97.11.05


LE BANC DES PUNITIONS

"3 000 Irakiens défilent à Baghdad et brûlent des drapeaux américains..." Il faut vraiment que ce pays soit exsangue et à genoux pour qu'il n'y en ait pas 300 000... Il faut vraiment que ces gens soient bien pacifiques - ou, plus probablement, à bout de souffle - pour qu'ils se limitent à brûler des drapeaux. Il faut que nous soyons bien apathiques - et bien domestiqués par une campagne inlassable de désinformation - pour que nous n'ayons pas au moins une grande sympathie pour ces gens qu'on a floués, écrasés sous les bombes, traités comme des cobayes pour l'essai de nouvelles armes, accusés de tous les crimes, volontairement affamés depuis 6 ans ... pour une poignée de dollars.

Dumont l'a dit, dans un livre écrit juste après la Guerre du Golfe: "Cette guerre nous déshonore". Nous, c'est notre civilisation occidentale sous gérance néo-libérale. Car il serait odieux de penser que seuls les "Américains" sont coupables. À Paris, à Londres, à Montréal..., nous somme tous partie prenante de cette horreur qui dure depuis 6 ans.

Que s'est-il passé, au juste, en Irak? Au départ, un pays plus moderne. plus progressiste que ses voisins: l'Irak. Son chef ? Saddam Hussein est, disons... semblable à ceux qui l'entourent; il n'y a pas d'enfants de choeur dans les présidences du Moyen-Orient. Mais Hussein est, à l'époque, marginalement plus acceptable aux USA que ses voisins Iraniens intégristes, de sorte qu'on ne se prive pas de l'aider à en tuer quelques uns. Pendant 8 à 9 ans. 100 000 enfants parmi les morts.

Pendant cette guerre entre l'Irak et l'Iran, il faut surtout retenir que le pétrole ne sort plus d'Iran. Une bénédiction pour les autres pays producteurs de pétrole... et les compagnies pétrolières, bien sûr. Car il y a trop de pétrole disponible, les prix chutent. Le système économique mondial ne fonctionne que si au moins un des producteurs de pétrole est au banc des punitions. Le premier mauvais garçon, c'est l'Iran. Mais est-ce assez ?

Apparemment non, puisque, suite à une conversation avec l'ambassadeur des USA, Hussein se sent encouragé à occuper le Koweit, un territoire qui a fait partie de l'Irak depuis des millénaires, mais dont les intérêts britanniques ont fomenté la sécession il y a quelques années pour mieux en contrôler la production. En pétrole à l'hectare, on ne fait pas mieux que le Koweit, de sorte que l'union du Koweit à l'Irak permettrait de financer les progrès de l'Irak, alors que l'argent du pétrole Koweitien - des dizaines de milliards de dollars - ne sert, c'est de notoriété mondiale, qu'à financer les outrances d'une seule famille princière.

Vas-y Saddam...! Mais c'était un piège.  L'Irak bien engagé au Koweit, c'est la campagne de l'indignation mondiale qui commence. On compare Hussein à Hitler, les princes Koweitiens deviennent les victimes et une force internationale de 500 000 soldats va parader dans le désert avec couverture médiatique bien contrôlée, pendant que les avions américains réduisent à néant, en bombardant l'Irak à plaisir, le travail et les espoirs de toute une génération irakienne.

Deuxième acte, on "libère" le Koweit. Remarquez que personne n'a demandé à la population koweitienne si elle ne préférerait pas devenir irakienne plutôt que de retourner à ses princes milliardaires pour lesquels elle n'a jamais voté. On libère et - surprise! - tous les puits de pétrole du Koweit sont incendiés. La faute des Irakiens, qu'on nous dit... sauf que ça fait aussi flamber les prix du pétrole. Quand je vois une saloperie quelque part, j'ai tendance à regarder d'abord à qui elle profite. Ici, ce ne sont pas des Irakiens qui en profitent: ce sont les compagnies pétrolières.

Troisième acte, l'armée internationale qu'on a déplacée à grand frais pour écraser Hussein... décide subitement de tourner bride et de ne pas prendre Baghdad alors qu'il ne reste plus de défense organisée devant elle. Généreux, n'est-ce pas? Sauf que si on avait abattu Hussein, il aurait fallu aider son successeur démocratique et laisser l'Irak exporter son pétrole. Avec Hussein toujours en place, et à blâmer pour n'importe quoi, on peut interdire à l'Irak d'exporter son pétrole et régulariser les cours. On fait aussi mourir de malnutrition quelques millions d'Irakiens, mais la démocratie avant tout, n'est-ce pas?... Et demain, il est déjà clair que ce sera le Nigeria ou le Venezuela au banc des punitions.

Un jour l'Histoire dira du bien de cette poignée d'Irakiens affamés qui ont encore la force de protester dans les rues de Baghdad et elle indiquera, pour qu'on puisse aller y cracher, où sont les tombes de ces salopards qui font la politique du pétrole. Mais nous n'en resterons pas moins déshonorés.



Pierre JC Allard




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