Le don
Auteur - yazari:
Sengul Savas
Tarih, gün ve saat : 06. Mayis 2005 00:15:09:
Le Don chez nous
Les Desman
Région reculée de tout, ou aucun explorateur n'y
a mit les pieds, le Dersim. Même les anatoliens n’y
risquent pas leurs peaux. Le Dersim se trouve entre
chaîne de montagnes et fleuves, notamment l'Euphrate.
Aujourd’hui, l’administration turque nomme cette
contrée Tunceli (à la l'Est d'Ankara), mais tout le
Dersim n’en fait pas partit. Le peuple, les Desman,
qui vit là est plus que millénaire. Leur langue
n’est ni de l’arménien, ni du kurde, ni de
l’assyrien, ni du turc, elle est plutôt proche du
vieux persan. Leur religion est un syncrétisme
religieux ou se mêle à leur culte d’origine, qui est
toujours le zoroastrisme, du soufisme et aussi du
christianisme. Car on peut entendre certains
villageois dire « ya Maria ». Cela est du au lien
fort qu’ils entretenaient avec les frères arméniens
chrétiens.
Afin de connaître leur histoire et leurs origines,
des recherches se font actuellement, car il n’y que
très très peu de livres à leur encontre. Personnes
n’a osé venir faire d’études sur les Desman et
aujourd’hui je sais que l’on mettra encore quelques
années à connaître leur véritable origine. Je suis
moi-même un chercheur et j’ai mes réponses à la
question. Les Desman sont au nombre de 120 tribus.
Les Desman sont endogames. Ils se marient
généralement entre cousins, cousines du même clan.
Ou avec des clans voisins de la même tribu, ce qui
leur permet de garder un lien avec les cousins
éloignés. Il serait aussi intéressant d'étudier les
liens de parenté (comme l'a fait Lévi-Strauss), pour
une autre fois peut-être.
Revenons au don et à la façon que les Desman ont
de l’offrir.
Comme le dit Marcel Mauss, chaque chose que l’on
donne renferme une âme. Au Dersim c’est la même
chose. On ne donne pas pour donner ou bien pour être
reconnu. On retrouve chez les Desman la même
philosophie que les Anciens Rabbins, qui disaient :
« Qui donne ne doit jamais s’en souvenir. Qui reçoit
ne doit jamais l’oublier. »
Dans la langue des Desman le don, se dit « lokmê.»
Le lokmê est offert à tout le monde, c’est à dire
: voisins, amis, cousins, famille, passants,
mendiants, prêtres,… et qu’il soit de notre croyance
ou pas, personne n’est exclus. Le lokmê est répandu
durant plusieurs circonstances : naissances, rêves
ou cauchemars, visite d’un prêtre, éclipse de soleil
ou lunaire, lieux de prières, sacrifices, événements
douloureux (mais qui n’a pas fini en tragédie),
après le ramadan des 12 Imams, durant la
circoncision, au 1er anniversaire de l’enfant et
aussi à sa première dent et durant le Kalê-Gahan
(fête qui se déroule les trois derniers jours de
l’année, marquant le solstice d’hiver.)
Nos lieux de prières sont : le sommet des montagnes
(particulièrement le Munzur, Duzgun, Baryr,
Koh-ê-Sypi, Kalê-Sypi, Koh-ê-Jêlê et Tujik), l’eau
d’une fontaine qu’aurai touché un prêtre respectait,
un arbre qu’un prêtre avait désigné, un lac ou un
saint a marché, un rocher qui aurai une marque
particulière, la tombe d’un ancêtre ou d’une
personne qu’on a aimé ou celle d’un religieux, cela
peut-être un lieu que l’on dit magique.
J’ai l’exemple de cette maison qui à plusieurs
reprises a prit feu. Tout ce qu’elle contenait a
brûlé, mais la maison elle n’a subit aucun dégât.
Alors, les gens disent qu’elle a « kry-yamêt », un
pouvoir. Je l’ai vu moi-même cette maison, que l’on
nomme Ustina-Sa, la colonne noir.
Le don lui, peut-être : une agape, un gâteau, un
animal de la ferme que l’on sacrifie (chèvre,
mouton, bœuf, veau, poule, dinde et vache) ou tout
autre aliment, ainsi que de l’argent et des
vêtements.
Au Dersim on ne donne pas pour recevoir en retour
quelque chose, mais pour être reçu. Le but est que
Dieu entend nos prières ou nos remerciements. Quand
l’on donne notre lokmê, on se moque de ce que peut
ou veut en faire la personne. Tant qu’elle le prend,
le don est accepté. Après c’est son affaire, si elle
le mange, le jet ou le donne. Mais c’est tout de
même « ryrav », c’est à dire c’est un pêché que de
ne pas le manger ou de ne pas l’utiliser.
Quand les gens reçoivent le lokmê, ils formulent une
prière : « Haqq krêbul kero », que Dieu l’accepte.
Celui qui distribue ne répond pas, et ne doit même
pas dire merci. Le recevant, doit baiser trois fois
l’aliment, en le portant à chaque fois à son front
et peut ainsi le manger.
Le lokmê se fait d’une façon particulière, c’est une
véritable cérémonie, avec ses codes.
Prenons l’exemple du gâteau, que l’on désigne
sous le nom de « miyaz ». Avant tout le don doit se
faire car vous en avez envie. Il vient de vôtre
intérieur. C’est comme une force qui vous guide, et
vous donnez ce que vous avez envie de donner. Sans
penser une seconde que c’est trop, c’est cher ou
c’est orgueilleux. Vous devez être heureux après
l’avoir donné et être sans remords. Dans le village
le don ne se fait pas à tour de rôle, chacun donne
quand il a envie, quand il le ressent.
Le miyaz se prépare tôt le matin, après l’aurore.
Les femmes se seront lavées et auront changées de
vêtements, surtout les dessous. Après qu’elles aient
confectionné et cuit le gâteau, on appel l’homme de
la maison ou un de nos enfants mâles, car il n’y a
qu’eux qui peuvent couper le gâteau, quand on fait
un don. Le miyaz doit rester comme il est sortit du
four, c’est un pêché de le retourner. L’homme aura
avant prit le soin de prendre une douche et changer
ses vêtements, lui aussi surtout les dessous. Il
tourne le gâteau vers le sud, vers notre soleil, que
l’on nomme «tij», c’est pour nous notre prophète,
avec la lune, «asmê.» Chez nous, nous disons «dina
roj asmê sêrra», c’est à dire : la terre dépend de
la lune et du soleil, sans eux il ni aurai pas de
vie sur terre.
La personne chassera d’abord les mauvais esprit en
prononçant la formule consacré : «pisimlay». Elle
coupera le gâteau au milieu à trois reprises. Elle
en fera des parts rectangulaire. Aucune miette ne
doit être piétinée. Aucune miette ne sera jetées. On
les ramassera pour les donner aux animaux. Pour
chacune des parts, on évoquera le nom d’un lieu
saint, et qu’à la fin on peut citer le nom d’un
défunt qui nous était proche. On nomme ces dernières
citations : rêrê merdu. Ce qui se traduit par :
Bienfaisance pour nos morts. C’est à dire pour ne
pas les oublier et leur apporter un bon repos dans
l’au-delà. Chaque morceau est dédié à un lieu ou à
un saint ou un défunt, ainsi toutes les forces de
notre culte sont représentées et nos prières ont
plus de chances d’être reçues.
L’homme avec sa famille préparera des parts pour
chaque foyer, selon le nombre de personne. La
priorité sera donnée aux familles ayant une femme
enceinte, aux pauvres et aux enfants. Je rajoute ici
comme information, que les Desman ne sont pas
polygames.
La famille ne devra pas garder de parts du gâteau
chez elle. Elle devra faire en sorte que tout soit
distribuée. Toutefois, elle aura sa portion, afin de
prendre part à la cérémonie. La dernière étape
consiste à faire le «vyla» ou distribuer. Tous les
membres de la famille peuvent le faire, mais cela
doit se faire dans la journée. Le don, s’il tard
trop dans la demeure, ne sera plus valable sinon.
La personne qui reçoit le don ne peut que
l’accepter, le don ne sera pas annulé si elle le
refuse. De toute manière c’est mal vu, et en plus
c’est un grand péché que de ne pas le recevoir. Les
personnes qui prennent le don n’ont aucun rôle dans
nos prières. La personne qui fait une offrande, a
son don accepté directement, on pourrai même dire
automatiquement. Les Desman savent que parfois leur
don n’est pas accepté par l’au-delà. Ils chercheront
une raison à cela, mais savent qu’on ne peut être
contre la volonté de Dieu.
Le don chez les Desman ne peut être annulé que
d’une seule façon, c’est en le donnant. J’explique.
Un de vos amis, que vous rencontrez chez un autre
ami, est entrain de faire un don, et il vous a
oublié ou ne veut rien vous donner.
Son don peut-être annulé, si vous vous dites «tsimê
my bi» ou mes yeux étaient dedans, c’est à dire :
j’aurai voulu ou dû en avoir. Car vous ne comprenez
pas pourquoi votre ami ne vous offre pas le don.
Quand ce genre d’événement se déroule, le don de la
personne ne peut plus être valable. Ce comportement
coupe le lien social que vous aviez avec la personne
donatrice.
Le lokmê peut-être refusé aussi parce que : vous
avez hésité de le faire ; vous n’avez pas tout donné
; vous l’avez fait pour le faire et aussi pour être
reconnu auprès des autres ; et pour finir vous avez
commit un acte grave pendant la journée. La personne
qui fait le lokmê doit se sentir bien et le faire
sans réfléchir.
Tout les Desman se doivent de faire des dons
durant l’année. L’importance n’est pas chez nous
dans ce que nous donnons, mais dans le fait de
donner. Celui qui ne veut pas faire de don, on dira
de lui «Haqqê-rora êrêdiyo», ce qui signifie : il
est fâché avec son Dieu. Ils verront en lui soit un
radin, soit qui n’a pas de «yed kat», de foi. Les
Desman continueront toutefois à lui donner un lokmê.
Ce n’est pas leur affaire si une personne du village
ne veut pas en faire, car Dieu sait qui est généreux
et qui ne l’est pas, diront-ils.
La personne n’a pas d’importance, disais-je, tant
qu’elle prend le don, il est accepté. La réalité est
que le don sert à garder le lien avec ses
semblables. Le don n’est qu’un prétexte, si on lui
enlève tout son côté spirituel. Sur nos lieux saint
tout le monde est convié : cousins, voisins, amis et
gens de passage. Donc, le don permet de rester en
lien avec les siens. Le lokmê est aussi un phénomène
social total. Il permet au Desman, de redonner
valeurs aux prêtres et aux chefs de villages. La
réunion permet de regrouper famille, clan et tribu.
On célèbre le don comme une fête, il y a un côté
plaisir et distraction. C’est un moment d’échange :
recueil d’informations, dialogue inter-générationnel
et sans aucune hiérarchie, échange de matériel et de
procédés, les jeunes filles et garçons se voient. Le
fait de faire un don, cela donne une place à
plusieurs chose et d’un coup : dialogue religieux,
place à l’économie et la morale, retrouvaille,
mariage grâce aux rencontres,…
La pire des sanctions chez nous, c'est d'être
distan, c'est à dire rejet du clan. Quand une
personne connaît un acte grave (viole, meurtre,
destruction d'un lieu saint, …), le clan se met en
cemaat, c'est à dire assemblé. On trouve dans cette
formation : le Rayber (prêtre), le ara (chef de
clan) et les kokum (les sages du clan), il n'y a
aucune femme. Mais elles peuvent influencer leur
mari, selon le lien qu'elles ont avec la personne
distan. Si la personne est reconnue fautive, elle
devra quitter le clan durant sept années. Elle ne
pourra y revenir qu'après cette période. Comme elle
vagabonde durant tout ce temps, elle revienne
généralement dans le clan. Tout le monde arrive à
connaître tout le monde dans le Dersim, donc elle ne
peut aller raconter ce qu'elle veut et s'intégrer
ailleurs.
La punition la plus terrible c'est perdre le lien
avec les siens. Ce lien qui est fondamental pour les
Desman.
Le don est le symbole du lien social, avec tout ce
que cela peut comprendre autant chez nous que chez
les autres.
Durant nos vacances et malgré l’expansion des
Desman à travers le monde, on continue de faire nos
lokmês au Dersim. Ceux qui y vivent continuent de
faire leurs dons, comme expliqué plus haut. Mais en
Europe aussi, nous les Desman, au moins une fois par
mois, nous accomplissons ce geste. Aujourd’hui, on
en donne, en plus de nos compatriotes, à nos
nouveaux amis ou voisins, qui sont de toutes
origines.
Conclusion
MAUSS1 avait bien comprit, pour moi, la place du
don dans la vie de ces femmes et de ces hommes.
L’évolution de l’Homme ne s’arrêtera pas là et les
formes de don prendront une autre place dans ce
monde. Aujourd’hui on fête les anniversaires, Noël,…
ne sont-ils pas des phénomènes sociaux total ? Après
avoir renoncé à l’inceste, (d'après la théorie de
l'ethnologue Lévi-Strauss), les hommes ont
développés le don pour garder des rapports sociaux.
Et demain, que va-t-on construire d’aussi
remarquable et fascinant, pour rester en contact
avec les autres et surtout dans nos échanges ? Ou,
est-ce que de nouvelles formes existent déjà ?
1 – Marcel Mauss, Essai sur le don Quadrige /
Presses Universitaire de France, 1980