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En mon triste
et doux chant
D'un ton fort lamentable,
Je jette un deuil tranchant,
De perte irréparable,
Et, en soupirs cuisants,
Passe mes meilleurs ans.
Fut-il un tel malheur
De dure destinée,
Ni si triste douleur
De dame infortunée
Qui mon cœur et mon œil
Voit en bière et cercueil?
Qui, en mon doux printemps,
Et fleur de ma jeunesse,
Toutes les peines sens
D'une extrême tristesse ;
Et en rien n'ai plaisir
Qu'en regret et désir.
Ce qui m'était plaisant
Ores m'est peine dure;
Le jour le plus luisant
M'est nuit noire et obscure;
Et n'est rien si exquis
Qui de moi soit requis.
J'ai au coeur
et à l'oeil
Un portrait et image
Qui figure mon deuil
En mon pâle visage
De violettes teint,
Qui est l'amoureux teint.
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Pour mon mal
étranger
Je ne m'arrête en place ;
Mais j'en ai beau changer,
Si ma douleur n’efface,
Car mon pis et mon mieux
Sont les plus déserts lieux.
Si, en quelque séjour,
Soit en bois ou en pré,
Soit à l'aube du jour
Ou soit à la vesprée,
Sans cesse mon coeur sent
Le regret d'un absent.
Si parfois vers ces lieux
Viens à dresser ma vue,
Le doux trait de ses yeux
Je vois en une nue;
Ou bien le vois en l'eau
Comme dans un tombeau ;
Si je suis en
repos,
Sommeillante sur ma couche
J'ois qu'il me tient propos,
Je le sens qu'il me touche.
En labeur, en recoy,
Toujours est près de moi.
Mets, chanson, ici fin
A si triste complainte
Dont sera le refrain :
Amour vraie et non feinte
Pour la séparation
N'aura diminution.
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