98.12.23
SOLSTICE
Il y a un jour dans l'année où le soleil est à
son plus bas... puis remonte. Noël, trois jours après le solstice
d'hiver, est la fête immémoriale de la lumière, le moment
ou le pithécanthrope futé remarquait que les jours étaient
bien désormais de plus en plus longs et qu'on pouvait recommencer
à croire au printemps. Pour les Juifs, c'est encore Hannukah, la
Fête de la Lumière; pour les Chrétiens, c'est l'arrivée
du Sauveur... Noël, c'est un message d'espoir, la bonne nouvelle qu'on
a atteint le point le plus bas et que dorénavant ça ira mieux.
J'espère que ça ira mieux. J'espère que nous avons
passé le solstice, parce que la lumière est bien basse. La
Presse du samedi 19 décembre m'a presque découragé.
D'abord, l'affaire de l'Iraq. J'ai déjà dit ce que je pensais
de cette saloperie*; je ne suis donc pas surpris que les intérêts
pétroliers en remettent, et c'est presque une bonne nouvelle qu'on
n'ait tué que quelques douzaines d'Iraquiens: ç'aurait pu
être pire. Ce qui m'a déprimé, c'est le sondage de La
Presse qui nous dit que 69 % de Québécois sont d'accord avec
l'idée de bombarder une population sans défense et croient
vraiment que Saddam est à bâtir un arsenal de virus et de toxines
pour partir à la conquête de ses voisins.
Est-ce que le lecteur moyen de La Presse ne comprend pas: a) que l'Iraq
affamé a bien d'autres problèmes que de fomenter des conflits
? b) que de tous les pays du monde, l'Iraq - patrouillé depuis 7
ans par des missions d'inspection - est sans doute parmi ceux où
il serait le plus improbable qu'il y ait une force crédible d' armes
atomiques, chimiques ou biologiques? c) que de tous les pays du monde, les
USA sont certainement celui où il y a le plus d'armes atomiques,
chimiques et biologiques? d) qu'aucun pays contemporain n'a agressé
autant que les USA, au Viêt-Nam, à Granada, à Panama,
au Guatemala, à Cuba, au Nicaragua, au Chili, en Libye, au Soudan
? La lumière est faible.
Puis l'histoire Clinton. Les maîtres du monde sont à s'entredéchirer
pour une histoire de cul, avec une partisanerie qui montre l'hypocrisie
du débat et exclut toute intelligence. J'ai déjà dit
aussi ce que j'en pensais**. Plus près de chez-nous, les pompiers
vandalisent. Encore des gens dont le métier pourrait faire des héros
mais qui se conduisent comme des cols-bleus de la Ville de Montréal.
Ça paye, l'intimidation***. La justice? Connais pas... Encore des
modèles que nos enfants n'auront pas. Les jours sont bien courts
Et ce médecin qui renvoie la petite diabétique mourir chez
elle. "Juste un petit virus" - qu'il a dit..., pendant que deux
autres médecins sont condamnés à 53 000 $ de dommages
pour avoir annoncé un cancer du foie et sa mort imminente à
un patient qui n'avait pas le cancer du foie et est toujours vivant. Rien
à voir avec les urgences bondées et les coupures au budget
de la santé, les mauvais diagnostics, n'est-ce pas ?**** Les soirs
tombent si vite.
La Commission de la santé et sécurité au travail (CSST)
un autre organisme en qui on voudrait avoir confiance est accusée
d'avoir tronqué les rapports de ses propres inspecteurs, d'avoir
tout fait pour cacher son incurie qui a causé mort d'homme, d'avoir
réprimandé ceux qui voulaient dire la vérité.
Les nuits sont longues.
Puis Foglia vient nous dire que voler à l'étalage, il ne faudrait
pas en faire une infamie. Bon. C'est gentil d'avoir l'indulgence facile
et le mot infamie devrait, en effet, être gardé pour les grandes
occasions. Mais qui parle d'infamie? Je pense qu'il y a quelque chose de
fondamentalement indigne dans le fait de piquer une tablette de chocolat,
un geste petit qui marque la limite trop prudente du défi trop modeste
au système dont on est prêt à souffrir les conséquences.
C'est cracher dans le café du patron quand il n'est pas là,
c'est pisser, les volets fermés, sur des swastikas qu'on dessine
et qu'on efface après. Le soleil est vraiment à son plus bas
J'ai la nostalgie d'un certain respect de soi qui interdit de se pencher
pour ramasser un méchant sou dans la merde, de barbouiller ses initiales
sur les Pyramides, de voler du pain quand on n'a pas faim et de défier
les fauves en cage. Toutes choses qui ne sont pas infâmes, mais dégradantes.
Je serais agacé de vivre dans une société dégradée
où tout le monde pique quand on ne les voit pas. Parce que je ne
veux pas compter les cuillers après le départ de mes invités.
Parce que j'aime penser que ma femme prend son bain tous les jours, même
quand je n'y suis pas. Pas pour offrir une image correcte, mais pour être
propre, tout simplement.
Et parce que je ne veux pas vivre dans ce genre de société,
j'en veux un peu a Foglia de faire un clin d'oeil complice à tous
ceux qui ne sont pas "infâmes" mais qui ne sont pas non
plus les modèles dont nous aurions bien besoin... J'aurais mieux
aimé qu'il tire son chapeau à Vasile Murgaseanu, cet inspecteur
qui, malgré les menaces, vient de dénoncer les manigances
infâmes - (c'est le temps de parler d'infamie) - de la CSST son employeur.
Murgaseanu, c'est les jours qui rallongent. Trois comme lui, et on pourrait
recommencer à croire au printemps.
Joyeux Noël
Pierre JC Allard
* Le banc des punitions
** Les véroniques
*** Poing final
**** Le Prix Mengele
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