LES ÉTUDIANTS DE PHILOSOPHIE DE NANTERRE A
L'ADRESSE DES ÉTUDIANTS D'UNIVERSITÉ, DES LYCÉENS
ET DES PROFESSEURS.
Suite aux déclarations du Ministère
de l'Education nationale concernant l'enseignement de la philosophie, il
devient nécessaire de souligner leurs répercussions sur les
études universitaires et la menace qu'elles font peser sur les principes
de l'école républicaine. Il suffit pour cela de constater
les contradictions entre les paroles et les décisions.
Les engagements du ministère de l'éducation
nationale
Dans ces conditions, suffit-il de faire appel
à des vacataires, de confier abusivement des cours aux surveillants
ou à des emplois jeunes pour répondre au problème
de surcharge des cours sans risquer de remettre en cause l'exigence d'un
enseignement public de qualité ? Utiliser des personnes sous-qualifiées
à moindre coût répond certes aux contraintes budgétaires
mais cela au détriment d'une formation digne de ce nom.
Chronique d'une mort annoncée
De telles contradictions nous donnent à comprendre
les tenants et les aboutissants d'une telle politique. La suppression du
Capes à courte échéance, s'avère dramatique
pour les universités de province dans la mesure où celles-ci
ne disposent pas des moyens suffisants pour assurer aux étudiants
une formation adéquate aux exigences de ce concours. Autrement dit,
les UFR de Philosophie, en province, seront condamnées à
disparaître à défaut d'effectifs, ce qui de ce fait
favorisera le développements de formations privées donc payantes
et inégalitaires.
La concentration de l'enseignement philosophique
axée sur quelques grandes universités" bien dotées"
contredit radicalement le principes d'égalité des chances
dont le ministre prétend toutefois se réclamer.
De cette manière, la diminution des postes
dément le principe d'égalité à double titre
Les raisons budgétaires ou démographiques
invoquées par le ministère ne sauraient justifier une telle
politique. Celles-ci ne sont pas seulement des arguments conjoncturels
mais témoignent d'un choix politique scandaleux qui rabaisse la
philosophie au rang de simples " élucubrations". Autrement dit,
la condamne à mourir.
Cette stratégie s'intègre en fin de
compte dans une politique de l'enseignement qui tend à substituer
à une école républicaine une école déterminée
par les lois du marché.
Pas de république sans citoyen, pas de citoyen
sans esprit libre. Le rôle de l'école républicaine
consiste avant tout à former ces esprits à la liberté.
L'enseignement de la philosophie au plus grand nombre participe de cette
exigence fondamentale ; elle permet un regard critique sur la, société
et ses besoins fondamentaux.
Nous exigeons qu'un terme soit mis à cette
politique désastreuse.
Nous demandons une véritable politique de
et pour l'enseignement public, qui doit se traduire par le respect de chaque
discipline et par la restitution immédiate des postes supprimés.
N° de fax du département de philosophie
de Paris X : 01. 40. 97. 75. 17
Un texte explicatif de soutien des enseignants de philosophie de Nanterre
Les enseignants de philosophie de l'Université
de Paris x-Nanterre, réunis en assemblée générale,
ne peuvent qu'exprimer leur très vive inquiétude - mais aussi
leur indignation. Une question décidément se pose aujourd'hui
: qu'est-ce qui est programmé ? la seule disparition, tendanciellement
annoncée, du CAPES de philosophie ? ou au- delà, la mise
en veilleuse de la philosophie - trop élucubrantes au gré
de ceux qui s'imaginent détenir les clefs de l'éducation
efficace du citoyen de demain, et des vérités utiles à
la société actuelle ?
Qu'est-ce que ce pragmatisme à ras de terre
et à si courte vue, aux allures si insupportablement technocratiques,
ignorant de ce qui lie consubstantiellement en France, depuis des siècles,
la critique philosophique et la lutte pour les droits de l'homme et du
citoyen, et depuis que la République l'a instituée avec sa
signification civique, la classe de philosophie et la formation du jugement
affronté aux contradictions de l'histoire ? Qu'est-ce que cette
politique qui ne dit ce qu'elle fait et qui ne fait pas ce qu'elle dit,
au mépris de tous les engagements qui lui ont permis d'accéder
au pouvoir en appelant à la confiance des électeurs ?
Ceux-ci, aujourd'hui, quand ils sont étudiants
en philosophie et qu'ils se préparent à enseigner cette discipline
dans l'intérêt général, se sentent triplement
floués
1. Ils se retrouvent confrontés à
une situation injustifiable, après clôture des inscriptions
aux concours de recrutement, et trop tard, en conséquence, pour
qu'ils puissent modifier leur choix et leur décision - c'est le
concours le plus difficile, celui de l'Agrégation (qui exige l'assimilation
d'un programme très lourd d'auteurs et de notions), qui offre désormais,
à l'inverse de toutes les autres disciplines, plus de postes (90)
que celui plus accessible, au sortir de la licence, à savoir le
CAPES, réduit à la portion congrue (60 postes, alors qu'il
y en avait 300 en 1994). - Question: où est la morale dans ce manquement
à la parole donnée, qui avait promis de publier les postes
avant la date limite des inscriptions ? Autre question : en prenant les
candidats par surprise, en réduisant, pour beaucoup d'entre eux,
leurs chances de réussite, où en est la politique de l'insertion
professionnelle dans le cadre de la lutte pour l'emploi des jeunes ?
2. Ils se retrouvent confrontés, en tout
état de cause, à une réduction considérable,
sur les cinq dernières années, du nombre global de postes
offerts aux concours de recrutement de philosophie. Le ministère
pourra toujours arguer qu'il y a trop de reçus aux concours qui
ne trouvent pas d'affectation, deux questions subsistent néanmoins
: d'abord, où est la morale dans le reniement d'un souci pourtant
maintes fois affirmé - celui de mettre l'élève au
centre du système "éducatif", ce qui exigerait (n'est-ce
pas ce que les élèves ont réclamé en priorité
à la faveur d'une consultation diligentée par le ministère
lui-même ?) des classes aux effectifs allégés, et donc
des dédoublements de classes et un accroissement corrélatif
du nombre de professeurs qualifiés ? Ensuite (mais c'est la même
question) : où en est la politique dite républicaine de l'égalité
des chances, si cette condition, la plus élémentaire et la
plus essentielle, d'un véritable soutien aux élèves
en difficulté doit rester ignorée dans les faits, à
proportion de ce qui est proclamé et réitéré
"en paroles" ?
3. Ils sont confrontés enfin, quand ils sont
provinciaux, à l'extrême difficulté de préparer
l'Agrégation dans un contexte adéquat : la misère
des universités de province pour la plupart, fait qu'elles n'ont
pas les moyens en personnel enseignant d'assurer tous les cours requis
par un concours exigeant, aux épreuves très spécialisées
- à l'inverse du CAPES, désormais sacrifié, qui ne
requiert pourtant qu'une formation générale finalisée
par le programme de la classe terminale. Questions, derechef, à
la fois morales et politiques : qu'en est-il ici encore de l'égalité
des chances ? qu'en est-il de la politique de décentralisation ?
veut-on des regroupements dans des " pôles" centralisés qui
pénaliseraient les candidats sans ressources financières
suffisantes (et ce, au moment où on refuse les bourses d'Agrégation
aux candidats qui en font la demande pour la première fois) ? A
moins qu'on ne veuille, de façon tout élitiste, des "pôles
d'excellence", sur des modèles empruntés ailleurs, dont on
ne voit pas comment ils se concilient avec la conception démocratique
de l'instruction publique
Au-delà donc du mépris ainsi témoigné,
tant envers des principes qu'à l'égard de candidats qui s'apprêtent
pourtant à devenir fonctionnaires de l'Etat, et souhaiteraient de
ce fait pouvoir le respecter, notre inquiétude concerne l'avenir
de la philosophie en France. Tout porte à croire qu'au lieu de défendre
l'exception française avec sa légitimité historique,
on souhaite en haut lieu aligner l'enseignement de la philosophie, du secondaire
au supérieur, sur des pratiques étrangères qui la
réduisent à une histoire des idées, et la marginalisent
dans un canton de la culture. Tout se passe comme si on voulait la soumettre,
cédant à on ne sait quelle urgence, à la juridiction
des sciences de l'éducation (alors que la philosophie a tant à
dire elle-même sur le statut dit scientifique de cette discipline
... ), par le biais des IUFM et de la confusion que ceux-ci entretiennent
entre les divers ordres d'enseignement. Tout se passe aussi comme si on
voulait fortifier l'idée (tant reçue ... ) que la philosophie
est à côté du réel, en la coupant de la possibilité
de réfléchir sur le contenu des sciences : les dernières
mesures prises par le ministère dans le cadre de la réforme
des lycées ne diminuent-elles pas l'horaire de l'enseignement philosophique
en terminale scientifique (qui passe de trois à deux heures), et
ne vident-elle pas la terminale littéraire de tout enseignement
scientifique, arrêté en classe de première ? C'est
toute une tradition de la philosophie en France qui se trouve ainsi compromise,
et avec elle, toute une richesse de conscience et de pensée entretenue
par la collaboration des savants et des philosophes. Mais c'est aussi toute
l'infrastructure de l'enseignement philosophique qui se trouve menacée,
et gravement, par la probable extinction du CAPES, inconsidérément
réclamée par voie de presse : comment les départements
de province survivront-ils à la fuite d'étudiants soucieux
de préparer l'Agrégation dans les universités suffisamment
bien dotées en moyens ? Combien de postes supprimera-t-on pour répondre
à la baisse des effectifs ? Et que deviendront les docteurs qui
croissent en nombre quand il y aura de moins en moins de lieux où
candidater ? peut-être en fera-t-on des gestionnaires en ressources
humaines, mais dans les entreprises au service de l'esprit du commerce...
Pour toutes ces raisons, les enseignants de philosophie
de Paris X-Nanterre ne peuvent que soutenir sans restriction les justes
revendications de leurs étudiants, et souhaitent qu'une véritable
coordination, rassemblant tous ceux qui partagent la même inquiétude,
se mette en place pour signifier avec le plus de force possible une opposition
légitime à une politique désastreuse.
A l'appel du Collectif indépendant des étudiants en philosophie et de l'UNEF-ID, environ 150 étudiants en philo ont défilé hier après-midi dans les rues de Strasbourg.
Depuis plusieurs semaines, les étudiants en philo s'inquiètent
de l'avenir de leur discipline. Et ils dénoncent aussi le comportement
qualifié de « méprisant » à leur égard
de Claude
Allègre, ministre de l'Education nationale.
L'objet essentiel de leur courroux, partagé d'ailleurs
par nombre d'enseignants, et qui fait l'objet d'une mobilisation nationale,
découle de deux projets ministériels sur la baisse des
horaires d'enseignement dans le secondaire et la réduction des
postes aux concours d'enseignement (55% cette année), alors qu'au
contraire les lycéens réclament une initiation à la
philo
dès la classe de Ière.
La manifestation d'hier devait les conduire de la faculté
de Droit au Palais universitaire. Sous des banderoles comme « Oui
à un enseignement de qualité, non à la logique de
marché »,
ils s'élevaient contre « le sacrifice de l'éducation
» et clamaient « la défense de la pensée et de
l'esprit critique. »
Ils soupçonnent en effet leur ministre de s'attaquer aux
sciences humaines dans le but de professionnaliser et de spécialiser
les filières pour les adapter au marché du travail. Ainsi,
les
filières d'enseignement général jugées
« non productives » seraient trop chères et inutiles,
car elles ne correspondraient pas directement aux besoins des entreprises.
Une manifestation nationale, à laquelle les étudiants
strasbourgeois participeront, est prévue le 10 mars à Paris.