Tome I
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome II

 

 
La pluie était tombée toute l'après midi sur Canto. C'était une pluie lourde et rapide.
Les toits de tuiles rouges des petites maisons du voisinage reluisaient d'une manière agréable, la fraîcheur s'était emparée de l'atmosphère toute entière. Les petits volets de bois foncé étaient tous fermés et faisaient comme autant d'yeux sombres perçant les façades blanches. Louise les observait intriguée, elles paraissaient toujours immobiles et silencieuses, ces minuscules maisonnettes, comme si personne n'y vivait vraiment, pourtant elle savait que les familles qui s'y abritaient devaient être grandes, plus grandes sans doute que celle du président -dont elle avait eu beaucoup de mal &agravve; compter les enfants tant les petites têtes qui apparaissaient à la fenêtre de l'unique chambre semblaient du même âge ! Elle n'avait pas encore beaucoup de contacts avec les gens du voisinage, peut-être parce qu'elle n'habitait le quartier que depuis quelques mois, peut-être pour d'autres raisons qu'elle ne connaissait pas encore. C'était un quartier tout neuf, il y avait encore peu de commerces aux alentours et le manque de bus était le sujet de prédilection de tout habitant des Banquiers de plus de six ans et demi. Quand la pluie cessa, Louise décida d'aller jusqu'au centre ville. Elle traversa la cour de la résidence et se dirigea tranquillement vers l'arrêt du célèbrissime 'Circulaire'.
Elle longea la rue aux proportions américaines, sur les pavés coulait une rivière d'eau pure. Les portes des maisonnettes s'étaient ouvertes et tout un tas d'enfants d'âges variés en étaient sortis pour tremper leurs pieds, battre des mains, sauter, courir, asperger, en un mot profiter de l'eau du ciel. En traversant elle croisa un cheval maigre qu'on avait apparemment laissé dehors pendant l'averse, un chien blanc et marron qui, lui, avait dû trouver un abri car son pelage épais était très frisé et très sale, et bien sûr des chats en tous genres, buvant dans les ruisseaux, courant sur les murets et séchant au soleil.
Elle arriva bientôt près de la boulangerie où madame Fonte tenait son poste à la caisse. De là, elle pouvait saluer et surtout observer tous les passants. L'abri bus en ciment était désert et Louise en déduisit que le Circulaire était déjà passé. Elle s'assit sur le tronc d'arbre qu'on avait couché là en guise de banc. D'autres aspirants passagers ne tardèrent pas à la rejoindre et au bout d'un quart d'heure le trottoir grouillait de monde. Il fallut encore une quinzaine de minutes de piétinement et de plaintes pour qu'enfin l'autobus tant attendu apparaisse sur la route principale, il devait encore aller jusqu'à son terminus, au fin fond des Banquiers, avant de revenir devant la boulangerie et d'être envahi par des passagers anxieux de trouver un siège. Louise s'était déjà demandée pourquoi personne ne montait en face, en réalité une observation prolongée de l'état du service permettait de répondre à cette question de manière définitive : les bus passaient dans un sens mais ne revenaient pas nécessairement dans l'autre.
Louise passa la roulette et paya son passage, il n'y avait pas de tickets. Elle trouva un siège à l'avant, près de la porte, les autobus de Canto avaient ceci de particulier qu'on y montait à l'arrière, c'était là qu'on avait installé tous les petits contrôleurs, dans de hautes chaises, devant une tablette, afin qu'ils puissent à la fois voir tout le monde, encaisser et, si besoin était, bloquer la roulette avec les genoux pour empêcher de passer.
La route n'était pas mauvaise dans l'ensemble, mais ses irrégularités ne permettaient pas de vitesses extrêmes, la plupart des conducteurs, toutefois, ne prenaient pas cette réalité en considération et atteindre la sortie du bus était un exercice difficile voire même impossible sans s'accrocher fermement aux barres d'acier des sièges, ou du plafond, ou des deux, tant le véhicule tanguait, vibrait et brinquebalait de tout son poids de mastodonte roulant. La route reliant les Banquiers au centre ville avait un plus non négligeable pour les chauffeurs de bus en retard : le campus universitaire. En effet, l'université était grande et traversée par une belle route goudronnée parfaite pour les effets de formule un. Sans ouvrir les yeux Louise sentit qu'on arrivait là : il fallait s'accrocher ferme pour ne pas être proprement éjecté de son siège.
Ce jour là la jeune femme avait eu de la chance, c'était le bus qui allait directement au centre qu'elle avait pris et en moins de quinze minutes elle se retrouva au lac. Là, toutes les lignes de bus se rencontraient dans une ronde rythmée par les arrêts autour du plan d'eau. Il y avait aussi un parc planté d'arbres et de bambous où s'étaient installées un certain nombre de petites gargotes dont les haut-parleurs gigantesques rivalisaient de puissance pour occuper l'espace sonore.
Ignorant les vendeurs de tapioca, de glaces et d'autres délices 'faits maison', Louise se dirigea vers le journal où José travaillait encore à cette heure. Le journal partait habituellement pour l'impression à vingt heures et il n'était pas rare que les journalistes doivent rester jusque là pour couvrir les dernières nouvelles du soir.
"Ça va ?"
"Ça va bien, et toi ?"Louise connaissait toute la rédaction, José l'avait présentée à tout le monde et elle l'avait parfois accompagné les week-end où il était de service."C'est agité aujourd'hui ?"
"Comme tous les vendredis, tu sais !"le vendredi était un jour charrette, on fermait le journal du samedi et du dimanche avec tous les cahiers de fin de semaine.
"José est là ?"
"Il discute avec le rédacteur, mais assieds toi à son bureau, il ne va pas tarder."
"Merci."dit-elle en s'asseyant. Louise leva les yeux et aperçu José dans 'l'aquarium', à travers la grande vitre elle pouvait voir dans la salle du rédacteur en chef tous les éditeurs pris dans une discussion animée qui ne semblait pas prête de finir.
Pour se distraire elle commença à observer les collègues de José. Arno qui l'avait accueillie, était retourné travailler à mettre en forme sa page -sans son éditrice puisqu'elle était occupée dans la salle à côté ; Marilyne versait ses babillages habituels à l'oreille de sa comparse et Créon réclamait le café à Newton. En effet ce dernier s'était donné pour tâche de porter le thermos à la cafétéria, tous les jours, et s'était engagé à retourner le chercher rempli d'eau bouillante à un moment diplomatique qui ne donnerait pas l'impression au gros monsieur à moustache qui travaillait là que l'on exigeait de lui un service gratuit. 'Cerveau', comme on l'appelait dans toute la rédaction, pas tellement pour sa diplomatie mais plutôt à cause de la taille exagérée de son organe crânien, arborait ce jour là comme de coutume sa chemise"coupe du monde 2002". Il travaillait au département des sports, ce qui pour lui était une bénédiction : le jeune éditeur Félizardo -un travailleur acharné qui ne connnaissait pas le mot 'vacances'- fermait son cahier tous les jours et ne se plaignait jamais de ses collaborateurs sans entrain (en réalité Félizardo était ambitieux mais sans malice).
Un essaim de journalistes se pressait autour du thermos d'eau bouillante lorsque José reparut dans la rédaction, l'air à la fois amusé et pensif. Il embrassa Louise sur le front et ils se dirigèrent ensemble vers la sortie principale du journal. Il y avait un arrêt de bus sur le trottoir d'en face mais ce jour là ils se dirigèrent vers le marché qui se trouvait un peu plus loin et où le bus passait aussi. L'arrêt du marché sentait mauvais mais les deux bus y passaient, on attendait moins longtemps mais on attendait au milieu des détritus, des pelures de fruits et des canettes de soda, restes du marché du jour, ainsi que des enfants des rues avec leurs casiers en bois pleins de bonbons acidulés qu'ils essayaient de vendre à tout prix aux gens hostiles, indifférents ou apeurés qui attendaient là. Le voyage retour fut tout aussi chaotique que l'aller, Louise mit sa tête sur l'épaule de José et ferma les yeux un instant.
"Tu veux manger au restaurant ce soir ?"lui demanda-t-il,"je te trouve un peu fatiguée…"
"C'est vrai que je suis fatiguée"répondit-elle,"je ne sais pas pourquoi, aujourd'hui je n'ai rien fait de particulier, je n'ai pas de raison d'être fatiguée."
"Qu'est-ce que tu as fait cette après-midi ?"lui demanda José.
"Je suis allée faire les courses au supermarché, j'ai relu quelques notes que j'avais prises mercredi à la bibliothèque… voilà, pas grand chose en somme."
"Peut-être que tu es tendue ou préoccupée par quelque chose ?"
"Peut-être…"Louise pensait qu'elle allait commencer à travailler d'ici quelques semaines, cela l'angoissait un peu, elle n'avait jamais été professeur de français et le temps de ses études en France lui paraissait déjà loin, serait-elle capable de faire ce qu'on attendait d'elle ? Les élèves seraient-ils difficiles à contenter ? dissipés ? exigeants ?
"C'est ce nouveau travail qui t'inquiète, Louise ?"sans attendre de réponse José poursuivit "tu sais que rien ne t'oblige à travailler, nous pouvons nous contenter de mon salaire, même s'il n'est pas merveilleux…"
"Mais je veux travailler !"l'interrompit vivement Louise
"Je sais ma chérie, tout ce que je veux dire c'est que si tu n'aimes pas ce travail tu pourras toujours en chercher un autre, tu comprends ?"
"Je sais tout cela, José, je sais. C'est juste que la France me paraît si loin, je veux dire, plus rien ne m'y rattache vraiment, tu comprends, maintenant que je n'ai plus ma mère, c'est comme si j'avais perdu mes racines… pourtant elles sont là, je les sens en moi, et ce travail, j'ai envie qu'il soit comme une renaissance, qu'il me fasse retrouver cette partie de moi…"
"Et si on y allait vraiment, là-bas ? Ça te plairait ?"José avait maintenant son visage d'enfant que Louise aimait tant, il était parti dans un voyage imaginaire et instantané pour l'Europe.
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