Un
homme malade ce n'est jamais beau à voir. Depuis deux jours José
se traînait du lit à la salle de bain son front brûlant entre
les mains, un rouleau de papier toilette rose sous le bras.
"Aahh, j'ai
mal à la tête
" c'est tout ce qu'il disait quand il levait
les yeux vers Louise qui essayait par tous les moyens de le convaincre d'aller
voir un médecin.
"Il ne pourrait pas venir ici ?" dit José
en reniflant dans son papier rose, il était couvert jusqu'aux oreilles
sous sa couette épaisse mais la fièvre le faisait encore trembler.
"Oh, écoute, tu n'es pas mourant quand même, c'est à
deux pas, on y va, allez, lève toi."
Le docteur
Jolivet avait une petite salle d'attente où étaient assis sept adultes.
Les enfants dépassaient dans le couloir, il y en avait debout, assis sur
les genoux et dans les poussettes. Certains criaient mais la plupart étaient
calmes et occupés avec l'un de leurs jouets ou une des revues de jardinage
placées sur la petite table basse.
De temps en temps on entendait les
voix du docteur et de ses patients venues de la salle de consultation, par dessus,
la petite musique d'ambiance empêchait qu'on ne sache de quoi il retournait.
Tandis que José continuait de se moucher et de somnoler les yeux larmoyants,
Louise observait le manège des enfants qui avaient déjà organisé
une sorte de jeu autour de l'entrée de la salle d'attente. Il s'agissait
manifestement d'entrer et de sortir sans toucher du pied la barre en métal
doré qui raccordait les deux morceaux de moquette sous la porte. Le petit
dans la poussette était attaché et se remuait dans tous les sens
pour s'extirper de ses liens, il voulait participer au jeu des grands, le plus
grand, lui, sous les ordres de sa mère, tentait de distraire le petit et
d'agir en jeune garçon responsable : il ne fallait pas déranger
les malades. Le petit commençait à crier un peu et les biscuits
que son frère lui tendait avec insistance ne résolvaient pas le
problème car l'un des autres enfants presque du même âge, le
narguait du regard en faisant rouler une petite voiture type 4L rouge qui faisait
du bruit sur la moquette du couloir du cabinet médical.
Le docteur
Jolivet apparut enfin. Une déception pour Louise
la famille suivante
entrait avec trois enfants, le petit à la voiture rouge, et deux grands
qu'elle n'avait pas remarqués jusqu'alors car ils étaient occupés
autour des revues du docteur. Une vieille habitude française voulait que
les médecins sous-estiment toujours le temps de leurs consultations et
acceptent une famille entière soit trois ou quatre patients sous couvert
d'un unique rendez-vous. L'attente n'en était que plus longue et plus pénible,
déjà une heure s'était passée et il restait toujours
autant de monde dans la petite pièce. Les néons un peu anciens donnaient
un air blanchâtre plutôt livide aux patients impatients.
Au retour
José se sentait un peu mieux, c'était sans doute le fait qu'un médecin
l'ait vu et ne se soit pas inquiété de son état ("Juste
un petit virus hivernal Monsieur, ce qu'il vous faut c'est du repos, et je vais
vous faire une ordonnance
") qui lui avait remonté le moral.
Il observa le gel sur le pare-brise des voitures, et les arbres nus et presque
noirs qui se détachaient sur le ciel blanc. C'était vraiment étrange
ce ciel bas, un ciel qui paraissait vous tomber sur la tête, on n'y voyait
pas les gros nuages blancs, auxquels il était habitué, se déplacer
très haut dans le ciel bleu. Parfois des masses grises obscurcissaient
la lueur déjà pâle du soleil distant et la pluie, ou la neige,
tombait sur la ville.
Ils se pressèrent sous le porche d'entrée
de leur petit immeuble, tirant maladroitement sur leurs gants pour attraper leurs
clés, la boîte aux lettres était pleine, entre deux prospectus
de supermarché et le journal de petites annonces du quartier, ils trouvèrent
une magnifique vue de la plage de Canto, et se sentirent un peu réchauffés
par cette image venue de l'autre continent. Ils montèrent rapidement et
retrouvèrent la chaleur du chauffage central dans leur petit appartement.
José se moucha pendant que Louise lui lisait la carte postale de Cordélio
:
"Chers amis, nous pensons bien à vous, vous nous manquez ! Paris
a l'air d'une ville superbe ! Merci pour votre carte. Le petit va bien, il a beaucoup
grandi, il adore aller à la lanchonete avec moi, Socorro reste souvent
à la maison car elle attend un deuxième bébé ! Meilleur
souvenir. Cordélio et Socorro"
"Oh, un deuxième bébé
déjà ! c'est formidable ! dit Louise."
Le nez dans ses
kleenex José reniflait toujours, "Formidable, comme tu dis !"
il rit un peu, "les brésiliens sont incroyables ! tellement d'enfants
sans même savoir de quoi ils vont vivre !"
"Tu exagères,
Cordélio est travailleur, il arrivera toujours à subvenir aux besoins
de sa famille."
"Il faut espérer."
"Bon tu
devrais prendre tes médicaments et dormir un peu, le médecin te
l'a dit : rester au lit et prendre du repos !"
José retira ses
chaussures en ronchonnant un peu.