99.01.06
Résolution
C'est le moment de l'année où beaucoup se croient obligés
de s'engager à faire ce qu'ils n'ont jamais fait; pour d'autres,
c'est le moment de vérifier si leur prochain va continuer à
faire des bêtises. Il y a trois jours, un ami m'a demandé si
je persisterais longtemps à écrire sur l'internet des textes
qui prônent la justice sociale, des textes de réflexions qui,
m'a-t-il dit, ne peuvent intéresser que "les 'perdants' qui
ne lisent pas, ne réfléchissent pas et n'ont pas l'internet".
Si au moins, a-t-il ajouté, tu "montais aux barricades"...
Ouff ! Un point pour l'ironie, deux de perdus pour la condescendance...
mais n'est-ce pas vrai que j'ai l'air de prêcher la vie végétarienne
dans un congrès de bouchers? Pourquoi, est-ce que je me donne la
peine de le faire? Pourquoi et pour qui ? 69 % des Québécois,
il y a quelques semaines, étaient d'accord avec les bombardements
américains sur l'Iraq; le même pourcentage qu'aux U.S.A ! Il
est clair que message ne passe pas. Pourquoi VOUS donnez-vous la peine de
me lire et sans doute de lutter vous aussi pour un monde meilleur? Nous
sommes si peu nombreux...
Je pense que, vous comme moi, nous sommes bien conscients qu'il n'y a qu'une
infime minorité de ceux que notre société exploite
qui pensent à un changement. Je le regrette, mais est-ce une raison
pour laisser tomber? Je ne crois pas. Je pense, au contraire, que c'est
toujours ainsi historiquement que les choses se passent. Ce n'est pas par
les exploités que les changements arrivent; ils ont trop à
faire pour survivre et, de toute façon, ceux qui n'ont pas le pouvoir
ne peuvent ni le prendre ni rien changer.
Quand le changement survient, c'est toujours parce que des "gagnants",
au lieu de rafler leur part de la mise, décident de ne plus jouer
le jeu mais de jouer plutôt à changer le jeu. Le changement
doit venir de ceux, pauvres ou riches, qui lisent et qui réfléchissent
et qui aujourd'hui ont l'internet. Bien sûr, la majorité des
gagnants ne veulent pas que les choses changent; pourquoi changer les règles
d'un jeu auquel on gagne ? Mais il y a des exceptions...
Il y a trois (3) sortes de gagnants qui prennent ainsi sur eux de mêler
les cartes et de lutter pour une nouvelle donne : a) ceux qui, ayant déjà
tout, choisissent le raffinement de l'altruisme, b) ceux qui, n'ayant rien,
saisissent l'occasion que les circonstances leur accordent et créent
un jeu qui leur plaît, et c) ceux qui estiment ne pas recevoir leur
juste part du butin.
Le premier groupe, c'est celui des "despotes éclairés"et
des philanthropes: Saint-Louis, Carnegie, Soros... Langlois ?. C'est fou
ce qu'un homme de pouvoir peut faire à un système quand ça
l'amuse de faire du bien! Le deuxième groupe, c'est celui des Bonaparte,
des Castro, des Lévesque... de Dumont? Le troisième groupe,
de loin le plus large, recouvre ceux qui, même déjà
riches et puissants, sont néanmoins encore plus ambitieux, audacieux,
astucieux... Il y a toujours des Lafayette et des Mirabeau dans toute révolution.
Ce sont ces trois groupes que nous visons, vous et moi, quand nous prêchons
le changement. Il faut cibler ces trois groupes de gagnants-réformateurs
potentiels et leur fournir des armes, parce que ce sont eux qui, ensemble,
forment un mélange détonant. Il faut fournir des idées
à ceux qui ont le pouvoir, l'occasion et l'intérêt de
prendre le risque du changement. Ceux qui n'on pas l'internet et ne lisent
pas ne s'intéresseront au changement que plus tard, quand il commencera
à pleuvoir.
C'est pour ça que vous et moi ne devons pas renoncer à formuler
des idées de réforme qui soient stimulantes pour les idéalistes,
d'autres idées- ou parfois les mêmes - qui soient populaires,
et donc propices aux hommes de charisme... et que nous ne devons jamais
oublier que l'implantation de chacune de ces idées doit ménager
un espace où ceux qui ne pensent qu'à leur intérêt
trouvent aussi leur intérêt, car l'égoïsme est
un facteur à ne pas négliger.
Il y a des temps où l'on demande des volontaires sur les barricades,
et j'ai beaucoup de respect pour ceux comme Duhamel et son groupe qui ont
bloqué la Bourse pour dénoncer l'AMI, ou ceux qui ont été
malmenés au Peppergate de Vancouver. Mais, il y a toujours aussi,
avant les grands changements, des gens qui écrivent; ils jouent un
rôle utile, car, quand la bagarre commence, il vaut mieux avoir quelques
ébauches de solutions de rechange à portée de la main
plutôt que de rédiger des réformes sociales sur un affût
de canon ou une table de taverne. C'est pour ça que nous devons être
résolus à continuer à proposer des solutions
J'ai déjà dit que les idées que j'émets sont
à qui voudra les prendre; il y en a quelques unes, d'ailleurs, qu'on
a prises et qui commencent à avoir une belle carrière; j'en
suis heureux. Et je vais continuer. Ma résolution, pour 1999, c'est
de terminer avant la fin de l'année un projet de société
qui tienne la mer. Je ne crois pas que ce projet devienne un best-seller;
mais je pense qu'il y aura des amateurs pour monter dans l'arche... quand
il commencera sérieusement à pleuvoir.
Pierre JC Allard
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