Il arrivait toujours
un moment où il fallait sans faute aller à la banque. Aussi fort
qu'ils essayaient, tous les guichets électroniques du monde ne suffiraient
jamais à régler l'ensemble des opérations qu'on se devait
d'effectuer dans ces temples de l'argent fugitif. La première tâche
bancaire du mois consistait à aller chercher le salaire de José
sur le compte que l'entreprise avait ouvert pour lui et à l'emporter jusqu'à
la banque où il avait son propre compte fixe -un compte qui ne disparaissait
pas lorsqu'il changeait d'entreprise. Parfois cette opération était
rapide, par exemple, si la banque A possédait des distributeurs automatiques,
il était possible de retirer son salaire là après une attente
acceptable dans la file de gens venus le jour de leur paye pour faire la même
chose que José. La seconde condition, était que le découvert
sur le compte de la banque B (ou banque destination, ou compte propre) ne soit
pas arrivé au point de limite où tout retrait résulterait
en un dépassement du rouge pré-négocié avec l'agence.
Si tel n'était pas le cas, José pouvait là encore faire bon
usage de la machine électronique qui garantissait qu'en quarante-huit heures
son argent atteindrait son compte. Malheureusement, les factures aussi arrivaient
à cette période de collecte des salaires et, elles aussi, se payaient
à la banque. Ainsi était-il plus commode ou disons plus logique,
de faire la queue à l'intérieur de la banque B pour à la
fois déposer l'argent provenant de la banque A et en même temps payer
les factures qui avaient déjà atteint le seuil de la porte de l'appartement
204. Cela prenait en général une bonne heure. Fatigué
et affamé, José sortit de la banque où il venait d'effectuer
ses corvées mensuelles et se dirigea vers la lanchonete de Cordélio
dans l'intention d'y trouver une oreille et un petit café. Cordélio
était là et ne manqua pas cette occasion inespérée
de compter ses déboires mobiliers. Les deux hommes commencèrent
énervés, jetant de ci de là des jurons du terroir, refaisant
le monde et renversant le président cent fois. Au bout du troisième
café, le sourire était revenu et déjà Cordélio
faisait de nouveaux plans d'aménagement où il empruntait en pensée
à tous ses copains, leur offrant en échange des parts de la société
qu'il allait créer :"hotdogdahelp.com.br". José trouvait
l'idée géniale, il pouvait lui présenter quelqu'un qui mettrait
en place le site Internet, Cordélio aurait seulement besoin d'un ordinateur,
il recevrait les commandes de 'chiens chauds' par Internet ! C'était ça
la modernité ! Ils allaient faire fortune ! José entama un hot-dog
avec appétit, il avait atteint la dernière bouchée lorsqu'il
se souvint enfin que Louise l'attendait pour déjeuner. Il paya et salua
Cordélio qui l'engageait à revenir dès que possible mettre
au point les détails de leur projet. Il se dirigea vers l'arrêt de
l'autobus, il y avait là une cabine téléphonique bleue en
forme d'oreille, il sortit sa carte pour appeler sa femme. "Eh bien où
es-tu ?"demanda Louise sans attendre. "Je suis encore en ville,
excuse moi ma chérie, j'ai pris un café avec Cordélio et
je n'ai pas vu le temps passer
" "Tu rentres ou tu vas directement
travailler ?" "Non, non, j'ai le temps de rentrer, j'arrive !"José
savait que son épouse se sentait trahie lorsqu'il oubliait qu'elle l'attendait,
comme elle ne travaillait pas, les journées se tournaient parfois monotones
dans cet environnement étranger, éloigné de sa famille. Il
se sentit soudain triste d'avoir laissé sa femme seule, triste de ne pouvoir
lui offrir des conditions de vie meilleure, triste de ne pas pouvoir l'emmener
ailleurs par ses propres moyens. En vérité José comptait
sur elle, il pensait que ce serait bon pour eux deux, la France, mais il ne voyait
vraiment pas comment il pourrait participer à l'organisation de ce départ."Et
le journal ?"pensa-t-il"je suis quand même journaliste, ça
devrait pouvoir me permettre de voyager, ça !". 'De notre correspondant
en France', voilà une phrase qui sonnait bien, 'de notre correspondant
culturel en France', l'imagination fertile de José commençait à
travailler, il pourrait réellement utiliser sa profession à l'étranger,
'de notre correspondant culturel international', mais oui, si le journal l'envoyait
il aurait accès non seulement à la France mais à toute l'Europe,
voir au reste du monde ! Il était maintenant impatient d'arriver chez lui
: Louise allait adorer l'idée ! "Ah oui ? Tu crois que c'est
une possibilité ?" "Et comment que c'est une possibilité
! Ricardo va adorer, tu vas voir. On manque toujours de nouvelles internationales,
je pourrais couvrir les événements culturels ou écrire une
chronique hebdomadaire..." "Tu pourrais en effet essayer
"la
jeune-femme demeurait dubitative, le journal allait-il accepter un accord comme
celui-là ? "Mais oui, j'ai une profession internationale, universelle
dirais-je même, il s'agit simplement d'obtenir ma carte de journaliste internationale
bon, j'y vais Loulou, à tout à l'heure !"termina-t-il se dirigeant
de nouveau vers la porte qu'il avait passée quelques minutes auparavant.
"José ! et ton repas ! tu n'as rien mangé !" Sans
l'écouter José était reparti vers l'arrêt de bus, voyant
que celui-ci était désert il poussa jusqu'à la route principale
où passaient tous les bus pour le centre, il s'arrêta pour attendre
un véhicule avec une grande impatience : sa conscience de la distance à
parcourir l'avait fait renoncer à regrets à son envie première
d'aller au journal à pied. Entrant enfin comme une furie dans la salle
de son rédacteur, José sans demander pardon, se mit à expliquer
à Ricardo tous les détails de son idée. Au fur et à
mesure qu'il parlait en sautillant d'un pied sur l'autre, le journaliste s'aperçut
que son rédacteur, assis en face de lui, avait une allure un peu différente.
Qu'était-ce donc ? se demandait-il tout en continuant ses explications,
la casquette ? Non, il avait déjà vu Ricardo en casquette à
plusieurs reprises. La chemise ? mais cette chemise n'était pas neuve,
il l'avait déjà mise au journal, la barbe alors ? Ricardo l'interrompit
dans ses pensées pour lui poser une question. "Combien ?"demanda-t-il
seulement. "Combien quoi ?"demanda José encore surpris par
la brusque intervention de son chef. "Combien tu voudrais que je te paye
pour ce travail dont tu parles." Soudain José vit clairement ce
qu'il y avait d'étrange dans l'apparence de son rédacteur, il ressemblait
avec tous ces éléments rassemblés - la barbe, la casquette,
la chemise à carreaux - à une caricature d'américain du Nord.
Il sourit en se demandant si Ricardo se prenait pour le héros d'un film
Hollywoodien. "Je ne sais pas Ricardo
"répondit-il enfin"C'est
un travail intéressant pour le journal, non ?" "Effectivement,
tu sais exactement de quoi nous manquons dans nos colonnes, n'est-ce pas ?"
"Bon, l'idéal pour moi serait que tu doubles mon salaire, mais si
la direction ne peut pas se le permettre on peut faire un accord." "Par
exemple ?" "Par exemple, tu nous aides à partir
"
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