Etant attachés à la défense
de l'enseignement des disciplines, qui en suppose une analyse réaliste,
nous avons relevé avec beaucoup d'intérêt la publication dans l'Université
Syndicaliste du débat ouvert sur les mathématiques, que l'on trouve
sur le site du SNES. Nous apprécions la qualité de ces textes. Connaissant
les contraintes de l'édition électronique, et la faible durée de publication
de l'US en cours, nous avons pris la liberté de reproduire ici le texte
de Jean-Pierre Demailly ; nous en remercions vivement l'auteur et l'éditeur:
US MAGAZINE - N° 527 - SEPTEMBRE 2000
DEBAT opinion
Face aux difficultés que rencontre aujourd’hui l’enseignement
des mathématiques, le SNES lance le débat.
Les maths face à l’inconnu
Les mathématiques sont dans une situation paradoxale. Disciplines
outils pour les sciences et les techniques, elles sont au cœur de
la connaissance moderne, de plus en plus utiles, de plus en plus présentes.
Pendant ce temps, les élèves semblent se détourner
de leur apprentissage. Comment expliquer ce phénomène
et surtout comment y remédier ?
Jean-Pierre Demailly, professeur à l’université
de Grenoble. Membre correspondant de l’Académie des sciences,
spécialiste d’analyse et géométrie complexes.
Sur l’enseignement des mathématiques et
des sciences
Avant d’entamer une réflexion sur l’évolution des programmes
d’enseignement, il faut d’abord faire une analyse raisonnée
de la situation actuelle. Or, l’enseignement des mathématiques
et des sciences se trouve aujourd’hui dans un état préoccupant.
A l’université, dans certains secteurs comme l’informatique,
la technologie, la mécanique, le nombre d’étudiants
est très inférieur aux besoins prévisibles, tandis
qu’il y a pléthore dans d’autres secteurs aux débouchés
limités. Pire, les compétences des étudiants
sont en faible adéquation avec les prérequis des programmes
d’enseignement. Dans les dernières années, les solutions
envisagées ont surtout été des mesures démagogiques
visant à augmenter le taux de réussite aux examens par
un affaiblissement des exigences. Les diplômes délivrés
aux étudiants ne garantissent donc plus un niveau de compétence
minimal décent ; la situation est très sérieuse
pour les futurs enseignants, comme on peut en juger par le niveau
actuel très bas aux concours de recrutement, CAPES et agrégation
de mathématiques notamment. A mon sens, ce constat sévère
tient à des défauts structurels majeurs des filières
éducatives, bien plus qu’à des questions de programme.
Les principaux problèmes trouvent leur origine dans l’insuffisance
de la diversification des filières, et par contre-coup, dans
un grave manque d’adaptabilité du système éducatif
face à des populations d’élèves dont les objectifs
et les besoins sont très variés. Il en résulte
un nivellement systématique des programmes par le bas, au lieu
d’une démarche adaptative visant à valoriser les qualités
individuelles des élèves : valorisation des qualités
intellectuelles comme des qualités artistiques, sportives,
manuelles, etc. Le collège unique, conçu à l’origine
comme un instrument d’intégration, a hélas mis à
l’écart toute idée de formation pré-professionnelle
pour ceux qui se destinent à des études courtes. Au
lycée, l’insuffisance de la diversification des filières
scientifiques a conduit à la mise en place de programmes bâtards
et sans objectifs clairs. Dans tous les cas, les contraintes horaires
ont amené les commissions de programmes à opérer
des allégements importants. Pour les mathématiques,
ces allégements ont hélas eu tendance à porter
sur l’essentiel, à savoir, sur l’acquisition du sens et des
concepts ; l’objectif d’une nécessaire compréhension
en profondeur a été insensiblement détourné
pour faire place au bourrage de crâne et une propension au "mimétisme".
Il est clair que les difficultés ne pourront être résolues
sans une volonté politique courageuse et une vision d’ensemble
cohérente. Au lycée par exemple, on peut discerner des
besoins assez différents suivant que les élèves
vont s’orienter vers les sciences économiques et bio-médicales,
ou vers les sciences de la matière (informatique et technologie
incluses). Dans les deux premiers cas, les élèves auront
davantage besoin de méthodes de calcul et d’outils statistiques,
tandis que, dans le cas des sciences de la matière, l’analyse
et la géométrie devraient avoir un rôle prépondérant.
L’enseignement de la logique élémentaire ou de la combinatoire
est actuellement très négligé, alors que c’est
une pierre angulaire pour l’enseignement des mathématiques,
surtout dans une optique généraliste menant à
des études scientifiques ou techniques longues; et aussi bien
entendu pour l’enseignement des concepts fondamentaux de l’informatique.
Sans logique, il n’y a pas de démonstration possible, et sans
démonstration, on ne peut véritablement parler de "
mathématiques " au sens savant du terme. Il est bien sûr
envisageable qu’une partie du public scolaire soit mise à l’abri
des difficultés du cheminement conceptuel, si cela ne correspond
pas aux nécessités des objectifs professionnels poursuivis.
Mais il est inacceptable que les élèves visant des études
longues ne se voient pas offrir la possibilité d’acquérir
en temps voulu les outils conceptuels dont ils auront besoin par la
suite. Toute la difficulté actuelle de l’enseignement des sciences
est là, les bases mathématiques manquent cruellement
pour la compréhension des autres disciplines et des applications,
et le retard accumulé par les élèves dans l’enseignement
secondaire ne peut plus ensuite être comblé à
l’université. Les réformes de l’université n’ont
d’ailleurs fait qu’ajouter à la confusion, dans un contexte
d’uniformisation européenne, prétexte à l’atomisation
des contenus, à la réduction des horaires et des moyens.
Pour vouloir adopter une prétendue "voie médiane"
convenable pour tous les publics, on aboutit à une incapacité
d’opérer des choix stratégiques clairs. Dans l’optique
d’une nécessaire diversification, il faudrait réaménager
les horaires de manière différenciée, avec une
forte augmentation des mathématiques et des sciences pour la
filière scientifique fondamentale. Le questionnement individuel,
l’expérimentation et l’observation sont des éléments
essentiels du processus d’acquisition des connaissances, et demandent
beaucoup de temps. La proposition actuelle des TPE s’attache en principe
à ces objectifs, mais sans programme précis, détachée
des disciplines fondamentales et misant avant tout sur un objectif
peut-être trop ambitieux d’interdisciplinarité, cette
mesure fait craindre une nouvelle réduction des contenus au
détriment de ce que j’appellerai un " vagabondage culturel
". Dans tous les cas, il faudrait redonner leur valeur aux diplômes,
avec à la clé une véritable démarche d’orientation
des élèves, combattant l’échec plutôt que
de le travestir en fausse réussite. Pour finir, quelques mots
sur l’utilisation des nouvelles technologies : mon sentiment
est qu’il faudrait passer d’un usage passif et consumériste
avec une griserie abusive devant les performances des outils informatiques,
à un usage plus raisonné incitant à la compréhension
de leurs principes de base. Oui, de grands desseins sont nécessaires
pour reconstruire l’enseignement des sciences dans notre pays...
Colloque formation scientifique 8 et 9 décembre 2000
Face à un constat inquiétant : de moins en moins d’élèves
de classes scientifiques poursuivent des études scientifiques,
le SNES organise un colloque sur la formation scientifique, à
Paris les vendredi 8 et samedi 9 décembre 2000. Six tables
rondes réuniront des enseignants du supérieur et du
secondaire, des chercheurs, des didacticiens des mathématiques,
des sciences physiques, des sciences de la vie et de la Terre, des
sociologues et des philosophes. Ils débattront de l’évolution
des savoirs, des démarches et raisonnements propres à
ces disciplines, des liens entre elles et de leur spécificité,
de la place de l’épistémologie, celle de l’informatique,
mais également des problèmes de recrutement des élèves
de la voie scientifique, notamment des filles, et de leur orientation
post-bac. Une fiche d’inscription sera diffusée dans un prochain
numéro de l’US.