98.12.16
TIENS, SI ON VIRAIT LE CONCIERGE....
Quand les peuples s'ennuient, il n'y a pas qu'une révolution
pour les amuser. Il y a les guerres, les famines, les ouragans, voire les
Jeux du Cirque. Tout ce qui est méchant peut distraire le peuple.
Faute de mieux, on peut toujours congédier les domestiques. Laissons
dormir un instant notre petite satrapie québécoise (si loin
dans les marches de l'Empire...) et allons au coeur du problème:
à Washington. Il se passe des choses dans la Capitale qui vont avoir
un impact sur tous les colonisés. Les Congolais, les Québécois,
les Japonais, les Américains...
Les Américains aussi? Colonisés? Mais oui, bien sûr;
quand on parle de colonisation, aujourd'hui, ce n'est pas un peuple qui
en opprime un autre, c'est une certaine classe qui exploite toutes les autres
et qui opprime les Blancs comme les Noirs, les Jaunes comme les Bruns. Oh,
il y a tout de même plus d'exploiteurs aux USA qu'au Bangladesh; mais
le système est global et il y a des exploiteurs de toutes les nations.
Le directeur du Fond monétaire International (FMI), par exemple -
celui qu'on pourrait considérer comme le coordonnateur en chef de
l'exploitation - est un Français...
Il ne faut pas penser "Amérique" quand on accuse le
Système, mais le FMI est à Washington. Washington est une
siège social commode pour le Système. C'est à deux
pas de Wall Street où on se distribue la richesse, des Nations-unies
où on écoute les doléances des manants, du CIA qui
surveille le jeu, du Pentagone qui manie la trique... et de la Maison Blanche
où règne Bill Clinton, le Grand Pontife de la Démocratie.
Bill, qu'on prétend l'homme le plus puissant de la planète,
mais qui n'est, en fait, que le concierge de la Maison USA. Celui qui fait
aux USA ce que font, dans chaque pays, les autres concierges qu'ont le droit
de se choisir les aborigènes pour administrer l'éducation,
la santé, les services et autres babioles, pendant que le Système
conserve la possession tranquille de la richesse et du pouvoir par la création
de monnaie réelle ou virtuelle et le contrôle des taux d'intérêts.
Pour l'argent, le Système ne s'en remet pas aux concierges. Dans
chaque pays, un organisme s'en occupe qui ne rend vraiment de comptes qu'aux
institutions financières et qui constitue un maillon d'une structure
globale que coiffe le FMI. Aux USA, c'est la Federal Reserve Bank; au Canada,
la Banque du Canada; en Europe, une nouvelle banque centrale, indépendante
des pouvoirs politiques.
Ne touchez pas au grisbi mais, pour tout ce qui n'entrave pas la concentration
de la richesse entre les mains de ceux qui ont le pouvoir, les gouvernements
élus peuvent normalement faire tout ce qui leur plaît. Les
aborigènes ont le droit de choisir le concierge comme ils l'entendent,
et Firmin peut tondre la pelouse, vider les cendriers, battre les tapis....
Un bon concierge sait ce qui est de son ressort: tout ce qui fait plaisir
au peuple mais sans modifier la distribution de la richesse. La distribution
de la richesse, c'est du ressort du propriétaire.
Bill qui est un concierge populaire - et donc exemplaire, puisque c'est
tout ce qu'on demande d'un politicien - vient de recevoir un premier avis
de congédiement. Bizarre, car il n'a pas empiété qu'on
sache sur les prérogatives des vrais dirigeants et le fait que Clinton
ou un autre soit président ne modifiera pas d'un iota la politique
américaine. Alors, pourquoi virer le concierge? Pourquoi même
menacer de le faire? C'est là que ça devient intéressant.
Parce que s'il est sans importance qu'un quidam ou son voisin soit Président
des USA, la destitution ou même la menace de destitution d'un président
est une opération choc sur la psyché des aborigènes.
La vraie question, c'est: "Pourquoi le Système veut-il leur
administrer ce choc?" Il n'y a que deux explications possibles....
La première, c'est que la menace de destitution de Clinton, correctement
médiatisée, va produire une chaîne de variations brutales
en dents-de-scie des marchés boursiers. Ceux qui vont connaître
d'avance les péripéties du psychodrame de la destitution vont
pouvoir gagner sur toutes les hausses et sur toutes les baisses du marché.
Gagner des sommes qui dépassent la raison. La plongée/remontée
de Wall Street, entre juillet et décembre 1998, a déjà
permis que des centaines de milliards de dollars changent de mains; pourquoi
ne pas faire durer le plaisir ...?
"Il démissionne demain " - va dire la rumeur publique,
amplifiée par les journaux à la solde du Système....
et le Dow-Jones va perdre 5%. "Jamais je n'abandonnerai ! "-
annoncera le Concierge le jour suivant et, - les médias ajoutant
que trois Républicains se rallient finalement au pauvre bougre -
la bourse montera de 6 % !
Encore une fois ? Allez, hop ! Une jeune mexicaine annonce que Bill
lui a touché les nichons et le Vice-président Gore déclare
que, si la chose est vraie, lui même se dissocie du président,
une déclaration qui entraîne une baisse de 10% des marchés.
Mais, le lendemain, la jeune mexicaine avoue qu'elle a menti et a été
soudoyée pour le faire par Gingrich lui-même, ce qui amène
cinq sénateurs républicains à changer de camp et à
proclamer que Clinton est une victime innocente, permettant que le Dow-Jones
franchisse enfin la barre des 10 000...
Est-ce qu'il y a encore un innocent sur cette terre qui pense que tout
ce cinéma à Washington a quelque chose à voir avec
la vie sexuelle de Clinton? Ou avec le fait qu'il ait "menti"?
(Comme si l'on pouvait faire une carrière politique - ou défendre
les intérêts d'un État - en ne disant que la vérité
!) En réalité, seuls les spéculateurs veulent croire
que d'autres spéculateurs y croient et, en bout de piste, seuls sortiront
sans nausée des montagnes russes de Wall Street ceux qui auront toujours
su la veille ce qu'écriront les journaux du lendemain.
Dégueulasse? Et pourtant, le scénario des montagnes russes
boursières est le "meilleur" scénario. Le pire scénario,
c'est celui dont j'ai déjà parlé*: que le vaudeville
Lewinsky cache une vraie saloperie que le système va nous faire passer
en douce pendant que les badauds fantasment sur les cigares du concierge
libidineux et discutent de sa sortie. Que se trame-t-il dans les vrais couloirs
du vrai pouvoir ? Une fabuleuse arnaque... ou pire ? C'est ce que le monde
ordinaire va bientôt apprendre à ses dépens
Pierre JC Allard
* Les véroniques
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