Tome I
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome II

 

 
Comme il n'était pas question de partir pour la France du jour au lendemain sans penser à rien, le jeune couple se mit à réfléchir aux implications d'un tel départ.
Bien que citoyenne française, Louise n'avait jamais jusqu'alors envisagé la possibilité de s'installer là-bas, peut-être parce que sa mère n'avait jamais exprimé le désir de retourner dans son pays d'origine, peut-être parce qu'elle avait eu peur de ne pas s'adapter à un pays si différent. Quoi qu'il en soit elle ne s'était jamais renseignée pour savoir quels étaient ses droits dans ce domaine et mille questions lui venaient auxquelles elle ne savait pas répondre : son mari pourrait-il travailler ? lui fallait-il un visa ? aurait-elle droit à la sécurité sociale immédiatement ? et le marché du travail, comment était-il en ce moment en Europe ? arriveraient-ils à trouver un emploi tous les deux ? Toutes ces questions s'entrechoquaient dans sa tête avec les souvenirs de son adolescence, l'université, les copains qui travaillaient comme caissiers pour payer leurs études, les places de cinéma à prix exorbitant, la culture télévisuelle, l'omniprésence de l'art, les promenades sur les quais entre les voitures dans l'air pollué, le froid et la pluie des jours d'hiver si courts, la chaleur pénible du soleil d'été accentué par le béton et le goudron des belles rues parisiennes, les maisons de campagne des citadins… les vacances à la mer aussi.
Louise était sortie marcher dans la vieille ville. Entre les maisons de style colonial, les églises baroques surchargées de peintures et de dorures, elle avançait en regardant les petits magasins de hamacs et de sucreries. Au long des pavés inégaux, les souvenirs lui revenaient par vagues : son arrivée à l'aéroport Charles de Gaulle, seule, avec seulement une valise de vêtements, les plus chauds qu'elle avait pu trouver dans sa ville à température constante, comment sa tante Jeanne l'avait accueillie et emmenée immédiatement chez elle en voiture, comment elle avait senti le gris de Paris l'envahir et le Brésil disparaître dans la voix de sa tante, ces mots français qui filaient comme des perles le long d'un fil invisible."Tu as fait bon voyage Louise ? Tu dois être drôlement fatiguée, non ? Ca fait plaisir de se revoir, cela fait longtemps, hein ? Comment va ta mère ? Est-ce qu'elle va venir te rejoindre ici pendant l'année ? C'est vraiment dommage qu'on ne puisse pas se voir plus souvent, moi j'ai bien envie d'aller au Brésil pour vous rendre visite mais il y a toujours quelque chose, tu sais, c'est difficile de trouver le temps avec le travail et tout ça et puis il faut avouer que c'est quand même assez cher."Louise écoutait à peine, elle regardait par la vitre se dérouler le périphérique parisien qui l'emmenait chez sa tante, dans le 16ème arrondissement. Jeanne avait un certain don pour les affaires et elle avait acheté cet appartement en viager une dizaine d'années auparavant, elle y habitait maintenant avec son mari et ses deux enfants. Comme de coutume avec ces appartements bourgeois, une chambre de bonne sous les toits faisait partie du lot, c'était là que Louise avait habité pendant cette année d'études, une chambre minuscule mais ensoleillée d'où l'on avait une vue magnifique sur la tour Eiffel.
La jeune-femme était arrivée au port en suivant les petites rues aux maisons colorées. Sur la place où l'on faisait parfois des spectacles, elle observa une grande fresque murale qui devait être nouvelle car elle ne l'avait jamais remarquée auparavant, elle se dirigea vers un café de l'autre côté de la place et y entra. Il faisait très sombre à l'intérieur, du plafond pendaient les drapeaux de tous les bateaux qui passaient au port de Canto, elle remarqua la Hollande, la Suède, le Japon… il y en avait une quantité importante qu'elle ne connaissait pas, des yeux elle chercha vaguement le drapeau français mais fut interrompue par la petite serveuse noire aux longs cheveux maintenus par une pince en plastique orange qui lui apportait la carte.
"Vous avez du café ?"lui demanda Louise.
"Oui, c'est tout ce que vous voulez ?"
"Donnez moi aussi une part de roulé."
La serveuse disparut entre les bancs de bois dans les profondeurs obscures de la grande salle vide.
Accoudée à sa table, Louise observait les inscriptions gravées dans le bois sombre, la plupart parlait d'amour, comme les chansons qui passaient en boucle à la radio locale. Tout Brésilien se devait d'avoir un grand amour dans sa vie, un amour présent, passé ou futur, peu importait, mais un grand amour, et ce n'était pas réservé à la Samba ou à la Bossa-Nova, tous les Forró du Nord-Est chantaient aussi l'amour."Tião et Zita"disait un cœur maladroit devant elle,"quand l'amour s'en va"citait un autre amoureux puisant son inspiration chez Roberto Carlos. Bientôt le café et le gâteau furent posés sur la table et Louise oublia que des milliers d'amoureux avaient été assis à sa place avant elle. Elle pensa à son mari qui à cette heure devait être devant son ordinateur avec, s'il avait de la chance, un petit café à côté de lui. Leur amour était quelque chose de si présent dans sa vie qu'elle ne savait pas comment le mettre en mots, José était en quelque sorte son alter-ego, cet autre que l'on cherche depuis que l'on est petit, cette moitié dont on sent l'absence dès l'enfance. Elle aimait parfois sortir seule pour penser à lui, à eux, à leur vie ensemble, mais aujourd'hui son esprit était occupé par leur nouveau projet et retournait sans cesse du côté de cette chambre de bonne parisienne. Un jour elle lui montrerait peut-être le grand immeuble Haussmannien avec ses portes en verre et fer forgé, avec son entrée gigantesque, l'énorme escalier au tapis rouge couvrant de longues marches de marbre blanc lissé par les ans et les chaussures en tous genres, elle lui montrerait aussi, à droite de cette entrée principale, l'entrée de service, une porte du même style mais bien plus petite et effacée, par où passaient les employés qui, à l'issu d'un couloir sombre, traversaient la cour pour disparaître à nouveau derrière des portes à code dénommées A et B. Soudain elle se souvint de tout, l'ascenseur minuscule où l'on tenait à peine à deux le nez collé contre la paroi enduite de chewing-gum, le sixième et demi où elle descendait pour monter encore un demi-étage à pied et longer le couloir obscur où s'entrouvraient des dizaines de portes derrière lesquelles vivaient autant d'employées de maison, traversant les cris d'enfants et les odeurs de cuisine aussi. Encore un demi-étage et sa porte était là, éclairée par une grande fenêtre qui donnait sur les toits. A son niveau le parquet était toujours légèrement humide, une vieille espagnole qui ne sortait qu'avec ses béquilles occupait toutes ses matinées à passer la serpillière d'un bout à l'autre du couloir, peut-être tentait-elle ainsi de se débarrasser de l'odeur que laissait le Yorkshire du vieil homme à l'autre bout lorsqu'il se soulageait au coin des portes, ne pouvant plus attendre l'heure à laquelle son maître descendrait au bar du coin.
La serveuse reparut, elle emporta la tasse vide et la petite assiette blanche, Louise avait à peine sentit le goût de son café.
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