Ephémère reine de France « qui rendait contents tous ceux qui la
voyaient », la veuve de François II n'avait que dix-huit ans quand elle
regagna son royaume d'Ecosse déchiré par les guerres religieuses et les
ambitions. Très belle, généreuse, courageuse, mais impulsive, imprudente,
ballottée par ses sens, elle fut perdue par son besoin d'amour et de
protection. C'est la passion amoureuse qui l'aveugla au point de se
discréditer et de déchaîner une insurrection en épousant Bothwell, le
meurtrier de son deuxième mari, le vaniteux Darnley. C'est le besoin de
protection ou la candeur qui la conduisit, en 1569, à chercher refuge auprès
de sa cousine la protestante Elisabeth Ière, détentrice d'une couronne
d'Angleterre à laquelle Marie, petite-fille de Marguerite Tudor, pouvait
prétendre. Pendant dix-neuf ans, jusqu'à sa décapitation, la reine d'Ecosse
sera traînée de prison en prison. C'est alors que, touchant le fond de la
détresse, perdant l'espoir de redevenir une amante, une épouse, une mère,
elle trouva dans l'orgueil dynastique la force de lutter contre le désespoir.
Elle se comporta en reine catholique intransigeante dont les persécutions
transfigurèrent l'image. Son martyre effaça ses faiblesses de jeunesse et,
quand lui fut signifié son arrêt de mort, elle fit de son supplice, sous le
signe de la foi catholique et du caractère sacré des rois, un chef-d'œuvre
grandiose destiné à montrer à l'Histoire, face à Elisabeth Ière, qui était la
vraie reine. |
« Depuis qu’elle arriva en France à l'âge
de six ans, les hommes révèrent de cette femme enchanteresse, muse, sainte et
martyre pour les uns, monstre infernal pour les autres. » Philippe Erlanger, « Marie
Stuart » |
Marie Stuart: Biographie |
Reine au berceau : Naissance de Marie, ses premières années en
Ecosse 1542 – 1548 Le 8 décembre 1542, au château de
Linlithgow, près d’Edimbourg, la reine d’Ecosse Marie de Guise-Lorraine, met au
monde une fille. Elle est bien soucieuse, la pauvre reine. Elle vient de
perdre deux fils florissants, emportés tout jeunes par un mal mystérieux où
elle soupçonne la main des nobles écossais, irrités par les rudesse de son
mari, le roi James V, le beau cavalier qui, quatre ans plus tôt, était allé
la cueillir, toute jeune veuve du duc de Longueville, à la cour des Valois.
Au moment où elle met au monde l’enfant qui sera Marie Stuart, elle est
rongée par l’inquiétude au sujet de son mari. Il vient d’être battu à Solway
Moss par les Anglais d’Henri VIII, ayant été, sur le champ de bataille, au
moment décisif, trahi par sa noblesse factieuse. Il se réfugie au château de
Falkland, miné par la fièvre, douloureusement hanté par les fantômes de ses
ancêtres, tous morts par la violence, James I, James III assassinés, James
II, James IV tombés sur le champ de bataille. En apprenant la nouvelle de la
naissance de la petite Marie, désespéré de ne pas laisser de descendant mâle
légitime, alors qu’il avait eu sept bâtards avant son mariage, et prévoyant
le sort de la future reine – à qui il lègue un royaume déchiré par la
révolution et par la guerre, par les querelles religieuses et les haines
féroces des clans, où la noblesse est, en majorité, hostile à sa race, et le
peuple en partie détaché de sa dynastie par le protestantisme, de plus en
plus envahissant – il dit tristement, faisant allusion à l’origine de la
couronne royale d’Ecosse, apportée à un de ses lointains ancêtres Walter
Stuart par Marjory, la fille de Robert Bruce : « Par fille elle
est venue, par fille elle s’en ira. » Et, six jours plus tard, il
meurt solitaire, sans avoir revu sa femme ni sa fille. 1548 – 1559 La princesse n’a pas encore tout
à fait six ans. C’est une robuste et jolie fillette aux cheveux dorés, qui
est de vue tout à fait plaisante. Son frère bâtard James Stuart, qui est âgé
de quinze ans, et quatre filles de son âge, appartenant au meilleures
familles du royaume, quatre Maries, l’accompagnent, sous la haute
surveillance de lady Fleming, sa gouvernante, et de Janet Sinclair, sa
nourrice. Elle paraît appelée à un brillant avenir : reine couronnée
d’Ecosse, son mariage la fera, par surcroît, reine de France. Et par la filiation
de son père, fils de Marguerite Tudor, fille de Henri VII et sœur de Henri
VIII, elle a des droits éventuels à la couronne d’Angleterre. Aux côtés de
l’ambassadeur M. de Brézé, envoyé en Ecosse pour accompagner Marie en France,
le poète Joachim du Bellay représentait la Muse française. Et, alors, commence pour Marie une vie
de rêve : Les quatre Maries ayant été mises au couvent, la jeune
dauphine est placée sur pied d’égalité avec les enfants de France, elle
partage leurs jeux et leurs travaux, elle a les mêmes maîtres. Elle révèle un
esprit prompt et avisé, elle se montre particulièrement apte au latin que lui
enseigne Amyot, et, à treize ans, elle prononce devant la cour un discours en
latin, fort bien tourné et qui émerveille les connaisseurs. Elle apprend
aussi le grec, l’italien. Ronsard et du Bellay corrigent ses premiers vers
français. Elle aime l’étude, mais elle aime plus encore le chant, la musique,
la danse, les toilettes somptueuses et les belles œuvres d’art ; quand elle
aura grandi, très tôt excellente écuyère, elle suivra passionnément les
chasses de la Cour. Son esprit s’affine dans le commerce précieux de
Marguerite de France, la sœur très cultivée de Henri II, et surtout dans
celui des grandes figures de la famille de sa mère de la lignée des Guises. A
les voir agir, à les entendre, du chef vénéré de la famille, Claude de
Lorraine, le héros de Marignan, jusqu’au fameux chef de guerre François le
Balafré, et Charles le futur cardinal de Lorraine, elle conçoit un idéal de
vie ardente et passionnée, d’ambition et de sagesse politique. Cet idéal
contrebalance, d’une certaine façon, le spectacle de ce qu’on appelle à
l’étranger « les licences de la Cour de Diane de Poitiers ou de
Catherine de Médicis », et pallie les influences fâcheuses que ces
cours exercent sur sa formation, en lui inspirant une ardeur excessive à
jouir de la vie et un penchant dangereux à se laisser aller aux plaisirs des
sens. Cinq ans plus tard, dans la joie
d’avoir vu les Anglais chassés de Calais et de France par l’oncle de Marie,
François de Guise, Henri II se résout à hâter le mariage des deux enfants
royaux. La cérémonie a lieu le 24 avril 1558, à Notre-Dame de Paris. Marie
est rayonnante de bonheur et de beauté dans sa robe semée de diamants et de
perles. Sous le lourd diadème qui lui meurtrit le front, le Dauphin fait
piteuse mine. Il parait malingre et blafard sous son pourpoint de velours,
mais si heureux que cela lui donne tout de même une sorte de beauté. Tout,
cérémonie, banquets, réjouissances qui suivent, sont somptueux à souhait. Une
seule ombre au tableau : Marie de Guise, la reine d’Ecosse, n’est pas
là – elle n’avait pu quitter Edimbourg, car l’anarchie et la révolution
y grondaient. Le soir, malgré sa fatigue écrasante, Marie prend le temps de
lui écrire qu’elle s’estime « la plus heureuse des femmes du
monde ». Malheureusement, elle ne devait pas le rester
longtemps ! En attendant que l’avenir lui
démontre les inconvénients de ce genre de complot, le présent la place devant
un fait précis qui amènera pour Marie une situation dangereuse d’où viendront
les premières difficultés de son règne : Henri VIII avait laissé, en
mourant en 1547, trois enfants – Marie Tudor, née légitimement de sa première
femme Catherine d’Aragon, Elisabeth dont la mère était Anne Boleyn et
Edouard, le fils de Jane Seymour. Edouard succéda à son père, mais il mourut
en 1553. Marie Tudor monta sur le trône après la mort de son frère, mais ne
vécut que jusqu’en 1558, et la grave question de la succession se posa :
des enfants directs d’Henri VIII, il ne restait plus qu’Elisabeth. Mais les
catholiques, n’ayant jamais voulu reconnaître le divorce du roi de sa
première épouse, avaient déclaré non valable son mariage avec Anne Boleyn et
illégitime la fille (Elisabeth) qui en était née. Henri VIII lui-même
l’avait, comme d’ailleurs sa fille aînée, déclarée illégitime. Il leur avait
bien rendu leurs droits à la mort de Jane Seymour, mais cette réintégration
n’avait aucune valeur aux yeux des catholiques. Pour eux, il n’existait
qu’une seule héritière légitime : MARIE STUART, descendante des Tudor
par sa grand-mère Marguerite. Celle-ci, fille de Henri VII, était devenu
femme de James IV, roi d’Ecosse, père de James V. Marie étant la fille de ce
dernier, ses droits apparaissaient incontestables aux catholiques, non
seulement d’Ecosse et d’Angleterre, mais de France et d’Espagne, qui étaient
fort inquiets des progrès du protestantisme en Angleterre, causés par le
refus du pape d’accorder à Henry VIII son divorce. Donc Marie devait, aux
yeux de la France, devenir reine d’Angleterre, et, sur l’ordre d’Henri II,
excité par le cardinal de Lorraine, les jeunes époux François et Marie
prirent le titre de roi et reine d’Angleterre et d’Irlande. Les armes
d’Angleterre se trouvèrent désormais partout dans leur chambre, leur
chapelle, leur garde-robe, leur vaisselle. Plus tard, Marie se fera appeler « Regina
Franciae, Scotiae, Angliae et Hiberniae » sur tous les documents. En fait,
l’opposition des catholiques n’empêcha pas Elisabeth Tudor de devenir reine
et d’être couronnée le 15 janvier 1559. Mais fort inquiète des prétentions de
Marie Stuart, elle se mit immédiatement, avec son ministre William Cecil, à
ébranler en Ecosse même la situation des Stuarts en soutenant les efforts du
presbytérianisme écossais et de son chef redoutable, le pasteur fanatique
John Knox.
1559 – 1561 Cet accident amenait prématurément le
jeune couple royal sur le trône. François avait quinze ans et Marie dix-sept.
Le sacre eut lieu à Reims, le 18 septembre 1559. Treize mois plus tard, le 5
décembre 1560, la jeune reine devenait veuve. [Visitez la section Sources Primaires pour lire de très jolies vers que Marie composa Sur la mort de François II]
Quand elle rentra dans le monde, après la claustration rituelle des quarante
jours, elle redevint tout de suite la proie des intrigues : Son oncle,
le Cardinal, songe dès maintenant à la remarier ; il songe à Don Carlos,
le fils de Philippe II, mais Catherine de Médicis, qui a pris le pouvoir en
mains comme régente pendant la minorité de son deuxième fils, Charles XI qui
a tout juste dix ans, s’emploie de toute son énergie à faire échouer ce
projet qui lui paraît dangereux pour la sécurité de la France. Elle montre
d’ailleurs à Marie qu’elle a cessé de l’intéresser et que sa présence est
indésirable à la Cour. Alors la jeune veuve quitte Paris en mars 1561 et va
se réfugier en Lorraine près de ses oncles. En plus, des émissaires
catholiques la supplient de revenir en Ecosse pour y prendre la tête du
mouvement de résistance aux presbytériens et aux Anglais. Elle a appris, en
quelques mois, assez de choses graves sur la situation de son pays natal pour
savoir que, si elle répond à leur appel, elle va au devant des pires
difficultés, mais elle a du sang des Guises dans les veines, est elle est
après tout reine d’Ecosse. Elle n’a plus rien à faire en France, et elle va
où son devoir la conduit. La Cour et ses
amis d’autrefois l’auront bientôt oubliée, seul les poètes français
continueront à la chanter, tel que Ronsard le fit à l’occasion de son départ
dans son élégie « Au départ » : Comment pourroient chanter les bouches des poètes, Et une dernière fois les poètes
de la « Pléiade » s’exclament en regrettant son
départ : Ce jour le même voile emporta loin de France Elle voguait vers un destin
cruel… Le 16 mai 1568, elle reprendra la mer, dans un bateau de pêcheur, pour
traverser la baie de Solway, mais, cette fois, en fugitive, chassée de son
pays, brisée, vaincue, venant solliciter, malgré les supplications de ses
derniers fidèles, l’hospitalité de sa plus grande ennemie, la reine
d’Angleterre. Elle aura donc régné, pas tout à fait sept ans, mais des années
tumultueuses, pleines d’événements et tragiques. 1561 – 1568 L’arrivée de Marie sur sa terre d’Ecosse
s’était faite avant la date et l’heure prévues, sans éclat. Ni escorte, ni
chevaux ne l’attendaient à Leith. A Edimbourg même, le peuple se montra
démonstratif et, le soir, un discordant concert de violons vint, lui
écorchant les oreilles, lui faire regretter les suaves musiques qu’elle avait
connues en France. Le château de Holyrood, sa résidence normale, était une
sorte de forteresse moyenâgeuse, maussade, surplombant sinistrement la masse
grouillante des maisons sans beauté qui garnissaient les flancs du rocher sur
lequel était bâti le château. Marie, en le voyant, pensa avec mélancolie aux
résidences royales de la Loire, ou au château de Saint-Germain. Mais cela
n’était rien par rapport aux autres désillusions qui l’attendaient… Elle ne se doute pas qu’elle va se heurter à la froideur impitoyable
d’une ennemie, à la fois embarrassée et heureuse de l’avoir en sa puissance,
et dès l’abord décidée à la faire disparaître de son chemin, où elle
représente un obstacle assez dangereux. Au lieu de la sœur escomptée et à
laquelle elle adressait un appel tellement touchant, elle trouvera en elle
une implacable geôlière qui lui fera attendre 19 longues années sa
libération, et cette libération sera la mort. 1568 – 1587 Quand elle
vient ainsi, par un coup de déplorable folie, chercher un refuge en
Angleterre, Marie a 25 ans. Elle a tant souffert pendant les sept terribles années
de son règne éphémère et tragique qu’elle n’a plus sa fraîcheur d’antan. Elle
reste pourtant infiniment séduisante et son âme, si abattue, si meurtrie pour
l’instant, ne demanderait qu’un signe favorable de la destinée pour reprendre
son élan. Il y a quelques jours à peine, quand le jeune Douglas l’a fait
évader de Lochleven, qu’elle a retrouvé quelques fidèles, elle a sauté
joyeusement à cheval J et galopé, ivre
de liberté et d’espoir dans l’air frais de la nuit. Son plus grand
défaut a été de trop avoir confiance en la bonté et la sincérité des autres,
ainsi les expériences désastreuses qu’elle a faites avec Murray ne lui ont
pas servi, encore qu’elles lui aient coûté sa couronne, elle montre la même
crédulité vis-à-vis d’Elisabeth et cela va lui coûter la liberté, en
attendant qu’elle y perde la vie. Elisabeth
restera toujours indifférente aux appels sentimentaux de Marie. L’étourdie
est venue se jeter dans ses griffes, elle ne la lâchera plus, la prudence lui
commande, pour elle-même et pour la cause du protestantisme, de la rendre
inoffensive – pour y arriver elle ne reculera devant aucun moyen, pas même la
suppression. Elle y est d’ailleurs poussée par son premier ministre William
Cecil, le futur lord Burleigh, qui avait, lui aussi, froidement calculé ce
que Marie représentait de dangers pour sa reine et pour l’Angleterre
protestante. Il avait conclu, comme sa souveraine, que Marie devait être
traitée en ennemie, et il va s’appliquer à couper court à toute velléité
d’humanité vis-à-vis de la Reine déchue. C’est ainsi
qu’il commence par dissuader Elisabeth de se prêter à l’entrevue que Marie
lui a demandée et qu’Elisabeth, peut-être par un mouvement de pitié humaine,
probablement par curiosité féminine, inclinait à lui accorder. Le 8 janvier
1568, Marie reçoit d’Elisabeth, qui a écrit sous la dictée de Cecil, une
lettre lui disant qu’étant données les accusations qui pèsent sur elle, elle
ne pourra, suspectes de crimes graves, être reçue par la Reine d’Angleterre,
tant qu’un procès n’aura pas démontré son innocence. En attendant, Elizabeth
refuse à Marie de se rendre en France et encore plus de retourner en Ecosse
où des lords fidèles à Marie ont levé une armée pour combattre Murray. Marie,
qui s’était d’abord insurgée contre l’idée d’un procès public, croyant, dans
son incurable naïveté, que la vérité pourrait en sortir, finit par s’y
résigner, et envoie à ses fidèles l’ordre de déposer les armes. En même
temps, elle multiplie les appels au secours à l’étranger, elle rédige un
mémoire justificatif aux princes chrétiens de l’Europe. [Allez
aux Sources
Primaires pour lire le sonnet
de Marie A la Reine Elisabeth] Cependant,
dans l’ombre, le procès se prépare avec l’aide du régent d’Ecosse. Avec les
documents fournis par celui-ci on prépare soigneusement le dossier de
noircissement. Pour prévenir tout danger d’enlèvement de Marie par ses
partisans, on l’éloigne de la frontière, et on la transfère, le 13 juillet,
dans la forteresse de Balton à 16 kilomètres de Manchester, dans le
Yorkshire. C’est, en l’espace de deux mois, le quatrième changement de
résidence qu’on lui impose : de Workington, son premier asile, elle est
passée à Cockermouth, puis à Carlisle. Enfin, le 4 octobre, une Conférence
préparatoire au procès s’ouvre à York, entre des commissaires anglais, des
commissaires écossais menés par Murray, et des représentants de Marie. Murray
fait entrevoir aux commissaires anglais les lettres de la cassette, sans leur
montrer, d’ailleurs, les originaux, et les Anglais concluent à la culpabilité
de Marie, avec toutefois une réserve : « si les lettres ont été
vraiment écrites par elle. » Le 18 octobre, Elisabeth fait
transporter la conférence à Westminster, pour pouvoir en suivre les débats
passionnés. Le 25 novembre a lieu l’ouverture de cette nouvelle conférence.
Malgré ses requêtes répétées Marie ne peut obtenir le droit de venir défendre
sa cause en face de Murray qui a pleine liberté pour la charger. La
partialité de Cecil est si scandaleuse que les représentants de Marie cessent
d’assister aux séances. Cecil et Murray ont, dès lors, licence complète pour
accabler l’accusée. Cependant, Marie force ses représentants à reprendre
l’offensive – avec le résultat que, le 11 janvier 1569, la conférence est
dissoute, aboutissant à un non-lieu, « des preuves suffisantes n’ayant
pas été produites, susceptibles de donner à la Reine Elisabeth une mauvaise
opinion de sa sœur ». En réalité, d’ailleurs, c’est l’absence
de la liberté de ses mouvements, le manque d’exercices physiques, le souci
moral qui lui pèsent alors plutôt que les privations et les vexations.
Celles-ci elle les connaîtra plus tard, surtout dans la dernière année de sa
captivité. Le château de Tutbury est glacial et Marie y attrape de douloureux
rhumatismes, elle a les jambes enflées et une insupportable douleur dans le
côté, ce dont elle se plaint à Elizabeth, mais elle y jouit d’un confort
incontestable et d’un traitement qui ne sent pas trop la prison. Elle a
encore avec elle neuf de ses femmes et une partie de son ancienne maison, en
tout cinquante personnes, et, en plus dix chevaux. Les revenus de son domaine
de France (1 200 livres) ne lui parviennent pas régulièrement. Elizabeth,
malgré sa sordide avarice, la fournit d’argent : 52 livres par semaine.
Si lady Shrewsbury est une mégère acariâtre, le lord, son mari, est courtois
vis-à-vis de la reine dépossédée, autant que ses fonctions le lui permettent.
On doit, d’ailleurs, en haut lieu, trouver qu’elle est trop bien traitée, car
elle est bientôt transférée à Wingfield, puis à Coventry, où elle est confiée
à la garde inhumaine de lord Hastings, comte de Huntingdon. Sur
l’intervention énergique de l’ambassadeur de France, elle est ramenée à
Tutbury, puis, au début de 1570, elle sera menée au château de Chatterworth,
où elle restera presque fin novembre. De là elle sera transférée à Sheffield,
elle y séjournera quatorze ans, jusqu’en 1584. Alors elle sera ramenée à
Wingfield, puis à Tutbury, puis dans le château de Chartley sous la
surveillance de nouveaux geôliers Paulet et Drury. Enfin le 25 septembre 1586
elle fut amenée dans une nouvelle prison, qui sera la dernière, le château de
Fotheringhay. Au total, au cours des dix-neuf années qu’aura duré sa
captivité, elle aura changé treize fois de résidence. Revenons, après cette anticipation, à
l’année 1569 : Par un phénomène curieux un mouvement assez net de
sympathie se dessine en Angleterre en faveur de Marie. Il se forme, en grande
partie, en réaction contre la politique anti-espagnole de Cecil, qui paralyse
le commerce anglais. Elisabeth en est troublée. Elle trouve que, dans ces
conditions, étant donnée la menace toujours possible d’une invasion espagnole
en Angleterre, étant donnée, par surcroît, la défaite éclatante des
protestants français à Jarnac, la présence de Marie en Angleterre pourrait
être pour elle-même la source d’ennuis fâcheux, et, un instant, elle semble
disposée à négocier avec Marie, à la libérer et à lui permettre de tenter de
reconquérir son trône. Des pourparlers s’engagent. Marie propose de renoncer
à réclamer la couronne des Tudor du vivant d’Elizabeth, à condition que, si
celle-ci mourait sans héritier, elle-même recueillerait de droit la
succession ; elle offre un pacte d’amitié entre l’Angleterre et
l’Ecosse, et enfin se déclare prête à amnistier les lords qui l’ont
renversée, à condition qu’ils lui rendent ses biens. Elle ne fait qu’une
réserve pour les meurtriers de Darnley, dont le châtiment s’impose, et pour
elle-même elle réclame le droit de divorcer d’avec Bothwell. Elizabeth
demande, en contrepartie, que Marie
garantisse l’intégrité de l’existence et des droits de la religion
protestante, prenne l’engagement de ne jamais céder ses droits au roi de
France, et accepte la transformation du pacte d’amitié qu’elle a proposé en
une ligue offensive et défensive formelle. Marie accepte le 15 mai. Elle se
croit déjà au bout de ses malheurs, mais la haine de Murray veille. Son intérêt
exige que Marie ne rentre pas en Ecosse. De l’Assemblée des Etats d’Ecosse,
qu’il réunit le 26 juillet 1569, il obtient qu’elle rejette toutes les
prétentions de Marie. Elisabeth qui, au fond d’elle-même, ne demandait qu’à
avoir un prétexte à ne pas lâcher sa prisonnière s’empare de celui-ci et le
statu quo subsiste. Marie, profondément déçue, ne voit plus qu’une issue pour
elle : accepter la main du duc de Norfolk. Celui-ci, qui n’est pas
seulement chevaleresque mais ambitieux et qui voudrait bien que sa fiancée
lui apporte à lui-même le trône d’Angleterre , machine un soulèvement contre
Elizabeth, mais maladroit, manquant d’énergie et d’esprit de décision, il est
fait prisonnier et envoyé à la Tour. Cependant, au dehors, la vie va son
train. Charles de Guise, Cardinal de Lorraine, son oncle préféré, meurt à
Noël 1574, Charles IX était mort le 30 mai. Henri III, le beau-frère préféré
de Marie se montre aussi indifférent que son prédécesseur au sort de son
ancienne belle-sœur. Catherine de Médicis, régente de fait, au printemps de 1575,
renouvelle l’alliance anglaise, ce qui exclut toute possibilité
d’intervention en faveur de Marie. Le pape ne se soucie pas de se créer des
difficultés à cause de Marie : il se borne à souhaiter son mariage avec
le frère bâtard de Philippe II, don Juan, mais celui-ci, qui alors a un gros
souci – le progrès du protestantisme dans les Pays-Bas, ne veut pas en
entendre parler, d’ailleurs don Juan mourra devant Namur le 1er
octobre 1578. Cette année meure la mère de Darnley, la comtesse de Lennox.
Après avoir poursuivi sa belle-fille d’une haine acharnée et l’avoir
calomniée à fond, elle proclame in extremis l’innocence de Marie. En avril,
c’est le comte de Bothwell qui meurt demi-fou, dans une prison danoise. Avant
de mourir, dans un instant de lucidité, il atteste, dans son testament,
l’innocence de Marie, sa propre culpabilité dans l’histoire du meurtre de
Darnley. Le roi de Danemark envoya ce précieux document à Elizabeth, mais
celle-ci se garda bien d’en faire état. En juin 1581, ce fut au tour du régent
Morton de disparaître. A la même date, le 11 juin, Elizabeth signait son
contrat de mariage avec le dernier fils de Catherine de Médicis, le duc
d’Anjou. C’était un simulacre, destiné à lier la France à l’Angleterre, donc
à l’empêcher de s’intéresser, si il lui en prenait envie, au sort de Marie,
et à la détourner de ses velléités d’alliance avec l’Espagne. Lord Burleigh
riait sous cape de la naïveté des Français. La grande
affaire d’Elizabeth est bien plus grave que son flirt mensonger avec le duc
d’Anjou : c’est la lutte contre le papisme. Son secrétaire d’Etat, chef
de la police, le redoutable Walsingham, est, en ce domaine, son plus précieux
et plus zélé collaborateur. Il excellait dans l’art de découvrir des
complots, de les susciter, de les inventer quand c’était opportun. Il n’avait
pas son maître dans l’usage des moyens permettant de violer le secret des
correspondances. Il avait partout des espions à sa solde. Puritain fanatique
c’est avec volupté qu’il mène la lutte contre le papisme et celle qui – à ses
yeux – le personnifie en Angleterre : Marie Stuart. Les persécutions
contre les ministres du culte catholique reprennent méthodiques,
impitoyables, les délations sont primées, les pendaisons se multiplient.
Elles ne font qu’exciter le zèle des missionnaires qu’inlassablement le
séminaire de Reims et les Jésuites envoient en Angleterre au martyre. Devant
cette recrudescence de la persécution anglaise les cours catholiques
s’émeuvent, tirent des plans, organisent des complots, pour rétablir le catholicisme
dans les îles britanniques. La délivrance de Marie Stuart apparaît comme un
corollaire normal. Celle-ci, au courant, négocie éperdument, mais, instruite
par l’expérience à se méfier des bonnes volontés continentales, et soucieuse
de ne pas lancer l’Ecosse, une fois de plus en une périlleuse aventure, elle
veut des précisions, des garanties. Mais, une fois de plus aussi, le temps
passe, inutilisé au moment favorable. Walsingham a tout le loisir de
découvrir et de déjouer les manœuvres catholiques, et spécialement celles de
l’Espagne, et c’est ainsi qu’étant parvenu à capturer deux Jésuites, il
réussit, par la torture, à leur arracher tous les détails du plan d’invasion
franco-espagnole depuis si longtemps secrètement préparé, et ces aveux
viennent, fort utilement, corroborer et compléter ceux qu’en décembre 1583 il
avait obtenus d’un conspirateur de marque Sir Francis Throckmorton. Les
protestants s’affolent, Walsingham imagine un acte d’association par lequel
les membres associés s’engagent à poursuivre toute personne qui
attenterait à la vie d’Elizabeth et même celle en faveur ou pour le compte de
qui serait commis ou projeté l’attentat. Le Parlement, de son côté, vote deux
bills, l’un privant Marie de ses droits au trône d’Angleterre, au cas où Elizabeth
viendrait à être assassinée, l’autre déclarant coupables de haute trahison
les prêtres catholiques, et les supprimant dans tout le royaume. Walsingham a
ainsi entre ses mains des armes terribles contre la prisonnière. Chaque jour
il se convainc d’avantage qu’Elizabeth ne sera en sécurité que lorsque Marie
aura disparu, mais il sait aussi que, par solidarité royale et par crainte
des réactions de l’étranger, elle ne se résoudra pas d’elle-même à livrer sa
« cousine » au bourreau. Alors il se décide, d’accord avec
Burleigh, à lui forcer la main, en lui faisant, par toute une série de
complots, encouragés, quand ils seront réels, ou provoqués et soutenus,
croire que sa vie est en jeu ; naturellement, il s’arrangera pour que
Marie y soit ou y paraisse compromise. Sans tarder donc, il en organise un,
avec un de ses propres agents, un certain Parry, agent plus ou moins véreux
qu’il sacrifie d’avance. Parry est arrêté avec éclat, le 1er
février 1585, et, malgré son innocence réelle, il est condamné à subir le châtiment
des parricides, il est éventré vivant. L’opinion publique en est secouée et
Elizabeth a peur. C’était en quelque sorte un ballon d’essai, encore
imparfait. Marie Stuart n’avait été que le prétexte du complot. La question
de sa complicité directe n’avait pas été posée. Alors,
inquiété par le triomphe de la Ligue à Paris, par le traité d’alliance que la
France a signé avec l’Espagne, et l’élection au trône pontifical de Sixte
Quint, qui estime qu’une intervention de la France et de l’Espagne en faveur
de Marie serait désirable, Walsingham machine une autre conjuration, plus
importante, plus complète, mieux organisée, où il fera ou essaiera de faire
jouer à Marie un rôle actif. C’est la conjuration dite de Babington. Un
diacre catholique, renégat, fort intelligent et parfaitement taré, un nommé
Gilbert Gifford, en sera la cheville ouvrière. Un nouveau geôlier, puritain
honnête mais étroit d’esprit et fanatique à souhait, Sir Amyas Paulet, tout
spécialement choisi par Walsingham, a remplacé auprès de Marie le brave
Shrewsbury, et, en même temps qu’il surveillera Marie plus étroitement que
ses prédécesseurs, par haine du papisme, il facilitera les combinaisons
éventuelles contre Marie. A Noël 1585, elle est transportée de Tutbury, où
elle est revenue après un séjour à Wingfield, au château de Chartley qui,
plus plaisant, donne à Marie le sentiment illusoire d’une détente et
l’incline aux imprudences. Gifford cependant se met en campagne, muni des
minutieuses directives de Walsingham. Il s’insinue dans tous les milieux
catholiques écossais et français de Londres et de Paris, en surprend les
secrets les plus cachés, invente pour Marie Stuart un système de
correspondance qui paraît secret, par lettres enfermées en des tubes étanches
dans les tonneau de bière qu’un brasseur, complice, de Chartley, apporte,
chaque semaine, pour la cave de la reine. Ce système, indubitablement
ingénieux, livre à Walsingham les lettres et les chiffres de la prisonnière.
Après avoir, dans l’été de 1586, travaillé à Paris Morgan, l’ancien complice
de Parry, et préparé le terrain de façon à donner l’illusion qu’une nouvelle
conjuration se prépare, il trouve à Londres le chef rêvé pour un complot
formel contre Elizabeth, dans la personne d’un jeune dilettante du
catholicisme, Babington, fils de bonne famille, gentiment écervelé, un des
plus joyeux compagnons de la jeunesse dorée de Londres, et qui s’est pris de
pitié amoureuse pour Marie Stuart. Par les soins de Gilbert Gifford Marie a
été mise au courant de ce qui se prépare. Très excitée, elle multiplie les
lettres compromettantes, elle y donne force conseils sur les mesures qui lui
paraissent les plus opportunes à prendre pour l’invasion en Angleterre et
pour sa propre libération. Elle ne parle que de politique, de religion,
d’évasion, car dans le mouvement qui se prépare elle voit avant tout un
complot politique et jamais elle n’envisage l’hypothèse d’un attentat contre
la vie d’Elizabeth, mais, dans l’officine de Walsingham, on s’arrange ou
plutôt on arrange les lettres pour qu’elles donnent l’impression que Marie
est l’âme et la directrice du complot, et on y glisse perfidement des
allusions à une conséquence sanglante du coté d’Elizabeth. Pour parachever
son œuvre malhonnête, il veut des documents plus directs que ses lettres
falsifiées, et pour s’en procurer il fait arrêter les secrétaires de Marie,
Nau et Curle, et forcer ses meubles à Chartley. Ses séides n’y trouvent pas
grand-chose d’important, mais ils découvrent une lettre que, un soir de
novembre 1584, dans un moment de dégoût pour la vilenie d’Elizabeth, Marie
lui avait écrite pour lui dire qu’elle connaissait outres ses tares
physiologiques qui la rendaient impropre à l’amour sain, la longue liste de
ses amants depuis Leicester jusqu’au chancelier Hatton, en passant par cette « pauvre
grenouille » de duc d’Anjou, et qui rendait singulièrement ironique le
titre de « reine vierge » dont elle aimait à se parer. Elle lui
montrait encore qu’elle n’ignorait rien de ses bassesses morales, de son
avarice, de sa fausseté foncière. Le document est une trouvaille de prix,
Burleigh exulte. Au cas de besoin, il fournira un argument décisif pour
forcer les scrupules d’Elizabeth. En attendant, on dépouille Marie de
l’argent qui lui restait, sous prétexte de la rendre inoffensive, ses serviteurs
lui sont peu à peu retirés, elle a l’impression que c’est pour faire place
nette aux meurtriers qu’elle soupçonne soudoyés
pour l’assassiner. Cependant
Walsingham ne perd pas son temps à Londres. Il y développe dans le peuple une
agitation savamment organisée pour réclamer la mort de Marie. Ses secrétaires
sont longuement cuisinés, et sous les menaces de torture ils parlent des
relations de Marie avec Babington dans le sens que désirent Walsingham et
Burleigh. Depuis juillet Babington et ses principaux complices, capturés dans
les environs de Londres, où ils avaient fui quand ils avaient vu leur complot
percé à jour, sont prisonniers à la Tour. Après un simulacre de procès ils
sont condamnés à la mort de traîtres, et exécutés, le 20 septembre, avec des
raffinements de cruauté qu’Elizabeth trouve trop doux, mais qui écœurent le peuple, qui plaint ces lamentables
victimes de l’Ecossaise, de la papiste. Car, de plus en plus, pour l’opinion
publique, travaillée par Walsingham, Marie est l’odieuse papiste qui ne rêve
que l’extermination du protestantisme et qui, pour cela, ne cesse de
solliciter les aides étrangères, au grand dam de l’Angleterre. Elle est la
femme sans foi ni loi, la courtisane éhontée, la meurtrière de son mari, la
femme impudente de celui dont elle a dirigé le bras contre son royal époux,
et qui, après avoir séduit le chevaleresque duc de Norfolk et l’avoir mené à
sa perte, jette inlassablement aux mains du bourreau la jeunesse assez folle
pour s’éprendre encore de ses charmes. Le public ignore naturellement tout le
sournois travail de violation, de falsification de correspondances volées à
Marie. Et on lui cache naturellement les quelques démentis retentissants
comme celui de Bothwell qui ont été opposés aux accusations dont on
l’accable. Il est fatigué de trouver toujours aux tournants des chemins, ou
défilent les événements politiques ou religieux de la vie publique, le nom et
le visage détestés de cet éternel trouble-fête qu’est l’ancienne reine
d’Ecosse, de la dangereuse et haineuse rivale de la bonne mère du pays, la
virginale Elizabeth. L’opinion publique est prête pour que Walsingham et
Burleigh puissent faire peser sur Elizabeth une pression décisive et
parviennent à obtenir d’elle que leur rêve, vieux de dix-huit ans, trouve
enfin sa satisfaction. Ils vont
avoir, en attendant, leur victime à portée de mains. Un nouvel exode forcé a
rapproché Marie de ses bourreaux. Le 25 septembre 1586 elle a été amenée au
château fort de Fotheringhay par son sévère geôlier, Sir Amyas Paulet. Tout
de suite, elle y apprend de la bouche du commissaire royal, qui a présidé au
voyage, qu’Elizabeth ne peut faire droit à la nouvelle demande qu’elle lui a
adressée, d’aller en Ecosse ou en France, car, accusée de complicité dans le
complot de Babington, elle va avoir à ce défendre. Sa présence en Angleterre
est donc nécessaire. Le 1er octobre, Paulet lui
annonce l’arrivée prochaine d’une Commission de seigneurs et d’hommes de loi
pour l’interroger. Cependant, lui dit-il, elle peut encore échapper à cette
fâcheuse cérémonie, si elle veut lui confesser à lui-même sa faute et en
demander pardon. Marie repousse avec ironie cette proposition saugrenue, car
en tant que reine elle n’a de comptes ni de pardon à demander à personne
ici-bas. Alors, en vertu du bill voté par le Parlement, en octobre 1584, et
de l’Acte d’Association, Elizabeth défère Marie à une Haute Cour composée de
46 commissaires triés sur le volet : 40 lords et 5 juges suprêmes. Cette Haute Cour va pouvoir opérer en
toute tranquillité, car ni la France, ni l’Espagne, ni la Papauté ne sont ni
en humeur ni en mesure d’intervenir en faveur de Marie, malgré que
l’ambassadeur de France clame à tous les échos qu’elle est perdue si on ne
tente rien pour la sauver. La Commission arrive le 11 octobre et,
dès le 12, les hostilités commencent, par la communication à Marie d’une
lettre portant l’Injurieuse suscription : « A l’Ecossaise »,
et la sommant d’avoir à répondre aux lords et légistes qui représentent la
reine d’Angleterre. Marie répond par un ferme mais violent réquisitoire, où
elle proteste encore les traitements indignes dont elle a été victime, depuis
qu’elle est en Angleterre, souligne que, étrangère, elle ne peut être soumise
aux lois anglaises, récuse des juges qui ne sont ni de sa religion, ni de son
rang, et déclare enfin qu’elle ne peut, par surcroît, se soumettre à un
procès qu’elle doit subir seule, sans aide, ni conseil, ni appui de
documents, puisqu’on lui a volé tous ses papiers, sans avocats et sans
confrontation avec les témoins qui ont déposé contre elle. D’ailleurs reine
de naissance, reine libre, elle ne peut recevoir commandement, ni faire
réponse sans faire tort non seulement à elle-même, mais au roi, son fils, et
à tous les autres rois et princes souverains. Le lendemain, la Commission au
grand complet se présente devant Marie et lui déclare que, si elle refuse de
se soumettre à la procédure arrêtée, elle sera jugée par contumace, pour
participation au complot Babington. Marie répond qu’elle se refuse à faire
l’Acte de soumission qu’on lui demande et à se prêter à la comédie qu’on veut
lui imposer car elle en connaît l’issue, elle se sait condamnée d’avance par
ceux qui doivent la juger. Alors lord Burleigh intervient véhément, ironique,
prend la direction du combat, et le duel s’engage ardent entre les deux
adversaires. Marie, un instant abattue, retrouve vite
toute son énergie et sa combativité. Elle tient vaillamment tête à son
ennemi, discute avec une ténacité, une habilité de juriste. Longtemps, elle
refuse de se laisser interroger, enfin elle finit par se laisser persuader
par le chancelier Hatton que c’est son intérêt de répondre car, si elle
s’obstine à se dérober, chacun pensera que c’est parce qu’elle est coupable.
Le 14 octobre Marie annonce donc qu’elle consent à se laisser interroger,
mais uniquement sur le point de sa prétendue culpabilité dans l’affaire
Babington. Elle sent, en effet, que si elle laisse dévier l’interrogatoire du
côté de ses connivences avec les princes étrangers, de ses appels à
l’invasion et de ses projets d’évasion, elle sera en mauvaise posture. Tout
le long des débats elle s’efforcera de dissocier les questions, tandis que
Burleigh travaillera à les confondre. Les débats, d’ailleurs, seront, d’un
bout à l’autre, entachés de partialités et d’illégalités. Elle n’a pas
l’assistance, strictement légale, d’un avocat, elle n’est pas confrontée avec
ses accusateurs, elle n’a pas connaissance du dossier constitué contre elle,
elle doit plaider sans notes, sans papier, ni plume, en anglais, c’est-à-dire
dans une langue qu’elle manie imparfaitement. Les documents produits ne sont
que des documents accusateurs, tous ceux qui pourraient être favorables à
Marie, comme le mémoire autographe du 10 septembre 1586, où Nau innocentait
Marie de façon éclatante, de toute participation au projet d’assassinat
d’Elizabeth, sont passés sous silence. D’ailleurs peut-on parler de débats et
de jugement ? Marie avait eu
raison de dire que la sentence était rendue d’avance. Burleigh s’est assuré,
au début du procès, l’approbation inconditionnelle du Parlement, et les
soi-disant juges ont tous de bonnes raisons d’ordre pratique pour juger dans
le sens voulu par Elizabeth et son ministre. Cependant comme il faut, pour l’opinion publique,
un semblant de jugement, les débats se poursuivent. Marie lutte
courageusement, inlassablement, jusqu’à épuisement de ses forces physiques.
Sur tous les points elle montre une fermeté, une lucidité, une maîtrise de
dialectique qui impressionnent, malgré eux, plus d’un des juges, et rendent
parfois difficile la tâche de Burleigh. Trois longs jours la lutte se
poursuit âpre et serrée. Marie finit par apercevoir et par dire la vérité, à
savoir que l’accusation de prétendue participation au complot de Babington
n’est qu’un prétexte, et que ce qui l’a amenée devant ses juges c’est la
question politique – l’affirmation de ses droits au trône d’Angleterre –,
mais aussi la question religieuse : c’est la papiste et le danger
qu’elle représente pour le protestantisme en Angleterre qu’on poursuit et
qu’on veut réduire à l’impuissance. Elle a vu juste. La Commission, réunie le
25 octobre, dans la Chambre Etoilée de Westminster, vote la mort, et le
Parlement ratifie docilement le verdict. Le 18 novembre seulement Marie en est
prévenue officiellement par deux envoyés d’Elizabeth. Elle reçoit la nouvelle
avec une dignité et un calme absolu. Elle s’est élevée peu à peu à une
joyeuse résignation, et elle trouve dans la pensée qu’elle va mourir pour sa foi,
que sa mort servira la cause catholique, un puissant réconfort et une
allégresse qui surprend et inquiète Paulet, son geôlier. Celui-ci se montre
vis-à-vis de Marie d’une goujaterie parfaite. A peine les envoyés d’Elizabeth
avaient-ils quitté le château, il est allé déclarer à la condamnée
« qu’elle n’était plus qu’une femme morte, sans honneurs, ni dignité de
reine », et il avait fait sur l’heure enlever le dais royal qu’elle
avait dans sa chambre. S’attendant, à tout moment, à voir le
bourreau apparaître, de sa main, aux doigts tordus de rhumatismes, elle écrit
à Elizabeth une lettre où, avec une souriante ironie elle la remercie de
mettre une fin « au pèlerinage ennuyeux » de sa vie, la prie de
faire porter ses restes en France, pour qu’elle y repose auprès de sa mère,
d’ordonner que son exécution soit publique pour qu’elle puisse attester
ouvertement sa foi, enfin de permettre à ses serviteurs de quitter
l’Angleterre. Et aussi, elle écrit au Pape pour lui dire qu’elle est fière de
mourir pour la religion catholique, à l’archevêque de Glasgow, au duc de
Guise, son cousin, et auprès de tous elle insiste sur sa joie d’être
sacrifiée au catholicisme. [Les Derniers Vers de Marie,
datant de 1586, se trouvent parmi les Sources Primaires] Cependant, à Londres se joue une comédie
qui, pour l’hypocrisie, fait pendant à celle de Fotheringhay ou de
Westminster, c’est la comédie des hésitations d’Elizabeth. Un mois et quatre
jours après que la sentence a été prononcée, Elizabeth n’a pris aucune
décision, et Burleigh s’en lamente, le 29 novembre 1586. Paulet s’affole à la
pensée d’avoir à garder plus longtemps sa prisonnière, à l’abri des
tentatives de délivrance. Pourtant une certaine agitation se
manifeste dans les Cours étrangères. Les ambassadeurs présentent des
remontrances à Londres, mais mollement, sachant bien que leurs protestations
ne seront pas suivies d’actes. Ni le roi de France, Henri III, ni celui
d’Ecosse, le propre fils de Marie, ne sont décidés à faire un effort pour la
sauver. Les Guise, Philippe II ont d’autres soucis. Celui-ci a même une
arrière-pensée tortueuse, il désir, au fond de lui-même, la mort de Marie,
car, elle disparue et son fils restant protestant, il sait que – de par la
volonté de la défunte – il hériterait de ses droits à la succession au trône
d’Angleterre. Sur les instances de l’ambassadeur de France, de l’Aubespine de
Châteauneuf, Henri III finit par envoyer à Londres un ambassadeur spécial, le
solennel Pomponne de Bellièvre, pour faire pression sur la reine d’Angleterre
et sauver, sinon la liberté, du moins la tête de Marie. Bellièvre, malgré
force grandiloquentes et émouvantes harangues, n’obtient rien. Pour pallier
l’effet de ce refus, Walsingham monte un complot où il réussit à compromettre
de l’Aubespine. Ainsi c’est Henri III, en fin de compte, qui doit des
excuses. Pour ce qui est de Jacques VI d’Ecosse il est d’autant moins porté à
aider sa mère que, par les bons offices de Burleigh, il a appris que celle-ci
le déshéritait formellement au profit de Philippe II, s’il ne revenait pas au
catholicisme. La pauvre Marie est donc bien abandonnée
de tous. Elizabeth peut, sans avoir à craindre de réaction dangereuse, signer
l’arrêt de mort. Elle s’y résout enfin, le 1er février 1587. D’un
geste négligeant et comme involontaire elle le signe, mais avec le secret
espoir de trouver, au dernier moment, des dévouements qui supprimeront Marie,
avant qu’elle soit forcée de la livrer au bourreau. Elle fait écrire à Paulet
pour lui suggérer de lui montrer son dévouement en trouvant le moyen
d’abréger la vie de sa rivale, sans qu’elle y soit elle-même mêlée. Paulet
veut bien jouer le rôle du parfait geôlier, enlever à la captive ce qui lui
reste d’argent, de privilèges, restreindre au minimum son domestique, la
traiter même avec une grossièreté affectée, mais il est honnête, il tient à
son honneur, et il repousse avec indignation les criminelles suggestions de
la reine. Cependant Elizabeth se montre à nouveau hésitante : elle
reproche par exemple à Davison de s’être trop hâté de porter le warrant chez
le chancelier pour le faire revêtir du sceau royal. Burleigh fait réunir avec
urgence les membres du Conseil secret pour leur faire contresigner l’acte
fatal, et pour placer Elizabeth devant le fait accompli il donne au bourreau
et aux comtes de Kent et de Shrewsbury, qui doivent présider la cérémonie,
l’ordre de partir pour Fotheringhay le lundi 6 février. Ceux-ci préviennent,
le 7, la reine de leur mission. En présence du shérif de Northampton l’arrêt
lui est lu solennellement. Il lui notifie qu’elle est condamnée à mort
« tant à cause de l’Evangile et vraie religion du Christ que pour la
paix et la tranquillité de l’Etat. » Derniers moments : « En ma fin est mon commencement » A la grande surprise des assistants
Marie semble exulter. D’une voix forte elle dit, en substance, sa joie de
voir enfin arriver le moment, qu’elle attend depuis dix-huit ans, qui la
libérera des misères de cette terre, qu’elle est contente de mourir pour
l’Eglise catholique et d’Avoir envers et contre tous, maintenu ses droits à
la couronne d’Angleterre. Sur son exemplaire du Nouveau Testament elle jure
qu’elle n’a jamais cherché ni poursuivi la mort de la reine Elizabeth, ni de
personne. Le comte de Kent fait une tentative pour l’amener à recevoir le
Docteur Fletcher, le pasteur de Peterborough. Elle s’y refuse énergiquement.
Elle demande avec instance à voir son chapelain qui est enfermé dans une
chambre voisine. Les instructions d’Elizabeth, de Burleigh, de Walsingham sont
formelles : elle ne le verra pas. Le comte de Shrewsbury lui annonce que
l’exécution doit avoir lieu le lendemain matin à 8 heures. Elle ne s’en
montre pas émue. Elle demande seulement si elle va pouvoir récupérer ses
papiers pour rédiger son testament. Elle a un dernier sursaut de faiblesse
humaine : elle proteste contre le sort de son secrétaire Nau qui
continuera à jouir de<la vie, alors qu’elle va mourir innocente. Puis elle
s’efforce de consoler ses serviteurs éplorés et procède à l’organisation des
dons et legs qu’elle veut leur laisser. Après le souper elle fait entrer tous
ses domestiques et leur fait donner un gobelet de vin de France, buvant
elle-même à leur santé. Elle fait, ensuite, l’inventaire des vêtements de sa
garde-robe, de ses bijoux, de son argent que Paulet lui a rendus, et répartit
le reste de son ancienne splendeur entre les présents, ou indique leur
destination. Personne n’est oublié, ni son fils, ni les Guise, ni Henri III,
ni Philippe II. Elle écrit à son aumônier pour lui demander de prier pour
elle, fixe minutieusement les arrérages de son douaire, de ses dettes. Elle
écrit enfin quelques lettres suprêmes, la dernière de toutes à Henri III, où
elle souligne, une fois de plus, que la religion est la seule cause vraie de
sa condamnation et demande, de façon pressante, à son beau-frère de s’occuper
du sort de ses serviteurs. [Le texte
intégral de la dernière
lettre de Marie Stuart se trouve aux Sources Primaires] A deux heures du matin elle se couche. A
six heures elle s’éveille et se fait habiller avec soin, non pas de blanc,
comme le veut la légende, mais d’une jupe de velours cramoisi, d’un corsage de
soie noire, d’un grand manteau de satin noir à parements de zibeline, à
manches pendantes et à longue traîne, d’un collet à l’italienne et d’un voile
de crêpe blanc. Elle fait ses suprêmes adieux à ses domestiques et se réfugie
dans son oratoire pour prier longuement. Lorsque le shérif vient la chercher,
escorté de Paulet et Drury, elle le suit docilement. Au bas de l’escalier qui
mène à la salle basse où est dressé l’échafaud se tient Melvil son fidèle
maître d’hôtel, éloigné d’elle depuis longtemps. Elle le charge d’aller dire à
son fils comment sa mère est morte, et de proclamer bien haut qu’elle est
morte en vraie catholique, en véritable Ecossaise et Française. Elle demande
au comte de Kent l’autorisation pour ses gens d’assister à son exécution. Il
fait des difficultés et lui accorde enfin trois hommes et deux femmes,
celles-ci pour l’assister dans le suprême déshabillage sur l’échafaud. A son
entrée dans la grande salle, toute tendue de noir, sa sérénité majestueuse de
vraie reine fait forte impression sur l’assistance houleuse qui,
instantanément, se tait. Pour monter les degrés de l’échafaud elle réclame
l’aide de Paulet, lui disant avec un sourire : « Merci de votre courtoisie, Sir Amyas, ce sera la dernière
peine que je vous donnerai, et le plus agréable service que vous m’aurez
jamais rendu. » Elle va, d’un pas ferme, s’asseoir d’elle-même sur
la chaise tendue de noir, en face du billot voilé de crêpe. A sa droite
s’installent les deux comtes, à sa gauche le shérif et le greffier royal.
Celui-ci lit l’arrêt d’exécution, puis Marie, selon son droit, parle. Une
dernière fois elle souligne l’illégalité de l’arrêt qui la condamne selon des
lois anglaises, alors qu’elle est étrangère, elle proteste de son innocence,
de sa sincérité, de sa foi, et pardonne à ses ennemis. Alors le pasteur
Fletcher se met à faire un prêche aussi ridicule de violence qu’inopportun.
Shrewsbury est forcé de l’interrompre. Mais tandis que Marie et les siens
disent les prières catholiques des morts, les assistants hurlent en un chœur
forcené mené par le pasteur, les prières protestantes, jusqu’à ce que la
reine finisse par dominer le tumulte de sa voix claire et à obtenir un
silence ému, pour ses suprêmes invocations. Ses prières finies, Marie fait
elle-même signe au bourreau de s’approcher. Elle repousse toutefois son aide
et se fait assister par ses femmes. Elle croyait que, comme reine, elle
allait être décapitée debout à l’épée suivant l’usage de France. Une
humiliation dernière lui est imposée, elle sera décapitée, étendue à terre,
la tête sur le billot, à la hache. Le comte de Shrewsbury, quand elle est en
place, lève son bâton ; le bourreau abat sa hache, mais dans son émotion
il n’atteint que la nuque, et ce n’est qu’au troisième coup qu’il réussit à
détacher complètement la tête du tronc. « Que Dieu protège la Reine
Elizabeth », dit le bourreau en montrant la tête au public. « Ainsi
périssent tous les ennemis de la reine » ajoute le pasteur. Alors on vit
la petite chienne de Marie qui s’était faufilée sous sa traîne en sortir en
aboyant et aller se coucher, gémissante, là où avait été la tête. En hâte Paulet fit enlever le corps,
brûler les vêtements et laver les traces de sang, pour qu’on ne puisse en
faire de dangereuses reliques. L’après-midi même, le fils du comte de
Shrewsbury partit porter la nouvelle à Greenwich. Dans Londres, où elle se
répandit sur l’heure, les cloches sonnèrent à toute volée, partout des feux
de joie s’allumèrent. Pendant quatre jours Elizabeth sembla ignorer la mort
de son ennemie. Ce n’est que le 13 février qu’elle laissa paraître qu’elle
était au courant de l’exécution. Et ce fut encore une fois la comédie :
elle manifesta la plus extrême surprise, et simula une violente colère,
disant que tout le monde s’était sournoisement ligué pour faire violence à sa
volonté, en procédant à l’exécution, sans que l’arrêt du Conseil lui ait été
communiqué. Elle pleura bruyamment, mit des vêtements de deuil, et, par ses
propres propos, par les lettres qu’elle écrivit, elle s’appliqua à faire croire
que l’exécution avait été faite à son insu et contre sa volonté. Alors, Marie Stuart morte, l’Armada
dispersée, Elizabeth n’eut plus rien à craindre. Elle put, sans opposition,
affermir le protestantisme en Angleterre, en faire définitivement la religion
dominante et surtout développer l’esprit d’entreprise de ses sujets. Bientôt l’oubli se fit sur son odieux
forfait, on ferma les yeux sur ses tares morales, on ne vit que les résultats
de sa politique et ceux-ci furent incontestablement tels qu’ils lui valurent
le renom d’un des plus grands souverains qui aient illustré le trône… Comme
le dit si justement Stefan Zweig : « En
politique seuls les vaincus ont tort et l’Histoire, en poursuivant sa marche,
les foule de son pas d’airain. » |
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