LA CONSTITUTION: UNE SOLUTION
PRÉAMBULE
Depuis que je publie sur ce site et même avant, j'ai toujours eu beaucoup
de peine à amorcer une discussion politique de quelque nature que
ce soit au Québec sans que la question de la souveraineté
ne soit posée. Ce qui m'agace un peu, parce que tout ce dont je parle
et qui me semble important - démocratie, travail, éducation,
santé, etc - est ainsi ravalé au rang des moyens pour obtenir
l'indépendance du Québec ou, au contraire, renvoyé
à un agenda ultérieur, au jour où, semble-t-il, dans
un Québec indépendant, tout sera devenu possible.
Or il n'est pas vrai que nous soyons si impuissants aujourd'hui, ni que
nous deviendrons omnipotents par la suite. Et quand je dis "nous",
je veux dire nous Québécois, mais aussi "Nous-autres",
au sens de Parizeau, une ambiguïté que je dissiperai plus loin.
Avant de clarifier ce point, il y a une autre ambiguïté que
je tiens à régler: celle de ma propre trajectoire.
Quand je parle de droit, de formation ou de fiscalité, j'ose espérer
que les idées que j'avance se défendent elles-mêmes
et que qui je suis n'a pas d'importance; quand on parle de souveraineté,
j'ai bien peur que ce ne soit pas possible. La question de la souveraineté
charriant encore bien des émotions, je sais que l'on voudra juger
ce que je dis à l'aune de ce que j'ai été. Je n'ai
pas l'intention d'écrire mes mémoires mais, puisque je n'éviterai
pas qu'on me rappelle une certaine période de ma vie, aussi bien
l'éclairer tout de suite. J'allonge donc ce préambule de quelques
notes sommaires sur mon cheminement des années "60.
TRAJECTOIRE
J'ai fréquenté bien des gens qui ont façonné
les événements, mais je crois que ceux-ci le leur ont bien
rendu; je garde de l'Histoire du Québec depuis 1960 la conviction
qu'il aurait suffi de bien peu pour qu'elle tournât autrement. Si
ses principaux acteurs n'ont pas vraiment eu le contrôle du scénario,
à plus forte raison ne devrait-on pas, je crois, tenir rigueur de
leur rôle à ceux qui, comme moi, n'ont été que
des figurants; je ne renie rien, mais je ne me sens pas tenu non plus de
voir les choses de la même façon qu'il y 40 ans.
J'ai été mêlé de près au mouvement indépendantiste
du début des années "60. J'ai organisé la première
campagne de souscription du R.I.N au début 1962. J'ai bien connu
plusieurs de ceux qui ont fait coup de feu avec l'ALQ et les deux FLQ et
certains d'entre eux sont demeurés des amis. J'ai toujours divergé
d'opinion avec Chaput et Bourgault, toutefois quant à l'opportunité
de faire du R.I.N. un parti politique. Je croyais qu'il fallait maintenir
le concept de l'indépendance au-dessus des débats partisans
et, tout en sensibilisant la population, chercher plutôt à
noyauter les deux partis existants jusqu'à ce que l'indépendance
émerge au programme des deux, s'assurant ainsi que la surenchère
électorale fasse le reste.
Absent du Québec de 1962 à 1966, j'ai gardé néanmoins
le contact avec quelques membres du R.I.N et j'ai profité de mon
séjour en France pour y véhiculer auprès des cercles
gouvernementaux une idée positive mais réaliste du mouvement
indépendantiste québécois. Haut fonctionnaire à
Québec au moment de la visite de De Gaulle, en 1967, je sais l'esprit
qui y régnait à l'époque et j'ai des raisons de croire
que l'intention de Daniel Johnson était alors de faire de l'élection
suivante une élection référendaire.
Je pense aussi que ce référendum aurait été
gagné. À cause de l'optimisme frisant l'arrogance qui prévalait
au Québec après Expo 67, à cause des appuis internationaux
dont pouvait jouir la cause du Québec dans un monde alors plus "à
gauche" qu'il ne l'a jamais été par la suite... et tenant
compte d'une faction importante encore occulte au sein du parti libéral
qui n'aurait pas permis que s'organisât une riposte efficace. Une
sécession surprise aurait été la conclusion logique
de la révolution tranquille.
Johnson est mort. La lutte à sa succession a mené à
un clivage de l'Union nationale dont l'élément pro-indépendance,
jusque-là discret, s'est identifié et a été
battu en brèche. L'aile pro-indépendance du parti libéral
a aussi été débusquée et mise en minorité,
menant au départ de Levesque et à la création du MSA
devenu ensuite le PQ. L'idée d'indépendance étant devenue
la "souveraineté-association" - et une quasi-sécession
étant quasi-correcte - la foule des quasi-indépendantistes
pouvait dès lors sortir dans la rue et défiler bras dessus
bras dessous avec assez de taupes et d'agents provocateurs des Services
canadiens nationaux de sécurité pour que ces derniers puissent
assurer le service d'ordre... et identifier les militants.
Un révolutionnaire fiché est un révolutionnaire foutu.
Une sécession sereine du Québec ne pouvait être qu'une
sécession surprise et exigeait donc que l'on sût intriguer
avec subtilité; les gens qui paradent derrière des bannières
n'ont pas ce doigté. Quand on m'a offert d'être candidat du
PQ aux élections de 70, j'ai donc décliné l'invitation.
Tous les fauteurs de troubles potentiels ayant été identifiés,
le coup de semonce d'octobre "70 a d'ailleurs suffi à mettre
hors d'état de nuire ceux qui étaient sérieux, à
effaroucher ceux qui ne l'étaient pas et à détruire
les structures insurrectionnelles embryonnaires. Je crois que l'indépendance
du Québec telle qu'on la souhaitait au départ - D'Allemagne,
Barbeau, Rumilly et les autres - n'a plus jamais été possible
par la suite.
Après la polarisation des opinions au Québec en deux factions
antagonistes de forces sensiblement égales découlant du référendum
de "80, je crois que l'indépendance n'était même
plus immédiatement souhaitable; avec la déchéance de
fait des États nationaux - au profit d'une superstructure financière
qui détient le vrai pouvoir dans le monde entier depuis que l'URSS
n'existe plus pour lui faire équilibre - la notion de "souveraineté"
politique, aujourd'hui, n'a même plus une grande importance. Le projet
d'indépendance a avorté.
Ce projet n'a pas avorté parce que le Québec a dit NON deux
fois; si ce n'était que de ça, on pourrait se dire, comme
certains l'ont dit, que ce n'est que partie remise et que la persévérance
est une vertu. Non. Ce projet a avorté parce qu'il n'a pas été
réalisé en temps utile, circa 1970, et qu'il est devenu inutile
de le réaliser. Je ne crois pas que la souveraineté soit encore
une priorité; je ne crois pas être devenu un renégat
parce que je le dis et que je prétends qu'il vaudrait mieux désormais
placer nos atouts et jouer le jeu habilement plutôt que de penser
à changer de tapis vert.
Je voudrais enlever les couches de sentimentalité et de démagogie
qui recouvrent encore cette problématique et je voudrais peler cet
oignon sans faire pleurer personne. Je ne me fais pas d'illusions sur les
chances du bon sens quand il monte dans le ring contre l'émotion,
mais je me sens moralement tenu tout au moins d'essayer.
Maintenant que j'ai annoncé assez crûment la couleur, je vous
invite à prendre connaissance de la proposition qui suit, laquelle
a pour objectif non seulement d'apporter une solution à la crise
constitutionnelle mais de servir de préliminaire à un texte
suivant qui posera les bases d'un nouvel encadrement politique et administratif
pour l'État, qu'il soit québécois ou canadien.
Pierre JC Allard
0. INTRODUCTION
L'indépendance politique du Québec n'a plus d'importance,
parce que 40 ans ont passé. Ce n'est pas rien, 40 ans, dans la vie
d'un peuple. Pour voir l'échelle, c'est à peu près
le temps qui sépare la radio à cristal de l'Internet, ou Lindbergh
se posant au Bourget de Neil Armstrong se posant sur la lune. Quand on écrira
l'Histoire du Québec, dans 100 ans, on parlera de Duplessis..., puis
de la Révolution tranquille..., puis d'une période de 40 ans
pendant laquelle on a discuté d'indépendance sans la faire...,
puis d'autre chose. J'ai hâte qu'on passe à autre chose. On
peut évoluer beaucoup en quarante ans... ou ne pas évoluer
du tout. Le monde a évolué, il faudrait évoluer nous
aussi et que nos objectifs tiennent compte de la réalité.
En 1960, le monde était partagé entre deux blocs et, même
si notre intérêt évident était de nous ranger
aux cotés des USA, cette loyauté avait son prix et méritait
du respect. Aujourd'hui il n'y a qu'un patron, il est américain et
il ne respecte personne; la loyauté s'appelle obéissance et
est prise pour acquise. L'indépendance n'ajouterait rien de significatif
aux pouvoirs dont dispose le Québec, parce que la marge de manoeuvre
politique réelle sur les plans domestique et international que Québec
récupérerait d'Ottawa serait nulle, comme est nulle aujourd'hui
celle du gouvernement canadien dans ses relations avec les USA et le Fonds
monétaire international (FMI.)
Sur le plan international, que nous soyons Québécois ou Canadiens,
nous n'avons pas la puissance militaire ni économique qui nous permettrait
de nous écarter de la ligne d'action que nous fixent les USA; 85
% de notre commerce international se fait avec les USA - plus de 500 milliards
$ par année pour le Canada - et nous faisons et devons faire ce qu'on
nous dit de faire. Sur le plan domestique, indépendance ou non, notre
idéologie politique resterait le néo-libéralisme -
aucune autre pensée ne serait tolérée ici par le Pouvoir
financier qui gère la planète - et notre politique serait
toujours balisée par les diktats du FMI, ceux-ci appliqués
par un système bancaire rigide sous la gouverne d'une banque centrale
dont la direction, en pratique, est cooptée par l'establishment financier.
La liberté d'action du gouvernement d'un Québec indépendant
ne serait en aucune façon significative différente de celle
dont dispose maintenant le gouvernement du Québec fédéré.
Certaines des décisions qui sont prises à Ottawa seraient
prises à Québec, c'est vrai, mais ce serait les mêmes
décisions. Je respecte la souveraineté relative de l'Andorre
et de Monaco, mais sans m'imaginer que ces États deviendront vraiment
indépendants de la France. Les "gros", d'ailleurs, ne sont
pas toujours moins dépendants que les petits; 100 millions de Mexicains
ne sont pas plus "indépendants" des États-Unis que
30 millions de Canadiens ou 7 millions de Québécois.
L'ironie de la situation, c'est que l'indépendance politique traditionnelle
a désormais si peu d'importance, qu'on l'aura peut-être, après
tout, un jour ou l'autre, cette souveraineté tant désirée
! Si oui, il faudra en remercier Parizeau qui, en renonçant intelligemment
d'avance à toute politique monétaire québécoise
autonome, a dissipé la crainte au niveau du Pouvoir financier qu'un
Québec souverain ne devienne une source de contrariété.
Cette renonciation était et demeure la seule chance pour l'indépendance,
car ceux qui mènent le monde ne veulent pas être distraits
par des vétilles.(Voir Texte 706 pour les
choses importantes et une une
hypothèse plus sérieuse qu'elle n'en a l'air de la façon
dont pourrait se réaliser l'indépendance si elle se réalisait).
Compte tenu du caractère purement cosmétique de la souveraineté
du Canada - la seule souveraineté que nous puissions acquérir
- il existe une possibilité bien réelle que le Québec
sorte de la fédération canadienne. Mais je ne crois pas fauter
en me demandant si ça en vaut encore la peine. Tout ce que peut faire
le Québec dans la géopolitique actuelle, qu'il soit indépendant
ou non, c'est d'améliorer l'efficacité de ses réseaux
internes de services à la limite de la tolérance du Système
et de préparer discrètement sa population à "autre
chose". C'est ce que ce site tout entier propose. C'est ça notre
projet de société pour l'an 2000.
"Autre chose" ne deviendra possible que quand le Québec,
comme tous les autres États - et sans doute en même temps qu'eux
- aura repris son indépendance du Pouvoir financier. En attendant,
la querelle Ottawa-Québec qui perdure fait bien l'affaire de ce Pouvoir
financier, puisqu'elle détourne l'attention de notre véritable
servage, lequel n'est pas envers une structure fédérale bien
bénigne mais envers cette superstructure capitaliste mondiale qui
est l'ennemie de tous.
Cela dit, mon sujet ici n'est pas ce Pouvoir ni cette superstructure: j'en
parle d'abondant ailleurs sur ce site. Mon objectif immédiat est
de tenter de ramener la problématique de l'indépendance version
2000 - qui n'est plus l'indépendance pour laquelle des gens ont risqué
leur vie mais une version bien bâtarde de ce vieux rêve - à
une décision rationnelle à prendre ou à ne pas prendre.
1. JOUER LA CRISE
Obtenir l'indépendance d'un espace qui soit le foyer national des
francophones en Amérique est une idée tout à fait respectable.
Cette idée, reprise vers 1960 mais qui était là, sous
le boisseau, sans doute depuis deux siècles, aurait permis, si elle
s'était réalisée, de modifier du tout au tout la nature
de l'immigration que nous avons reçue depuis lors et de procéder
fermement à l'assimilation des minorités ethniques au Québec
dans le respect strict des libertés individuelles de chacun, créant
aujourd'hui un équilibre des forces bien différent. Elle ne
s'est pas réalisée.
Parce qu'elle a amorcé une dynamique d'autant plus puissante qu'aucun
autre projet motivant n'a été proposé depuis qui aurait
pu lui faire concurrence dans l'imaginaire populaire - et que cette dynamique
a été frustrée mais jamais démythifiée
- l'idée de l'indépendance a mené a la crise constitutionnelle
actuelle. Une crise Ottawa-Québec totalement artificielle.
Le caractère artificiel de la "crise constitutionnelle"
transparaît quand on en note l'évolution cyclique. L'idée
d'indépendance n'est plus une nouvelle idée et elle ne fait
plus chaque jour des adeptes; le soutien dont jouit l'option indépendantiste
"pure et dure" fluctue et plafonne dans les sondages depuis des
décennies. L'idée d'indépendance n'est plus une passion
dévorante que pour bien peu de ceux qui la propagent; elle ré-surgit
plutôt de temps en temps, comme thème de débats passionnés
mais sans lendemain, au gré de la couverture médiatique d'événements,
comme les bourses du millénaire, qui n'intéressent la population
que quand on lui a expliqué qu'elle devrait en être indignée.
La vérité, c'est que dès qu'il est apparu, vers 1970,
que l'indépendance ne se ferait pas, on a assisté à
une récupération sans vergogne, astucieuse mais cynique, de
l'idée d'indépendance. Nous faisons face depuis à un
phénomène cultivé, manipulé, utilisé.
La crise constitutionnelle, depuis longtemps, c'est devenu une rivalité
ostentatoire récurrente entre des partis et des hommes politiques
- à Ottawa et à Québec - qui tentent de faire avancer
leurs agendas et de se faire un capital politique en utilisant la surenchère
démagogique et en créant de toutes pièces des problèmes
et des mini-crises qu'ils sont "les seuls" à pouvoir résoudre.
On joue la crise, comme un atout maître.
Inventée et utilisée avec succès par Duplessis en version
beta sous le nom d'autonomie, gonflée à bloc avec le moteur
"indépendance", puis vulgarisée et rendue accessible
tous-systèmes sous la marque "souveraineté", la
notion que le nationalisme latent des Franco-québécois peut
entretenir une crise constitutionnelle permanente qui soit un outil de gouvernement
et un écran de fumée pour tous nos problèmes a été
fignolée sous tous les régimes à Québec, menant
sous Bourassa (Régime 1) à un programme opérationnel
qui n'est que remis à jour depuis sans changements majeurs.
La "crise constitutionnelle" comme arme politique va et vient
au gré de l'inspiration des protagonistes. La diplomatie étant,
comme la savate, un art martial bien français, la "crise"
a donné ses plus beaux résultats au moment du tandem Trudeau-Levesque,
des joueurs intelligents se renvoyant la balle et formant une équipe
d'adversaires si efficace que le Québec est sorti de leur "guerre
fratricide" avec des gains considérables, tant économiques
que politiques.
Mandaté à Ottawa pour régler la crise constitutionnelle,
le "French Power" a "mis le Québec à sa place"...
plusieurs échelons au-dessus de sa case de départ. On a non
seulement remis aux francophones tous les postes importants du pays, de
la Cour Suprême au Ministère des finances, mais - utilisant
l'ACDI et le service de l'Approvisionnement - on a aussi permis la montée
en force des grandes firmes d'ingénierie du Québec au détriment
de celles du reste du Canada. Simultanément, tout en échangeant
des diatribes creuses, on permettait que des "défaites"
et des "trahisons" de pure façade, comme celle de Victoria,
voilent la réalité: un Québec qui crée la Caisse
de dépôt, applique la Loi 101 sans intervention fédérale,
a éternellement la balance du pouvoir à Ottawa et, sous l'armure
de la "clause nonobstant", fait en pratique tout ce qu'il lui
plaît de faire.
Le succès de cette manoeuvre, pas si différente de celle de
voleurs à la tire qui, tout en se chamaillant, se rapprochent de
leur cible, n'a pas échappé aux politiciens anglophones les
plus astucieux. Usant du même stratagème par la suite, Mulroney,
Manning, Clark - et demain Martin - savent attiser sans en avoir l'air le
ras-le-bol du "Rest-of-Canada" (ROC) et s'offrir comme remparts
impavides contre la menace séparatiste, tout en soufflant sur la
braise nationaliste québécoise si celle-ci perd de sa flamme.
A jouer avec le feu pendant si longtemps, on n'a pas pu éviter quelques
feux de brousse plus destructeurs qu'il ne semble. Ainsi le transfert à
Québec de la responsabilité sur la "main-d'oeuvre",
accueilli ici avec l'allégresse d'un retour de l'Alsace-Lorraine,
mais qui donne des effets décevants (c'est un euphémisme)
parce que, depuis 30 ans, tout occupé à conquérir cette
colline, on ne s'est jamais demandé sérieusement ce qu'on
allait en faire. Il y a des travailleurs qui payent pour cette incurie.
Des feux de brousse, on en allume partout, les bureaucrates ne demandant
pas mieux que d'entrer en lice pour se disputer les lambeaux des systèmes
de services fédéraux mis en pièce pour satisfaire à
des objectifs de transfert de responsabilités qui servent au jeu
des politiciens mais que rien d'autre ne justifie.
Des feux de brousse et, surtout, une psychose d'incendie, alors qu'anglophones
comme francophones s'épient désormais avec inquiétude,
ne sachant plus d'où sortira le prochain pyromane, même si
une analyse le moindrement rationnelle de la réalité canadienne
montre que personne ne gagnerait à une sécession, ni même
ne gagne plus à une menace de sécession du Québec.
Personne, s'entend, sauf le Pouvoir financier qui en profite pour se faire
oublier et qui peut aussi, de temps en temps, transformer en spéculation
profitable la gestion des rumeurs de rupture de la fédération
canadienne.
La crise constitutionnelle canadienne ne plonge pas vraiment ses racines
dans une animosité viscérale entre anglophones et francophones,
ni dans une divergence profonde entre les intérêts du Québec
et ceux du ROC. C'est une astuce politique: un bluff qui a été
celui du Québec d'abord mais dont désormais tout le monde
se sert, aussi bien Manning dans l'Ouest que Harris en Ontario. Changeons
de jeu. Enlevons le joker "sécession" du paquet et essayons
plutôt à l'avenir de nous servir un brelan d'as: une main-d'oeuvre
au travail, une éducation hors-pair et un réseau de la santé
qui soit en amélioration constante plutôt qu'en attente d'être
bradé ( Textes 701, 704,
705 et tout le reste de ce site...
).
2. AMBIGUÏTÉS ET MALENTENDUS
Il n'y a pas de crise constitutionnelle entre Ottawa et Québec. La
vraie crise, elle est ici même, au Québec, et c'est le fossé
qui s'est créé et s'élargit entre les francophones
et les Autres. Quand on va au fond des prétextes à cette déchirure,
on trouve deux ambiguïtés et bien des malentendus.
2.1 Ethnies et culture
Une première ambiguïté, c'est la confusion soigneusement
entretenue entre origine ethnique et culture, entretenue tant pas ceux qui
veulent utiliser la carte ethnique pour susciter la passion - une valeur
sûre - que par ceux qui ne demandent pas mieux justement que de leur
en faire grief. Que cette ambiguïté soit utilisée par
des politiciens habiles n'est pas surprenant, mais qu'elle semble émouvoir
et retenir dans ses filets des intellectuels chevronnés comme Richler,
par exemple, laisse un peu perplexe.
Nous savons tous qu'Il n'existe pas au Québec une tendance minoritaire
mais uniformément répandue au sein de la population qui souhaiterait
l'indépendance du Québec, mais deux blocs qui s'opposent sur
cette question. D'un côté une (faible) majorité des
"Nous-autres" dont parlait Parizeau le soir du référendum
et dont je fais partie, qui considère le Québec comme "son"
pays et veut assurer son avenir et sa pérennité en ayant les
pouvoirs d'un État au sens politique et, de l'autre coté...
les "Autres" qui, quasi unanimement, rejettent cette idée.
Si après tous les résultats électoraux et référendaires
quelqu'un avait encore des doutes quant à ce clivage, le débat
sur l'avenir de Québec qui a occupé les pages du Devoir tout
l'été devrait les lui avoir enlevés. La rupture entre
nous-autres et les autres au cours de ce débat a été
complète, la courtoisie de l'échange ne changeant en rien
cette polarisation.
Le polarisation est indéniable, mais le plan de clivage est-il aussi
ethnique qu'il le paraît? Je l'ai pensé un temps, voyant dans
une origine commune antérieure à la conquête de 1760
le critère d'identification privilégié des Nous-autres,
mais cette hypothèse ne résiste pas à l'examen. Les
Français du Québec ont accueilli fraternellement bien des
ajouts au cours des siècles. Notre nombre s'est augmenté de
ceux qui se sont assimilés à nous, le plus souvent par des
mariages interethniques, alliances qui ont mené au choix par les
enfants du français comme langue d'usage et de la culture française
comme signe d'appartenance à un clan/nation. Nous sommes devenus
ce clan/nation.
Il est important de souligner que l'assimilation des Autres aux Nous-autres,
quand ceux-là l'ont souhaitée, s'est faite sans aucune réserve;
personne que je connaisse n'a jamais mis en doute que, malgré leurs
patronymes, les Johnson, les O'Leary et les Ferretti francophones soient
bien des nôtres. Remercions le ciel que, contrairement à ce
dont nous accusent ceux dont l'identification à leur "race"
est plus viscérale que la nôtre, le Québécois
francophone moyen contemporain ne soit pas vraiment préoccupé
de la pureté de ses origines. Soulignons-le.
Faisons surtout le constat que "Nous autres" sommes devenus une
entité uniquement déterminée, de façon nécessaire
et suffisante, par son usage du Français et son identification à
la culture française, sans connotation raciale ni même ethnique.
Ce dont on veut assurer l'avenir et la pérennité, ce n'est
pas d'un peuple au sens strict mais d'une entité déjà
multiethnique - la communauté culturelle francophone du Québec
(CCFQ). Est membre en règle de la CCFQ quiconque au Québec
choisit le français comme langue d'usage, la culture française
comme premier espace d'expression et VEUT appartenir et s'identifier à
la communauté culturelle francophone du Québec .
Une première ambiguïté est résolue quand on accepte
de dissiper cette confusion entre origine ethnique et culture. Le faisant,
on comprend du même coup pourquoi le nationalisme québécois
semble avoir rayé d'un trait les 3, 4 ou 5 millions de descendants
des Français de 1760 qui ont choisi l'exil vers les USA et pourquoi
il est bien tiède envers les Franco-canadiens hors-Québec:
ces cousins ne partagent plus ou pas assez "notre" culture.
Il est instructif de comparer cette attitude, qui est tout à fait
dans la tradition française, à celle de l'Allemagne ressuscitée
s'empressant de délivrer des passeports à des citoyens russes
d'origine allemande vivant sur les bords de la Volga depuis 300 ans ...,
et à celle de la Russie qui, de son côté, annote encore
de la mention "allemand" les passeports russes des mêmes
"immigrants "! La CCFQ n'est pas un club fermé, ethnique
et raciste; c'est un ensemble grand ouvert. Il est important que ceci soit
dit.
2.2 Culture et territoire
Une première ambiguïté est résolue quand on cesse
d'identifier la CCFQ à une ethnie. Une deuxième ambiguïté
le sera quand on cessera d'identifier la CCFQ à un territoire. On
nous fait tous tenir aujourd'hui, plus ou moins sciemment, un double langage
quand nous parlons de la "nation québécoise". Quand
le discours officiel parle de la nation québécoise, la réalité
comme la bienséance politique l'oblige à donner un sens territorial
au mot "Québécois" et donc à y inclure les
Autres. Or ce n'est pas le sens qu'on a donné à "nation
québécoise" dans l'inconscient populaire. Quand le Québécois
moyen qui appartient à la CCFQ parle de nation québécoise,
c'est la communauté culturelle francophone qu'il a vraiment en tête.
Il écoute "Québec" ... mais il comprend "communauté
culturelle francophone du Québec".
Ce qui est un chapardage abusif du vocable, puisque le Québec compte
tout de même près d'un million de gens qui ne font pas partie
et ne veulent pas faire partie de la CCFQ mais qui, habitant le Québec,
ayant une carte-soleil et payant des taxes, ont tout de même quelque
droit à se dire Québécois. Cette ambiguïté
entre "Québec" et "CCFQ" crée naturellement
des incohérences et des dissonances cognitives. Parizeau, dans un
moment d'agacement le soir du référendum, a jugé qu'il
était plus important d'être compris que d'être correct
et a inventé pour désigner la CCFQ ce "Nous-autres"
dont tout le monde a parfaitement saisi le sens. Quand nous parlons de nation
"québécoise" et d'avenir du Québec, on ne
parle pas de la seule CCFQ; on ne peut parler que de tous ceux qui ont pour
domicile le territoire du Québec. Il faut mettre fin à cette
ambiguïté.
On aurait grand intérêt à le faire. Nous aurions évité
bien des larmes si nous l'avions fait plus tôt. Giraudoux disait que
si les Allemands avaient conquis et colonisé la France, leurs petits-enfants
n'auraient pas été moins français que les rejetons
d'Astérix et auraient eu les mêmes intérêts. Quand
on partage un territoire, on a des intérêts communs. Je me
souviens qu'à l'époque ou la rue Saint-Jacques était
encore "St James Street", les financiers anglophones qui y brassaient
des affaires ne se sentaient pas les cousins mais les adversaires coriaces
de ceux de Toronto et étaient encore plus "Quebecers" que
leurs partenaires francophones, lesquels n'étaient encore souvent
à l'époque "que" Canadiens-français. Nous
avions tous, entre Québécois, des intérêts communs.
Hélas, nous avons tout fait pour que ces intérêts communs
soient occultés.
Impatient de satisfaire des ambitions électorales à court
terme - et donc de faire le plein des votes faciles que vont chercher des
arguments émotifs simplistes - le mouvement indépendantiste
a sauté dans le piège que l'ambiguïté lui tendait
et a laissé se créer cette confusion entre le Québec
territorial et la communauté culturelle francophone du Québec.
Assimilant Québec et CCFQ, le mouvement indépendantiste a
proposé au Québec tout entier un agenda prioritairement culturel
qui aurait dû être celui de la seule CCFQ.
Ce qui était un mauvais calcul, puisque les éléments
d'indignation n'existant simplement pas pour motiver une solidarité
du bloc francophone contre la minorité anglophone l'approche du "bouc
émissaire" était une aberration. En l'absence d'un démon
à exorciser, la CCFQ, largement majoritaire ne pouvait que se scinder
en deux factions, les deux rivalisant pour le pouvoir et édulcorant
leurs positions respectives pour occuper le centre tiède qui est
la clef de toute élection.
C'est bien ce qui s'est passé. Ainsi l'indépendance est devenue
la "souveraineté-association" et l'appartenance au Canada
le "fédéralisme renouvelé", les deux options
convergeant et cherchant la victoire dans la compromission jusqu'à
la situation surréaliste du référendum sur l'accord
de Charlottetown, alors que ceux qui de part et d'autre croyaient encore
un peu à leurs idées respectives ont pu faire front commun
contre ceux au centre dont le discours avait la sagesse de ne plus vouloir
rien dire.
Les référendums n'apportant pas le pouvoir réel, les
jeux politiques du Québec ont pendant tout ce temps ignoré
l'opinion des Autres, ceux-ci étant laissés pour compte parce
que les efforts qu'il aurait fallu déployer pour les convaincre n'étaient
pas électoralement rentables et auraient risqué de compromettre
l'image sans nuance qui maximisait l'appui des francophones. Un autre mauvais
calcul dont Bourassa a fait une fois les frais, mais surtout un fossé
se creusant sans cesse entre la CCFQ et les Autres.
Identifiant Québec et CCFQ, mettant sans cesse en évidence
les divergences culturelles, proposant un projet politique à l'avantage
de la seule CCFQ, on amenait irrémédiablement l'idée
d'indépendance à un cul-de-sac. Contrairement au Canada qui
se veut et se dit multiculturel et dont même les indépendantistes
ne contestent pas qu'il soit un espace où cohabitent des cultures
distinctes, le Québec était présenté comme le
foyer d'une seule culture, avec pour mission première de protéger
et de promouvoir cette seule culture.
Comment espérer raisonnablement que quiconque n'appartient pas à
la CCFQ préférera une allégeance au Québec -
dont le but avoué serait de promouvoir et de privilégier la
culture française - à une allégeance au Canada dont
les objectifs premiers se situent ailleurs et qui n'entend donc privilégier
aucune culture plutôt qu'une autre? Un Québec se présentant
comme l'instrument de la CCFQ et voulant utiliser les institutions communes
du Québec pour réaliser les objectifs de la seule CCFQ ne
pouvait que soulever des protestations et mener à la désaffection
de ceux qui, au Québec, ne s'identifient pas à la CCFQ.
Comme les Troyens le cheval, c'est nous qui avons introduit la zizanie en
nos murs. Non seulement les Autres n'ont donc pas fait le choix du Québec,
mais l'inflation verbale a permis que des Québécois anglophones,
parfois de sixième génération, soient convaincus que
leur seule alternative était d'intégrer la CCFQ ou de prendre
la route de l'exil. Ils sont partis. Nous avons transformé en transfuges
nos alliés naturels et il n'y a plus de St James Street.... ni de
rue Saint-Jacques qui vaille la peine d'en parler. La Bourse de Montréal
est en recyclage et les Ontariens ne sont plus nos rivaux de jadis; enrichis
de ce que nous avons perdu, ils ont gagné.
En identifiant purement et simplement Québec et CCFQ, pour des fins
électorales à court terme, on a créé au Québec
une polarisation en camps hostiles des "Nous-autres" et des Autres
qui est devenue chez ces derniers un rejet profond de l'identité
culturelle francophone. On a faussé ainsi tout le jeu politique,
car, contrairement à la CCFQ qui tend naturellement à se partager
en deux factions presque égales selon les raffinements convergents
par lesquels les partis politiques tentent d'en séduire la majorité,
la minorité des Autres, elle, constitue un bloc solide, sans failles
significatives.
En assimilant abusivement CCFQ et Québec et en voulant que les deux
n'aient qu'un seul agenda, nous nous sommes privés de l'appui des
autres Québécois, nos alliés indispensables. Non seulement
les Autres forment-ils un bloc solide contre l'indépendance, mais
ils sont devenus un bloc pratiquement fermé au dialogue constructif
et à la possibilité de bâtir entre Québécois
le consensus indispensable, tant pour faire valoir les droits du Québec
dans la fédération canadienne que pour décider au besoin
de quitter cette fédération.
Ce qui est bien embêtant. D'abord, même si je ne le crois pas,
il est possible que la naissance de grands ensembles économiques
(ALENA, Communauté européenne, etc) rende superflues des fédérations
restreintes de taille moyenne comme le Canada. Ce n'est pas avéré
et il est loin d'être certain que le Canada ne véhicule pas
déjà, malgré son jeune âge, des valeurs "nationales"
qui ajouteraient une coloration émotive à un jugement strictement
coût/bénéfice des avantages pour le Québec d'une
appartenance à la fédération canadienne. Ce n'est pas
avéré, mais c'est une hypothèse et il faudrait faire
des bilans. Or, en créant au Québec une fracture culturelle
qui obnubile tout le reste, nous avons rendu impossible au Québec
un débat serein sur la fédération canadienne. Ensuite,
ne nous parlant plus entre Québécois francophones et non-francophones,
nous avons renoncé en pratique à créer entre nous des
consensus d'opportunité pour faire valoir nos intérêts
à l'intérieur de cette fédération.
Non seulement la désaffection des Autres rend illusoire que l'option
indépendantiste obtienne une majorité des voix au cours d'un
référendum et qu'on puisse donner suite au projet, mais, même
si cette majorité était acquise, le pays qu'on tenterait de
créer serait ingouvernable. On ne pourrait pas y implanter l'agenda
de la CCFQ et privilégier ouvertement la culture française
sans transformer en citoyens de deuxième classe les Autres dont la
culture ne serait pas traitée avec le même respect... ni renoncer
à cet agenda sans trahir ceux qui auraient fait le choix de l'indépendance
précisément pour qu'on favorise la culture française.
Bien sûr, on dira que le monde est plein de pays ou les minorités
culturelles n'ont pas des droits égaux; mais, à l'exception
des États baltes, il ne s'agit pas de retirer des droits acquis.
Le Québec est déjà multiculturel, qu'on le veuille
ou non... et on y respecte les droits acquis
On a fait une énorme bêtise en créant cette confusion
entre la CCFQ et le Québec-territoire. Une gaffe d'autant plus bête
qu'elle était gratuite: il n'y a pas de scénario raisonnable
qui eut pu faire ou qui pourrait faire demain que le Québec ne soit
plus que la CCFQ et que les autres en soient exclus. Je me réfère
encore une fois au débat du journal Le Devoir sur l'avenir de la
nation québécoise; si les Québécois d'identification
culturelle française et les autres se séparent sur la question
de la souveraineté, le consensus sur la nécessité du
pluralisme culturel au Québec est si total qu'il en devient redondant.
On s'efforce maintenant de ramener le débat hors du champ culturel
et de promouvoir la thèse d'un pluralisme québécois
qui serait mieux réussi que celui qu'offre le Canada. Un effort louable,
mais ce virage prendra du temps. Car même si la question de l'indépendance
n'oppose plus qu'un pluralisme géré à Québec
à un pluralisme géré à Ottawa et que le facteur
"majorité" devient ainsi le seul contentieux, la démarche
péquiste passée laisse craindre que c'est en réduisant
les droits des "autres" que la CCFQ entend user et abuser d'une
position majoritaire pour améliorer sa position au Québec.
Il faudra dire clairement et souvent que le Québec est une chose
et la CCFQ une autre, celle-ci cessant de se prétendre seule propriétaire
d'un territoire où elle cohabite avec d'autres.
2.3 Tous ensemble?
Supposons qu'on le dise clairement. Est-ce qu'on peut même songer
sérieusement à une démarche vers l'indépendance
qui ferait l'objet d'un consensus trans-ethnique au Québec? Pas à
court terme. On a tant souligné, inlassablement, l'importance primordiale,
presque exclusive qu'on voulait mettre sur les facteurs culturels qui séparent
la CCFQ du reste du Québec que, par contagion, les positions qu'adoptent
la CCFQ et les Autres divergent désormais sur TOUS les volets du
contentieux Quebec-Ottawa.
L'impossibilité d'obtenir aujourd'hui un consensus trans-ethnique
au Québec sur quelque dossier que ce soit rend bien futile toute
discussion sur l'opportunité d'une sécession qui résulterait
d'une analyse des coûts/bénéfices de l'opération.
Les raisons en faveur de la création d'un État québécois
indépendant ne sont d'ailleurs plus jamais énoncées
aux Autres et, de toute façon, la méfiance envers la CCFQ
est maintenant telle que, si on les leur énonçait, ceux-ci
ne les écouteraient pas.
L'hypothèse que les Autres puissent eux aussi souhaiter l'indépendance
du Québec est absurde. Aujourd'hui. Elle ne peut qu'être absurde,
puisque nous avons défini l'indépendance comme une victoire
de la CCFQ sur les Autres. La même lucidité qui oblige à
faire aujourd'hui le post-mortem du projet d'indépendance version
1960 exige, cependant, qu'on accepte que l'indépendance du Québec
n'est pas une absurdité en soi. Présentée autrement,
c'est une notion qui a ses mérites comme ses inconvénients.
Ne pensons plus pour un instant à la CCFQ mais au Québec territorial,
pluraliste, multiculturel. Dès qu'on échappe à la dichotomie
culturelle, il n'est pas exclus que ce Québec multiculturel veuille
être indépendant. Surtout, il n'y a pas de raisons pour que
tous les Québécois n'en arrivent pas en bloc - à la
mesure chacun de son bon jugement , mais sans distinction selon leur appartenance
culturelle - à des conclusions similaires concernant l'opportunité
d'accorder plus de pouvoirs au Québec dans la fédération
et, à la limite, de quitter la fédération canadienne.
Les facteurs culturels ne sont pas les seuls déterminants quand on
propose l'indépendance du Québec.
Les intérêts de tous les Québécois - dans le
sens territorial du terme - sont les mêmes, par exemple, quand il
s'agit d'accorder aux produits laitiers, au porc ou au poulet du Québec,
à l'OMC ou dans les cadres de l'ALENA, la même protection qu'au
blé de la Saskatchewan. De la même façon, ce qui favorise
les ports du Québec, les aéroports du Québec, la création
d'emplois au Québec, la recherche au Québec, les investissements
au Québec, etc. est bon pour tous les Québécois et
non seulement pour "Nous-autres". Comme est au détriment
de tous les Québécois, quelle que soit leur culture, ce qui
est au détriment économique et financier du Québec.
Quand on parle de gestion de la main-d'oeuvre ou des richesses naturelles,
par exemple, les intérêts de tous les Québécois
sont les mêmes....
Il n'y a pas de raisons pour que la souveraineté du Québec
n'intéresse que les membres de la CCFQ... sauf cette confusion entre
Québec et CCFQ dont on ne saura jamais dans quelle mesure elle a
été inspirée par des agents provocateurs, ce qui est
vraiment trop bête étant souvent astucieux....
[ Ceux qui ont ordonné l'incendie des granges pour en faire accuser
le FLQ en 1963 n'en sont certes pas restés là. Ceux qui ont
organisé les manifestations de Saint-Léonard pour brouiller
les communautés québécoises d'origines française
et italienne savaient ce qu'ils faisaient. J'ai moi-même, en 1962,
pris en flagrant délit un "bénévole" envoyant
sur en-tête R.I.N, à des douzaines de professionnels, une demande
de souscription où il "s'était glissé" 37
fautes de français...]
Mise à part cette confusion, ce qui a aliéné les Autres
du projet indépendantiste ce ne sont pas les éléments
culturels que le projet met de l'avant, mais l'importance exclusive qu'on
a attachée à ces éléments, donnant un accent
revanchard à la démarche et l'impression inquiétante
que, la culture étant prioritaire, le reste - économie, justice
sociale, etc - suivrait sans problèmes et ne serait toujours discuté
qu'entre les "vrais" Québécois, ceux de la CCFQ.
Si on voulait faire un jour cette indépendance "territoriale"
du Québec, il faudrait mettre nos priorités en ordre et constituer
une majorité trans-ethnique qui repose sur d'autres arguments que
ceux auxquels la CCFQ a été sensible
Est-ce que nous pouvons recoller les morceaux et faire à nouveau
du Québec territorial un ensemble fonctionnel qui puisse se doter
d'un projet collectif? Il faudra du temps et bien de la bonne volonté.
Plus que tout, il faudra qu'une parfaite transparence quant aux objectifs
de la CCFQ remplace l'équivoque, l'ambiguïté et la confusion.
La CCFQ a le droit de vouloir assurer son avenir. Mais, avant de recruter
des alliés pour une sécession, il faudrait se donner au moins
la peine de vérifier: a) si les objectifs de la CCFQ exigent bien
que le Québec devienne une entité territoriale indépendante
et, si tel était le cas, b) s'il serait acceptable aux Autres de
vivre dans un Québec où la CCFQ majoritaire aurait ces objectifs
en tête et en main les pouvoirs nécessaires pour les atteindre.
Toute discussion avec le ROC et le gouvernement fédéral ne
put qu'être précédé d'un pacte entre Québécois
quant aux objectifs de la CCFQ . Quels sont les objectifs de la CCFQ et
les pouvoirs ESSENTIELS dont elle a besoin pour atteindre ces objectifs?
La pérennité de la communauté culturelle francophone
au Québec dépend de son nombre - absolu et relatif - de la
qualité de sa culture et de la permanence du désir de ceux
qui en font partie de vouloir s'y identifier. Les seuls pouvoirs d'un État
qui soient signifiants pour assurer l'avenir de cette collectivité
sont ceux qui influent sur l'un ou l'autre de ces facteurs.
Les autres pouvoirs d'un État ne sont pas SPÉCIFIQUEMENT pertinents
à l'avenir de la CCFQ. Qu'est ce que ça veut dire "spécifiquement
pertinent" dans ce contexte? Ça veut dire que, quand on parle
d'autres pouvoirs que ceux-là, les intérêts des membres
de la CCFQ sont indiscernables de ceux des autres Québécois,
qu'ils soient d'origine anglaise, turque, haïtienne ou bengali. Sur
tous ces autres pouvoirs, rien de justifie un clivage des opinions "par
cultures". On devrait pouvoir s'entendre.
3. LES OBJECTIFS DE LA CCFQ
Quels sont les pouvoirs étatiques essentiels dont la communauté
culturelle francophone du Québec a besoin pour garantir sa survie
et son essor et dont elle exige donc que soit investi un Québec où
elle se sait majoritaire? Il est important de les identifier précisément,
car si ces pouvoirs sont acceptables aux Autres, que la CCFQ n'a pas d'autres
exigences et qu'elle peut convaincre les Autres qu'elle n'en a pas, un consensus
peut renaître au Québec.
Si ce consensus est recréé, c'est le Québec tout entier
qui peut exiger ces pouvoirs d'Ottawa et du ROC et, s'il ne les obtient
pas, peut quitter tranquillement la fédération canadienne.
Pas seulement parce que le vote "ethnique" rendrait majoritaire
l'option sécessionniste dans le cadre d'un référendum,
mais parce que ce consensus apporterait à la souveraineté
du Québec-territoire une légitimité qu'elle ne peut
avoir aussi longtemps qu'elle n'est le choix que de la seule CCFQ.
Quels sont ces pouvoirs? L'autorité sur l'immigration et la démographie
pour assurer le nombre et le rapport de force; l'autorité sur l'éducation
et sur la culture au sens large, l'autorité sur les médias
en raison de leur rôle éducatif et pour soutenir le sentiment
d'appartenance à la communauté culturelle francophone du Québec.
La collaboration de tous les Québécois à l'obtention
de ces pouvoirs par le Québec au profit de la CCFQ est un éléments
du pacte qui doit réunir tous les Québécois; en échange,
la CCFQ n'a pas à tenter d'imposer sa propre vision du monde aux
autres Québécois dans des domaines - santé, recherche,
économie, etc - où un peu de réflexion montrerait que
nos intérêts à tous sont les mêmes.
[ Si ceux qui ont connu Robert Bourassa trouvent ici des similitudes
avec la'"souveraineté culturelle" dont il parlait en privé
- sans commettre l'impair politique de la définir en public ! - ce
n'est pas une coïncidence. Nous avons lui et moi usé nos pantalons
sur les mêmes bancs des mêmes écoles pendant douze ans
et nous n'avons jamais cessé de nous parler. Il est normal que nous
ayons tous deux gardé des traces de ces échanges. ]
3.1 Immigration
On en a parlé longtemps. Le Québec prétend qu'il
a obtenu la maîtrise d'uvre en matière d'immigration.
En réalité, le Québec n'a aucun contrôle sur
la population qui traverse ses frontières, puisque le Québec
n'a pas de frontières. Quel que soit le bavardage que le Québec
veuille introduire au processus de sélection des immigrants, il reste
que l'immigré qui choisit le Québec peut bien passer un an
à Montréal puis partir pour l'Alberta, comme le postulant
que refuserait le Québec peut bien arriver à Vancouver, aller
voir les Rocheuses puis revenir s'établir à Chomedey.
Faut-il l'indépendance pour contrôler le flux des immigrants
au Québec? Pas du tout. Le Québec pourrait le faire facilement
dans le cadre de la fédération canadienne; il suffirait qu'une
"carte de résidant québécois" soit délivrée
par le gouvernement du Québec à tous ses résidants
actuels et, après examen et évaluation, à quiconque
souhaiterait s'établir au Québec. Cette carte ne serait pas
accordée aux indésirables, bien sûr, mais elle ne serait
pas accordée non plus au nouvel arrivant, quelles que soient ses
autres qualités, qui n'a pas une connaissance fonctionnelle du Français
conforme aux exigences du métier ou de la profession qu'il compte
y exercer. Qu'il l'apprenne à ses frais prouvant ainsi sa bonne volonté
d'intégration et on en reparlera.
Si cette carte est essentielle pour travailler au Québec et pour
y avoir accès aux services de santé, d'éducation, de
main-d'uvre et de sécurité du revenu, s'il faut la présenter
pour ouvrir un compte de banque, obtenir un permis de conduire, etc., personne
ne viendra s'établir en permanence au Québec sans carte de
résidant et le gouvernement aura un contrôle efficace sur les
migrations par le biais de ses critères d'émission de ces
cartes de résidant. Ceux qui viendront sans carte seront: a) des
touristes, b) des managers de multinationales en transit pour deux ou trois
ans. Les uns comme les autres sont les bienvenus, mais ils ne sont pas sur
le marché du travail, ils ne vont pas à l'école sauf
à leurs frais, ils ne touchent pas de BS et ils payent pour leurs
services médicaux.
Cette démarche irait à l'encontre de douzaines de lois actuelles,
fédérales comme provinciales? Et alors? La sécession
n'est-elle pas une entorse plus sérieuse à l'ordre établi?
Changeons les lois qui s'opposent à une solution de bon sens : "
Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat..."
On gagnerait du temps et on éviterait des problèmes si on
consacrait une fraction du temps qu'on perd à parler de sécession
à s'occuper de ce qui pourrait en offrir les bénéfices
sans les inconvénients.
3. 2 Démographie
Si le gouvernement du Québec veut mettre en place une politique
vraiment nataliste, il a déjà la juridiction constitutionnelle
de le faire. Ce facteur n'est donc pas un argument pour ou contre le fédéralisme.
En ce qui a trait aux besoins essentiels de la communauté culturelle
francophone du Québec, c'est une autre histoire. La population francophone
du Québec ne se reproduit plus suffisamment pour assurer son remplacement
et donc sa survivance comme groupe. Il y a quelque chose de surréaliste
à entendre les arguties sur le pour et le contre de la souveraineté
et sur les conditions d'épanouissement de notre culture quand les
chiffres bêtes et méchants s'accumulent depuis trente ans qui
indiquent que nous allons tout simplement disparaître par attrition.
Quand on parle de démographie, c'est le temps comme jamais de souligner
la distinction entre le Québec territorial et la tribu des Nous-autres.
Si le gouvernement du Québec veut une politique nataliste, il faut
qu'elle s'applique à tous les Québécois, incluant ceux
de cultures différentes pour qui huit enfants est un objectif raisonnable
et douze une preuve de vitalité. Si, au contraire, on veut que ce
soit uniquement la communauté culturelle francophone du Québec
qui retourne à ses comportements d'antan, ce n'est pas le rôle
du gouvernement de prendre cette initiative. Peut-être qu'une organisation
privée - la SSJB, par exemple - pourrait le faire, c'est bien son
droit; mais ce droit demeure inchangé, dans un Québec souverain
comme dans un régime fédéral..
Ce qu'il est important de reconnaître, toutefois, c'est que la seule
natalité n'assurera pas le développement de la CCFQ. C'est
par l'assimilation des immigrants - qui sont venus ici pour être assimilés,
ne l'oublions pas - que la CCFQ assurera définitivement son avenir.
La CCFQ, nous l'avons dit, n'est pas un peuple mais une culture. Il faudrait
que les Autres se joignent à la CCFQ. Avec l'enthousiasme d'un immigrant
malien qui débarque à Paris. Le défi peut être
relevé, mais par la séduction, pas par la force (Cf: Textes
5022, 5039, 5040,
5073).
3. 3 Éducation
Natalité et assimilation donnent le nombre, mais il n'y a pas
que le nombre. Une communauté qui se définit par sa culture
doit protéger tout particulièrement la qualité de cette
culture et, au premier chef, contrôler le rituel d'initiation à
cette culture qu'est l'éducation. En principe, les responsabilités
ici sont claires et le gouvernement du Québec a la pleine et entière
responsabilité sur l'éducation. En pratique, c'est faux. Le
gouvernement du Québec n'a plus le contrôle de l'éducation
puisque le choix fondamental a déjà été fait
et semble irréversible, indépendance ou non, qui consiste
à offrir au Québec une éducation complète en
anglais en parallèle à l'éducation en français.
Ce choix a été fait au congrès de fondation du PQ et
a fait l'objet de dissensions si importantes que François Aquin,
premier député indépendantiste à siéger
à l'Assemblée nationale a refusé pour cette raison
de le faire comme député péquiste. Le pacte que le
Parti Québécois, depuis qu'il existe, offre à la population
non francophone du Québec, c'est de lui garantir, advenant l'indépendance,
la continuité d'un système d'éducation en anglais.
Ceci signifie le soutien au développement d'une culture anglophone
au Québec en parallèle avec la culture francophone; non pas
comme un phénomène de transition, mais comme une réalité
permanente.
Cet engagement était généreux, il était peut-être
nécessaire et demeurera incontournable. Une décision a été
prise avec laquelle il faut vivre, mais qui a vidé de sa plus sérieuse
raison d'être la notion d'un Québec indépendant. Un
Québec indépendant soutenant un système d'éducation
anglophone ne sera pas un espace à l'intérieur duquel la communauté
culturelle francophone aura pour objectif affirmé d'assimiler les
minorités, mais un Canada en plus petit où cette communauté
disposera, sans plus ni moins, du même contrôle sujet aux même
contraintes qu'elle possède déjà, par le biais du gouvernement
du Québec, sur ce facteur clef pour sa survie et son expansion qu'est
l'éducation.
Ceci étant, il est contre-productif, aussi bien dans un Québec
fédéré qu'un Québec indépendant, de chercher
à limiter les droits de quiconque à s'inscrire à un
système d'éducation anglophone plutôt que francophone.
Cette approche est odieuse et inefficace. Elle peut être remplacée
par une autre stratégie en deux volets, qui ne sera peut-être
pas moins honnie mais qui produira des résultats concrets.
Premier volet. Dès la maternelle et tout au long du cycle primaire,
20% au moins des cours de tout programme d'enseignement devraient être
enseignés en français. Il peut s'agir de cours de français
ou de cours en français, peu importe, mais des examens sous contrôle
gouvernemental - mensuels au départ puis trimestriels -doivent permettre
de vérifier que l'apprentissage du Français a bien eu lieu.
Les modules en français que l'élève ne réussit
pas doivent être repris; il n'aura pas son diplôme d'étude
primaire et ne pourra être accepté au cycle secondaire s'il
n'a pas passé avec succès tous les tests prévus confirmant
qu'il a bien du Français une connaissance de niveau #1 tel qu'on
l'aura défini.
Même chose aux niveaux secondaire et collégial, mais le pourcentage
de cours de français ou de cours en français passera de 20%
à 30 % et l'étudiant ne recevra son diplôme d'Études
secondaires que s'il passe avec succès tous les tests de niveau #2;
il ne recevra son DEC que s'il passe les tests de niveau #3. Les tests de
niveaux #2 et #3 ne doivent pas être exclusivement liés au
système d'éducation formel mais pouvoir être subis par
quiconque en fait la demande, jeune ou adulte, et quel que soit son niveau
d'éducation.
Deuxième volet. Personne ne peut exercer au Québec quelque
travail que ce soit exigeant un contact avec le public sans avoir passé
avec succès le test de niveau #2. Personne ne peut exercer un emploi
exigeant une formation universitaire sans avoir passé avec succès
le test de niveau #3 sans lequel, d'ailleurs, le permis d'exercice de la
profession ne sera pas accordé. Ceci doit s'appliquer à toutes
les nouvelles embauches, un an après promulgation de la loi; un délai
de deux ans est accordé à tous les détenteurs d'emplois
actuels pour s'y conformer. À la fin de cette période, si
la loi n'est pas respectée, le travailleur lui-même s'il est
autonome, son employeur s'il est salarié, encourront une amende qui
devra être dissuasive.
Cette approche en deux volets, ne représente que l'aspect coercitif
d'une bonne stratégie. Il faut que s'y ajoute un autre volet, incitatif,
encore bien plus important. Le Québec a sur l'éducation un
contrôle qu'il n'utilise pas à bon escient pour offrir un produit
de qualité: nous avons un système d'éducation désolant
(Voir Texte 704). Si les énergies que l'on
gaspille étaient utilisées pour réviser le fond, la
forme et les objectifs mêmes de notre système d'éducation,
l'avenir de la communauté culturelle francophone du Québec
ne serait plus en péril. Si nous mettions en place un système
d'éducation de haute qualité, nous aurions une arme secrète
pour pallier la baisse de croissance végétative de nos effectifs:
la valeur de ce que nous avons à offrir. Nous ferions des convertis.
Une culture qui en vaut la peine fait des convertis et une culture valable
commence par une éducation de qualité.
3. 4 Culture
Je dis culture, mais ce qui est vraiment essentiel au dynamisme de la
communauté culturelle francophone du Québec c'est le contrôle
d'un élément à la fois plus restreint et plus vaste
que ce qu'on appelle généralement "la culture".
Encore une fois, c'est le critère de la langue qui, par définition,
est ici fondamental. Il est important qu'une société encourage
les arts littéraires mais aussi les arts plastiques, la musique et
tous les arts où l'expression littéraire ne joue pas un rôle
incontournable. Pour ces derniers, toutefois, je crois qu'il serait opportun
- mais qu'il n'est pas ESSENTIEL - que ce soit le Québec et donc
la communauté culturelle francophone du Québec qui ait la
haute main sur cet aspect de la culture
Les préférences en ces domaines sont largement acquises et
reflètent, il est vrai, les valeurs d'une communauté; il serait
bon que ce soit le Québec qui assume la tâche de prodiguer
cet encouragement. D'autant plus souhaitable que les arts "non-littéraires"
sont l'un des rares domaines où la dichotomie français/non-français
n'a pas occupé toute la place au Québec et qu'on pourrait
partir de là pour fournir un ancrage commun au Québec territorial
multiculturel. Cela dit, ce serait opportun, mais ce n'est pas essentiel;
ce n'est pas la mort des arts ni la discrimination assurée si les
subventions viennent d'Ottawa et il n'est pas impensable qu'avec le temps
une esthétique commune aux francophones comme aux non-francophones
se développe au Canada.
Dès que la culture utilise l'expression écrite ou verbale,
au contraire, c'est la vie même de la communauté culturelle
francophone du Québec qui est en jeu. Et je ne pense pas uniquement
à l'expression littéraire au sens strict mais à une
notion plus large qui englobe aussi la diffusion par le verbe ou l'écrit
de toute création. La création scientifique, par exemple.
Parmi les facteurs que doit contrôler une communauté culturelle,
il y a tout le secteur de l'édition, de la publication, de la diffusion
de la pensée. Quel pourcentage des thèses, travaux de recherche
et articles scientifiques produits au Québec est aujourd'hui publié
en français? Et ce n'est pas une excuse qu'en France 80 % des
articles soient d'abord soumis et publiés en anglais.
Je ne prétends pas dire ici ce qui doit être fait, ce serait
un autre débat; mais je dis que cette production est aussi partie
de la culture et que le pouvoir d'intervenir sur ce point en est un qu'une
communauté culturelle doit détenir si elle veut durer. Ceci
est d'autant plus important que notre pouvoir de séduction, comme
culture définie par sa langue d'usage, repose justement sur cette
production intellectuelle, littéraire et scientifique. Si l'Italien
- qui n'est plus la langue maternelle que d'une partie infime de la population
mondiale - est encore une langue importante que beaucoup se donnent la peine
d'apprendre, c'est à cause d'un vaste corpus accumulé à
travers les siècles qui justifie qu'on cherche à y avoir directement
accès.
Le Français a le même avantage mais, à long terme -
et le long terme devient de plus en plus court - c'est ce que nous allons
y ajouter, nous francophones contemporains, qui fera qu'on le parlera encore
ou qu'on en laissera l'usage aux seuls spécialistes, comme le latin.
Si nous voulons que la culture francophone survive, il faut l'enrichir et,
si nous voulons que la communauté culturelle francophone du Québec
vive, il faut qu'elle ait la conscience de participer à cet effort
d'enrichissement. La preuve tangible que nous sommes une culture valable,
c'est que d'autres se donnent la peine d'apprendre notre langue pour écouter
ce que nous avons à dire.
3. 5 Médias
Une communauté qui se définit par une culture se bâtit
à partir des caractéristiques similaires de ses membres (langue,
religion), d'un passé plus ou moins mythique accepté comme
fondateur du présent et d'expériences vécues en commun
et interprétées de même façon. Une culture, c'est
un million de choses et mille théories mais, pour les fins de la
présente discussion, disons que c'est un cadre de référence
et une grille d'interprétation. Appartenir à la CCFQ, au Québec,
c'est avoir une certaine vision du monde et, toutes choses par ailleurs
égales, décoder les événements de la même
façon.
Cette identité culturelle sous-jacente transparaît jusque dans
les débats sur la souveraineté, dans les regards effarés
que jettent en coin les Francophones fédéralistes à
leurs alliés circonstanciels d'autres cultures quand ceux-ci ne disent
vraiment pas "ce qu'il faudrait dire"... Se comprendre, même
quand on n'est pas d'accord, c'est sans doute l'essence de l'appartenance
à une même culture.
Traditionnellement, c'est l'éducation qui établissait la culture:
on sortait de l'école "Canadien-français". Aujourd'hui,
ce sont les médias qui coulent le ciment. Si vous avez un doctorat,
parlez quatre langues et avez vécu en Europe, vous n'êtes pas
obligé de lire Le Devoir; mais si vous n'avez pas terminé
le secondaire V, n'avez jamais eu besoin d'un passeport et baragouinez l'anglais
toute la journée au travail avec des Pakistanais, il FAUT que vous
écoutiez "La P'tite vie", " Samedi de rire",
l'équivalent - ou mieux - pour que votre appartenance à la
CCFQ de moisisse pas. Ceux qui liront ce texte feraient bien de se souvenir
qu'il y a pas mal plus de Québécois francophones dans cette
dernière catégorie que dans la première.
Dans le monde contemporain, ce sont les médias - en fait, la télévision,
bien plus que tous les autres médias réunis - qui illustrent
ce que doit être le cadre de référence et fournissent
une grille d'interprétation des événements. Peu à
peu, on devient ce qu'on regarde. Quand un sondage l'an dernier révélait
que 69% des Québécois étaient d'accord avec la décision
américaine de bombarder l'Iraq - alors que 99% des Québécois
n'ont jamais vu un Iraquien et que la moitié ne trouverait pas tout
de suite l'Iraq sur une carte géographique - il n'était pas
sorcier de comprendre que les Québécois exprimaient leur appartenance
à la culture CNN.
Si les médias interprètent le monde a partir des critères
d'une autre culture, cette autre culture, peu a peu, en viendra a supplanter
la culture d'origine. Pour que la CCFQ survive, il faut que sa culture soit
apparente au quotidien dans les médias. Pas seulement dans les éditoriaux
- il n'y a-pas 5% de la population qui lit les éditoriaux - mais
par le choix de ce qui est une nouvelle, par le traitement de la nouvelle,
par les valeurs que véhiculent les films, la musique populaire, les
séries télévisées, surtout, lesquelles contribuent
sans doute aujourd'hui plus que l'école à la formation des
valeurs.
Quand je dis que la CCFQ doit avoir la juridiction sur les médias
et les communications, il ne faut surtout pas penser à une censure.
La censure est une approche si grossière - et si futile dans le monde
contemporain - que je ne crois pas que le concept survivrait s'il ne servait
à en accuser ceux qu'on veut calomnier. Pas la censure, mais l'utilisation
d'une autorité sur les communications qui permette de mettre en ondes
et en ligne une vision du monde qui soit la nôtre et qui puisse résister
au rouleau compresseur qu'est la culture américaine néo-libérale.
La CCFQ doit s'assurer que le Québec possède l'autorité
sur les journaux et revues, la radio, la télévision et l'internet
et mettra cette autorité à profit, non pas pour brouiller
quelque message que ce soit mais pour rétablir l'équilibre
en assurant la diffusion des nôtres.
3.6 Satisfecit
Quand on regarde les "pouvoirs" qu'on doit posséder,
comme communauté culturelle, on s'aperçoit que le Québec
les a ou est tout a fait capable de les d'obtenir dans le cadre de la fédération
canadienne.. En prétendant ne pas les avoir et ne pas pouvoir les
obtenir, nous avons voilé d'un argumentaire qui sonne creux et qui
fait peur les raisons - et il y en a - qui militeraient en faveur de indépendance
du Québec comme territoire, dans un monde où l'indépendance
politique traditionnelle ne désigne plus qu'un palier d'autonomie
parmi d'autres au sein d'une structure d'interdépendance qui est
devenu essentiellement économique et globale.
4. SEULS OU AVEC D'AUTRES
Il y a la CCFQ... et il y a le Québec territorial, lequel est indéniablement
pluraliste. La CCFQ n'a pas l'option de se séparer de ses minorités:
les Autres sont là pour rester. Le Québec territorial, lui,
est une partie de la fédération canadienne et a choisi deux
fois de le demeurer. Est-ce dire qu'il faille jeter aux orties et pour toujours
le rêve de l'indépendance? Souvenons-nous que le rêve
d'un État juif en Palestine a déjà été
plus mal en point que le nôtre et a duré bien plus de quarante
ans... Disons plutôt qu'il faudrait repenser l'approche
La CCFQ doit accepter de ne plus confondre son propre but avec celui du
Québec tout entier. Elle ne doit plus tenter d'imposer son seul agenda
culturel à tous les Québécois mais accepter que ses
propres exigences ne peuvent constituer que l'un des volets d'un nouveau
pacte québécois. Si elle choisit cette approche et assume
le leadership d'une démarche à laquelle participeront toutes
les ethnies du territoire - projetant la vision d'un État du Québec
qui soit bien le foyer de sa culture mais auquel les partenaires de la CCFQ
au Québec trouveront aussi des d'avantages - il est probable qu'il
y aura une version 2010, 2020 ou 2030 du projet d'indépendance.
Si la CCFQ ne parvient pas à convaincre ses partenaires obligés
que ses exigences sont propices à un mieux-être de tous les
Québécois et compatibles avec leurs droits et leur sécurité,
cette démarche n'aura simplement pas lieu, ni en 2020 ni plus tard,
car les effectifs de la CCFQ en termes relatifs se seront réduits
au point que ses chances de succès sans un large consensus trans-ethnique
seront nulles.
Tout tient à cette réconciliation entre la CCFQ et les Autres.
Si la CCFQ réussit un jour à obtenir l'adhésion enthousiaste
des minorités ethniques du Québec à la création
d'un État souverain du Québec, ce sera parce qu'elle aura
utilisé les moyens dont elle dispose pour faire la preuve que sa
culture peut séduire. En ce cas, le Québec cherchera à
nouveau - et avec succès sans doute cette fois - à quitter
la fédération canadienne. Remarquez qu'il n'est pas certain
que ce sera alors, pas plus qu'aujourd'hui, la meilleure décision
mais il est presque sûr que c'est celle qui sera prise; le mot "indépendance",
même vidé de son sens par la géopolitique moderne, demeure
un fétiche et les obstacles à la sécession, eux, diminueront
au rythme justement où ce sens profond de l'indépendance se
sera perdu.
Si l'indépendance advient, ce sera une autre situation et elle ne
sera pas catastrophique. Pour l'instant, le Québec est partie de
la fédération canadienne, ce qui n'est pas non plus une catastrophe,
ni pour la CCFQ, ni pour le Québec. Pour la CCFQ ce n'est qu'un incident
marginal à son développement comme culture: rien ne lui manque
pour assurer son avenir dans un Québec fédéré.
Pour le Québec tout entier, sans distinction de cultures, l'appartenance
au Canada peut être un avantage ou un désavantage, selon que
cette appartenance favorise ou brime le développement économique,
politique, technique et social des Québécois, ce qui dépend
en grande partie de nous et de notre capacité à établir
un consensus au Québec qui permette une position de force dans la
fédération.. Fédération ou indépendance
ne mènent pas à des scénarios de catastrophe.
Ce qui est catastrophique, c'est l'interminable guerre de tranchées
entre Ottawa et Québec et la scission progressive au Québec
même entre "nous-autres" et les autres, comme entre francophones
fédéralistes et souverainistes. C'est ça, l'obstacle
le plus grave au développement du Québec. Il aurait été
idéal que nous réalisions l'indépendance il y a trente
ans; c'eut été un moindre mal que nous renoncions tout de
suite à la faire; le pire des scénarios est celui que nous
vivons: l'expectative d'une décision à laquelle n'est joint
aucun projet de société.
Nous ressemblons à ces adolescents qui rêvent de quitter le
foyer familial, mais sans idée bien précise de ce qu'ils feront
dans leur nouveau logis sinon qu'ils pensent y trouver du plaisir ...et
nous n'interrompons cette songerie morose que le temps d'une visite référendaire
périodique aux isoloirs, le temps de constater notre impuissance.
Il vaudrait mieux verser aux dossiers de l'Histoire l'épopée
indépendantiste version 1960, laisser l'avenir à ceux qui
auront le recul requis pour lui donner une nouvelle couleur et nous occuper
de nos autres problèmes.
Je renvoie sans nostalgie l'échéance de l'indépendance
politique du Québec à une date que je ne verrai peut-être
pas, parce que je crois fermement que l'avenir de la CCFQ n'est absolument
pas indissociable de cette indépendance. "Nous autres",
nous vivrons comme culture si nous faisons les bons choix sociaux et culturels
et rien ne nous manque qui nous empêche de faire ces choix à
l'intérieur d'une fédération canadienne. Vu la situation
présente, je crois même qu'il serait plus facile d'atteindre
nos objectifs d'excellence à l'intérieur d'une fédération
ou d'une confédération canadienne.
Pas que cette fédération canadienne nous apporte beaucoup
- elle ne nous donne face à Washington et au Système (cf:
401) qu'une protection bien mince - mais du seul
fait que nous éviterons, en choisissant d'y rester, trois confrontations
futiles et coûteuses. Une confrontation avec Ottawa et le reste du
Canada; une autre avec les ethnies minoritaires du Québec; une autre,
enfin, au sein de la CCFQ elle-même, où l'idée de sécession
ne recueille tout de même qu'une faible majorité et où
souvent, pour de mauvaises raisons de part et d'autre, la question de l'indépendance
est devenue un sujet de querelles plutôt qu'une discussion rationnelle.
La question fondamentale n'est pas de savoir si on a le DROIT de créer
une pays quand on a 51% des gens avec soi, mais de savoir si on veut tenter
de bâtir un pays dont 49% de ses citoyens ne veulent. pas. Ma réponse
à cette question est NON.
Si la situation change et qu'un large consensus se forme au Québec
en faveur de l'Indépendance, j'en serai et pour la même raison:
dans le monde actuel, un large consensus est plus important pour le Québec
et la CCFQ que d'avoir ou de ne pas avoir la souveraineté politique.
Même si cette souveraineté politique est obtenue un jour, d'ailleurs,
il est bon de garder en mémoire que l'autonomie réelle dont
jouirait un Québec indépendant dépendra alors de l'évolution
qu'aura connu le monde tout entier, lequel sera devenu un lieu où
l'on respectera mieux les "foyers de culture" ... où un
monde ou l'on ne les reconnaîtra plus du tout. Cette évolution
aussi dépend de nous, mais nous ne somme pas seuls pour ce combat.
Ceci est une autre histoire.
5. LE QUÉBEC DANS LA FÉDÉRATION
Le Québec, comme entité territoriale, est l'un des éléments
de la fédération canadienne; quel est le meilleur parti que
les Québécois de toutes ethnies, ensemble, peuvent tirer de
cette situation? Toute considération "culturelle" mise
à part, il y a un partage optimal des tâches entre les divers
niveaux de responsabilités au sein d'une organisation et il en va
bien sûr de même au sein de cette organisation particulière
qu'est une société. C'est le critère de l'efficacité
qu'il faut appliquer.
Si ce critère avait été appliqué auparavant,
on aurait aujourd'hui, sur le sujet de la sécession, des divergences
d'opinions sereines au lieu d'une confrontation entre Nous-autres et les
Autres. Les deux camps fédéraliste et souverainiste, recruteraient
dans toutes les ethnies et la décision de participer ou non à
la fédération canadienne serait prise pour des considérations
plus pratiques qu'émotives.
Si la question de quitter la fédération canadienne doit jamais
être prise, c'est ainsi qu'elle devra l'être, quand les minorités
non-francophones du Québec n'auront plus peur de la CCFQ et ne chercheront
pas à Ottawa un protecteur mais un gouvernement vraiment efficace.
Qu'est-ce que suggère ce critère de l'efficacité? Que
le meilleur parti à tirer d'un régime fédéral,
c'est de confier au gouvernement fédéral ce que celui-ci peut
faire plus efficacement que les gouvernements fédérés....
et rien d'autre.
5.1 Un fédéralisme minimal
Il ne faut confier au palier fédéral QUE ce qu'il peut
faire mieux que les autres paliers de gouvernement. Ce qui a l'air tout
simple, mais exige un changement-choc d'attitude et une redistribution complète
des pouvoirs au sein de la fédération canadienne. En effet,
la constitution canadienne, après avoir réparti de son mieux
les pouvoirs et responsabilités entre les provinces et le gouvernement
fédéral au vu des exigences de l'époque, a attribué
à ce dernier le pouvoir résiduel sur ce qu'on pourrait appeler
l'inconnu, l'ambigu et l'essentiel. Or, c'est ce pouvoir résiduel
qui est la vraie souveraineté, puisque c'est dans cet espace flou
qui entoure le connu, le défini et le trivial qu'un État évolue
pour s'adapter au temps qui passe. C'est dans cet espace que naissent tous
les nouveaux dossiers à gérer dont la somme finit par représenter
plus que le contenu du noyau initial. Il faut revoir cette notion de pouvoir
résiduel.
Pourquoi choisir de ne confier au gouvernement fédéral que
les seules responsabilités dont il peut s'acquitter mieux que les
provinces, dont le Québec? Parce que, toutes choses étant
égales, il est préférable que le pouvoir soit exercé
le plus près possible des citoyens. En fait, pour reprendre une phrase
de Stafford-Beer qui est devenue un axiome des sciences de la gestion: "Toute
décision doit être prise au palier le plus bas (le plus près
du citoyen) où toute l'information requise pour prendre cette décision
est disponible". L'individu accepte plus facilement des directives
d'une autorité proche à laquelle il peut s'identifier; cette
autorité, pour sa part, le comprend mieux, l'écoute davantage,
adapte plus facilement ses propres normes aux besoins de ceux qu'elle gouverne
de près.
Dans l'immense majorité des cas qui concernent la vie quotidienne
de l'individu, toute l'information pertinente est disponible au palier provincial
ou à des paliers plus près encore de l'individu. Une autorité
fédérale n'a donc pas à intervenir à ce palier
de gouverne, pas plus qu'il ne faut confier au conseil d'administration
d'une compagnie la responsabilité des inventaires ou la revue des
comptes de dépenses. Ce qui, dans une entreprise, est dicté
par le bon sens et les exigences de l'efficacité administrative -
et suivi sans discussions - doit devenir plus formel en politique. Non seulement
un autorité fédérale n'a pas à intervenir aux
décisions que les provinces peuvent prendre, mais elle ne doit plus
en avoir le droit. C'est ainsi qu'on construit une fédération
ou une confédération.
Dans cette optique, un transfert massif de compétences du gouvernement
fédéral aux gouvernements provinciaux s'impose. Certaines
des provinces actuelles, il est vrai, n'ont ni la taille ni les structures
pour assumer tous les pouvoirs que justifierait une nouvelle répartition
des tâches correspondant aux seules exigences de l'efficacité
administratives. Ceci est un problème qu'elles peuvent résoudre
par des fusions, ou par délégation à une entité
commune qu'il leur appartiendra de créer. Ce n'est pas le problème
dont je veux traiter; dans la suite de ce texte, je prendrai pour acquis
que cette question est réglée et ne parlerai plus que de la
relation Ottawa-Québec.
Au vu des critères d'une saine gestion, Ottawa devrait transmettre
au Québec - comme à ses autres constituantes - la plus grande
partie de ses responsabilités et de ses pouvoirs. Tous ses pouvoirs,
en somme, dont on ne peut pas faire la preuve - et nous sommes conscients
de l'importance ici du fardeau de la preuve - qu'une autorité fédérale
peut s'en acquitter plus efficacement que le Québec lui-même.
Nous donnerons plus loin la liste de ces pouvoirs que conserverait le gouvernement
fédéral après redistribution.
Le Québec peut-il trouver son intérêt à être
l'un des éléments constituants d'une fédération
canadienne ainsi conçue? Oui, mais il faut que ce fédéralisme
soit géré de façon à éviter les empiétements
d'une autorité sur l'autre et que non seulement il soit juste mais
qu'il projette aussi une image de justice.
5.2 Gérer le fédéralisme
Il est inévitable que les intérêts des États
fédérés divergent à l'occasion et que des alliances
se fassent et se défassent entre les participants qui donneront parfois
satisfaction aux désirs de l'un puis de l'autre. Un État fédéral
est une table de négociations permanente. On négocie, à
l'intérieur d'une fédération, et c'est la décision
collective qui devient la loi des parties comme la seule et unique position
formelle de la fédération face à ceux qui n'en font
pas partie. Cette négociation au sein de la fédération
peut revêtir diverses formes, dont l'une consiste à réunir
les membres pour qu'ils discutent et se mettent d'accord et une autre à
accepter la création d'une entité distincte qui prendra les
décisions qu'on lui a confiées.
C'est cette deuxième approche qu'il faut choisir, parce qu'il est
vital que les alliances qui se feront soient fluides, correspondent aux
intérêts ponctuels des partenaires et ne semblent pas découler
de préjugés. Le Québec peut vivre dans une fédération
où il est l'allié circonstanciel parfois des Maritimes, parfois
de l'Ontario, parfois de la Colombie; il ne peut pas vivre dans une fédération
où il est toujours seul contre tous. C'est cette image d'être
seul contre tous, qui est à l'origine du désir de sécession.
Dans une fédération où les pouvoirs du gouvernement
fédéral sont bien limités et essentiellement économiques
et administratifs, jamais culturels, cette image d'un Québec seul
contre les autres est totalement fausse. En effet, dès que nous sommes
convenus que les pouvoirs "culturels" qui sont essentiels à
la CCFQ sont du ressort du Québec et non du fédéral,
le Québec au sein de la fédération est vraiment "une
province comme les autres". Il défendra ses intérêts
avec habileté, comme les autres et, si le passé est garant
de l'avenir, il s'en sortira gagnant plus souvent que perdant, comme en
fait foi la question récurrente de la péréquation
Plutôt qu'un conseil fédéral où les divergences
s'exacerbent et où, à tort ou à raison, le Québec
se sentirait l'éternel minoritaire il vaut mieux qu'un gouvernement
fédéral élu par la population décide des politiques
et des gestes à poser dans les domaines de sa compétence..
Ceci n'empêche pas qu'un gouvernement fédéral consulte
les gouvernements provinciaux, un par un ou tous ensemble, mais cette démarche
est consultative: l'autorité fédérale décide
en dernier ressort dans les domaines de sa compétence et ne rend
de comptes qu'à ses électeurs. C'est d'ailleurs cette solution
du maintien d'un gouvernement et d'une administration fédérale
que la population, dans sa sagesse, a toujours favorisée dans tous
les sondages.
5.3 Les pouvoirs de l'État fédéral
Ils sont peu nombreux, mais, comme je l'ai fait plus tôt au moment
de définir les besoins essentiels de la CCFQ, je les ai réduits
à la part congrue. Ceci n'est donc pas une liste à négocier
et, sauf lorsque je l'indique (Santé, perception fiscale, etc), il
n'y a pas de solutions de rechange. Si ces pouvoirs ne sont pas confiés
au gouvernement fédéral, il en résulte une fédération
boiteuse, des chevauchements qui sont sources de conflits et une structure
inopérante. Si on ne veut pas concéder ces pouvoirs à
une fédération, il ne reste qu'à cesser d'ergoter et
à en sortir.
Une fédération vise trois buts: 1) présenter un front
commun plus fort à ceux qui n'en font pas partie, 2) créer
un espace politique et économique plus vaste à l'intérieur
duquel s'établiront des relations privilégiées entre
les participants, et 3) faciliter le respect de principes et la poursuite
d'objectifs fondamentaux sur lesquels tous les participants sont d'accord.
Les pouvoir essentiels de l'autorité fédérale doivent
lui permettre de s'assurer que ces trois buts sont atteints, ce qui exige
le contrôle des trois(3) domaines suivants.
5. 3. 1 Les relations internationales
Si on n'accepte pas d'offrir un front commun au monde extérieur,
il n'y a pas de fédération. Il est vrai que l'Ukraine et le
Belarus siégeaient avec l'URSS aux Nations-Unies, mais c'était
une fiction et JAMAIS les représentants de ces entités n'y
ont voté autrement qu'ensemble. D'où l'hérésie
que constitue la prétention du Québec de siéger aux
organismes internationaux délibératifs et décisionnels
et la provocation inutile que sont ces Délégations du Québec
qui prennent des airs d'ambassades. Si le Canada existe et fédère
des provinces, il est impérieux que ces provinces acceptent que le
Canada ne peut avoir qu'une voix à l'étranger.
En quoi consistent, sommairement, les relations internationales du Canada?
a) l'armée et toute la politique de défense et d'alliances;
b) toute l'activité diplomatique et consulaire, incluant les initiatives
de renseignement liées à la sécurité nationale;
c) les relations de commerce extérieur, incluant les traités
commerciaux et les relations avec les institutions financières internationales
(IFI);
d) les procédures de coordination d'actions policières internationales
et les procédures d'extradition;
e) l'aide multilatérale ou bilatérale aux pays défavorisés;
f) les procédures d'immigration et l'émission de passeports
canadiens, sans préjudice au droit de chaque province d'émettre
et de déterminer les conditions de remise de permis de résidence
sur leurs territoires respectifs.
5. 3. 2. Les relations inter-provinciales
La fédération canadienne doit être un marché
commun à l'intérieur duquel il n'existe aucune entrave à
la libre circulations des biens, des personnes, de l'information ni des
capitaux (remarquons que ce serait un pas en avant, car ce n'est PAS présentement
la situation qui prévaut);
Seule la loi fédérale s'applique et seul un tribunal de juridiction
fédérale est compétent pour juger de tous les différents
découlant de telle circulation des biens, des personnes, de l'information
et des capitaux;
Chaque province a la responsabilité et le pouvoir d'édicter
des lois et de les faire appliquer sur son territoire. Il est de responsabilité
fédérale, toutefois, que chaque province fasse exécuter
" ne varietur" sans délai, sur son territoire et par ses
propres officiers, les jugements civils ou pénaux rendus par une
autre province et découlant de faits et obligations intervenus sur
le territoire de cette dernière, l'extradition étant automatique
s'il y a sentence d'emprisonnement ou contrainte par corps.
5. 3. 3. Principes et objectifs communs
Il peut y en avoir autant qu'on veut, la seule condition étant l'unanimité
des participants. Il y a divers domaines, dont les services de santé,
dont il serait avantageux de définir au palier fédéral
les principes directeurs - (ceux que nous avons maintenant ne sont pas si
mauvais!) - même si la gestion courante doit en revenir à un
palier d'autorité plus près de la population. Néanmoins,
le principe de base demeure que, même si cette responsabilité
peut être dévolue au fédéral, elle ne fait pas
partie des éléments essentiels qui DOIVENT lui être
réservés.
Ce qui doit l'être absolument, c'est la politique financière:
l'émission de monnaie, la gestion de la dette commune que nous avons
accumulée, les opérations de contrôle de la masse monétaire,
les activités bancaires et boursières. Non seulement en laissant
cette responsabilité aux mains de l'autorité fédérale
facilite-t-on les échanges commerciaux et financiers, mais on désigne
ainsi pour maintenir les relations avec le FMI et donner suite aux ententes
qui interviendront un interlocuteur unique disposant de tout le poids de
la fédération, ce qui n'est pas trop... (cf: Texte 706 )
Ce qui ne doit pas nécessairement être confié au gouvernement
fédéral mais devrait l'être, c'est la procédure
de perception fiscale. Il serait avantageux que chaque province et chaque
entité administrative disposant d'un droit de taxation puisse fixer
ses propres taux, selon l'autorité qui lui en est dévolue,
mais qu'une seule déclaration d'impôt soit remplie par le contribuable
et un seul paiement fait à l'autorité fédérale,
laquelle distribuerait ensuite les sommes reçues à chaque
province et administration régionales, municipales, etc., selon les
instructions que le contribuable lui aura indiquées au formulaire
unique d'impôt en réponse aux demandes de cette province et
de ces administrations.
5. 4 Les pouvoirs des provinces
À l'exception des pouvoirs spécifiquement réservés
au gouvernement fédéral et dont la liste apparaît ci-dessus,
tous les pouvoirs appartiennent aux provinces. Mieux dit, il appartient
aux provinces, pour la plupart de ces pouvoirs, de les remettre à
des paliers d'autorité encore plus près de la population et
mieux aptes à les exercer comme à assumer la responsabilité
des objectifs qui s'y rattachent. (Toute cette entreprise de restitution
du pouvoir à une structure dont l'autorité vient d'en-bas
et non d'en-haut fera l'objet du Texte 709 qui sera publié en novembre)
Pour les fins du présent argument, nous voulons seulement ici compléter
la définition des pouvoirs concrets de l'autorité fédérale
en indiquant, lorsqu'il y a lieu, les pouvoirs des gouvernements provinciaux
qui viennent les limiter.
5. 4. 1 Quitter la fédération
La fédération doit exister en vertu d'un pacte qui soit un
engagement ferme. Ferme, toutefois, ne veut pas dire nécessairement
éternel. Si l'on doit de prémunir contre les velléités
de sécession imprévisibles, rien n'empêche de fixer
un terme à l'entente et d'en renégocier alors les conditions.
La durée du pacte liant les membres peut-être de 20 ou 30 ans,
renouvelable. Si un État constituant (province) veut quitter la fédération
à l'échéance du terme, il s'engage à en obtenir
le mandat de sa population par référendum au cours de la pénultième
année de la période, afin que ses partenaires en Canada en
reçoivent avis formel au moins un an avant l'échéance.
Outre l'échéance du terme, une seule cause devrait justifier
le retrait de la fédération (confédération):
la guerre. Au pouvoir du fédéral sur l'armée et la
défense qui lui confère le droit de faire la guerre doit correspondre
la possibilité, pour chaque État constituant le fédération,
de se désolidariser de cette décision en quittant la fédération.
Il ne s'agit pas d'une décision intempestive que l'on prendra pour
éviter de participer à une opération de police de l'ONU,
car elle aura des conséquences graves et définitives. Toutefois,
si convaincu du soutien de sa population un État membre refuse de
participer à une guerre formellement déclarée par le
Canada, il aura droit de sécession immédiate, sous réserve
de faire avaliser cette décision par référendum auprès
de sa population tenu dans les 60 jours suivant sa décision.
Avec des pouvoirs aussi restreints, doit-on encore parler d'une fédération
ou plutôt d'une confédération canadienne? Le sens du
mot "confédération" ayant évolué dans
le temps et désignant encore aujourd'hui des réalités
diverses, je laisse aux linguistes le soin d'en juger. Si c'est le concept
de "souveraineté" des constituantes qui est le critère,
disons que les provinces sont jointes par un pacte et gardent à certaines
conditions la liberté d'y mettre fin; elles abandonnent toutefois,
pour la durée du pacte, toute prétention à une personnalité
internationale souveraine.
5. 4. 2 Le Québec à l'Étranger
Les constituantes de la fédération canadienne doivent cesser
de se comporter à l'étranger comme des États souverains.
Il n'est pas question d'avoir un concert discordant de voix du Canada se
contredisant sur la scène mondiale. Est-ce que dans le système
fédéral que nous proposons les provinces - et donc le Québec
- peuvent néanmoins assurer leur visibilité internationale?
Oui, de deux façons:
a) toute province peut assurer la représentation de ses intérêts
à l'étranger en affectant à toute ambassade ou consulat
du Canada une ou plusieurs personnes qui auront le statut temporaire de
fonctionnaires fédéraux, mais dont le salaire et les frais
seront assumés par la province. Ces personnes travailleront sous
la tutelle du chargé d'affaire fédéral responsable
de la mission et en respectant strictement les limitations que celui-ci
leur imposera; l'affectation de représentants provinciaux à
une mission ne doit pas être interprétée comme un obligation
imposée au fonctionnaire fédéral responsable de leur
transmettre quelque information ni de les faire participer à quelque
rencontre que ce soit sauf à sa discrétion.
d) Une province peut assister à des réunions internationales
ayant pour objet la culture et la coopération culturelle, l'éducation
et la diffusion de l'information ou tout sujet connexe, a la seule condition
d'en aviser le gouvernement fédéral ou le chargé d'affaires
du Canada responsable et de leur faire parvenir par la suite un compte rendu
de cette réunion. Une province, toutefois, doit s'abstenir de signer
toute entente, traité ou engagement envers un État souverain
ou une organisation composée d'États souverains, de même
que de participer au processus d'élection ou du choix des dirigeants
et officiers de toute organisation composée d'États souverains.
CONCLUSION
On trouvera peut-être surprenant qu'après avoir tant insisté
sur le caractère minimal de ce qui est essentiel pour la communauté
culturelle francophone du Québec j'en arrive à suggérer,
au contraire, un transfert maximal de compétences du fédéral
vers les provinces. Un transfert vers le Québec de bien plus de pouvoirs,
en fait, qu'il n'en aurait fallu et qu'il n'en faudrait encore aujourd'hui
pour satisfaire la majorité des souveraino-associationnistes amateurs
de "beaux risques" . Qu'on ne s'en étonne pas. Si la CCFQ
ne nécessite que quelques pouvoirs biens restreints pour accomplir
sa destinée, ce qui découle d'avoir démêlé
la confusion entre Québec et CCFQ et de prendre l'efficacité
plutôt que l'émotion pour guide c'est que la CCFQ n'a besoin
que de bien peu.... mais que le Québec devrait avoir beaucoup.
Le gouvernement fédéral serait-il d'accord avec ce transfert
massif? C'est de peu d'importance. S'il y a une chose qui est établie,
c'est bien le soutien prioritaire des Canadiens à leurs gouvernements
provinciaux chaque fois qu'il y a un litige entre ceux-ci et l'État
fédéral. Au Québec, encore plus qu'ailleurs, un consensus
trans-ethnique de la population créerait une situation où
le refus par le fédéral d'obtempérer serait un suicide
politique. L'entente qui ne se fera pas avec un régime se fera avec
le suivant qui en aura fait son cheval de bataille
Car, enfin, soyons cohérents; si l'indépendance n'est plus
une priorité pour le Québec parce que la marge de manoeuvre
d'un État indépendant s'est rétrécie dans la
conjoncture actuelle au point que les pouvoirs reliés a cette indépendance
soient devenus largement illusoires, ces pouvoir ne sont pas moins illusoires
quand c'est un gouvernement fédéral qui les détient.
Je ne vois donc rien de contradictoire a ce que celui-ci accepte de s'en
départir avec bonne grâce et pour les mêmes raison que
celles que je mets de l'avant pour demander au Québec de ne pas faire
un plat de ne pas les obtenir.
Il y a 40 ans qu'on n'a rien proposé d'intéressant à
la population sur le plan politique hormis l'indépendance. Je ne
m'attends pas vraiment à ce que tout le monde accepte d'emblée
cette proposition. Avant qu'un consensus ne se fasse sur cette question,
il faudra que les membres de la communauté culturelle francophone
du Québec qui exigent l'indépendance comprennent que l' appartenance
à un communauté culturelle ne recoupe la notion d"État
qu'au point où celui-ci protège cette communauté et
lui assure des services. Tout ce que la CCFQ peut exiger de l'État
- Québec ou Canada - c'est de lui fournir un environnement propre
à sa protection et à son développement. Non pas parce
qu'une culture n'a pas d'autres droits, mais parce qu'elle n'a pas d'autres
besoins et que, moralement sinon légalement, c'est un abus que d'user
au détriment d'un autre d'un droit dont on n'a pas besoin.
Nous avons vu quels sont les besoins essentiels de la CCFQ. Ce qui en excède
est inacceptable. Quand le critère "culture" veut devenir
pertinent à l'économie et à l'administration de la
chose publique, ce n'est pas dans la ligne de l'évolution sociale
que nous souhaitons mais un pas en arrière vers le totalitarisme,
un pas de coté vers l'intégrisme, le début d'un tango
fascisant qu'on ne veut pas danser. Arrêtons la musique.
Le Québec "multi-culturel" dans son ensemble, le Québec
territorial devrait avoir plus de pouvoirs - et il les aura tôt ou
tard, dès qu'un consensus aura été reconstitué
entre la CCFQ et les autres cultures québécoises - non pas
pour donner plus aux uns qu'aux autres, mais parce que le monde évolue
vers une nouvelle structure de gouvernement, plus permissive et plus libertaire,
correspondant au pouvoir accru de l'individu dans une société
où une nouvelle division du travail accroît l'interdépendance.
Cette tendance favorise une transfert progressif des compétences
des grandes structures étatiques vers des entités plus proches
des citoyens; le Québec bénéficiera de cette tendance
dans sa démarche pour remettre en question le partage des dossiers
entre le gouvernement fédéral et les provinces. Bien sûr,
la même tendance fera que Québec devra reconnaître une
autonomie et confier des responsabilités plus grandes à d'autres
entités administratives: régions et municipalités,
etc. Ceci fera l'objet d'un prochain texte.
Pierre JC Allard