Contributions : Analyses : Capes : P. Cordoba , Bourse du travail le 3 mars 2000


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Intervention de Pedro Cordoba à la réunion publique du 3 mars 2000
à la Bourse du travail (Paris)

J'ai atteint, peut être dépassé - car il y a des doutes sur la date exacte de sa naissance - l'âge ou Don Quichotte, ayant décidé de devenir Don Quichotte, s'en fut sur les chemins. Mécontent, moi aussi d'avoir à vivre un nouvel âge de fer et bien que je sois fort sceptique sur un retour à l'âge d'or, j'ai envie d'en découdre. Car je ne supporte plus d'être dans mon métier constamment assiégé par des gens qui ont choisi de "vivre et de penser comme des porcs". En tant qu'universitaire, en tant que citoyen, j'ai bien des griefs à l'égard de Claude Allègre. Inutile d'en faire ici la liste. Ce sont les mêmes que les vôtres.
L'objet immédiat de ma colère est cependant plus précis. Il s'agit du plan de cadrage sur la formation des enseignants rendu public par le Ministère le 7 février dernier.
Un faux rapport signé par Bernard Alluin et Bernard Cornu préconise des mesures qui correspondent point par point, et jusque dans les plus minuscules détails, à un projet de réforme des Capes vieux de deux ans et concocté dans le secret des "tables rondes" ministérielles. Les comptes rendus n'en ont jamais été rendus publics. Nous nous les étions procurés à l'époque d'une façon pas très honnête. Mais comment faire autrement avec les Machiavel au petit pied et les Clausewitz de pacotille qui dressent leurs plans de campagne dans les boudoirs du Cabinet? Nous publierons ces textes. Tout le monde pourra alors constater que l'actuel plan de cadrage, qu'on nous présente comme une nouveauté, fruit des longues cogitations de deux experts, et celui qui fut proposé par les Directeurs d'IUFM en 1998 se ressemblent comme deux gouttes d'eau. C'est pourquoi je parle de faux rapport.
Alluin et Cornu, respectivement Ancien Président de l'Université de Lille et Directeur de l'IUFM de Grenoble, se sont contentés de cautionner par leur signature un plan déjà bien ficelé et livré clés en main. Le premier, un géographe autrefois respectable, s'est sali les mains et son déshonneur personnel retombe, malgré que nous en ayons, sur tous les universitaires de ce pays. Quant au second, il n'avait plus rien à perdre car être aujourd'hui Directeur d'IUFM est suffisante marque d'infamie. Ayant pris tous deux le parti de la servitude volontaire, ils rendent hommage au Ministre-Ubu en lui baisant les bottes. Grand bien leur fasse. Mais nous sommes de plus en plus nombreux dans les Facs à penser que la vertu de courage et la liberté de l'esprit valent plus que la souplesse de l'échine. Et c'est sans doute pourquoi Allègre a utilisé pour ses basses oeuvres un ancien Président d'Université : tous les Présidents en exercice ont dû se défiler par crainte de ne pas pouvoir aller jusqu'au bout de leur mandat.
Une Initiative pour les Assises de l'Enseignement public va être lancée dès que nous aurons un nombre suffisant de premiers signataires. Je dois me réunir mercredi prochain avec deux collègues de Lettres modernes pour mettre au point le texte d'un Appel à la désobéissance des enseignants du Supérieur. Pourquoi tout ce remue-ménage? La réforme du Capes est la clé de voûte de toutes les réformes. Pour appliquer les mesures du rapport Bancel - travail d'équipe, TPE, ICJS et autres gadgets qui vous empoisonnent l'existence - il faut des professeurs dociles : avec les pouvoirs exorbitants qu'on va leur donner, les IUFM se chargeront de les formater. Il faut aussi des ignorants, incapables d'enseigner quoi que ce soit, eussent-ils la volonté de le faire. Le nouveau Capes se chargera de sélectionner des professeurs ignorants. Les premiers recrutés seront en poste jusque vers 2040. Ils noieront peu à peu sous leur masse les résistants que vous êtes. C'est pourquoi il est si urgent d'agir.
Le Capes cesse d'être un concours national. L'écrit se passe fin janvier / début février. C'est un écrit sans programme ou plutôt centré sur les programmes du secondaire : plus de littérature et de civilisation en langues puisque cela ne fait pas partie des programmes du secondaire, plus de latin ou de langue vivante en Lettres modernes puisque cela ne fait pas partie des programmes du secondaire. Ira-t-on jusqu'à supprimer le grec en Lettres classiques, puisque il n'y a désormais plus de place pour le Grec dans nos collèges et lycées ? Quant aux professeurs de mathématiques, ils devront sans doute apprendre à reconnaître les triangles "de même forme", à définir les fonctions continues à partir des données discrètes d'un tableur et autres joyeusetés. N'oublions pas surtout pas les professeurs de SVT qui devront, eux, étudier en détail l'explosion de la Soufrière telle qu'elle aurait dû avoir lieu selon les ordinateurs du Gros. Et ainsi de suite au gré des disciplines.
L'oral, lui, entièrement pédagogisé, se passera en juin au sein des IUFM après quatre mois de lavage de cerveau. Ceux qui montreraient encore quelque velléité de résistance seront impitoyablement écartés. Car cet oral-là est explicitement conçu comme un entretien d'embauche dans le privé. C'est que cessant d'être un concours de recrutement, le Capes est désormais conçu - je cite littéralement le texte - comme "la première phase d'un processus d'embauche". Le but poursuivi avec obstination depuis plus de dix ans sera enfin atteint. Les professeurs n'en sauront pas plus que leurs élèves. Et tout le monde réussira puisque quand plus personne ne saura rien, tout le monde saura tout. La logique du projet, on le voit, est imparable.
Je ne veux pas insister sur les conséquences de ce plan pour le secondaire. Vous les voyez aussi bien que moi. Mieux que moi. Mais l'Université ne sortira pas indemne, elle non plus. Les pédagogues rongent leur frein depuis dix ans parce que leur blabla n'a toujours pas réussi à pénétrer dans les Amphis. Ce sera bientôt chose faite.Tous les cursus universitaires sont mis sous le contrôle des grenouilles envieuses de la pédagogie. Nous devrons introduire des modules de pré-professionnalisation en DEUG et en Licence si nous voulons que nos étudiants aient des chances d'être admis dans les IUFM. Quant aux cursus post-licence, ils vont être contaminés par la préparation de cet écrit innommable, de niveau Bac+Bac. Mais ce n'est pas fini. L'Université est chargée de "l'accompagnement de l'échec" - je n'invente rien, c'est, là encore, l'expression littérale employée par les auteurs du rapport : il faudra donc accompagner l'échec comme on accompagne un mourant puisqu'aussi bien on transforme les Universités en mouroirs. Car tout le monde doit réussir, même ceux qui échouent. On connaissait déjà le droit à la réussite. On nous propose maintenant un nouveau concept : la réussite malgré l'échec. Que faire en effet des étudiants inscrits à l'IUFM et qui ne seront pas admissibles en février ? On ne peut les jeter à la rue en plein milieu d'année. Qu'à cela ne tienne. Les concepteurs de l'entreprise "Réforme and Co" ont trouvé la solution. On renvoie les déboutés de l'IUFM à la Fac, sommée de valider l'échec à l'écrit comme premier semestre de maîtrise. Ceux qui n'auront pas été admissibles au Capes feront donc une maîtrise. Une maîtrise pourquoi faire ? Pour passer l'agrégation? Pour commencer une thèse ? On continue la politique imbécile qui a, depuis longtemps, les faveurs du Prince : pousser vers le haut ceux qui n'auront pas été capables de réussir à un niveau inférieur. C'est donc l'ensemble des cursus universitaires qui va être affecté par ce plan. Depuis le DEUG jusqu'à la maîtrise et au DEA. Car j'oubliais de dire qu'il est aussi prévu que les stagiaires IUFM reçoivent le grade de mastaire, l'équivalent de l'actuel DEA. Au nom de quoi un stage professionnel pourrait-il être considéré comme l'équivalent d'un travail approfondi de recherche ? Peu importe. Tout doit passer sous la coupe des professionnels de la professionnalisation, depuis la maternelle jusqu'au Collège de France. J'aimerais pour conclure donner la parole à Jacques Roubaud qui disait dernièrement : "Il n'y a pas beaucoup de poésie dans les têtes". Comme pour confirmer ce constat, le Bouffon déclarait à Tokyo : "L'an dernier, à peine y avait-il 500 personnes manifestant contre moi que cela faisait la une des journaux. Maintenant il n'y a plus personne dans la rue, je vais finir par provoquer des manifs pour qu'on parle de moi. Et pourquoi plus de mouvements de ce genre? Parce que j'ai tout dégagé à la Kalatchnikov. " Et il ajoutait, comme les journalistes évoquaient un changement de portefeuille entre Martine Aubry et lui-même : "Comme j'ai chloroformé les enseignants, si un jour elle vient à l'Éducation, ça pourrait les réveiller". Nous ne nous battons malheureusement pas contre des moulins à vent ou des géants de pacotille. Nos ennemis sont puissants, ils ont pris le pouvoir à tous les échelons de l'Éducation nationale depuis les anciennes écoles normales, devenues IUFM, jusqu'au Ministère lui-même. Raison de plus pour être lucides, résolus et courageux. Il faut montrer au Terminator de la rue de Grenelle que nous ne reculerons pas devant ses Kalatchnikov et qu'en croyant nous avoir chloroformés, il est aussi près de la vérité que, lorsque pris de démangeaisons devant l'oeuvre de Galilée, il s'amuse avec ses boules. Lui qui ne croit qu'à l'expérience et qui aime tant mettre la main... à la pâte devrait démontrer le caractère négligeable de la résistance de l'air en sautant sans parachute lors de son prochain voyage à Tokyo. Dernier mot donc : j'espère que, pour respecter les traditions du lieu, il y a ici un agent des RG chargé d'enregistrer tout ce qui se dit. Je lui demande de transmettre personnellement à Claude Allègre cette invitation de ma part. Nous espérons tous qu'il ne ratera pas cette occasion de faire une belle expérience de physique amusante.


Pedro Cordoba, Co-directeur du Département de Langues romanes de l'Université de Reims. Vice-président de l'Association "Reconstruire l'École"

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