I. U. F. M.
ÉTAT DES LIEUX, janvier 2000
Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres
(I.U.F.M.), mis en place depuis près de dix ans dans
chaque académie, préparent aux concours de recrutement
de l'Enseignement, de la maternelle au lycée (en
partenariat, pour le secondaire, avec les Universités)
puis accueillent les lauréats de ces concours pour une
année dite «de stage», ayant pour vocation de
compléter leur formation par une instruction pratique et
pédagogique.
Depuis plusieurs années, une majorité de stagiaires
protestent contre le fonctionnement de ces institutions
et certains enseignements qui y sont délivrés. Depuis
plusieurs années, des professeurs du secondaire ou de
l'université, des tuteurs pédagogiques reçoivent le
témoignage d'anciens étudiants ou de nouveaux
stagiaires désemparés, scandalisés de certains
discours qui leur sont tenus à l'I.U.F.M., et
quelquefois même en situation conflictuelle grave avec
les formateurs dont ils dépendent. Faute de mieux, on
leur conseille le plus souvent de «faire le gros dos»,
de tâcher d'éviter l'invalidation de leur seconde
année, décision utile quand elle concerne un stagiaire
dont les premiers pas ont été difficiles, inadmissible
quand elle sanctionne des prises de position trop
critiques ou bruyantes.
Notre groupe de réflexion, constitué d'enseignants du
secondaire et de l'Université, d'actuels et d'anciens
stagiaires en I.U.F.M., s'efforce depuis plusieurs mois
de réunir documents et témoignages afin de dresser et
de rendre public un état des lieux sur leur
fonctionnement. Notre but est d'informer le plus
objectivement possible professeurs, actuels et futurs
stagiaires, sur une situation que nous jugeons pour le
moins préoccupante, afin que s'ouvre un débat et
s'élaborent des répliques.
On ne saurait certes tenir un discours critique global
sur les I.U.F.M.: les situations sont contrastées selon
les régions, les disciplines, les cursus (professeurs
des écoles ou du secondaire), les formateurs.
Néanmoins, nous alarment la teneur de l'idéologie qui
est délivrée dans les «formations générales» (cours
de réflexion sur les démarches d'apprentissage ou le
rôle éducatif de l'école proposés à tous les
stagiaires), et la subordination des enseignements
disciplinaires à une prétendue science pédagogique.
Car ce sont moins les disciplines que la discipline qui
est au centre des I.U.F.M. La réussite à un concours
difficile, la perspective stimulante de commencer à
pratiquer la profession qu'ils ont choisie, devraient
constituer une étape enrichissante dans la vie des
futurs enseignants. Or, ceux-ci sont confrontés dès
leur arrivée dans les I.U.F.M. à un système tout à la
fois infantilisant et autoritaire (horaires lourds
empêchant tout travail personnel, discours culpabilisant
centré sur la seule idée d'échec, menaces de retenues
sur salaire, etc.). Plus on descend dans la hiérarchie
supposée du corps enseignant, plus se vérifie le
contrôle des faits, gestes et pensées du stagiaire. La
majorité des cours délivrés aux futurs professeurs des
écoles s'appuient sur les recettes éprouvées de la
communication et de la psychosociologie (appel constant
aux impressions subjectives, travaux en petits groupes à
partir de questionnaires simplistes et orientés mis en
commun sous l'úil vigilant des formateurs responsables)
pour légitimer en bout de course et «de manière
consensuelle» les dogmes des sciences de l'éducation.
Anecdote très révélatrice, cette séance plénière au
cours de laquelle une stagiaire tient à signaler que
dans son groupe, l'une de ses camarades a déclaré
apprécier les cours magistraux! Silence, ricanements
gênés, puis absolution rassurante et amusée du
formateur: on ne va dénoncer personne!
Harmonie de la forme et du fond, le discours récurrent
de ces formations générales est inspiré par une
idéologie sécuritaire: il énonce qu'un bon enseignant
doit savoir créer pour ses élèves des «espaces de
sécurité» tandis que «symétriquement, l'I.U.F.M.
s'arroge pour mission de sécuriser ses professeurs en
préméditant longuement avec eux toutes les catastrophes
susceptibles de se produire en classe», en insistant de
manière obsessionnelle sur la responsabilité pénale
accrue de l'enseignant confronté à de «nouveaux
publics».
Sous la pression des sciences de l'éducation et dans le
cadre du vaste chantier de réforme des programmes
engagé par le ministère Allègre, les I.U.F.M. sont
menacés de devenir de véritables entreprises de
démolition du savoir et de la culture. La «révolution
copernicienne en pédagogie» appelée de ses vúux par
Philippe Meirieu repose sur la disqualification de tout
savoir fondamental. Un tel présupposé façonne dans les
I.U.F.M. une parole visant à susciter chez les
stagiaires la détestation de l'école qui les a formés,
le mépris de leurs futurs collègues, et à décourager
chez eux toute velléité d'approfondir leurs
connaissances. Pourquoi se soucier des savoirs quand on
répète à longueur de séance aux futurs enseignants
des collèges et lycées que le respect des programmes
(par ailleurs allégés et rendus incohérents) doit
passer au second plan? Pourquoi les futurs professeurs
des écoles se soucieraient-ils des savoirs quand on leur
ressasse qu'ils doivent avant tout «enrichir chez
l'élève un bagage déjà là», quand les brochures
dont ils sont inondés affirment que les «différentes
disciplines constituent des supports et des moyens pour
faire acquérir des savoir-faire», pour nous en tenir à
une formule à peu près compréhensible?
En lieu et place du savoir honni ou de séances
consacrées à l'art d'enseigner, et pour donner aux
stagiaires l'illusion (dont beaucoup ne sont pas dupes)
qu'ils continuent à se former, les spécialistes des
sciences de l'éducation qui officient dans les I.U.F.M.
proposent un éventail impressionnant de conférences et
«modules» divers, au mieux prétendument pédagogiques
(«Le circuit úil-cordes vocales-ouïe dans la lecture
subvocalisée», «La mobilité oculaire chez
l'apprenant»), au pire franchement racistes (sous le
prétexte d'une meilleure prise en compte de l'élève,
telle conférence proposée à l'I.U.F.M. de Créteil sur
le comportement des «arabes», leur «haute tolérance
au bruit», leur «gestuelle marquée»). Détournement
du langage scientifique et de concepts des sciences
humaines, assimilation de la classe à un laboratoire, de
l'enseignement à un processus expérimental: tout, dans
ces discours, rappelle au stagiaire que la pédagogie est
une science exacte, aux protocoles précis et non
discutables.
Convaincus que la montée en puissance, dans les
I.U.F.M., de tels discours et pratiques participe de la
destruction d'une école dont le principe et l'honneur
est d'assurer le droit de chacun à accéder aux savoirs
lui permettant d'exercer librement son jugement;
constatant que la situation se détériore rapidement,
que le pouvoir des I.U.F.M. s'accroît au même rythme
(tentatives répétées de l'actuel ministère pour
mettre en place un CAPES régionalisé et bientôt
bi-disciplinaire, sous le contrôle des seuls I.U.F.M.,
mainmise sur la formation permanente des professeurs),
nous appelons chacun à prendre conscience de cet état
de faits, à exercer ses responsabilités (collecte et
diffusion d'information, constitution de collectifs,
etc.), et à nous rejoindre au sein de «RECONSTRUIRE
L'ÉCOLE».
Nous tenons à votre disposition tout document propre à
étayer les affirmations condensées dans ces lignes.
Merci de conserver et diffuser ce texte.
RECONSTRUIRE L'ÉCOLE, association loi 1901
Contact : Nicolas FRANCK, [email protected] 01 43 26 63 03
ou Reconstruire l'Ecole
Groupe de travail sur les I.U.F.M.
21, rue Jean de Beausire
75004 Paris
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