Tome I
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome II

 

 
Le temps passait de manière saccadée. José travaillait au journal l'après-midi et se consacrait le matin à ses travaux personnels. Il était dessinateur de formation mais s'était tourné vers le journalisme pour des raisons économiques, si ses premiers articles publiés avaient créé en lui une certaine fierté il n'en restait pas moins frustré de ne pouvoir s'exprimer que sous le contrôle d'un éditeur chef pour qui, dans le domaine de la politique, la paix et la tranquillité comptaient infiniment plus que la vérité. Les dessins acerbes qu'il publiait parfois dans la page Opinion ne le satisfaisaient pas non plus et il avait finit par décider un jour d'exprimer absolument toutes ses pensées socio-écono-historico-politiques sous forme de bandes-dessinées proprement ironiques.
Louise rigolait beaucoup et l'aidait parfois à mettre en forme une idée, elle même ne travaillait pas et se disait de temps en temps que sa vie pourrait être résumée ainsi "linge sale et courses à faire". En réalité la petite femme dynamique aux longs cheveux bruns était une étudiante insatiable, aucun sujet ne lui restait étranger si elle décidait de le comprendre et peu importait le temps qu'elle y passerait, de Einstein à Nikki de Saint Phalle elle voulait tout voir, tout savoir et tout comprendre. Son antre c'était la bibliothèque municipale. Elle y trouvait tout ce qu'elle voulait et dans le cas contraire une bibliothécaire bienveillante se faisait fort de le lui procurer en empruntant dans une ville plus grande. Les bibliothécaires n'avaient pas été faciles à conquérir, d'après Louise elles étaient d'une race un peu farouche à qui la culture fait peur, comme si les livres ouverts étaient indomptables et féroces. Au début le dialogue fut difficile, plein de "non" et de "désolé", de"ce n'est pas possible" et de "vous n'y pensez pas !"mais Louise était une dompteuse née et ni les livres ni leurs gardiennes ne la firent reculer. Un an après sa première visite, la bibliothécaire en chef vint elle-même lui apporter, à la table où elle travaillait, le livre qu'elle avait demandé une semaine auparavant et pour lequel elle s'était entendue répondre un "je ne crois pas que ça va être possible" mou et poli. Cette dame d'ordinaire si importante paraissait tout heureuse de son espièglerie et Louise crut un instant qu'elle allait lui chanter"Joyeux Anniversaire"!
La bibliothèque était située au centre de la ville dans une rue bordée d'arbres non loin de l'Alliance Française. C'était un beau bâtiment moderne dont la façade avait récemment été refaite. Tous les jours qu'elle venait lire ici, Louise prenait un petit café à la lanchonete de Cordélio. Ce commerce avait été menacé de disparaître lorsque la ville avait décidé d'agrandir la bibliothèque, mais le tenace Cordélio avait usé de persuasion et les élus s'étaient finalement rendus à l'évidence : le camion-restaurant était un complément indispensable aux nourritures de l'esprit !
C'était le bébé de Cordélio, cette lanchonete. Au bout de dix ans d'armée, ayant épuisé tous les concours et apaisé sa soif de hiérarchie, Cordélio avait tout abandonné pour faire des Hot Dogs dans la rue. Il avait d'abord loué cette baraque devant la bibliothèque puis, découvrant les joies du contact avec l'humain cultivé et bien nourri, le caporal avait commencé à rêver que l'endroit fusse à lui, pour pouvoir le nommer et l'aménager à sa guise. Quand enfin, au bout de cinq ans d'économies draconiennes, Cordélio fut en mesure d'acheter son paradis, il rencontra sa future femme, Socorro. Emue par tant d'efforts, elle voulut l'aider dans la mesure de ses moyens à réaliser son rêve, elle lui offrit son nom, en version anglaise, pour baptiser le camion.
"Hot-Dog da Help"était depuis ce jour une entreprise familiale fructueuse qui tendait à s'agrandir, si on en croyait les projets de Cordélio et la taille du ventre de la douce Socorro.
"Ca va bien Dona Socorro ? Pas trop fatiguée ?"demanda Louise qui pensait sérieusement à avoir un enfant elle aussi.
"Tout va bien merci"répondit la jeune femme en souriant, elle était occupée à hacher des petits légumes qui viendraient agrémenter la viande et le pain des "chiens chauds" de ce midi.
"Quelle chaleur, hein ? J'ai l'impression qu'il fait de plus en plus chaud tous les jours, mais ce n'est pas possible, on finirait par bouillir dans sa douche !"
"Eh oui, c'est comme ça…"répondit Socorro sans vraiment prêter attention à ces dernières paroles ; elle préparait maintenant la sauce, une spécialité 'da Help' dont elle gardait le secret. Louise avait plusieurs fois tenté de lui faire révéler le nom des ingrédients mais sans succès, Socorro s'était détournée en chantonnant, faisant mine de n'avoir pas entendu. Elle n'était pas bavarde.
Louise entra dans la bibliothèque, il n'y avait pas d'air conditionné mais de gros ventilateurs battaient l'air au plafond de la salle de lecture. Elle attrapa dans la section référence -la seule en libre accès- les deux dictionnaires dont elle ne savait pas se passer, une édition en deux volumes du Aurélio et un dictionnaire étymologique qui lui servait surtout pour les mots grecs, langue qu'elle n'avait jamais apprise. Puis elle s'en fut demander le livre sur lequel elle travaillait en ce moment, un traité d'histoire relatant les relations de l'Amérique du Sud et des Etats-Unis au fil des époques. Elle avait trouvé ce livre tout à fait par hasard, en parcourant les fiches de la bibliothèque et son contenu s'était trouvé s'encastrer parfaitement dans sa réflexion sur le développement des pays pauvres.
Ce jour là pourtant l'esprit de Louise n'était pas aux relations internationales et il commença à vagabonder, s'attardant sur le magenta de la chemisette d'une lectrice de romans roses qui, à la table voisine, dévorait la traduction en portugais d'un Barbara Cartland. Ramenant lentement son regard vers sa propre table Louise remarqua un peu plus loin une revue en français, c'était la première fois qu'elle en voyait une dans cette bibliothèque et rapidement elle envisagea différentes causes à cette apparition… mais sa réflexion s'acheva bientôt car un vieux monsieur assez élégant et fort maigre saisit le magazine qui, apparemment, lui appartenait. Prise d'un besoin irrépressible, Louise se leva tout d'un coup : "Bonjour Monsieur" lui dit-elle en français.
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