Tome I
Chapitre 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 13
Tome II

 

 

Ce samedi là, le jeune couple s'éveilla dans un tonnerre infernal de bruits de moteur, deux propriétaires de voitures neuves semblaient avoir organisé une compétition de puissance mécanique et poussaient à tour de rôle leur engin ronflant et crachant. José se leva en pestant, ne pouvaient-ils pas faire leurs clowneries dans la rue ? pourquoi restaient-ils là sous sa fenêtre ? Il était de mauvaise humeur, dans la nuit il avait déjà été réveillé plusieurs fois par les haut-parleurs des voisins rentrant de la fête en voiture sans penser une seconde que la rue entière n'avait pas nécessairement envie de profiter de leur musique au maximum.
Le café était prêt et Louise l'appela pour déjeuner. Ils s'installèrent autour de leur table de bois rouge. Soudain le bruit cessa. Louise leva les yeux vers José et lui sourit, il se sentit tout à coup parfaitement calme, un petit vent frais et agréable souffla légèrement entre les fenêtres ouvertes et il regarda le ciel, ce ciel du Nord-Est qu'il aimait tant.
"Et si on allait se promener aujourd'hui ?"dit-il soudain. Ils aimaient aller en bus jusqu'à la plage du Cap Blanc, la plus éloignée de la ville, un peu plus tranquille et sauvage que les autres, ils aimaient se promener sur les rochers à marée basse, marcher sur le sable à la tombée du jour, en prenant leur temps, en humant l'air de l'océan. Parfois Louise se baignait, José restait assis sur la berge à l'admirer.
Louise acquiesça, le temps était agréable et ils s'étaient réveillés tôt, ils pourraient profiter de la matinée pour une promenade et un bain de mer, peut-être même déjeuneraient-ils près de la plage. Ils entamèrent leur 'pain français' et leur café dans le silence enfin retrouvé.
Rapidement habillés, ils sortirent main dans la main, José portait les poubelles au bout de deux doigts tendus et les lança comme un sportif dans un des containers en plastique bleu. Ednaldo les salua, l'air un peu bougon : les enfants du voisinage avaient déjà commencé leurs jeux matinaux et agaçaient le portier avec leur manière d'envoyer sans arrêt leur balle dans les plates-bandes qu'il entretenait avec tant de soin. Il portait ce jour là une casquette usée ornée du blason des Flamengo.
"Prêt pour le match ?"lui demanda José en souriant.
"Ben, oui, M'sieur José, mais ici y'a po d'télé, alors…"
"Oh, il doit bien y avoir un moyen, non ?"
"La dernière fois Seu Arno avait mis la sienne sur le stand, là où il vend les biscuits, mais un gamin qui imitait Ronaldinho a envoyé la balle en plein dedans ! Il a dit qu'il en avait marre de ces pestes et il a rentré la télé. Ces enfants sont insupportables, ils me font tourner en bourrique !"termina Ednaldo l'air encore plus bougon que d'habitude.
José et Louise lui souhaitèrent bonne journée et continuèrent leur route jusqu'à l'arrêt du circulaire où personne n'attendait le bus ce jour là. Tous les passants qu'ils croisaient, tous les passagers masculins du bus, avaient revêtus des chemises 10, 9 ou 11, en hommage aux attaquants de leur équipe favorite.
La plage aussi était presque déserte en cette matinée d'hiver brésilien, le temps était doux, une petite brise fraîche soufflait doucement poussant les gros nuages blancs qui obscurcissaient de temps en temps le soleil déjà chaud. Ils marchèrent un moment, se tenant par la taille, échangeant un baiser. Louise décida de se baigner un peu plus loin, elle retira ses vêtements et entra tranquillement dans l'océan dont les ondes balayaient doucement le sable. José ôta sa chemise et profita du calme de la mer. Il contempla l'horizon, ne perdant jamais de vue sa femme qui nageait maintenant contre le courant. Il pensait à elle, à leur vie ensemble, souhaitait qu'elle sorte de l'eau et vienne l'embrasser mais en même temps désirait que ce moment de désir fusse sans fin.
Il la vit s'avancer dans l'eau pour sortir et alla jusqu'au bord pour lui passer sa canga, elle lui donna un baiser, mouillée d'eau salée. Ils eurent envie d'aller boire un lait de coco dans une des paillotes près de là. Le vendeur sortit une grosse noix verte du réfrigérateur et la tenant fermement d'une main, donna quelques coups de hachoir pour en couper l'une des extrémités, il la tendit à Louise après avoir inséré deux pailles dans l'orifice qu'il venait de créer. Tout près de là, deux enfants jouaient avec un ballon de football, ils avaient revêtu les chemises de leurs idoles, en nylon imprimé, achetées sans nul doute au petit camelot du coin. Elle posa le verre le plus lourd du monde sur une des tables en plastique et s'assit, José ne tarda pas à la rejoindre avec sa propre noix et ils burent en silence. Le liquide était doux, frais et légèrement sucré ; comme il était parfait, ce fruit difficile à cueillir, apparemment dur et immangeable, qui était en réalité plein de chair et d'eau.
Ils descendirent du bus, la rue était animée, un groupe devant la boulangerie suivait le match sur une petite télévision portable ; Mme Fonte, son fils et sa belle-fille, accompagnés de quelques voisins commentaient avec animation le déroulement de la rencontre. Plus loin sur le même trottoir, une télévision énorme trônait sur le bar de Chico, les habitués étaient tous là, buvant leur verre de cachasse ou brandissant leur bière aux exploits de leurs champions, d'autres locaux avaient rejoint le débit de boisson pour assister en chœur à l'événement. Des enfants aux cheveux presque blancs sautaient sur les genoux de leur père, participant sans comprendre à la joie des adultes, des adolescents passionnés occupaient leur place aux tables de bois que Chico avait lui-même construites pour répondre aux besoins de sa clientèle, sirotant un verre de liquide brun ressemblant à du soda. Les grandes absentes n'étaient pas loin, des maisons alentours on entendait les clameurs du reste de la population de la rue Vasconcelos, de temps en temps on voyait rentrer une femme au ventre rond portant deux sacs en plastique du supermarché remplis de cannettes de bière.
José soupira mais ne fit aucun commentaire, il était las de voir ses compatriotes dépenser un argent qu'ils n'avaient pas pour acheter de l'alcool. Louise pensait que c'était ainsi que les indiens avaient signé leur perte : en acceptant l'eau de feu que leur offrait le blanc plein d'intentions inqualifiables.
Chez eux, le téléphone sonnait rarement, de temps en temps pour raisons journalistiques et quelques fois pour raisons familiales. Deux ou trois amis de Natal encore les appelaient irrégulièrement. Aussi, José fut-il plus que surpris d'entendre la voix d'un jeune adolescent quand il décrocha.
"Allô ? C'est la maison de Senhor José ?"demanda le garçon sans laisser le temps à son interlocuteur d'imaginer qu'il s'agissait d'un faux numéro.
"Oui, qui est à l'appareil ?"
"Ah, salut Chef José ! C'est Tiago, du groupe de scouts, vous vous souvenez de moi ?"Les souvenirs ne tardèrent effectivement pas à revenir, c'était quatre ans auparavant, sa dernière année comme chef du groupe, avant de connaître sa femme. Il se souvenait bien du petit gamin rondouillard dont le père était Colombien.
"Ah oui, Tiago, ça va bien ? Qu'est ce que je peux faire pour toi ?"José avait toujours senti une certaine responsabilité face aux groupes dont il avait la charge, enseigner des principes de vie à des jeunes n'était pas une tâche anodine.
"Oui, bien, vous êtes à Canto ?"
"Comme tu vois !"
"Ah, c'est chouette, j'aimerais bien moi aussi voyager !"
"Et qu'est ce que tu voulais, Tiago ?"José ne lui demanda pas où il avait eu son numéro, il connaissait la faiblesse de sa mère quand il s'agissait d'aider les jeunes.
"Bon, voilà, Chef, je voulais vous dire, on organise une partie de football entre chefs, Chef, c'est pour aider les pauvres, vous voyez, et il nous manque un goal. Vous viendriez pas à Natal, le week-end prochain ?"
"C'est à dire, ce n'était pas dans mes projets mon garçon. Alors, le groupe fonctionne encore bien à ce que je vois ?"
"Ben oui, il y a toujours les mêmes personnes, Chef Lucia, Chef Geraldo, Chef Wilton, Chef Aïda, Chef Carlos…"
"Et vous gagnez toujours les compétitions ?"
"Bon, cette année on a perdu, à vrai dire, mais l'année dernière on les a eus sans problème !"
"Alors comme ça tu t'es souvenu de moi ?"
"Tout le monde se souvient de vous Chef ! Ca c'est sûr ! Avec tous les camps qu'on a fait avec vous !"
"C'était le bon temps…"dit José en souriant, le gamin l'amusait et lui rappelait tous les jeunes qu'il avait contribué à distraire et à éduquer, il n'était pas pressé de raccrocher mais il se souvint que l'adolescent appelait de loin"bon, Tiago, je ne peux pas te promettre que je serai à Natal samedi prochain, je pense qu'il vaut mieux que tu trouves un autre goal pour l'équipe."
"Ah, dommage, enfin bon, merci, excusez-moi du dérangement."
"Non, ça m'a fait plaisir ! C'est moi qui devrais te remercier de m'appeler alors que tu pourrais être en train de regarder le match !"
"Oh, ben, c'est la mi-temps, Chef."dit le gamin soudain sérieux.
José attendit d'avoir raccroché pour éclater de rire sous le regard interrogateur de Louise"C'est une maladie nationale !"lui dit-il en levant yeux et bras au ciel.

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