98.12.30
Strip-Tease
Vous connaissez cette histoire du tailleur peu scrupuleux qui vend au Roi,
à prix faramineux, un costume d'une étoffe superbe... mais
invisible aux incompétents ? Comme prévu, tout le monde et
le Roi lui-même s'extasient devant le tissu merveilleux - qui bien
sûr n'existe pas - de sorte que le Roi parade devant ses sujets, supposément
vêtu du costume magique mais en réalité nu comme un
ver... jusqu'au moment où un enfant qui n'a pas d'emploi a perdre
dise innocemment "le Roi est nu", au grand dam du tailleur et
à la courte honte des courtisans.
On me demande souvent quel est le talon d'Achille du système. Il
est visible, totalement vulnérable, et il n'exige pas pour qu'on
l'atteigne de violence ni de subtiles conspirations. Si vous pouvez regarder
un billet de banque qu'on vous offre, vous esclaffer et ressentir profondément
l'absurdité de faire quoi que ce soit pour ce bout de papier, vous
avez fait la moitié du chemin vers le salut. Si un nombre significatif
de gens en font de même, le Système vacille.
Si le consensus cesse, qui prête une valeur a 16 trillions d'argent
virtuel sur la planète qui ne représentent rien - et qui peuvent
devenir 17 trillions demain, par la volonté du FMI et des petits
copains - le Système crève. Comme le Mark de 1932, le Peso
argentin d'il y a dix ans et le Rouble de l'an dernier sont morts, quand
on leur a dit qu' ils étaient nus. Mais attention! Faire crever le
Système équivaudrait, pour nous tous, à scier la branche
sur laquelle nous sommes assis. Avant de dire "le Roi est nu",
il faut penser à une solution de rechange.
La solution de rechange, c'est un autre médium d'échange.
Quelque chose qui nous permette, à vous et à moi, de poursuivre
la division des tâches qui est la base de la société
en troquant votre travail contre le mien, le nôtre contre celui des
autres et vice-versa. Quelque chose comme de l'argent... Mais seriez vous
très étonné si on vous disait que le Système
est TRÈS hostile à l'idée de quelque chose qui puisse
être substitué à l'argent?
Beaucoup de gens essayent de temps en temps. On l'a tenté à
Vancouver, à Kingston... Je vous donne la formule, mais, si vous
tentez l'expérience, regardez bien des deux cotés avant de
traverser la rue...
1. créez un Secrétariat et invitez tous les sans-emplois à
s'inscrire (les autres aussi, d'ailleurs);
2 imprimez des "Crédits de solidarité" (CS) en précisant
bien que ce n'est pas de l'argent et que ça ne vaut rien;
3 distribuez la liste des membres avec leur profession à chacun de
vos membres;
4 distribuez aussi à chaque membre 100 CS identifiés à
son nom ou par un numéro de code;
5. invitez vos membres à requérir les services des autres
membres, les récompensant de 1 CS par heure de travail;
6. celui qui accepte des CS en récompense peut les échanger
au Secrétariat pour des CS à son nom;
7. nul ne doit donner plus de 20 CS sans en accepter au moins un, ni en
donner 50 de plus que ce qu'il a accepté;
8. celui qui ne respecte pas la règle ci-dessus est suspendu; on
peut savoir qui l'est en téléphonant au Secrétariat;
9. les commerçants même non inscrits peuvent accepter un paiement
total ou partiel en CS;
10. ces commerçants peuvent échanger ces CS au secrétariat
et en obtenir à leur nom qu'ils pourront utiliser ou donner en primes.
Si on évalue le salaire moyen à 13 dollars l'heure, la distribution
des CS à ses membres par le Secrétariat est l'équivalent
de prêter 1 300 dollars chacun à tous les inscrits pour acheter
les services des autres inscrits ou les biens des marchands qui acceptent
de collaborer au projet. C'est leur prêter cette somme sur la garantie
de leur capacité et de leur volonté de travail. La seule garantie
qu'ils possèdent.
C'est une garantie dont le Système ne veut pas tenir compte. Pas
seulement parce qu'il n'y a pas de "demande effective" pour les
services que peuvent rendre les travailleurs sans emploi - (comprendre:
ceux qui ont de l'argent ont déjà ces services et les autres,
on s'en fout.) - mais, surtout, parce que permettre aux "pauvres"
de payer ces services avec leur travail aurait un effet inflationniste et
appauvrirait un peu les gras-dur du système.
Tout ce que chacun peut faire pour contrer cette mauvaise volonté
du Système est un beau geste qui met à nu les "rois"
qui nous exploitent. C'est aussi une épine au flanc de la Bête
et donc un geste courageux. Pourquoi ceux qui peuvent le faire - comme les
syndicats, par exemple - ne posent-ils pas ce geste qui créerait,
sans aucune mise de fonds, un véritable Fond de solidarité
?
Bonne année
Pierre JC Allard
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