98.12.02
LES CONDITIONS GAGNANTES
Comme bien d'autres, j'ai été étonné le
soir des élections. Étonné, d'abord, qu'on ne nous
annonce pas la mort du commis-voyageur; que le vote libéral n'ait
pas plongé sous la barre des 40 % et que Jean Charest, qui était
arrivé d'Ottawa sans programme, sans idées et se présentait
sous un parti d'emprunt, n'ait pas été renvoyé sur
ses terres avec armes et bagages, c'est à dire sa gueule et son bagout.
Au contraire, les Québécois lui ont accordé une pluralité
des voix. Dans un régime présidentiel à un tour, nous
aurions confié notre destin à Jean Charest.
Qui en aurait fait quoi? C'était quoi la pensée de Charest?
Améliorer les services, baisser les taxes, payer la dette? Pas très
original.... Heureusement, en trichant sur le vote par le truc des comtés
inégaux, nous avons élu Bouchard ! Mais, au fait, c'est quoi
le programme de Bouchard? Améliorer les services, baisser les taxes,
payer la dette... et faire l'indépendance. Sauf que l'indépendance,
Lucien vient de nous dire après les élections qu'il ne la
fera pas. Du moins, pas tout de suite.
Si nous avons des lendemains qui chantent, quelque chose me dit que
ce sera un air que nous connaissons. Parce que si nous n'avons comme projet
de société que les mêmes platitudes qu'on nous a servies
à la dernière élection et à l'autre avant, il
faut être bien optimiste pour penser que nous allons vivre autre chose
que ce que nous vivons depuis... disons, une vingtaine d'années.
La même grisaille médiocre, la même stagnation. Enthousiasme?
Changements? Connais pas...
Il ne s'est rien passé de significatif au Québec pour
remettre les pendules à l'heure depuis le premier référendum.
Toutes les structures sociales et politiques spécifiques qui nous
encadrent aujourd'hui découlent d'une activité créatrice
fébrile qui s'est manifestée entre 1976 et 1980. Le premier
mandat Levesque. La première équipe du PQ. La deuxième
vague de la Révolution tranquille. Tout ce qu'on n'avait pas fait
sous Lesage et dont on parlait depuis 12 ans a été mis en
place sans plus attendre en 1976. Mais après..... la sieste. Le Québec,
depuis 1980, hiberne en attendant la prochaine équipe du tonnerre.
En attendant la naissance d'un nouveau parti, un nouveau clivage des
opinions selon d'autres lignes que celle du débat sur l'indépendance,
des hommes nouveaux ayant la légitimité de NE PAS avoir été
des politiciens durant cette misérable décennie de stagnation
économique politique et sociale. Un nouveau parti qui véhicule
des idées neuves, des réformes... l'avenir. C'est ça,
les conditions gagnantes pour le Québec.
Une crise chronique sans solution, un cynisme pur et dur envers les
politiciens actuels, une morosité abyssale face à un avenir
bouché, les conditions sont aujourd'hui réunies qui favoriseraient
l'émergence d'un nouveau parti. Mais les Québécois
ne se partagent pas efficacement autrement qu'en deux camps: pour qu'un
nouveau parti puisse prendre le pouvoir, il faudrait qu'un parti qui a donné
ce qu'il avait à donner disparaisse, comme les conservateurs sont
morts pour que naisse l'Union Nationale et que celle-ci est morte pour que
naisse le Parti Québécois. Le problème - ou l'espoir
- aujourd'hui, c'est que les DEUX partis qui occupent l'échiquier
sont moribonds.
Le Parti libéral est à mourir de ne pas avoir de pensée
politique, de ne se définir que par ce qu'il n'est pas, d'être
si insignifiant, au sens littéral du terme, qu'il doit s'importer
un chef pour se donner une image. Le Parti Québécois se meurt
de n'avoir pas su remplacer ses premiers objectifs sociaux et organisationnels
- qu'il a atteints- par de nouveaux rêves à réaliser.
Le PQ se meurt de ne plus être qu'une quête mise en veilleuse
d'une souveraineté que la transformation des vrais outils du pouvoir
dans le monde rend maintenant purement symbolique.
Nos deux partis principaux sont devenus si semblables que ces frères
siamois pourraient nous faire le plaisir de mourir ensemble, mais n'y comptons
pas trop: quand un nouveau parti naît pour incarner le changement,
il est normal que ce qui reste de frileux dans la société
se réfugie sous une vieille couverture. A défaut de débarrasser
le plancher tous les deux, lequel des deux partis va nous rendre le service
de trépasser? Et pour être remplacé par qui et par quoi?
Si Charest s'était vraiment effondré et nous avait quitté,
le scénario aurait été simple. L'ex-jeune libéral
Dumont aurait pu être appelé à la barre d'un nouveau
"Parti d'action libérale démocratique" et aurait
eu 4 ans dans l'opposition avec la légitimité de représenter
près de 60 % de la population, lui permettant de mûrir lentement
sous la lumière et de prendre le pouvoir en 2003. Mais Charest ne
s'est pas effondré.
Rien ne dit que Dumont ne sera pas là malgré tout la prochaine
fois, ayant grandi en âge et en sagesse, mais il semble difficile
de penser que l'ADQ entretiendra la ferveur de ses partisans pendant toutes
ces années si elle ne projette pas rapidement l'image d'être
LA solution de rechange. Les conditions gagnantes pour l'ADQ, ce serait
qu'une scission au sein de l'un des deux autres partis lui apporte des députés,
une structure, un vrai cheval de bataille... qui sera celui qui aura servi
de motif à la scission. Cette fracture d'un des deux grands partis
en sa faveur est nécessaire à l'ADQ, comme la création
de l'Action Libérale a été nécessaire pour donner
sa chance à l'Union Nationale en 1936, comme le départ de
Levesque du Parti Libéral était indispensable pour que le
mouvement indépendantiste puisse devenir le Parti Québécois
et prenne un jour le pouvoir. Rien, aujourd'hui ne laisse prévoir
une telle scission.
Et si ce n'était pas l'ADQ? Il faudrait peut-être regarder
dans cette soupe alphabet des partis minuscules dont la découverte
a été pour moi la deuxième surprise de cette élection.
BP, LN, ML, PCQ, PDS, PE, PIQ... Il y a tout de même près de
75 000 Québécois qui, sans aucun espoir de gagner, ont pris
la peine de sortir dans le froid et/ou la neige et de faire la queue pour
passer le message qu'ils ne voulaient RIEN savoir des partis traditionnels.
Supposons un instant que ces milliers d'électeurs ne soient pas tous
des imbéciles ou des plaisantins... Ne vaudrait-il pas la peine de
touiller un peu cette soupe, histoire de voir s'il n'y flotte pas quelques
idées ?
Les conditions gagnantes pour le Québec de demain, c'est peut-être
Dumont, peut-être un groupuscule inconnu, peut-être un homme
- ou une femme - qu'on ne soupçonne même pas aujourd'hui de
visées politiques, peut-être quelqu'un qui claquera la porte
d'un des grands partis en emmenant avec lui ceux qui s'ennuient... Tout
ce dont nous sommes sûrs, c'est que ce sera autre chose que la ritournelle
médiocre qu'on nous fait fredonner depuis une génération
et dont les élections récentes ne nous ont permis que de choisir
celui qui en battra la mesure.
Pierre JC Allard
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