99.02.24
AU NOM DE LA LOI
Je garde tout mon respect au Juge Paul Mailloux. Le Juge Mailloux vient
de débouter un pauvre type qui réclamait un dédommagement
de la Banque Nationale. La Banque, au total mépris de ses propres
procédures, avait remis à la conjointe du pauvre type, sans
l'autorisation de celui-ci, 9 000 $ en obligations qui appartenaient à
ce dernier. La conjointe est en tôle, l'argent est foutu... et le
pauvre type se retrouve comme la reine Amélie.
La banque est-elle responsable? Devant Dieu, ça me semble évident,
mais devant la loi... Le Juge Mailloux, qui ne fait qu'appliquer la loi,
n'est-ce pas, nous dit que la banque à commis une faute mais que
ce n'est tout de même pas la faute de la banque si Madame la conjointe
est malhonnête. La cause de la perte, ce n'est pas la faute de la
banque, c'est la malhonnêteté de Madame. Banque, vous êtes
libre... !
A première vue, - la loi ayant prévue, dans un moment de grande
sagacité, qu'une clause devrait être interprétée
comme ayant un sens plutôt que n'en ayant pas - on aurait pu penser
qu'une banque qui vous dit qu'elle ne donnera pas votre argent sans votre
signature est tenue de ne pas le faire et est tout aussi responsable de
votre perte que si elle avait jeté votre argent au feu. Mais à
seconde vue, après témoignages, plaidoiries, frais et honoraires...
elle ne l'est pas. Causa causans , cause efficiente, cause instrumentale...
Allez donc voir ! Je m'ennuie des cours de philos du Collège Sainte-Marie.
Il n'y a pas d'appel des jugements de la Cour du Québec.
Je garde tout mon respect à la Cour du Québec. Mais s'il faut
deux événements pour qu'un résultat en découle,
et si ce résultat advient qui sans moi ne serait pas advenu, n'en-suis-je
pas responsable? Qui est le plus responsable, de celui qui a fabriqué
la bombe ou de l'autre qui a allumé la mèche? Ou peut-on croire
que l'un soit innocent? Ou que les deux le soient? Car, a-t-on pensé
que l'on vilipende peut-être ici la conjointe puisque, faisant avec
la banque une transaction que celle-ci a acceptée sans discussion,
la conjointe pouvait avoir une raison de croire de bonne foi que cette transaction
n'était pas malhonnête?
Je garde tout mon respect pour la loi. Mais je pense qu'il faut changer
la loi; car la loi étant ainsi faite - et je n'ai pas de raison de
penser que le Juge Mailloux soit un âne qui l'ait mal interprétée
- nous vivons dans une société de droit bien précaire.
Parce que si vous poussez votre femme à la rivière et qu'elle
se noie, est-ce votre faute si elle ne savait pas nager ? Vous faites un
hold-up, votre complice tue le caissier; pourquoi vous en tenir responsable?
Vous écrasez un piéton? Que faisait-il sur la chaussée,
cet imprudent qui maintenant vous cause des embêtements posthumes?
Cherchez bien et vous verrez que, quoi que vous ayez pu faire - même
commettre une faute, comme la Banque Nationale - les conséquences
néfastes de votre faute ne se seraient jamais produites si d'autres
"causes" n'étaient pas intervenues. Si vous tuez votre
voisin à coups de haches, n'est-ce pas lui le "coupable"
? Ce qui est la faute de la nature ou du Bon Dieu, mais certes pas la vôtre...
Essayez demain avec votre banque l'excuse de la "responsabilité
contributoire". Je refile de la fausse monnaie? Blâmez le faussaire,
je ne le connais même pas...! J'ai fait un chèque sans provision?
C'est le chèque du BS qui n'est pas arrivé à temps,
passez cette charge bancaire - que de toute façon est du brigandage
- à l'État, ou au Syndicat des postiers. Je ne vous paye pas
l'hypothèque, ce mois-ci, ce con de Ministre des finances a laissé
baisser le dollar canadien...
Ce n'est pas tout à fait la même chose? Ce n'est jamais tout
à fait la même chose; c'est pour ça que nous avons des
juges qui interprètent la loi. Mais comme nul n'est censé
ignorer la loi, il faudrait bien que l'on sache deviner aussi comment les
juges l'interpréteront. Il y sans doute aujourd'hui un pauvre type
de plus qui a perdu toute confiance en la justice, mais ce n'est pas la
faute du Juge Mailloux.
Prenez Benoît Proulx, accusé à tort puis acquitté
d'un meurtre commis en 1982; jugeant malicieux le comportement de la poursuite
en cette affaire, la Cour supérieure avait accordé des dommages
à Proulx. La Cour d'appel les lui retire maintenant. 16 ans se sont
écoulés. Une vie brisée..., mais l'État doit
jouir d'une "immunité relative", dit la Cour d'appel. L'État
s'en tire s'en payer..., comme une banque.
Prenez la Ville de Montréal qui a dépensé 1 000 000
$ en frais d'avocats pour se défendre contre les poursuites engagées
suite à l'incendie de la Place Alexis-Nihon en 1986. Le procès
a commencé le mois dernier. Des 69 millions de dollars qu'on réclamait
à la Ville il y a 13 ans, il ne restent plus que 26 millions en litige.
Où sont passées les autres réclamations?... Le temps
a eu raison de ceux qui n'avaient pas les moyens de payer leurs avocats
pendant 13 ans. Quoi qu'il arrive, la ville aura fait une bonne affaire
en payant un million de dollars à ses avocats; les délais
qu'elle a obtenus lui ont déjà épargné 43 millions
de dollars.
Le bon droit? L'équité? Quel rapport avec la justice ? Causa
causans , cause efficiente, cause instrumentale... Il est très
utile d'avoir un million de dollars à payer à ses avocats.
Idéalement, il vaut mieux, d'ailleurs, être l'État,
ou une banque. Ne croyez pas que ce soit à cause du Juge Mailloux
que le pauvre type blousé par sa conjointe - mais pas par la banque,
la loi a dit non - va perdre toute confiance en la justice; la vraie cause,
c'est simplement que la justice n'est pas efficace.
Pierre JC Allard
Page précédente
Page suivante
Litanie des avanies
Retour à l'accueil