Tome II
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome I

 

 

"Enfin le week-end !" dit José en s'affalant dans le petit canapé convertible qui leur servait aussi de lit.
Leur intérieur était tout simple, plutôt estudiantin, ils possédaient en tout et pour tout : une table en sapin vernis et trois chaises pliantes, deux tasses à café, quatre tasses à thé et des verres petits et grands, une petite télé que la famille de Louise leur avait donné, un grand nombre d'assiettes de teintes variées achetées au poids dans une braderie de banlieue avec un lot de couverts inox en parfait état, un petit tapis en laine que José utilisait comme descente de lit ("je ne vais quand même pas mettre les pieds directement sur le sol tout froid !" disait-il) et, bien sûr, une petite cafetière "à l'italienne".
A la maison ils parlaient toujours portugais, un portugais bien de chez eux, teinté d'expressions nordestines, mais quand ils sortaient José insistait pour que l'on ne parle que français : "tu n'es plus au consulat brésilien" disait-il à Louise "tu peux parler français !". Il n'aimait pas beaucoup les regards des passagers curieux face aux locuteurs étrangers.
Ce samedi là, le temps d'une douche et d'un repas rapide, les deux amoureux décidèrent de partir découvrir un nouvel endroit propice à la promenade.
Le ciel bleu les avait attirés jusque dans les sous-bois et les forêts des anciennes demeures royales où les familles en pique-nique et les sportifs amateurs avaient depuis longtemps remplacé les courtisans et autres aristocrates en carrosse. Les arbres européens ne lassaient pas de les fasciner, ils n'étaient pas aussi grands et massifs que les essences américaines mais la douceur de leurs teintes et la finesse de leurs branches créaient des ombres découpées sous lesquelles il faisait bon s'aventurer. Parfois un sentier sans sortie ou un sous-bois trop dense les faisait reculer vers un chemin plus aménagé. Les orties et les ronces ne passaient pas au travers de leurs jeans épais mais ils ne se sentaient pas vraiment de taille à affronter cette nature sauvage et encore mal connue.
José respirait et se délectait du parfum de bois et de terre, Louise cueillait des herbes folles dans lesquelles elle soufflait parfois, les maintenant de ses deux pouces.
Les brindilles craquaient sous leurs pas au long du chemin, ils étaient silencieux.
Louise se pencha pour arracher une nouvelle herbe, José lui attrapa le bras et dit :
"Arrête avec ces feuilles !"
"Pourquoi ? dit-elle étonnée"
"Ca fait une heure qu'on marche et tu ne dis rien, tout ce que tu fais c'est du bruit avec des herbes !"
"Et alors ? fit Louise. Qui est-ce que ça dérange ?"
"Moi ! rétorqua José, moi ça me dérange, vois-tu ! Depuis qu'on est en France tu es devenue… comment dire… silencieuse ! absente quoi !"
"Tu exagères !" dit Louise fâchée, elle avait l'habitude des grands mots de son mari mais se sentait tout de même triste qu'il transforme cette balade en forêt en dispute conjugale.
"On ne se voit pas de la semaine et le week-end tu n'as rien à dire, tu ne dis rien, tu ne racontes rien."
"Oh, arrête, ça va ! Tu sais très bien que si je ne dis rien c'est parce que je suis comme ça, j'apprécie la nature et notre promenade, toi tu es plus bavard, c'est tout. On ne va pas revenir là-dessus, non ? Ca fait déjà plusieurs années qu'on est mariés tu devrais être habitué !" Louise était maintenant vraiment énervée, chaque fois que José avait un problème à résoudre il commençait par s'en prendre à sa femme, comme si l'attaque allait l'aider à se défendre. "Tous les soirs je te raconte ce qu'il y a eu pendant la journée continua-t-elle "tu ne veux pas non plus que je te fasse un résumé de toute la semaine le week-end, non ?" dit encore Louise du fond de sa sensibilité.
"Je ne sais pas comment je vais faire pour écrire mes articles. L'ambiance ici ne m'aide pas ! A Canto je voyais des journalistes tous les jours, je travaillais avec une équipe ça me stimulait. Ici je fais les corvées d'une bande d'énergumènes qui se prennent pour des génies et quand je sors je suis crevé…"
"Et c'est de ma faute peut-être ? explosa Louise, tu vas bientôt dire que si tu es ici c'est uniquement à cause de moi "pour me faire plaisir" comme on dit en français !"
"Non, bien sûr que non…" José reprenait peu à peu son calme, "bien sûr c'est une décision qu'on a prise ensemble et je sais bien que ce n'est pas facile pour toi non plus…"
"Tu préférerais rentrer ? tu as des regrets ?"
"Je ne sais pas. La France est tellement différente de ce que j'imaginais."
Le ciel s'était obscurci, la nuit tombait bien vite en ce mois de décembre et à mesure que le calme revenait entre eux le soleil était descendu derrière les arbres nus. Louise et José s'en étaient retournés à vive allure vers la station de RER, il faisait très froid maintenant qu'il n'y avait plus de soleil.

***

"Tu rentres bien tard ce soir, José, je me suis inquiétée…" Louise attendait depuis sept heures du soir d'entendre le pas de son mari dans l'escalier de l'immeuble. Il était neuf heures et cette absence ne lui ressemblait pas.
"C'est la grève, ça a commencé plus tôt que prévu, quand je suis arrivé à Saint Lazare il n'y avait aucun train, j'ai fini par aller à la Défense pour prendre un bus, j'aurais bien voulu t'appeler mais je n'avais plus de crédit sur ma carte… je suis désolé ma puce" dit-il en l'embrassant sur le front.
"C'est pas grave… tu as l'air content, qu'est-ce qu'il se passe d'autre ? tu as eu une augmentation ou quoi ?"
"Non, pas du tout, enfin oui je suis content parce que je viens de trouver un premier thème d'article pour Verde, je vais couvrir la grève, écoute, j'ai déjà rédigé un brouillon…" il sortit de sa poche une feuille quadrillée totalement froissée où il avait inscrit au stylo bille quelques lignes serrées "Paris." commença-t-il, "Gare Saint-Lazare, la plus ancienne gare de grandes lignes en France, chaque jour des millions de voyageur y arrivent et en partent à destination de villes aussi proches que Pont Cardinet et aussi lointaines que Le Havre, grand port français. Aujourd'hui comme chaque jour les dix millions d'habitants de Paris et sa banlieue se réveillent et se lèvent pour se rendre à leur travail, situé parfois à plus de deux heures de route de chez eux. Le système ferroviaire français est développé et il est souvent plus rapide de se rendre au travail en train, en RER ou en métro qu'en voiture, souvent, mais pas aujourd'hui, car aujourd'hui c'est la grève. Demandez à un parisien et il vous le dira, les services publics prennent en otage les voyageurs, pendant que certains font la grève d'autres sont obligés de se lever à cinq heures du matin, voire même de prendre des journées de congés forcées pour ne pas avoir à faire face aux trains bondés. L'avis de grève a été lancé hier et ce soir, à la gare Saint Lazare, le panneau d'affichage est à moitié vide, un train sur six sur certaines destinations, aucun train sur d'autres, à sept heures du soir le hall grouille de travailleurs fatigués qui ne s'attendaient pas à ne pas pouvoir rentrer chez eux ce soir. Une grève est toujours une mauvaise surprise, même annoncée, même limitée dans le temps. Faut-il asphyxier entre deux épaules ou la tête coincée contre la vitre ? Vaut-il mieux prendre sa voiture et s'attaquer aux embouteillages massifs qui emplissent la capitale ? Personne n'a encore trouvé de remède miracle, tous les ans c'est la même chose, demandez à un parisien, il vous le dira !"
"Hmm, pas mal du tout ! tu as écrit ça dans le train ?"
"Non, j'ai pris le bus, j'ai écrit ça sur mon genou en attendant que le bus arrive, c'est bon ? qu'est-ce que tu en penses ?"
"Tu sais moi, je ne suis pas journaliste, crois-tu que cela intéressera le journal ?"
"J'espère, enfin nous verrons bien, je vais taper ça et leur envoyer tout de suite"
"José, tu n'as même pas dîné et il est tard, à chaque jour suffit sa peine…"
"Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis, demain je n'aurai plus l'exclusivité, c'est aujourd'hui ou jamais !"
"Une grève ce n'est pas si grave que cela…"
"Il faut encore que j'en analyse les aspects politiques, j'ai encore beaucoup de travail ce soir, allez je m'y mets !"
Louise savait qu'il n'y avait rien à ajouter : José ne décollerai pas de son ordinateur avant d'avoir envoyé l'article. "Tête de mule !" pensa-t-elle en souriant.
"Louise !"
"Oui mon cœur ?" elle savait déjà ce qui allait suivre…
"Il reste encore de la soupe d'hier ?"
"Oui, tu veux que je t'en apporte ?"
"Je veux bien merci, cela me gagnera du temps…"
Alors la jeune femme armée d'une grande louche plongea au fond du faitout et en ramena à la surface de belles carottes ainsi que quelques morceaux de poireaux qu'elle plaça dans un bol en céramique blanc.

 
 
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