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Dedication Le Chapitre I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV

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Il y avait, a cote du puits, une ruine de vieux mur de pierre. Lorsque je revins de mon travail, le lendemain soir, j'apercus de loin mon petit prince assis la-haut, les jambes pendantes. Et je l'entendis qui parlait:
-Tu ne t'en souvens donc pas? disait-il. Ce n'est pas tout a fait ici!
Une autre voix lui repondit sans doute, puisqu'il repliqua:
_Si! Si! c'est bien le jour, mais ce n'est pas ici l'endroit...
Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni entendais toujours personne. Pourtant le petit prince repliqua de nouveau:
-... Bien sur. Tu verras ou commence ma trace dans le sable. Tu n'as qu'a m'y attendre. J'y serai cette nuit...
J'etais a vingt metres du mur et je ne voyais toujours rien.
Le petit prince dit encore, apres un silence:
-Tu as du bon venin? Tu es sur de ne pas me faire souffrir longtemps?
Je fis halte, le coeur serre, mais je ne comprennais toujours pas.
-Maintenent va-t'en, dit-il... je veux redescendre!

Alors j'abaissai moi-meme les yeux vers le pied du mur, et je fis un bond! Il etait la, dresse vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous executent en trente secondes. Tout en fouillant ma poche pour en tirer mon revolver, je pris le pas de course, mais, au bruit que je fis, le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet d'eau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufilla entre les pierres avec un leger bruit de metal.
Je parvins au mur juste a temps pour y recevoir dans les bras mon petit bonhomme de prince, pale comme la neige.
-Quelle est cette histoire-la! Tu parles maintenent avec les serpents!
J'avais defait son eternel cache-nez d'or. Je lui avait mouille les tempes et l'avais fait boire. Et maintenant je n'osais plus rien lui demander. Il me regarda gravement et m'entoura le cou de ses bras. Je sentais battre son coeur comme celui d'un oiseau qui meurt, quand on l'a tire a la carabine. Il me dit:
-Je suis content que tu aies trouve ce qui manquait a ta machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi...
-Comment sais-tu?
Je venais justement lui annoncer que, contre toute esperence, j'avais reussi mon travail!
Il ne repondit rien a ma question, mais il ajouta:
-Moi aussi, aujourd'hui, je rentre chez moi...
Puis, melancolique:
-C'est bien plus loin... c'est bien plus difficile...
Je sentais bien qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire. Je le serrais dans mes bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait qu'il coulait verticalement dans un abime sans que je pusse rien pour le retenir...
Il avait le regard serieux, perdu tres loin:
-J'ai ton mouton. Et j'ai la caisse pour le mouton. Et j'ai la museliere...
Et il sourit avec melancolie.
J'attendis longtemps. Je sentais qu'il se rechauffait peu a peu:
-Petit bonhomme, tu as peur...
IL avait eu peur, bien sur! Mais il rit doucement:
-J'aurai bien plus peur ce soir...
De nouveau je me sentis glace par le sentiment de l'irreparable. Et je compris que je ne supportais pas l'idee de ne plus jamais entendre ce rire. C'etait pour moi comme une fontaine dans le desert.
-Petit bonhomme, je veux encore t'entendre rire...
Mais il me dit:
-Cette nuit, ca fera un an. Mon etoile se trouvera juste au-dessus de l'endroit ou je suis tombe l'annee derniere...
-Petit bonhomme, n'est-ce pas que c'est un mauvais reve cette histoire de serpent et de rendez-vous et d'etoile...
Mais il ne repondit pas a ma question. Il me dit:
-Ce qui est important, ca ne se voit pas...
-Bien sur...
-C'est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une etoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les etoiles sont fleuries.
-Bien sur...
-Tu regarderas, la nuit, les etoiles. C'est trop petit chez moi pour que je te montres ou se trouve la mienne. C'est mieux comme ca. Mon etoile, ca sera pour toi une des etoiles. Alors, toutes les etoiles, tu aimeras les regarder... Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau...
Il rit encore.
-Ah! petit bonhomme, petit bonhomme j'aime entendre ce rire!
-Justement ce sera mon cadeau... ce sera comme pour l'eau...
-Que veux-tu dire?
-Les gens ont des etoiles qui ne sont pas les memes. Pour les uns, qui voyagent, les etoiles sont des guides. Pour d'autres elles ne sont rien que de petites lumieres. Pour d'autres qui sont savants elles sont des problemes. Pour mon businessman elles etaient de l'or. Mais toutes ces etoiles-la elles se taisent. Toi, tu auras des etoiles comme personne n'en a...
-Que veux-tu dire?
-Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, puisque je rirai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les etoiles. Tu auras, toi, des etoiles qui savent rire!
Et il rit encore.
-Et quand tu seras console (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenetre, comme ca, pour le plaisir... Et tes amis seront bien etonnes de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras: "Oui, les etoiles, ca me fait toujours rire!" Et ils te croiront fou. Je t'aurai joue un bien vilain tour...
Et il rit encore.
-Ce sera comme si je t'avais donne, au lieu d'etoiles, des tas de petits grelots qui savent rire...
Et il rit encore. Puis il redevint serieux:
-Cette nuit... tu sais... ne viens pas.
-Je ne te quitterai pas.
-J'aurai l'air d'avoir mal... j'aurai un peu l'air de mourir. C'est comme ca. Ne viens pas voir ca, ce n'est pas la peine...
-Je ne te quitterai pas.
Mais il etait soucieux.
-Je te dis ca... c'est a cause aussi du serpent. Il ne faut pas qu'il te morde... Les serpents, c'est mechant. Ca peut mordre pour le plaisir...
-Je ne te quitterai pas.
Mais quelque chose le rassura:
-C'est vrai qu'ils n'ont pas le venin pour la seconde morsure...
Cette nuit-la je ne le vis pas se mettre en route. Il s'etait evade sans bruit. Quand je reussis a le joindre il marchait decide, d'un pas rapide. Il me dit seulement:
-Ah! tu es la...
Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore:
-Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'etre mort et ce ne sera pas vrai...
Moi je me taisais.
-Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emportes ce corps-la. C'est trop lourd.
Moi je me taisais.
-Mais ce sera comme une vieille ecorce abandonnee. Ce n'est pas triste les vieilles ecorces...
Moi je me taisais.
Il se decouragea un peu. Mais il fit encore un effort:
-Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les etoiles. Toutes les etoiles seront des puits avec une poulie rouillee. Toutes les etoiles me verseront a boire...
Moi je me taisais.
-Ce sera tellement amusant! Tu auras cinq cents millions de grelots, j'aurai cinq cent millions de fontaines...
Et il se tut aussi, parce qu'il pleurait...
-C'est la. Laisse moi faire un pas tout seul.
Et il s'assit parce qu'il avait peur.

Il dit encore:
-Tu sais... ma fleur... j'en suis responsable! Et elle est tellement faible! ET elle est tellement naive. Elle a quatre epines de rien du tout pour la proteger contre le monde...

Moi je m'assis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. Il dit:
-Voila... C'est tout...
Il hesita encore un peu, puis se releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger.
Il n'y eut rien qu'un eclair jaune pres de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ca ne fit meme pas de bruit, a cause du sable.

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