La
direction de Peterson avait décidé de mettre en place un service
minimum et c'est ainsi que José s'était retrouvé réquisitionné
pour le premier de l'an. Arrivé à l'heure comme d'habitude, il avait
eu l'honneur de désactiver toutes les alarmes et d'allumer les lumières
aux différents étages. Il n'y avait encore personne et José,
pris d'une certaine curiosité, s'aventura dans les couloirs déserts
où veillaient encore quelques écrans d'ordinateurs mal éteints.
Il vérifia les tiroirs des photocopieuses pour voir s'il restait suffisamment
de papier tout en jetant quelques coups d'il dans les bureaux qu'il ne connaissait
pas encore. Des noms étaient inscrits sur les portes mais José savait
que le personnel changeait assez souvent de place, certains arrivaient, d'autres
partaient et tout le monde se déplaçait comme dans un grand jeu
de chaises musicales.
Arrivé au cinquième étage, José
eut la surprise de voir que l'alarme était désactivée et
les lumières allumées, s'attendant à trouver un des directeurs
dans son bureau, il s'avança le long du couloir illuminé. Personne.
Les bureaux étaient vides. Marchant sur une grande tâche foncée
dans la moquette du couloir, il se rappela de l'inondation qui avait eu lieu.
Le bureau des deux directeurs avait repris un aspect normal, seule la moquette
était restée marquée par cet événement inhabituel.
Soudain José remarqua comme un bruit d'eau, il regarda par la fenêtre,
il ne pleuvait pas, le ciel était ensoleillé, alors une idée
lui vint et il se mit à avancer vers l'escalier de service, il monta les
marches et se retrouva face à une porte marquée "sans issue",
le bruit d'eau venait de là, c'était sûr !
José
colla son oreille à la porte et entendit une voix familière qui
chantonnait "singing in the rain", puis l'eau s'arrêta de couler
et José redescendit en faisant le moins de bruit possible : on était
le premier janvier et Dieu seul savait pourquoi le directeur de Peterson avait
eu envie de commencer cette nouvelle année par une bonne douche au bureau
!
***
Les quelques jours de repos que José
avait eu pour les fêtes de fin d'année avaient été
l'occasion de nombreuses promenades dans Paris. Louise avait traîné
José dans les musées et José l'avait entraînée
dans les jardins sans fleurs au cur de l'hiver.
De rue en rue ils avaient
admiré les décorations lumineuses, étoiles, guirlandes et
boules rouges accrochées à de vrais sapins de noël, ils avaient
ri devant les grands magasins avec leurs vitrines animées où se
pressaient des centaines d'enfants fascinés par les marionnettes bougeant
en musique. Partout il y avait des enfants et des vendeurs de marrons chauds criant
"chauds mes marrons" avec des accents tout à fait variés.
Quelques flocons d'une neige fine tomba cet après-midi là sur leurs
bonnets en laine. Ils avaient passé la journée à marcher
le long des quais passant sous les ponts, longeant de grandes péniches
habitées de mystérieux marins fluviaux transportant parfois du sable
et des graviers, d'autres fois rien du tout, simplement amarrés aux quais
avec leur maison flottante. L'eau déjà foncée et insondable
du grand fleuve français s'obscurcissait un peu plus au fur et à
mesure que la nuit tombait sur la capitale. Un peu plus loin on voyait la silhouette
de Notre-Dame illuminée se détacher sur le ciel parisien.
"Alors
tu réfléchis toujours ?"
"Comment ça ?"
répondit José sans comprendre, il observait sur une péniche,
un petit chien qui jouait avec une balle fluorescente.
"As-tu décidé
si tu veux rester en France ?"
"Ah
" il tourna son visage
gelé vers elle et sourit "notre temps est passé je crois"
"Hein ?" c'était au tour de Louise de ne pas comprendre, voulait-il
donc vraiment repartir ?
"Oui, les visas ont expiré" dit-il
toujours souriant "mais j'ai fait ma demande de permis de séjour !"
s'écria-t-il en riant.
"José !" gronda-t-elle, "ce
n'est pas drôle ! quand as-tu fait ces démarches ? pourquoi ne m'as-tu
rien dit !"
"Ah, ah, tu es mignonne quand tu t'énerves, ma
femme !"
"Non, vraiment arrête, dis moi !"
"Tu
te rappelles de ma technique du triple-sortiste ? eh bien ça a très
bien marché, j'ai pu entrer et sortir et faire mon travail tout en organisant
mes démarches !"
"Alors nous restons ?"
"Ca
te fait plaisir ?"
"Oui, mon cur, je suis très contente,
cela va être une année pleine de changement pour nous deux."
Fin du tome II