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La fin du Capes d'histoire ? analyse d'une future réforme qui inquiète et devrait inciter à agir par Emmanuel Lyasse

Consultation des enseignants sur les nouveaux programmes d'histoire-géographie : les professeurs du lycée René Cassin de Gonesse (95) fouillent leurs archives

Débat sur la nouvelle épreuve du bac en histoire-géographie : Nous avons reçu plusieurs commentaires, assortis parfois de propositions, à la suite de nos prises de position sur la nouvelle épreuve du bac en histoire-géographie. Nous y attendons vos contributions.

Quand le bac sacrifie l'histoire : un article signé Pierre Chambaz, professeur d'histoire et écrivain, paru en septembre 1999 dans le "Monde Diplomatique".

Epreuve d’histoire-géographie : un grand pas vers le " n’importe quoi" (juillet 2000)

L'épreuve d'Histoire-Géographie au Baccalauréat : une funeste plaisanterie ?(août 2000) : une contribution de professeurs du lycée Jules Ferry de Coulommiers.

Nouvelle épreuve du baccalauréat: quels dangers ?
(mai 1999)

Critères et conseils de correction pour l'épreuve d'histoire et géographie des baccalauréats L, ES et S. (Circulaire du Directeur de l'académie de Paris adressée aux proviseurs le 30/03/99).

Signez la pétition (mai 1999)

 

Epreuve d’histoire-géographie : un grand pas vers

le " n’importe quoi " (juillet 2000).

Nous avions vertement critiqué l’an dernier les nouvelles épreuves d’histoire-géographie, en soulignant qu’elles conduisaient à une remise en cause de la qualité et de la nature même de notre enseignement. Prétendre centrer l’évaluation de lycéens sur l’étude de documents, le travail le plus difficile qui soit, tout en réduisant au strict minimum les connaissances demandées et les exigences de rédaction, ne peut conduire, dans la grande majorité des cas, qu’à des copies d’une exécrable qualité.

Que peuvent alors faire les correcteurs ? Sanctionner les candidats, c’est leur faire payer une faute dont ils ne sont pas responsables, et éventuellement les dégoûter d’un travail de préparation qui ne trouve pas sa juste récompense. Mais à l’inverse, considérer comme " acceptables " des travaux d’une insigne médiocrité, c’est accepter la dénaturation de notre enseignement, de ses méthodes et de ses objectifs.

Ce n’est pas par maladresse que nos réformateurs ont introduit ce type d’épreuve, mais au nom de conceptions dont nous mesurons aujourd’hui les ravages. Ils ont voulu recentrer l’enseignement autour de " l’acquisition des savoir-faire ", plutôt que de " l’érudition " et " l’empilement des connaissances ". L’objectif peut paraître noble, mais en oubliant qu’il n’y a pas de " savoir-faire " sans savoir tout court, on va tout droit à ce que nous avons appelé l’enseignement light. On y est, lorsque l’on considère le contrat éducatif comme rempli parce que l’élève est capable d’écrire " les documents 1 et 2 sont écrits par deux auteurs différents dont on voit bien qu’ils n’ont pas la même opinion", ou " le document 1 est une carte qui montre bien que les riches sont riches et que les pauvres sont pauvres "…

Plaisantons-nous ? Venez donc ces jours-ci lire quelques unes de nos copies de bac, et vous n’aurez plus envie de rire.

Au vu des sujets, et surtout des copies de juin 2000, nous n’avons absolument rien à retrancher aux critiques faites l’an dernier, et nous pouvons même en rajouter.

 

L’épreuve majeure de géographie

(Nous rappelons par ailleurs la définition des nouvelles épreuves),

Première observation, l’immense majorité des candidats (de l’ordre des 9/10) a choisi l’étude de documents.

Est-ce parce que les deux sujets de composition portaient sur l’Allemagne et l’Inde ou la Chine, pays déjà proposés l’an dernier ? Nous l’ignorons. En tout cas, on aurait voulu pousser les élèves vers l’étude de documents qu’on ne s’y serait pas pris autrement. On a beau jeu dans ces conditions de souligner qu’il y a toujours au bac des compositions (c’est à dire des devoirs entièrement rédigés) : qu’importe, si plus personne, ou presque, ne les choisit…

Avec l’étude de documents, ce qui est demandé aux élèves est si vague, si difficile, si infaisable, qu’on ne peut guère s’attendre à autre chose qu’une paraphrase assortie de quelques considérations très générales.

Car enfin, efforçons-nous de présenter le document 1. On peut toujours écrire qu’il s’agit d’un planisphère montrant les grands pôles et les principaux flux du commerce mondial, et que les chiffres indiquent, en pourcentage, la part de chaque flux et pôle dans le total mondial. On peut ajouter la fine observation qu’il y a trois pôles principaux dans le commerce mondial, l’Amérique du nord, l’Europe et l’Asie, que c’est entre ces trois pôles que se font d’abord les échanges, et que par rapport à eux les autres pôles apparaissent comme très secondaires.

Ce qui ne prouve strictement rien, à part que le candidat sait lire et qu’il n’est pas handicapé visuel. Et l’on pourrait recommencer avec les quatre autres documents.

Tentons à présent, comme nous le demande le sujet de " sélectionner, classer, confronter et regrouper par thèmes " les informations des documents. La passionnante réunion d’harmonisation des corrections tenue samedi matin à Paris a envisagé comme classement :

Thème 1 : Au centre, la Triade capitaliste

Thème 2 : Les périphéries intégrées

Thème 3 : Les périphéries délaissées.

Puis, sans doute parce qu’il paraissait difficile de demander à tout le monde de se soumettre à ce jargon très " nouvelle géographie ", on a convenu qu’à peu près tous les classements étaient envisageables, sauf un, le classement trop sectoriel de type Production/Commerce/Finances. Mais comme, entre temps, l’un des corrigés qui fleurissent ces jours-ci sur le Web a proposé ce classement, et qu’il n’y a aucune raison de soupçonner l’honorable collègue d’incompétence, on peut en conclure qu’il faut tout accepter.

Et c’est bien ce que l’on retrouve dans les copies : tout et n’importe quoi. N’allez pas tenter de vérifier la cohérence des classements grâce à leur contenu : conformément aux instructions officielles, ce n’est pas rédigé, mais présenté sous forme de tableaux, pour la plupart illisibles, et pour cette raison très peu lus. Ce qui est fâcheux lorsqu’on sait qu’ils ont mobilisé une bonne partie du temps de travail des candidats …

Enfin, la synthèse demandé en troisième question a bien du mal à éclairer les correcteurs sur la valeur réelle des candidats. Car tout de même, à moins d’être vraiment très doué (mais est-ce ce que l’on demande à un candidat moyen ?) peut-on sérieusement répondre " en 300 mots environ " à une question aussi ambitieuse que " Comment est organisé l’espace économique mondial ? ". D’autant plus qu’il faudra pour cela s’appuyer sur les informations recueillies dans les documents, et que la plupart du temps on ne saura pas faire autre chose que les paraphraser.

Conclusion sur cette épreuve : ce que nous mettons en cause, ce ne sont ni les capacités des candidats, ni le sérieux de leur préparation, ni la qualité de l’enseignement qu’ils ont reçu, mais la façon dont ils se font piéger par une épreuve infaisable. Et au delà, les conséquences de ce type d’épreuve sur la nature de l’enseignement en classe de terminale.

" L’étude de documents ", telle qu’elle est conçue aujourd’hui, a largement fait les preuves de sa nuisance. Il faut en revenir à des épreuves permettant réellement aux candidats de montrer leurs compétences : des connaissances simples, mais solides ; une capacité à rédiger, c’est à dire présenter de façon claire et ordonnée ce que l’on a compris.

 

 

L’épreuve mineure d’histoire

Les deux documents proposés (le discours de de Gaulle lors du putsch d’Alger, ou une carte de l’Europe en 1942) sont tout à fait intéressants, et abordables par des candidats correctement préparés. Il faut même saluer la présence, rarissime, d’une carte parmi les documents d’histoire.

Mais l’étude de ces documents est victime de la nouvelle organisation de l’épreuve. Ils sont proposés en " épreuve mineure ", et les candidats doivent répondre à quatre questions " en une page environ " … c’est à dire pas grand-chose, si l’on n’oublie pas cette évidence qu’il s’agit d’une page manuscrite (300 mots environ), et pas imprimée. Il faut en réalité une grande expérience pour rédiger aussi brièvement une réponse convaincante.

Petite question à nos amis journalistes : qui peut répondre sérieusement en 75 mots à la question suivante : Qu’entend le général de Gaulle par " l’immense effort de redressement de la France " ?

Chaque professeur sait que les élèves ont besoin, dans leur grande majorité, de plus de temps et de place pour montrer ce qu’il savent et ce qu’ils ont compris … Et les professeurs ont besoin de plus de matériaux pour évaluer sérieusement ce que les élève savent ou pas, ce qu’ils ont compris ou pas.

La seule façon pour les élèves de s’en sortir était d’abandonner le cadre des " 300 mots environ ", et d’utiliser toutes leurs connaissances. Mais alors il faut s’interroger sur la pertinence de la division entre " épreuve majeure " et " épreuve mineure ", cette dernière n’étant en fait qu’une " épreuve light ". 

Pouvons nous attendre passivement de nous retrouver, en juin 2001, dans la même situation ?

Que pouvons nous faire pour exiger la redéfinition des épreuves ?

Quels conseils pouvons nous donner à nos élèves ?

Le débat est ouvert, les contributions de tous sont les bienvenues.

 
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L'épreuve d'Histoire-Géographie au Baccalauréat : une funeste plaisanterie ?(août 2000)

La suppression de la dissertation en Histoire-Géographie, un banc d'essai pour les autres disciplines

Cette année, nous fûmes nombreux à être choqués tant par l'intitulé des sujets que par la nature de l'épreuve en Histoire-Géographie au Baccalauréat général.
L'épreuve dite majeure portait sur la Géographie. Parmi les trois sujets au choix, les candidats se voyaient proposer deux sujets de composition et un sujet d'étude de documents. Il est utile de préciser que la dissertation a disparu de l'épreuve du Bac d'Histoire-Géographie depuis l'an dernier, et a été remplacée par une " composition ". Le Bulletin Officiel (B.O.) de l'Education Nationale définissant cette nouvelle épreuve nous a rassuré l'an dernier en affirmant : " la " composition " remplace la " dissertation " mais les objectifs demeurent identiques " . Cependant l'Inspection Générale d'Histoire-Géographie nous a précisé à l'approche de l'examen en 1999 que la composition, " à connotation moins rhétorique ou scolastique que l'ancienne dissertation, suppose simplement un devoir organisé ". Les exigences de réflexion, de rigueur et d'organisation de la pensée, d'argumentation, passent à la trappe des réformes constitutives du fameux " lycée light ". Il n'en demeure pas moins que cette épreuve demande des connaissances solides, indispensables à la formation de l'esprit. On ne réfléchit pas " dans le vide ", sans connaissance. Le savoir est pourtant condamné, depuis plusieurs années, par nos réformateurs, qui le présentent comme une notion archaïque, assimilée à du " gavage " réservé aux adeptes de l'érudition. Et il semble que même cette dissertation " light " soit condamnée à court terme. Tout concordait cette année (comme l'année dernière) pour que les candidats ne choisissent pas cet exercice. En effet les deux sujets de composition portaient sur... les deux parties du programme tombées au Bac l'an dernier : L'Allemagne et la Chine ou l'Inde . Qui ignorait que de nombreux élèves feraient l'impasse, étant donnée l'ampleur des révisions en Histoire-Géographie, sur des sujets déjà tombés l'an dernier ? De plus, cette année, suite aux allègements des programmes, chaque professeur avait le choix de traiter soit la Chine, soit l'Inde, les élèves ne devant donc pas étudier le même pays sur l'ensemble du territoire (passons sur l'esprit qui préside à ce type d'allègement). A notre connaissance, de nombreux professeurs n'ont pas traité cette question, car il semblait impensable qu'un pays " au choix " puisse tomber au Bac, en particulier en Terminale S (scientifique) où le programme est déjà si difficile à " boucler " en trois heures hebdomadaires. En conclusion nous sommes amenés à penser que le choix des sujets de l'épreuve majeure ne pouvait que pousser les élèves à choisir l'étude de documents. Cette opinion nous est confirmée par le travail de correction : sur 70 copies en moyenne par correcteur, au moins 60 traitaient ce troisième sujet.


La nouvelle épreuve d'Histoire Géographie, un exercice " déformateur "

Tant ce sujet que le type d'exercice demandé méritent un commentaire. Le sujet : Comment est organisé l'espace économique mondial ?, était à traiter à partir de cinq documents, dont un texte qui présente, entre autre, la prospérité des multinationales originaires des nouveaux pays industrialisés. Quel correcteur n'a pas relevé dans ses copies les " bienfaits " des multinationales et des délocalisations pour l'économie des pays du tiers monde ? Ce sujet, par l'absence de documents critiques sur les conséquences de la libéralisation des échanges, ne tendrait-il pas à entériner l'idée d'une mondialisation perçue comme un phénomène naturel, inéluctable et bénéfique ? Devons-nous transmettre à nos élèves un bréviaire de la pensée unique, afin qu'ils soient mieux préparés à leur examen ?
Quant au type d'exercice, il est à nos yeux non seulement peu formateur pour l'esprit, mais surtout certainement " déformateur " en ce qu'il bannit toute tentative d'approfondissement. L'étude de documents est une nouvelle épreuve issue de la réforme du Bac d'Histoire Géographie appliquée en juin 1999. Des professeurs s'étaient déjà insurgés l'an dernier contre cette nouvelle épreuve . Il ne s'agit plus de rédiger un commentaire approfondi et organisé des documents en s'appuyant sur ses connaissances. Trois questions organisent la démarche de cette étude :

-1. Présenter les documents.

-2. En fonction du sujet, sélectionner, classer et confronter les informations tirées de l'ensemble des documents et les regrouper par thèmes. Il est en général conseillé d'organiser ces thèmes et ces informations sous la forme d'un tableau à double entrée, ce qui réduit le travail de rédaction argumentée à un strict minimum. Le B.O. n'exige pas de commenter ces informations, d'en tirer des conclusions, de les mettre en perspective en fonction des connaissances acquises sur le sujet. Les candidats se contentent donc tout naturellement de relever des extraits de phrases, des chiffres, sans explication. Ils ne sont pas amenés à critiquer le contenu des documents. Il s'agit en fait d'une amorce de plan non rédigé et nourri de paraphrase, d'un brouillon de commentaire que nous devons évaluer.

-3. Rédiger de façon synthétique (environ 300 mots) une réponse argumentée à la problématique définie par le sujet en faisant appel, y compris de manière critique, à l'ensemble des informations tirées des documents. Enfin le correcteur peut lire un travail construit, rédigé, argumenté, une analyse critique des documents ! Que voilà des exigences ambitieuses ! A y regarder de près, pourtant, ce travail ne réclame (et n'entraîne) que des copies indigentes quoique conformes aux exigences de l'épreuve. Le B.O. ne demande ni introduction, indispensable à la présentation du contexte et des enjeux du sujet, ni conclusion, ni surtout connaissances extérieures aux documents. De plus, que peut-on analyser ou démontrer en 300 mots (à peine une page) ? Pour avoir préparé nos élèves à ce type d'exercice au cours de l'année, nous savons que l'analyse critique n'est possible que si l'on dépasse largement les 300 mots convenus. Mais les critères de l'Inspection Générale nous éclairent sur l'objectif de l'épreuve : nous sommes appelés à pénaliser " les dérives excessives (moins d'une dizaine de lignes ou plus de deux pages) " ; les candidats sérieux qui auraient tenté un réel travail de réflexion critique et approfondie se voient donc pénalisés... Paraphrase et superficialité sont en fait les maîtres mots de la réforme des programmes et des épreuves, en Histoire-Géographie comme par ailleurs en Français ou encore en Langues et en Mathématiques.

Comment déconsidérer définitivement le Bac, les connaissances et la réflexion ?

La réponse a été trouvée tant par nos réformateurs que par les rédacteurs des sujets d'Histoire-Géographie. L'épreuve mineure d'Histoire, un commentaire d'un document, remet en question, outre le travail des enseignants et celui des élèves, l'enseignement même de notre discipline. Deux sujets étaient proposés au choix : un discours du général de Gaulle lors du putsch des généraux en Algérie en 1961, ou bien une carte de l'Europe en octobre 1942. Il s'agit en guise de commentaire, et ce depuis l'an dernier, de répondre à quatre ou cinq questions en " une page environ ". Que commenter en une page ? Là encore nous sommes appelés à sanctionner " les dérives excessives ". Les candidats se voient finalement sommés de produire un travail superficiel. La carte de l'Europe, très majoritairement choisie par les candidats (et pour cause), nous donne un aperçu de ce que nous devons (voulons ?) attendre d'un élève entamant des études supérieures : pas de travail rigoureux, pas (ou si peu) de connaissance, pas de réflexion approfondie. En voici l'énoncé :

-1. Présenter la carte
-2. De quels territoires est constitué le Grand Reich ?
-3. Expliquer la situation de la France en octobre 1942.
-4. Quels sont les Etats européens en lutte contre l'Allemagne et ses alliés en octobre 1942 ? Depuis quand et pourquoi ?
La première question se passe de commentaire. Quant aux trois suivantes...il suffit de savoir lire une carte et sa légende pour y répondre : y figurent les limites du Grand Reich, ses Etats alliés, les Etats en lutte contre l'Allemagne, la division de la France entre zone occupée et Etat vassal dont la capitale, Vichy, figure en italique. Seule une partie de la dernière question demandait un minimum de connaissances de cours.
De plus, ces copies doivent être surévaluées par les correcteurs. Si nous nous en étions tenus aux critères de correction précédemment cités, nous aurions accordé plus de la moyenne à chaque candidat pour l'ensemble de l'épreuve d'Histoire Géographie (l'ensemble de l'épreuve, majeure et mineure, étant évalué globalement sur 20). Effectivement notre Inspection Générale nous indique que l'épreuve mineure " doit permettre au candidat qui a de bonnes connaissances de voir sa copie tendre vers la moyenne grâce à ce seul exercice " ; mais comment ne pas avoir des réponses justes aux questions portant sur la carte ? Notre inspecteur semble tenir à ce non-barême car quelques lignes après, nous lisons : " si par exemple un exercice de la deuxième partie est bien réussi, il peut déjà, à lui seul, faire atteindre la moyenne (10/20) à la copie ". Enfin, pour les correcteurs qui n'auraient pas compris qu'il s'agit non pas d'évaluer une copie mais bien d'accorder au moins la moyenne à tous les candidats, le détail du mode d'évaluation de l'épreuve mineure les remet dans le droit chemin : " de bonnes réponses aux premières questions suffisent à faire atteindre la moyenne de l'exercice. La qualité des réponses aux questions suivantes permet éventuellement de faire atteindre la moyenne à l'ensemble de la copie. ".
Pourquoi une telle insistance ? L'Inspection Générale aurait-elle peur que les professeurs ne se contentent pas des réponses type " ce document est une carte de l'Europe en 1942 " pour accorder la moyenne à l'ensemble de l'épreuve d'Histoire Géographie ? N'avons-nous pas compris que l'épreuve majeure, aussi indigente soit-elle dans ses exigences, sert uniquement à cumuler des points au-dessus de la moyenne ? L'épreuve d'Histoire Géographie dans son ensemble n'est plus une épreuve qui exige rigueur, connaissances et réflexion, mais d'après l'Inspection Générale " elle doit permettre aux candidats capables de donner quelques clés d'explication du monde contemporain, sans érudition particulière, d'accumuler les points nécessaires au succès et/ou à l'obtention de mention ".
Dès lors, une question se pose pour les enseignants que nous sommes : comment parviendrons-nous l'an prochain à faire croire à nos élèves de Terminale qu'il est important de travailler et de réfléchir en cours d'Histoire Géographie ?
Une dernière information. Les réunions d'harmonisation des notes pour l'obtention ou non du Baccalauréat ont eu lieu. Le rectorat (celui de l'Académie de Versailles en l'occurrence) nous a fait savoir, par l'intermédiaire du président de notre jury, qu'il fallait remonter les notes afin que de nombreux candidats obtiennent une mention supérieure à celle correspondant à leurs résultats, et que de nombreux autres soient admis alors qu'ils devaient passer les oraux de rattrapage. Les correcteurs devaient donc revoir leurs copies à la hausse. " 80 % d'une classe d'âge au Bac " dans ces conditions, ce sont 80 % d'élèves leurrés par un monde que la paraphrase ne permet en aucune manière de décrypter.

L'école publique : un outil de la démocratie, un enjeu de civilisation

Plusieurs question se posent à l'issue de cette session du Bac 2000. Quels sont les objectifs de l'enseignement en Histoire-Géographie, lorsque toute exigence de réflexion, de connaissances, d'analyse ont disparu de l'examen ? Quels élèves, à l'issue de cet examen, seront en mesure de suivre des études supérieures, si ce ne sont ceux issus d'un milieu socio-culturel favorisé ? Pourquoi s'acharner à supprimer toute réflexion au sein des épreuves du Baccalauréat ? La République n'attend-elle plus de ses jeunes citoyens qu'ils soient instruits et réfléchissent ? Devons-nous nous borner à former des exécutants, qui n'auront jamais été amenés à exercer leur réflexion critique, faut-il considérer la transmission de la culture comme une notion archaïque, contraire aux exigences de la " modernité " ? Devons-nous nous plier à la démagogie de nos réformateurs, qui veulent nous faire croire que démocratisation rime avec abêtissement uniformisé ? N'oublions pas cette évidence : lorsque les règles de la méritocratie sont balayées, vient le règne de la ploutocratie.
Nous nous sommes mobilisés cette année contre l'assassinat programmé de la littérature dans l'enseignement secondaire, contre la disparition effective de la poésie des programmes du lycée, contre la suppression probable de la dissertation littéraire , contre la condamnation de la démonstration en mathématiques. Le travail de sape engagé depuis plusieurs années contre la qualité de l'enseignement public doit être enrayé dès aujourd'hui, car c'est à une école publique de médiocre niveau destinée uniquement à former des techniciens sans conscience de leurs droits que nous nous préparons. Accepter cette évolution qui n'a rien de naturel, c'est accepter en toute conscience qu'un marché privé de l'éducation se développe afin de donner à ceux qui en ont les moyens une instruction de qualité, tandis que la grande masse des élèves des milieux populaires et des petites classes moyennes devra se contenter d'une école publique " à l'anglaise ", ou " à l'américaine ".
Il ne s'agit pas de science-fiction. L'éducation est un secteur qui attise les convoitises de nombreux investisseurs, comme le démontrent les projets à court terme de privatisation partielle ou totale des services de l'éducation préconisés par l'Organisation Mondiale du Commerce . Abaisser le niveau que permet d'atteindre l'école publique est le meilleur moyen de supprimer l'odieuse concurrence qu'elle pouvait représenter face à un véritable secteur privé. Gageons que le modèle libéral du système éducatif, qui a fait les preuves de sa médiocrité et de son injustice chez nos voisins anglo-saxons, sera refusé par des enseignants de plus en plus nombreux, mais aussi des parents et au-delà des citoyens conscients de l'enjeu de civilisation que représente l'instruction publique et l'accès du plus grand nombre à la culture.



Julie Doyon, Edwige Marchand, Morgane Page, professeurs du Lycée Jules Ferry, à Coulommiers

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Nouvelle épreuve du baccalauréat: quels dangers ? (mai 1999)

Lorsqu'elle a été proposée pour le baccalauréat, l'épreuve d'étude de documents d'histoire (ou de géographie) a soulevé les inquiétudes et les critiques de nombreux professeurs.La pratique que nous en avons cette année, en particulier à travers les bacs blancs, justifie pleinement ces inquiétudes et nous amène à réagir. Les quelques éléments de réflexion proposés ici s'appuient sur notre expérience des classes de terminale et du baccalauréat. Elles apparaîtront comme des évidences à beaucoup de collègues ayant cette expérience. Encore faut il que ces évidences soient dites, et qu'on s'efforce d'en tirer les conséquences. 

Il n'est évidemment pas question de nier l'intérêt et la nécessité des documents, aussi bien dans l'enseignement de l'histoire-géographie que dans l'évaluation des élèves. Que ceci soit dit pour écarter les critiques de mauvaise foi. Mais il est bon aussi de rappeler une évidence: l'étude (ou l'analyse, ou le commentaire, comme on voudra) de documents est un exercice difficile, réussi seulement par les meilleurs élèves ... à moins évidemment de se contenter d'une vague paraphrase. On peut bien sûr proposer ce type de travail à tous, mais lorsqu'il s'agit d'une épreuve de baccalauréat, un minimum de prudence s'impose. 

L'ancienne épreuve de commentaire de documents avait déjà conduit à une dérive, la plupart des copies se limitant à une paraphrase. Elle était d'ailleurs systématiquement choisie par les candidats sans préparation sérieuse. L'épreuve avait au moins le mérite, parce qu'elle demandait de confronter les documents aux connaissances que l'on avait sur le sujet, de permettre aux meilleurs élèves de réaliser de bonnes copies. Mais elle constituaient aussi un piège pour de nombreux candidats honnêtement préparés, mais qui, par maladresse, sombraient dans la paraphrase sans s'en rendre compte. La corvée du correcteur consistait alors à éplucher minutieusement les copies pour tenter de distinguer, sans toujours y parvenir, les « maladroits  des « fumistes ». 

La nouvelle épreuve amplifie ces défauts jusqu'à la caricature. Comme toute réforme digne de ce nom, elle se réclame d'une haute ambition intellectuelle et démocratique. Finis le bachotage et la sotte récitation d'une leçon apprise par cúur, place à la « problématique », à la « synthèse », à l'effort de « sélectionner, classer et confronter les informations ». Si les inspecteurs ne l'avaient fait, Allègre l'aurait inventé. Mais il ne faudrait tout de même pas oublier que, si l'on prend ces objectifs au sérieux, ils sont extraordinairement difficiles à atteindre. Se propose-t-on vraiment d'amener la grande majorité des élèves à ce niveau de compétence ? Pourquoi pas, mais il faudrait alors s'interroger sur les moyens d'y parvenir. En réalité, l'ambition est beaucoup plus modeste. Parce que la nouvelle épreuve ne fait plus appel à des connaissances extérieures aux documents: « Les connaissances sont donc nécessaires pour comprendre le sens des documents et de la problématique mais il n'y a pas à apporter de connaissances complémentaires en dehors de celles qui ont été dégagées des documents »[souligné par les auteurs].(Circulaire officielle en direction des professeurs, et signée des I.P.R.-I.A. de Versailles, 21 novembre 1997, N/Réf.: n°VIGI97-002). Voilà qui a l'avantage d'être clairement dit: on fait semblant d'exiger beaucoup, mais on se contentera de pas grand-chose. 

Le résultat, non celui que nous imaginons, mais celui que nous avons sous les yeux avec les copies de nos élèves, est tout simplement consternant. 

 « Le candidat est d 'abord invité à présenter les documents »

La présentation se limite le plus souvent à écrire « le document 1 est une carte portant sur tel thème », « le document 2 est un texte de Untel », etc... Comment pourrait-il en être autrement, alors qu'une présentation sérieuse des documents exigerait une familiarité avec les sources et avec le sujet totalement hors de portée d'un élève moyen ? 

« Le candidat doit ensuite, en fonction du sujet, sélectionner, classer et confronter les informations historiques (ou géographiques) tirées de l 'ensemble des documents et regroupées par thèmes »
La présentation suggérée sous la forme d'un tableau ne demande plus aucune rédaction, ce qui est tout de même gênant. En outre, le repérage des principaux thèmes peut être raté par maladresse, ou au contraire réussi avec un peu d'astuce, mais sans guère de connaissances. Pas plus que la première partie de l'épreuve, la seconde ne permet une évaluation sérieuse des candidats. 

« Le candidat doit enfin rédiger, de façon synthétique, une réponse argumentée à la problématique défi nie par le sujet, en faisant appel, y compris de manière critique, à l'ensemble des informations tirées des documents. A titre indicatif, il est conseillé aux candidats de limiter cette synthèse à une page, soit 300 mots environ »
On pourrait imaginer que cette mini-rédaction de 300 mots permette de juger les copies. Mais on dérive là encore vers la paraphrase, parce que, si l'on ne mobilise aucune connaissance extérieure, et que l'on fait appel « à l'ensemble des informations tirées des documents », un candidat moyen, c'est-à-dire la majorité, ne pourra guère faire autre chose que répéter les dites informations. 
Nous ne faisons pas de procès d'intention, mais pensons aux dizaines de copies que nous avons lues cette année. Et nous les comparons aux corrigés proposés par les manuels: ils sont clairement infaisables par la grande majorité des élèves. Voir par exemple dans le Delagrave, l'étude de documents sur « la Résistance en France », documents et corrigé p.74 à 77. 

Au terme de l'épreuve, il est toujours impossible de distinguer les candidats sans préparation sérieuse de ceux qui ont honnêtement travaillé, mais tombent dans le piège d'une épreuve infaisable. Le correcteur se trouve alors devant un choix douloureux.

*La valeur objective de nombreuses copies est nulle. Mais comment mettre une
note nulle à un élève qui s'est contenté de faire ce qu'on lui demandait ? Si
le sujet est nul, l'élève l'est-il pour autant ?
*Le professeur peut aussi considérer que de tout cela les élèves ne sont pas
responsables, et attribuer des notes moyennes ou médiocres.

Évidemment, n'ayant pas une âme de bourreau, la grande majorité des correcteurs fera le deuxième choix. Les conséquences en seront graves. Si d'une part les élèves sérieux ne parviennent pas à faire valoriser leur travail, et si d'autre part on peut très bien s'en tirer sans grande connaissance, mais avec un peu d'astuce, pourquoi continuer à préparer réellement l'épreuve ?
Il est vrai que les défenseurs de la réforme, ne pouvant se résigner à la médiocrité, nous fixent une toute autre ambition en terme de notation. Circulaire citée plus haut: « Cette épreuve devrait permettre de distinguer l'élève moyen travailleur qui reconnaît l'information, qui sait la classer, et qui a une capacité de rédaction pour parvenir à une synthèse moyenne. En l'absence d'un barème précis par partie qui pourrait écraser l'échelle de notation ce type de devoir devrait atteindre les 13 ou 14. Le bon élève qui débouche sur une synthèse clairement rédigée après avoir dégagé et classé les informations en fonction de la problématique, devrait pouvoir obtenir les notes maximales (18 à 20) ».

Si ces conseils sont suivis par les correcteurs, un formidable progrès sera bientôt fait dans le traitement statistique de l'échec scolaire. Quant aux choses sérieuses? c'est-à-dire le profit réel que les élèves peuvent tirer de notre enseignement, leurs compétences réelles et les moyens de les améliorer ... qui s'en soucie vraiment ? 

Les problèmes que nous soulevons ici ne Sont pas une question corporatisme ou technique sur la meilleure façon de rédiger un sujet d'histoire-géographie pour le baccalauréat. Ils recoupent au contraire le débat sur ce que doit être l'ambition du lycée, et bien entendu le débat sur l'actuel projet de réforme.
Dans le choix de cette épreuve, nous reconnaissons une démarche déjà ancienne. D'abord dans la méthode: des réformes imposées par le haut et sans concertation réelle avec les professeurs, soumises aux contraintes des modes et des rapports de force dans les couloirs ministériels. Et surtout sur le fond: un prétendu recentrage vers les « savoir-faire » au détriment de « l'empilement des connaissances ». En feignant d'oublier que sans connaissances un savoir-faire ne signifie rien, et que c'est ce « rien » que l'on retrouvera dans les copies. Comme on ne peut vraiment pas en tenir rigueur aux élèves, la conséquence logique est le renoncement progressif à un travail intellectuel ambitieux. Un « travail intellectuel ambitieux »... Avoir osé écrire ces mots suffira à nous faire taxer d'élitisme et de passéisme. Peu nous importent ricanements de ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent. Nous ne travaillons pas dans un Iycée d'élite, mais dans une banlieue difficile. Cela ne nous empêche pas de vouloir donner le meilleur de nous mêmes, intellectuellement et humainement, et de tenter de le faire partager à nos élèves. C'est pour nous une plus noble ambition que la diffusion des derniers gadgets pédagogiques. 


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