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Anatomie d'une crise
Francesca Ferré, lycée Marie de Champagne

Je dresserai pour commencer un état des lieux de l'enseignement de la philosophie dans le secondaire à partir de ma pratique et des témoignages reçus de mes collègues. Je m'inscrirai en faux par rapport au diagnostic de crise qu'établissent certains au sujet de l'enseignement secondaire de la philosophie. Il n'est pas en crise en tant que tel. Cet enseignement est toujours possible suivant les mêmes principes. Le terme de crise est employé en fait par ceux qui méconnaissent l'enseignement secondaire de la philosophie.
Nier l'existence d'une crise ne revient pas à dépeindre un tableau idyllique pour occulter des difficultés réelles. Toutefois, celles-ci ne sont pas liées à la philosophie elle-même.
Un symptôme de cette crise serait la moyenne des notes obtenues par les candidats au baccalauréat– "moyenne nettement inférieure à celle des autres disciplines" qui friserait "les 7/20 !" comme nous pouvons le lire sur la page web du Groupe Technique Disciplinaire.
J'apporterai sur ce point un démenti catégorique : la moyenne des notes en philosophie n'est pas de 7/20. Dans l'académie de Reims en 1999, elle a été de 8,81/20 et celle de l'écrit du français était de 8,52/20. Nos collègues des autres académies constatent la même chose, les notes tendent vers 9/20. S'agit-il d'une embellie récente suite aux efforts d'harmonisation ? Nullement, en 1995 la moyenne était déjà de 8,32/20. La moyenne des notes n'est donc pas un symptôme de la crise.
Soulignons que la méthode utilisée par le GTD est de partir du constat des notes pour réfléchir à de nouvelles épreuves permettant de rejoindre le niveau des autres disciplines et par suite de produire un nouveau programme. Puisque les données sont fausses, la méthode ne convient pas et le projet du GTD ne pourra pas avoir de pertinence.
Un autre symptôme de la crise serait le caractère aléatoire de l'épreuve de philosophie. Le candidat ne verrait pas nettement ce qui est attendu de lui, ne saurait établir le lien entre les sujets d'examen et le programme, enfin ne saurait suffisamment se repérer dans ce dernier. Si je résume, le défaut de l'épreuve de philosophie est d'être une épreuve ! Le scandale de l'épreuve de philosophie est d'exiger de l'élève une dissertation c'est-à-dire qu'il prenne le risque de penser par lui-même. Le scandale de l'épreuve de philosophie est de mettre le candidat en situation de devoir affronter un sujet qu'il n'a pas déjà traité.
Si le diagnostic des symptômes de la crise n'est pas bon, quelles sont alors les réelles difficultés rencontrées par les professeurs ?
La première difficulté réside en l'insuffisance des acquis scolaires par les élèves en amont de la terminale c'est-à-dire en la déficience des savoirs, le renoncement des autres disciplines à l'exercice de la dissertation. Je ne mets pas en cause les professeurs des autres disciplines. Ce sont les réformes successives qui ont ruiné l'école.
La seconde difficulté consiste en une perte du sens de la langue. Les mots ne font plus sens. Les élèves sont devenus étrangers en leur propre langue. Comment penser sans ce rapport intime aux mots et aux choses ? Comment philosopher ? Comment les élèves peuvent-ils interroger le libellé d'un sujet ? Ici nous mesurons toute l'importance de ce que demandait Socrate "cet esclave parle-t-il grec ?" Aujourd'hui les professeurs se posent la question : cet élève parle-t-il français ?
Voilà les obstacles majeurs que nous rencontrons. S'il n'y a pas crise de l'enseignement de la philosophie en tant que tel dans le secondaire, il y a par contre crise de l'école. Remédier à cela devrait être le souci de tous les GTD c'est-à-dire de toute réforme du lycée. Je voudrais qu'au moment où les instituteurs cessent d'être des instituteurs pour devenir des professeurs d'école, les professeurs deviennent des instituteurs du lycée c'est-à-dire ceux qui instituent le savoir au lycée.
Vous comprenez pourquoi ce n'est pas une réforme du programme de philosophie qui règlera ce type de problèmes.

Je vous parlerai à présent des principes du programme de philosophie en vigueur qui remonte à 1973 dans sa conception, bien qu'il ait été modifié légèrement à deux reprises en 1983 et 1994.
Le programme se compose de deux listes (notions et auteurs) accompagnées des questions au choix dont la nature est précisée par une liste constituée de 8 rubriques permettant d'approfondir une notion ou "d'étudier une question propre au monde contemporain dans son rapport à une problématique philosophique" ou encore d'étudier une œuvre de la tradition. Notions et œuvres forment un tout. Il n'y a pas d'un côté les notions et de l'autre les auteurs. Nous traitons des notions à partir d'une question en nous appuyant sur des textes philosophiques. Et lorsque nous étudions une œuvre, nous analysons les notions telles qu'elles ont été interrogées par le philosophe lui-même.
C'est pourquoi, il est important de conserver l'esprit des instructions de 1925 qui affirment que "la liberté préside à la conception de l'enseignement philosophique". Il s'agit là d'un principe inaliénable sur lequel tout enseignement philosophique doit s'édifier. Cette liberté que les professeurs revendiquent ne se confond pas avec l'arbitraire, mais est au contraire un bien.
Si le professeur est libre d’exposer sa réflexion propre sur une notion ou un extrait de texte, l’élève a alors accès à une pensée autonome, une pensée vivante et non pas à la parole d'un maître. Nous ne demandons pas à nos élèves de répéter des doctrines. Nous leur demandons de penser par eux-mêmes c'est-à-dire de devenir philosophes. L'élève n'est libre que si le professeur est l'auteur de son cours. Car, c'est bien de la liberté qu'il s'agit en cours de philosophie.
Apprendre à philosopher en apprenant la philosophie amène l'élève à se confronter avec son monde, son époque. Mais dans le secondaire contrairement au supérieur, l'élève n'aborde l'histoire de la philosophie qu'au détour d'une question et non pas, je dirai, par une attaque frontale, car il s'agit d'un enseignement élémentaire de philosophie.
Je distinguerai ici une confusion courante ces temps derniers entre histoire de la philosophie et histoire des idées, confusion volontairement faite. Si la philosophie a évidemment une histoire (Geschichte), si cette histoire est philosophique, l'histoire des idées par contre, ne l'est pas. Comme son nom l'indique, elle est histoire (Historie) dont les idées sont son objet. L’histoire des idées est de l’historicisme. Elle est collection et exposition d’idées et non pas manifestation en acte d’idées. L'histoire de la philosophie est la philosophie exposée en son développement ou en son dévoilement. L'histoire de la philosophie est à entendre comme génitif subjectif. L'introduction de l'histoire des idées conduirait l'élève à réciter un cours. Il serait facile ainsi d'augmenter la moyenne des notes.
La seconde confusion que je voudrais relever est celle de la contemporanéité et de l'actualité. Celui qui pense est, toujours déjà, le contemporain de son interrogation. Il pense son monde, son époque. Lorsque nous étudions en cours le texte de Platon sur la démocratie, analysée par lui à partir de l'expérience dont il est le contemporain, c'est pour mieux penser notre démocratie. Les questions d'actualité n'ont rien de commun avec cette démarche. Elles relèvent de ce qui est à la mode. Voilà pourquoi, il faudrait les réviser tous les cinq ans. La pensée en œuvre, expression de la contemporanéité, subordonne l'actualité à sa mesure et ne se laisse pas dicter sa mesure par l'actualité. C'est en ce sens que nous pouvons dire que la pensée en acte est paradoxalement inactuelle, à entendre suivant l'allemand : unzeitgemäß.

Je ferai pour finir 3 propositions.
La première est l'introduction d'un oral de philosophie obligatoire dont l'exercice serait l'explication de texte. Chaque professeur choisirait les œuvres à étudier pendant l'année, 3 œuvres en L, 1 en S ou en ES, 1 œuvre courte ou une partie d'œuvre en technologique. Ce type d'épreuve a un caractère philosophique. Cela permettrait en outre de souligner l'unité du programme entre les deux listes -notions et auteurs. Ce type d'épreuve tient compte du travail fourni par l'élève pendant l'année.
La deuxième proposition est d'instaurer pendant l'année une réflexion sereine sur l'évaluation des copies afin de parvenir à une meilleure harmonisation dans le cadre de la formation continue.
La troisième proposition est d'instaurer le dédoublement d'une heure dans chaque série sans condition de seuil du nombre d'élèves. Ce serait dans le cadre d'un travail de groupe que nous pourrions mieux examiner avec nos élèves les moments de la dissertation.

Enfin, je voudrais insister sur le fait que les professeurs de philosophie réclament le maintien des horaires : 8 heures en L et 4 heures en S.

Je ne pense pas qu'il faille changer les principes du programme de philosophie du fait que l'enseignement de la philosophie en tant que tel n'est pas en crise. Par contre, le contenu du programme devrait être revu du point de vue des notions, certains philosophes absents pourraient être ajoutés. Je ne pense pas non plus que les pistes sur lesquelles le GTD travaille, règleront les difficultés.

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