preuves. Au premier passage le regard du petit homme fumeux se levait presque systématiquement pour voir qui passait - après tout un portier est là pour garder les portes ! Le deuxième passage consistait à rentrer l'air pressé, au maximum cinq minutes après avoir fait le signe de tête réglementaire lors du premier passage. Etre vu lors du deuxième passage n'avait pas autant d'importance, car deux minutes plus tard il fallait faire la grande sortie, toujours pressé, en grommelant de préférence, José repassait devant le guichet du petit noiraud qui, en général, ne se donnait même plus la peine de lever les yeux, fatigué de ces allées et venues.
Le tour était joué, de là il pouvait passer une heure, voire deux à l'extérieur des bâtiments de Peterson sans que personne ne sache avec certitude s'il était entre deux bâtiments, parti faire une course, ou simplement en pause déjeuner. La technique marchait aussi avec les secrétaires, seulement parfois il fallait y ajouter quelques discours, car bon nombre d'entre elles étaient déjà des "triplesortistes" aguerries et un certain pourcentage se serait en plus facilement classé tête de série aux championnats internationaux de commérages de bureaux.

 
 
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