99.02.17


NGUYEN 96, ROY 60

 

Je me suis amusé à énoncer sans commentaires le titre de cet article à quelques unes de mes relations d'affaires. Le consensus a été que je faisais allusion au score d'un match de basket-ball. C'est vrai que Michael Jordan venait d'annoncer sa retraite. En fait, je citais La Presse qui nous annonçait que dans le district de Montréal, l'an dernier, il est né plus de Nguyen (96) et de Patel (79) que de Roy (60), de Tremblay, de Gagnon ou d'enfants portant quelque autre patronyme québécois "de souche".

Si quelqu'un ne voit pas le lien, ça veut dire que dans une ou deux générations, à moins qu'on ait vidé le Saguenay-Lac-Saint-Jean dans un grand effort de concentration urbaine, il y aura nécessairement à Montréal plus de Nguyen et de Patel que de Roy, de Tremblay et de Gagnon. Soulignons que le nombre des Nguyen dépassera alors encore largement celui des Roy à Hanoi, et que tout indique que ce sont les Patel et non les Tremblay qui seront encore majoritaires à Bombay.

Les Roy et les Tremblay ne seront donc plus majoritaires nulle part. Enfin, nulle part qui apparaisse comme un point sur une petite mappemonde. J'ai pris la nouvelle avec la sérénité qui convient à mon âge, comme le Marquis de Montcalm qui allait mourir "sans voir les Anglais dans Québec". (Même si j'ai toujours pensé que notre divin Marquis à nous était plutôt soulagé de mourir sans devoir lire l'analyse de sa performance par les chroniqueurs dans les journaux du lendemain...)

J'ai pris la nouvelle avec équanimité, car j'ai eu mon vrai choc culturel quant au résultat du match Nguyen-Roy il y a bien longtemps. En 1984, pour tout vous dire, quand au Tableau d'honneur de l'École St-Luc que fréquentait mon fils j'ai vu 15 noms vietnamiens: les trois (3) premiers de chaque classe, pour les Secondaires 1, 2, 3, 4, et 5. Trois fois 5 font 15. Quand on a vécu un blanchissage 15 -0 en éducation, on ne panique pas pour un 96-60 en démographie. Sauf que...

Sauf qu'il faudrait arrêter de se tordre les mains, de se tirer dans le pied et, surtout, de se péter les bretelles sur le miracle de notre survivance et la valeur de notre culture québécoise. Il faut admettre que le Québec est devenu et deviendra de plus en plus un état multiethnique, que ceci arrivera que le Québec fasse ou non partie du Canada et même si l'immigration stoppait net demain matin. Il faut surtout admettre que ce n'est pas une catastrophe, mais une opportunité.

Une opportunité de survivre comme culture et d'être encore en nombre suffisant pour assurer le développement de cette culture... si les Nguyen et les Patel se sentent aussi Québécois que les Roy et les Tremblay. Et ça, il n'en tient qu'à nous. Il n'en tient qu'à nous, je l'ai déjà dit*, de présenter pour nos immigrants un option valable d'assimilation. Assimiler à notre culture les Nguyen et les Patel - qui sont venus ici pour être assimilés, ne l'oublions pas. En faire des Québécois, comme les Johnson, les Benazra, les Foglia, les O'Leary sont devenus des Québécois

Une nation ne survit pas par la seule transmission de ses patronymes mais par sa capacité à insuffler son âme. Je ne parle pas du "melting pot" américain ou argentin, mais de la France elle-même. Faites l'expérience de noter, à Paris, dans l'annuaire téléphonique ouvert au hasard, les patronymes qui ont une consonance "française" et les autres, allemands, italiens, algériens, juifs, espagnols, polonais, russes... Pourtant, les Français ne se sentent pas une minorité chex eux.

Sacha Guitry disait "Être Parisien ce n'est pas naître à Paris, mais y renaître; ce n'est pas y être mais EN être; c'est une dignité." Je voudrais que nous, Québécois, puissions aussi prétendre de façon crédible que c'est une dignité de devenir Québécois. Pas en nous appropriant des succès individuels - Céline Dion, le Cirque du Soleil, etc - mais en pouvant faire état de réalisations collectives. Réaliser de nouvelles Expo 67, de nouvelles Baie James... le potentiel est toujours là de le faire, à l'état larvaire dans cette solidarité entre Québécois qui renaît de temps en temps, durant la Crise du Verglas par exemple.

Mais pour qu'on prenne la voie de la dignité, de la fierté tranquille qui justifie que les autres veuillent devenir NOUS, il ne faut pas reculer d'horreur quand le nombre des Nguyen augmente; il faut plutôt se demander avec objectivité pourquoi il n'y a pas plus de Roy et de Tremblay avec les Nguyen aux Tableaux d'honneur des écoles. Changer notre système d'éducation et ce qui en découle.

Il faut surtout faire en sorte que l'équilibre entre les autres et nous - à tous les Tableaux d'honneur, ceux des écoles mais aussi les autres - ne se rétablisse pas par le déclin souvent annoncé des Nguyen de deuxième génération au contact d'une culture de la facilité dont nous nous contentons trop souvent, mais par notre volonté de faire mieux tous ensemble.


Pierre JC Allard


* Une nation à naître

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