Tome I
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome II

 

 

"Alors, qu'est-ce que tu comptes faire pour l'Alliance Française ?"demanda José en arrosant son assiette de mayonnaise.
"Je ne sais pas"répondit Louise"je dois leur téléphoner cette semaine pour confirmer…"
"Tu n'as pas pris ta décision ?"
"Ce n'est pas ça, José…"elle jouait avec son couteau et paraissait un peu nerveuse"José, si nous voulons partir, il va falloir nous organiser, sérieusement, tu ne te rends pas compte…"
"Peut-être effectivement que je ne me rends pas compte, pour le moment cela me paraît tout à fait irréel, comme un rêve, une idée folle… mais toi, tu connais déjà, c'est ton pays d'une certaine manière, tu dois pouvoir t'orienter."
"C'est vrai, c'est mon pays…"
"Tu devrais commencer par prendre contact avec ta famille..."
"Mais José, comment allons-nous acheter les billets ? C'est au-dessus de nos moyens, on n'arrive même pas à payer les factures !"
"Tu crois que je n'y ai pas pensé ? Allons, ne t'inquiète pas pour ça, il y a toujours un moyen ici, tu sais bien !"
"Et ton travail ? Tu ne pourras pas travailler immédiatement là-bas, comment va-t-on faire ?"
"Tu renonces déjà ?"
"Non, non, seulement je suis inquiète."
"Louise, tout ça dépend de toi, parce que si tu ne t'en sens pas capable moi je ne peux rien faire, je ne parle même pas français."
"N'exagère pas, tu parles quand même pas mal français !"José avait suivi des cours à l'école puis à l'Alliance, il aimait beaucoup cette langue et parlait parfois français avec elle, il lisait souvent le Monde sur Internet"et tu connais mieux l'actualité française que moi !"
"En parlant de ça, tu devrais peut-être commencer tes recherches par Internet, viens au journal avec moi de temps en temps pour utiliser l'ordinateur."Il se pencha vers elle pour la prendre par le cou et lui donner un baiser"J'adore quand tu viens au journal avec moi."dit-il tout bas.
"Oui, c'est une bonne idée"elle souriait en lui rendant son baiser"je pourrais m'informer sur les formalités à accomplir. Je vais téléphoner au consulat aussi."Louise s'aperçut qu'elle n'avait encore rien mangé et entama avec entrain sa 'viande de soleil '.
Réveillé en pleine nuit par l'idée de ce nouveau défi, José qui n'avait pas jusqu'alors pris la possibilité d'un départ au sérieux, se mit à penser à la France et au voyage. Il se leva et se servit un verre d'eau fraîche. Accoudé à la fenêtre du salon, il observa la nuit, de son regard d'explorateur, un regard acéré par les années passées à éviter les dangers d'une société sans sécurité. Tout était calme, la lune dans son premier croissant ressemblait à un œil d'or entrouvert, la nuit était claire et l'on distinguait un cercle ensoleillé autour de l'astre nocturne. Il tourna son regard vers les Trois Maries, trois étoiles en enfilade,"de l'autre côté de l'océan on ne peut pas les voir", pensa José,"une configuration différente nous attend là-bas". Tout à coup un grincement surgit au loin, personne en vue, peut-être une grille rouillée, pensa-t-il. Le grincement continuait et semblait se rapprocher lentement, à droite, de l'autre côté du mur séparant la résidence voisine du trottoir, une tête brune surgit, avançant au rythme du grincement. Arrivé à l'entrée de l'immeuble voisin le bruit cessa et la tête disparut. Une vague lueur blanche oscilla un moment puis disparut, le grincement reprit.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?"demanda Louise qui avait rejoint José silencieusement, un peu endormie.
"Tu vois ?"répondit-il en lui indiquant du doigt l'entrée de leur propre résidence. Au dessus des deux grands containers bleus portant l'inscription"lixo", une vieille femme armée d'une lampe torche examinait le contenu des sacs plastiques remplis des déchets des habitants de Copa Cabana 9. A son côté, un gamin qui ne pouvait pas avoir plus de six ans tenait des deux mains l'armature d'une structure rouillée qui avait dû être un jour une poussette. Le couple observa un moment les mouvements de cette étrange famille, la vieille femme sortit quelques morceaux de journal d'un des containers, elle les passa à l'enfant qui les ajouta aux vieux papiers déjà empilés sur la poussette rouillée.
"Ils vendent au poids."dit José à qui l'on avait déjà souvent demandé ses vieux journaux pour cet usage.
"Regarde, José, le petit"ajouta Louise à voix basse, profitant de l'obscurité de l'appartement pour montrer du doigt ce qu'elle venait de remarquer"il a un couteau, tu vois la lame briller ?" Effectivement, José vit un éclat de lumière à la ceinture du gamin.
"Ils sont tous armés, tu sais bien."
"Tout le monde sait tous les problèmes de notre société, mais voir c'est différent, avant de te connaître je vivais sans conscience de la réalité, comme tout le monde."L'esprit politique de José avait apporté un changement considérable dans sa façon d'envisager la vie quotidienne, elle était passée d'une acceptation résignée à une observation révoltée de cette société violente et misérable.
"Mettre au monde un enfant dans des conditions pareilles, c'est comme condamner son enfant."José critiquait souvent le manque de conscience de son peuple, moraliste, il croyait à la responsabilité individuelle.
Louise avait envie d'avoir un enfant, elle se demandait quand ce serait possible, pas aujourd'hui dans une situation où il lui faudrait peut-être partir demain pour un autre pays, distant, étrange. Deviendrait elle un jour une mère voleuse de poubelles ? Elle pensa à sa famille, ici, au Brésil, une grande famille, beaucoup d'enfants, comme la vie était facile au sein d'une famille, ce que l'on ne possédait pas on le trouvait chez sa sœur, son oncle, sa grand-mère. Rien ne manquait jamais, personne n'habitait seul sans savoir ce qu'il allait manger le lendemain. Dans la maison de famille il y avait deux grands réfrigérateurs toujours pleins, sa sœur Eva se chargeait du déjeuner et son frère Hector du dîner, du temps de sa mère déjà il y avait toujours plus que nécessaire pour les cinq enfants, la maman française s'était vite habituée aux mesures et aux quantités américaines. Elle avait aussi emporté avec elle un ancien principe de son éducation chrétienne : elle gardait toujours une place à table. Souvent Louise avait vu sa mère inviter un vieux voisin qu'elle savait sans famille, un petit copain des enfants qui n'avait qu'une seule chemise, une voisine un peu commère qui n'avait pas de quoi acheter de la viande. Elle admirait cette attitude peu commune mais ne savait pas si elle pourrait un jour la reproduire ni comment. La vie paraissait de plus en plus dure pour tout le monde, les supermarchés modernes et luxueux remplaçaient peu à peu les marchés de quartier, on n'y payait plus qu'à crédit, on ne vivait plus que sur un argent qu'on ne possédait pas, payant des intérêts pour pouvoir emprunter à nouveau des sommes qu'on ne rembourserait finalement jamais.
La vieille femme éteignit sa lampe torche et s'éloigna lentement des poubelles de l'immeuble, précédée par le grincement et suivie par l'enfant qui poussait la vieille charrette rouillée, chargée de vieux papiers.

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