Intervention de A. Benzeckri à la réunion publique
du 3 mars 2000
à la Bourse du travail (Paris)
Lorsque les membres du collectif " sauvez les maths " ont réfléchi
au contenu qu’ils pourraient donner à l’intervention de ce soir, il leur a
semblé que l’un des aspects les plus graves des réformes actuelles
était l’entreprise de crétinisation menée à travers les
changements de programmes prévus pour la rentrée 2000 dans plusieurs
matières et notamment en mathématiques.
En 86 les programmes de mathématiques de la classe de sixième, et donc
les suivants, sont placés sous le signe de l’ " activité ",
mot magique qui devait résoudre bon nombre des difficultés de nos élèves.
De quoi s’agissait-il ? Le cours dit " magistral " étant devenu
le comble du mauvais goût pédagogique, il fallait donc que toutes les
notions fondamentales soient introduites par des problèmes permettant aux
élèves de " réinventer " les concepts historiques
en les manipulant avant même de les définir. Tout ceci pouvait sembler
séduisant, mais très vite, on se rendait compte dans la pratique que
de telles méthodes n’étaient absolument pas réalistes tout d’abord
parce que le temps nécessaire pour les mettre en œuvre est très largement
supérieur à celui dont on dispose en classe et d’autre part parce que
les dits concepts ne sont pas si faciles à " réinventer "
pour des élèves déjà en difficulté sur les bases
du calcul et de la lecture. Résultat : un appauvrissement général
des contenus sans que l’on constate en échange une quelconque amélioration
(ou alors quelque chose m’aurait échappé) du niveau et des capacités
de recherche de nos élèves.
Depuis des années, le niveau en calcul, constaté à l’entrée
en sixième et en seconde est catastrophique alors même que les tests
destinés à l’évaluer sont de plus en plus grotesques quant à
la difficulté de leur contenu. Là aussi, un certain nombre d’éminents
pédagogues, nous expliquent depuis longtemps, que l’acquisition des algorithmes
des quatre opérations n’est pas l’essentiel, il faut plutôt développer
chez l’élève le sens de l’opération par des problèmes
divers et variés… Nous-nous rendons compte, nous enseignants, qu’à
force de ne pas poser de divisions, les élèves n’acquièrent
ni la technique opératoire ni le sens : autrement dit, ils sont perdants sur
les deux tableaux. Où en sommes-nous à l’heure actuelle : la multiplication
de deux nombres décimaux et l’algorithme de la division sont devenus des objectifs
des classes de sixième et de cinquième, c’est tout dire !
Dans la suite logique de ces régressions, est publié au BO d’août
99 le nouveau programme de seconde.
- On y découvre tout d’abord, que par la simple volonté de quelques
conseillers du ministre, ne disposant d’ailleurs d’aucune reconnaissance au sein
de notre profession, les mathématiques deviennent une science expérimentale
! Vous-vous demandez comme nous ce que cela signifie, en fait pas grand chose, il
suffit de traduire tout cela par un seul mot : STATISTIQUES, ou plutôt mathématiques
citoyennes ! En effet il nous est formellement stipulé d’ " équiper
" nos établissements d’urnes contenant des boules et des jetons de couleurs
différentes afin de mettre en évidence, après quelques centaines
de tirages et de jets la probabilité d’obtenir FACE à l’incontournable
jeu de PILE ou FACE (entre autres exemples). N’oublions pas non plus de réfléchir
à " la notion de fluctuation de l’échantillonnage vue sous
l’aspect élémentaire de la variabilité de la distribution des
fréquences ", qui osera dire après cela que le niveau baisse
?
- Les concepts les plus fondamentaux des mathématiques, tels que la notion
de fonction (ou " boîte noire " dans le texte officiel) par exemple,
sont définis par la calculatrice ou l’ordinateur de manière quasi magique
comme si l’on craignait d’utiliser les mots, comme si toute formalisation était
exclue. En somme il faudra peut-être se résoudre à dire à
des élèves de 15 ans : " la courbe monte " plutôt que
: " la fonction est croissante ". On reconnaît dans ces dérives
cette constante obsession du simple et cette chasse systématique à
l’abstraction dont font preuve les concepteurs de " programmes " ces quinze
dernières années.
- Démontrer est une activité essentielle des mathématiques,
elle permet non seulement d’acquérir la rigueur nécessaire à
toute science mais aussi de s’initier progressivement aux concepts de la logique
: implication, réciproque, contraposée, négation, raisonnement
par l’absurde…
- Au collège, il ne reste pratiquement plus qu’une démonstration,
celle du théorème de Pythagore : quelle audace ! Au lycée la
calculatrice et le traceur de courbes deviennent des éléments essentiels
de preuve, on ne compte plus dans le texte officiel le nombre d’apparitions des expressions
:
- " on observera que.. ", " on admettra que… ",
" on se limitera à des exemples simples… ", " aucune
virtuosité technique … ". Comment pourra-t-on dans de telles conditions
transmettre un quelconque esprit critique à nos élèves ? Sera-t-il
honnête d’en exiger quelque rigueur que ce soit, alors que la majeure partie
de leur formation sera constituée d’observations aussi douteuses que contestables
sur des tableurs ? Signalons au passage, que la France est l’un des pays disposant
du nombre le plus élevé de calculatrices par habitant, cela a-t-il
permis la moindre amélioration de la situation en calcul pour ne citer que
ce domaine ?
Point d’orgue de la réforme, la mise en place dès la rentrée
prochaine des TPE est l’une des mesures les plus préoccupantes du dispositif
:
- Leur mise en place se fait sur les horaires des matières concernées
sans qu’aucune assurance ne soit donnée quant à leur rattachement au
service des enseignants.
- Il s’agit en 1h voire une demi-heure par semaine de gérer les projets
d’une douzaine de groupes et cela sans qu’aucune concertation entre enseignants ne
soit prévue : c’est ce que l’on appelle de l’interdisciplinarité !
En supposant même que les TPE aient un intérêt pédagogique,
peut-on sérieusement penser qu’un travail consistant pourra être mené
en disposant de 5 minutes par groupe ! Il est plus que probable que le règne
du copier-coller l’emporte sur une recherche digne de ce nom.
- Le texte officiel de mise en place de l’expérimentation des TPE préconise
des productions d’élèves aussi variées que farfelues : documents
vidéo, pièces de théâtre, fichiers électroniques,
expositions … Autant dire que l’évaluation sera aléatoire et que le
véritable objectif est l’introduction d’un contrôle continu massif au
BAC.
- Que dire des thèmes choisis : frontière, croissances … aussi creux
qu’énigmatiques, mais que pouvait-on attendre d’autre au moment où
la maîtrise de la phrase devient un objectif essentiel de la classe de seconde
en français ?
Dans un tel contexte, que peut-on proposer ?
- Dénoncer par tous les moyens : pétitions, presse, lettres adressées
aux parents l’indigence et le flou de programmes laissant la porte ouverte à
toutes sortes d’interprétations et remettant donc en cause la notion même
de programmes nationaux.
- Dans le Tarn et la région parisienne, les professeurs de mathématiques
préconisent le boycott pur et simple des manuels scolaires véhiculant
des programmes " light ". A cet effet, des lettres ont été
envoyées aux éditeurs pour les informer de nos intentions. Signalons
que le marché des manuels scolaires représente 1,5 milliards de francs,
ce qui signifie pour nous enseignants, un moyen décisif de pression. Sachez
que les éditions Hachette désirent d’ores et déjà nous
rencontrer.
- Ecrire aux inspecteurs notre volonté de nous opposer à des programmes
honteux en s’engageant personnellement et collectivement. Profiter des réunions
organisées par l’inspection dans tel ou tel établissement pour s’y
rendre en nombre conséquent et dénoncer les projets de programmes dans
les diverses matières concernées.
- Prôner dès aujourd’hui, et sans attendre la prochaine rentrée,
le boycott des TPE. En raison de l’interdisciplinarité attendue, il suffira
d’un nombre restreint de professeurs engagés pour que ces projets ne soient
pas réalisables. Je dirais même qu’il suffira d’appliquer les horaires
prévus et rien de plus pour que ces TPE n’aient rapidement aucun sens !
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