Tome II
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome I

 

 

"Demat dit !"
"De quoi ?" rétorqua Aurélie à Soizic les yeux encore plus ronds que d'habitude.
"Bonjour, je te disais 'bonjour' en breton."
"Tu parles breton ? c'est dingue !"
"Ben oui, je parle breton, je suis bretonne."
"Mais j'y suis déjà allée en Bretagne, tout le monde parle français là-bas, c'est une langue morte le breton, non ?"
"Pas si morte que ça ! depuis qu'on a le droit de l'apprendre à l'école elle est redevenue une langue régionale importante."
"Avant c'était interdit ?"
"Oui, tu as déjà entendu parler de François 1er ?"
L'heure du cours approchait et les stagiaires venaient un à un remplir les places de la salle de cours. Louise entra avec un "hello" souriant, c'était l'heure du cours d'anglais.
"Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi dit Aurélie en riant" les langues étrangères n'étaient pas son point fort et, malgré les encouragements du professeur, elle évitait de se faire remarquer pendant les leçons afin de ne pas avoir à répondre aux questions qui l'auraient forcée à montrer son accent pitoyable.
"Comment ?" demanda Louise en tournant la tête vers Soizic, l'interrogeant des yeux pour savoir de quoi il s'agissait.
"J'initie Aurélie à la culture bretonne !"
"Ah bon, c'est intéressant, tu parles breton ?"
"Oui, c'est une langue celte, complètement différente du français."
"Comment dit-on "bonjour" en breton ?"
"Demat dit"
"Comment ? s'écria Aurélie qui, bien que l'entendant pour la seconde fois, n'avait toujours pas réussi à reconnaître une seule syllabe de la salutation de Soizic.
"Tu peux aussi dire "Salud" si ça te paraît plus facile" fit Soizic en souriant devant les grimaces de sa camarade.
"Mâ-â-di ?" c'est ça ?" tenta Louise toujours désireuse d'apprendre des choses nouvelles.
"Démââd-dit."
"Démââd-dit."
"Voilà !" approuva Soizic tendant un doigt rondouillard et diaphane vers sa nouvelle élève.
"Ah, c'est marrant comme langue et comment dit-on "ça va ?" continua Louise.
"On dit 'Mat traou ganit' littéralement ça donne à peu près 'bien les choses avec toi ?'".
"C'est trop marrant" s'esclaffa Aurélie "c'est tout à l'envers !"
"Exactement" fit Soizic "nous les bretons on est contrariant" dit-elle en riant.
"Ca a l'air très difficile comme langue" dit Louise sérieusement.
"C'est ce qu'on dit, oui, pour moi c'est naturel, ma grand-mère le parle encore tous les jours".
L'entrée du professeur d'anglais les força à interrompre cette intéressante conversation, plusieurs minutes se passèrent pourtant avant que Louise ne prête attention au cours. Ses pensées étaient occupées par ce que venait de dire Soizic. Soudain la France lui parut être une mosaïque sonore et linguistique.
Elle ne s'était jamais intéressée aux langues régionales, sa mère et toute sa famille française, du moins tous ceux qu'elle connaissait, venaient de la région parisienne, certains évoquaient parfois des racines en Limousin et des ancêtres parlant en langue d'Oc, mais cela avait toujours retenti comme une légende aux oreilles de Louise. Elle était née dans un pays immense et jeune, elle avait appris à l'école que des milliers de tribus d'indiens de l'Amazonie parlaient des milliers de langues ou dialectes différents, qu'ils étaient en voie de disparition, menacés. Jamais elle n'avait pensé que le "premier monde" comme on disait là-bas, possédait aussi ses tribus, ses langues et ses dialectes. La France, si petite comparée au Brésil, prenait aujourd'hui pour elle des allures de constellation culturelle infinie ou chaque jour une étoile risquait aussi de s'éteindre.
"Could someone please read the text for us?"
Le silence qui suivit la question du professeur réveilla Louise de son songe culturel, à côté d'elle Soizic tournait les pages de son livre avec une attention fabriquée, de l'autre côté Aurélie avait la tête si basse que ses cheveux blonds balayaient légèrement la page où se trouvait le fameux texte que personne ne voulait lire.
Enfin une main se leva, c'était Josiane, la plus âgée, pour elle les cours de langue étaient une bénédiction qui allaient lui donner la possibilité d'utiliser ses dix ans d'expérience dans le commerce sur des marchés plus internationaux. Pour Louise Josiane était une courageuse, une femme que rien n'arrête, car à quarante-cinq ans il devait être bien difficile de reprendre une formation avec des jeunes plutôt arrogantes et sans aucune expérience.
Josiane en était arrivée au milieu du texte quand le professeur l'arrêta.
"Un instant" dit-il en anglais, "pas si vite, avez-vous bien compris cette première partie ?"
"No", dit Josiane visiblement embêtée.
"Alors nous allons reprendre ensemble, s'il-vous plaît."
"Ok" dit Josiane soulagée.
"Et puisque tout le monde a du mal à lire, nous allons lire tous ensemble, phrase par phrase, je sais que ce n'est pas une chanson des Beatles mais essayez quand même de sentir le rythme de la phrase, ça monte, ça descend, il y a des syllabes fortes et d'autres qu'on n'entend presque pas, voyez-vous ?"
Quand le professeur Dixon, qui voulait qu'on l'appelle Vaughan mais que tout le monde appelait quand même M. Dixon en raison de la difficulté que représentait le "g" muet au milieu de son prénom, lisait le texte tiré du Financial Times de la veille, il était en effet évident que cette langue avait un rythme et tout ce qu'il avait dit, répéter après lui se révélait parfois plus difficile, mais c'était lire seul qui posait bien entendu les plus grandes difficultés, tant pour Josiane que pour un bon nombre d'autres élèves de la formation "assistanat au commerce international". Certains devaient avoir l'oreille plus musicale et lisaient avec plaisir, partageant leur bel accent avec leurs camarades plus dépourvus : un texte bien lu aidait infiniment à la compréhension du contenu économique. Aujourd'hui il s'agissait de décisions prises à Bruxelles concernant les aides à l'agriculture dans l'Union Européenne et une fois que tout le monde eut lu et répété en cœur, Vaughan Dixon ouvrit le débat qui constituait généralement 50 % de son cours et auquel seule Aurélie ne participerait vraisemblablement pas, par une question, "les fruits et légumes sont-ils trop chers ou pas assez chers ?".
C'était un problème que Soizic connaissait bien, son visage blanc de petite fille d'agriculteur breton, se tourna vers le professeur avec une moue renfrognée "Mr. Dixon" commença-t-elle
"Vau'n" interrompit le professeur avec un petit geste de simplicité
"Vau'n" reprit Soizic prête à toutes les concessions linguistiques pour pouvoir revendiquer les droits de ses ancêtres "I think fruits and légumes are cheaps, they must be more expensive".
"Ok, and why is that ?" interrogea le professeur sans relever le fait que "fruit" en anglais ne prend jamais de "s", que légumes se dit "vegetables", que cheap ne s'accorde pas et que "devraient" se dit "should" et non "must", il était manifestement intéressé par la véhémence de son élève.
Le débat qui s'en suivit sur le prix des denrées alimentaires, les revenus des agriculteurs, les aides gouvernementales, les abus des intermédiaires, l'import et l'export et les supermarchés ne se termina que lorsque la fin du cours sonna sur la promesse expresse que l'on reprendrait la prochaine fois là où l'on en était resté.

 
 
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