Tome II
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome I

 

 

"Dis-moi Loulou, si tu avais deux mètres carrés, qu'est-ce que tu y mettrais ?"
"Comment ça deux mètres carrés ?"
"Oui, deux mètres carrés en plus, tu vois, si on te disait 'Voilà, Mme Aguiar, à partir d'aujourd'hui vous êtes l'heureuse propriétaire d'un container de deux mètres carrés, vous pouvez en faire CE-QUE-VOUS-VOU-LEZ !" fit José en mimant un présentateur de télévision, repoussant ses cheveux vers l'arrière et tenant son micro bien haut devant sa bouche.
"Voyons voir", répondit-elle entrant dans le jeu et prenant de sa main le micro imaginaire qu'il lui tendait, "je pense que j'en ferai profiter mes enfants et mes petits enfants" répondit-elle d'une voix chevrotante "je leur donnerai la moitié de mon gain afin qu'ils puissent y ranger tous leurs vieux jouets…" José éclata de rire et sans la laisser terminer reprit le micro pour le passer à une autre candidate fictive "et vous, Maria, que feriez-vous de ces deux mètres carrés inespérés !?"
"Moi ?" s'exclama Louise sur un ton interrogatif, une main posée sur la hanche et battant des cils à toute vitesse avec l'air surpris d'une femme séductrice, "deux mètres carrés ? je ne sais pas, cher Monsieur, à vrai dire cela me paraît un espace fort réduit pour y mettre tout ce que je voudrais y mettre !"
"Et de quoi s'agit-il Madame ?"
"Comtesse de Montracis, s'il vous plaît !"
"Ah, pardon, Comtesse !"
"Je vous en prie, Monsieur le présentateur, je vous en prie, quelle était donc votre question ?"
"Qu'y mettriez-vous, dans ce container ?"
Louise allongea le bras pour tracer un cercle d'un diamètre gigantesque mais indéfini et dit sur un ton hautain : "Mes chaussures."
"Vos chaussures !" s'esclaffa José reprenant tout de suite son air sérieux pour ne pas perdre le fil du jeu.
"Oui, Monsieur, j'ai, voyez-vous, une très belle collection de chaussures, malheureusement elle me prend plus de place que des timbres et je ne sais plus comment faire pour la ranger… Figurez-vous que cela fait, au bas mot, une semaine que j'y réfléchis, j'ai acheté ma dernière paire chez Battie il y a 7 jours exactement - soit dit en passant une très belle paire de bottines à lacets à l'ancienne, importée d'Italie, en superbe cuir de vachette pleine fleur !- enfin bon, c'était mon dernier espace, mes étagères sont pleines, mes pièces sont pleines d'étagères…"
"Alors Madame, pardon, Comtesse, vous allez avoir l'honneur et le privilège d'être mise en relation avec Vraquédépaux, spécialistes du stockage en libre accès, qui trouveront une solution PAR-FAITE pour vos chaussures, et vous pourrez leur rendre visite quand vous voudrez !"
"Oh merci" dit Louise en exécutant une petite révérence.
José rit à nouveau et l'embrassa avec tendresse, puis il se dirigea vers la cuisine pour voir ce qu'il y avait là qu'il pourrait utiliser pour préparer leur repas dominical. Il aperçut au fond du placard une boîte de fécule de maïs et décida de tenter un couscous à la brésilienne. Il n'y avait pas de noix de coco ni de couscoussière mais il allait improviser le tout avec un peu de beurre demi-sel breton et une grosse poêle en fonte.
Louise alluma la petite télé, les programmes ne distrayaient pas, ils donnaient des regrets, le regret de ne pouvoir accéder à une autre forme de distraction, le regret de ne pas entendre le bruit des voisins, le regret de ne pas recevoir les visites d'une famille nombreuse et unie… elle regarda quelques instants le reportage de la deuxième chaîne sur les mendiants de Calcutta, passa sur la cinquième qui diffusait un documentaire sur les poissons tropicaux, coupa le son et laissa là les couleurs se mouvoir dans l'aquarium télévisuel.
Elle sortit son cours de marketing et commença à relire le chapitre de la semaine passée, tout était calme, on n'entendait que les bruits de la cuisine où José s'activait, un battement de cuillère en bois contre le flanc d'une marmite profonde, le chant de la viande sur le grill, ainsi que l'odeur qui remplissait peu à peu le petit appartement commençaient à donner faim à la jeune femme. Les cours de ces derniers jours avaient porté sur le marketing direct, calvaire bien connu des étudiants peu fortunés qui passaient fréquemment leurs vacances dans un box meublé uniquement d'une chaise et d'un téléphone à travers lequel ils devaient convaincre le plus de personnes possible d'acheter un produit donné. Mme Gride leur avait dicté les chiffres essentiels concernant cette méthode de vente et leur avait donné des articles à lire et à commenter. Inutile de dire qu'Aurélie avait narré son expérience dans le télémarketing à grand renfort de superlatifs, désirant montrer à son professeur combien elle était parfaite pour cette formation. Louise était restée perplexe, elle ne s'imaginait pas comment une méthode aussi intrusive et basique pouvait réussir à vendre quoi que ce soit. Et pourtant, les chiffres étaient là, et comme disait José, si c'est là c'est que ça doit vendre…
"Bonjour je voudrais parler à Madame Aguiar" s'imagina-t-elle
"Oui, c'est moi"
"Bonjour Madame, je suis Machinette de la société Robindébrouette, pourriez-vous répondre à quelques questions s'il vous plaît ?"
"Euh, ben, oui, enfin, de quoi s'agit-il ?"
"Robindébrouette est une société qui innove en matière de jardinage, tous nos produits sont écologiques et dans le respect de l'environnement nous créons un monde meilleur pour nos enfants…"
"Ah…"
"…achetez-vous des produits de jardinage Mme Aguiar ?"
"Non, pas vraiment"
"Connaissez-vous des personnes qui en achètent ?"
"Oui…"
"Oui ? eh bien nous vous proposons de recevoir notre nouveau catalogue pour la somme de 10 euros et avec une réduction spéciale de 50% car vous êtes une nouvelle cliente, une cliente spéciale pour Robindébrouette !"
"Ah, mais je ne souhaite pas…"
"Mais vos amis s'y intéressent n'est-ce pas ? alors nous pouvons l'envoyer directement à leur adresse !"
"Non, non, je vous remercie, euh, désolée, ça ne m'intéresse pas."
"Bon, au revoir Madame, bonne journée."
Et là le téléphone allait sonner chez quelqu'un d'autre, même discours, même client spécial, même "non merci"… quelle méthode ancienne et dépassée, à l'heure de l'Internet, à l'heure de l'impression laser, des cartes de crédit…
Louise retourna à ses notes de cours : "Mise en place dans les années ***, cette méthode de marketing a surtout été populaire au début de la société de consommation avec le porte à porte, aujourd'hui encore des sociétés spécialisées l'utilisent afin de présenter leurs produits directement aux clients existants ou potentiels (ex. pharmacies, dentistes, machines outils…)".
"José !" cria-t-elle pour qu'il l'entende à travers le bruit "Il y a des représentants qui passent dans ton entreprise ?"
"Des quoi ?"
"Des représentants"
"Oui, il y en a parfois, pourquoi ?"
"Et ils arrivent à placer leur produit ?"
"Ben, ça dépend ! Ca dépend du produit, si on en a besoin ou pas."
Le besoin, encore une chose que Louise n'arrivait pas bien à cerner, cette notion si importante et pourtant si vague ! On vendait un produit à ceux qui en avaient besoin, mais avait-on besoin de tout ce qu'on achetait ? De combien de types de stylos une entreprise avait-elle besoin ? De combien de robes une femme avait-elle besoin ?
Comment allait-elle faire pour trouver sa voie dans cette jungle commerciale ? Mieux valait sans doute suivre l'exemple des trois Isabelles… apprendre son cours et répondre parfaitement aux questions des petits examens et tests hebdomadaires. Pour le concret il ne lui resterait plus qu'à s'armer de courage et, pour son entrée sur le marché du travail, à bien choisir son stage.
Le stage était la partie qui l'intéressait le plus, l'étape la plus motivante de la formation : c'était le moment où elle allait se confronter à une entreprise réelle ("de verdade" pensait-elle), le moment où elle allait devoir faire face à un chef, à des ordres, à des collègues de travail… enfin toute une ambiance qu'elle n'avait encore jamais connu, ni en France, ni au Brésil, et qui l'intriguait énormément. Elle se sentait comme une anthropologue au bord de la découverte, excitée mais un peu nerveuse. Son année d'enseignement ne lui avait rappelé que le temps où elle avait elle-même était élève et ne l'avait pas avancée sur la vie dans l'entreprise, mais aujourd'hui la profession d'assistante commerciale allait la jeter directement au milieu des prédateurs qui faisaient tourner notre monde moderne, quel défi ! Elle souriait en réfléchissant à l'entreprise qu'elle allait prospecter… celle de José lui paraissait intéressante, sans doute à cause de toute les histoires qu'il lui racontait, mais elle n'avait pas envie de travailler dans les mêmes bureaux que son mari, elle préférait garder pour elle sa vie privée.
"Oh, tu rêves ? j'ai dit à table !"
"J'arrive"

 
 
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