98.12.09
RÛB-AL-KHAALI - (Ø)
"Avant que ne viennent les jours dont tu diras: je n'y ai point pris
de plaisir...." (Ecclesiaste)
"Cela dont on ne peut dire ni qu'il est, ni qu'il n'est pas, ni qu'il
est et n'est pas, ni qu'il n'est ni n'est pas..." (Upanishads)
Lawrence of Arabia s'était payé la tête de ceux
qui lui reprochaient de ne pas maintenir une certaine continuité
dans sa façon de rendre les noms de lieu arabes dans son bouquin,
leur rappelant que chaque phonème arabe se situait à peu près
à égale distance de deux ou trois phonèmes anglais
et qu'il ne faisait, lui, que reproduire au mieux ce que tous ces Arabes
avaient dit, parlant tous des mêmes endroits mais avec des intonations
différentes et sans se soucier de comment ces Anglais infidèles
voudraient bien l'entendre... Ce qui me rappelle G.B. Shaw, expliquant
que "fish", en anglais, pourrait s'écrire "ghoti"
en prononçant "gh" comme dans "enough", "o"
comme dans "women" et "ti" comme dans "nation"...
Vous êtes toujours là? Bravo! Vous vous demandez pourquoi
je vous assome de quatre (4) citations en un paragraphe, après avoir
écrit 4 megs de textes sur ce site sans trop en abuser? Et pourquoi
ces citations qui n'ont l'air de mener à rien? Justement,
c'est ça l'astuce. Je suis en train de vous parler de RIEN. De vous
entraîner a résister au vide, comme une vraie capsule de la
NASA. Résister au vide, ça va devenir un facteur de survie
pour ceux qui s'intéressent à la politique de chez-nous.
Roub-el-Ghali veut dire "espace vide" en arabe et le bidule en
question est au Tan-ez-rouft - (qui veut dire "lieu où il n'y
a rien" en Tamachek!) - ce qu'est le Sahara à un jardin fleuri.
Le Rob-il-Caly est vraiment la quintessence du désert. Or, quelque
chose me dit que le discours politico-social au Québec, au cours
des prochaines années, va avoir des airs d'espace vide: plat, avec
quelques tempêtes de poussières et des horizons qui n'en finissent
plus de mener à rien.
Attendons-nous à des discussions de clercs sur l'orthographe,
la syntaxe et la sémantique d'une question référendaire
qui ne sera finalement pas posée. Soyons prêts à un
simoum de citations, la plupart tirées de Milton Friedman ou d'Alain
Minc, qui auront en commun d'être toutes à coté des
vraies questions, prouvant, si besoin en était, qu'il ne suffit pas
d'être cultivé pour produire une récolte. En avant pour
la traversée du désert.
Comment parler d'une prochaine traversée du désert, quand
on a, juste derrière nous, 21 ans de stagnation économique
et qu'on a occupé nos quarante dernières annés a ergoté
sur un oui ou un non? Parce que, souvenons-nous, il y a 40 ans
que Rumilly a battu le rappel pour l'indépendance. C'est long,
40 ans. C'est le temps qui sépare l'ampoule électrique
d'Edison de la bombe atomique ou, plus joyeusement, Lindbergh de Neil Armstrong. On
peut en faire des choses en 40 ans.... Est-ce que ça peut vraiment
devenir plus aride que ce qu'on ne fait pas depuis une génération,
alors qu'on était si bien parti en 60, en 67, en 76 ? Eh oui,
hélas, c'est possible; c'est ça l'espace vide - le "ø"
des mathématiciens - le Raub-hil-Quali dans lequel on s'est foutu
aujourd'hui avec des élections qui ne portent aucun message, le désert
qu'on peut prévoir et qui va faire paraitre presque verdoyant ce
qui a précédé!
Parce que le PQ, élu sans faire de vraies promesses autres que de
continuer... va continuer. Continuer à saboter la Santé, à
oublier l'Education, à ignorer la Justice. Le PLQ - qui est en fait
d'accord avec le PQ sur tout, sauf sur le choix d'un Premier ministre et
la souveraineté ! - va nous en mettre plein les oreilles de rhétorique,
mais rien d'autre. De sorte que, bien en file derrière leur dromadaire
de tête respectif, nos deux caravanes partisanes, la bleue et la rouge,
vont pouvoir marcher lentement, en parallèle, indéfiniment,
vers n'importe où et nulle part et en évitant toute remise
en question.
Oh, de temps en temps, ils vont se cracher au visage; c'est dans la nature
du chameau et ça fait partie de la description de tâche d'un
méhari charismatique... mais les caravanes ne changeront pas de trajectoirre.
Ici et là une oasis: "le déficit 0 est atteint"...,
"1% de moins de participants à la main-d'oeuvre" (on dira
moins de chômeurs, ça paraît mieux).... mais ce n'est
pas ça qui nous enlèvera la soif. Ce n'est pas ça qui
nous mènera ailleurs que nulle part et qui fera que la génération
qui nous suit pensera qu'on a servi à quelque chose.
Ça pense à quoi, un chameau qui mâchouille en se tapant
ses 30 km par jour vers nulle part dans les sables du non-changement? A
nos problèmes? A des innovations? A l'avenir? Non,
non, ça, ce sont les mirages, les faux-pas à éviter,
les idées, lesquelles, comme on sait, sont la gale du chameau.
Dans le désert du "tout va bien", la priorité c'est
de trouver la manière d'écrire Rew-Ball-Kelly qui plaira à
tout le monde et aux Anglais. Mais, à trop changer, on finit
par perdre le sens initial. Comme le sens de l'indépendance, par
exemple. Dites oui, dites que c'est bien ça, même si ça
ne ressemble plus à rien, et au diable les chiens qui aboient.
Au diable les chômeurs, les jeunes, les malades: les caravanes passent.
Ce qui me rappelle une autre citation, pour terminer, de Bernanos. "Vous
avez mis les peuples au collège. On s'ennuie dans vos collèges;
les révolutions sont nos vacances".
Pierre JC Allard
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