Toute guerre est regrettable. C'est un euphémisme, mais c'est
aussi le mot juste; car, quel qu'en soit le déroulement et même
le résultat, il est impensable qu'on fasse la guerre sans le regretter,
sans se dire quelquefois - et dix fois plutôt qu'une - qu'il aurait
mieux valu ne pas la faire. Les maux qu'entraînent un conflit armé
sont toujours, objectivement, pires que ceux qu'ont a pris les armes pour
corriger. Mais pourquoi diable fait-on la guerre!
La cause immédiate des guerres est toujours un malentendu, car la
guerre est trop bête pour qu'on ait une bonne raison de la faire.
Il n'y a jamais de bonne raison. Ça commence par une vétille,
ça s'aggrave à cause de la morgue de quelqu'un qui n'ira pas
au front et qui pousse un bluff ou lance un ultimatum de trop, puis, parce
qu'il serait insoutenable de faire marche arrière, on ajuste la pondération
des valeurs subjectives - liberté, foi, honneur, patrie - pour justifier
le carnage.
C'est comme ça, en 1914, que toute une génération est
partie "mourir pour la France", alors que la cause immédiate
de la guerre tournait autour d'une affaire de juridiction pour décider
du sort du meurtrier serbe d'un prince autrichien. En 1940, le prétexte
était un droit de passage à Danzig. Aux mecs qui crèvent
dans la boue, qui n'ont rien à foutre des juridictions et des droits
de passage, on dit qu'ils meurent pour une cause; en réalité
ils meurent pour des intérêts qui ne sont pas les leurs et
parce que quelqu'un, trop préoccupé par ses affaires, a oublié
à quel point une guerre est regrettable.
Juste avant d'écrire ce texte, j'ai vu et entendu à la télévision
une infirmière, interviouwée sur la ligne de piquetage, déclarer
qu'il valait mieux "crever sur le trottoir en protestant que de se
faire mourir à travailler aux conditions qu'on leur offre".
Une exagération, bien sûr, une hyperbole; personne ne se "tue"
au travail et personne ne va "crever" sur le trottoir. C'est le
langage du bluff, de la surenchère, un mot comme un autre mot pour
jalonner l'escalade verbale.... Vraiment ? Vous en êtes sûrs?
Je n'aime pas cette escalade du bluff et de l'ultimatum où le gouvernement
est le premier de cordée. On impose des amendes colossales pour briser
les reins des syndicats? Les syndiqués ne croient plus qu'il auront
à payer ces amendes; ils ont appris, par l'expérience, qu'en
cours d'escalade on atteindra un seuil à partir duquel ces amendes
deviendront menue monnaie dont on obtiendra quittance. On prépare
une loi spéciale imposant le retour au travail? Les travailleurs
ont déjà annoncé qu'ils ne s'y soumettraient pas. Qu'est-ce
qu'on fait après?
Après, s'il ne s'agissait que des cols bleus de la Ville de Montréal,
on saurait vers quoi on se dirige. Vandalisme, attentats ciblés,
une partie de bras-de-fer, puis un règlements entre lutteurs qui
savent en mettre plein la vue en faisant un minimum de dégâts.
Les infirmières ne sont pas des lutteurs professionnels. Ça
fait vingt ans qu'on les sous-paye, qu'on en abuse parce qu' elles sont
faibles, un peu bonasses, faciles à rouler dans la farine. Qu'est-ce
qu'on fait aux infirmières qui n'obéissent pas à la
loi? On met les meneurs en prison? On leur tape dessus?
Ce sera quoi le prochain ultimatum d'un gouvernement qui, préoccupé
par ses "affaires" - déficit, indépendance, etc
- semble avoir oublié le sens et donc les conséquences d'une
escalade dans la répression? Comment un gouvernement qui a eu la
morgue de provoquer la crise en faisant les manchettes avec un "PAS
UN CENT DE PLUS !" retentissant peut-il faire marche arrière
sans perdre la face?
J'ai peur que le gouvernement n'évalue pas à sa bonne mesure
le ressentiment des infirmières et des ambulanciers. Je me méfie
des bêtises que peut faire un gouvernement qui bluffe en regardant
ses jetons plutôt que les cartes sur la table et les yeux de ses adversaires:
c'est une situation propice aux malentendus. Un gouvernement qui évalue
mal le ressentiment des Québécois, en fait, puisque trois
(3) Québécois sur quatre (4) soutiennent la cause des infirmières.
Nous, Québécois, nous reconnaissons dans ces infirmières
faibles, bonasses, faciles à rouler dans la farine dont on abuse
depuis si longtemps. A la télé, en arrière-plan de
l'infirmière interviouwée, on entendait la cacophonie incessante
des klaxons des sympathisants. Le gouvernement l'a-t-il entendue, ou va-t-on
rouler les biceps et faire des menaces... comme en "14 ?
J'ai peur que le gouvernement, prisonnier de son escalade, ne nous amène
à lui "déclarer la guerre". Une société
civile déclare la guerre à son gouvernement quand elle prend
parti pour l'illégalité. Lorsque les cols bleus ont envahi
l'Hôtel de Ville, la population, choquée, a exigé de
la fermeté; si les infirmières occupaient les bureaux du gouvernement,
la majorité de la population ne dirait-elle pas plutôt bravo?
Si on voulait les évincer par la force, quelle attitude adopterait
un mouvement syndical qui n'a pas eu depuis bien longtemps - et n'aura peut-être
pas avant encore bien plus longtemps! - la chance d'un soutien populaire
large? Comment réagiraient ceux qui n'ont connu ni la violence des
années "60 ni la crise d'Octobre 70 et qui ont donc de celle-ci
l'ignorance dont on fait les héros?
Les gens qui nous gouvernent n'on pas l'air de voir à quel point
la population est fébrile. Vous avez lu ces articles sur la croissance
inouïe de la violence à bord des avions? Des gens tranquilles,
un peu bonasses, qui en ont ras-le bol et qui sautent littéralement
à la gorge d'un quidam en autorité qui les a humiliés
une fois de trop? Ou ces histoires d'automobilistes qui deviennent fous
de rage pour des accrochages anodins auxquels s'est ajouté un regard
condescendant ou une parole blessante et qui explosent, qui agressent ou
qui tuent, pour un oui pour un non, quand ils sont pris dans des "bouchons"
qui sont le symbole de leur vie? Nos dirigeants n'ont plus peur de la violence:
c'est cette suffisance qui mène aux grandes erreurs.
J'ai l'âge où l'on devient pacifiste; tout ce site vise à
une transformation sans violence de notre société. J'espère
que les infirmières obtiendront justice et, surtout, que quelque
imbécile au gouvernement ne fera pas une autre déclaration
provocante qui nous ramènera trente ans en arrière.
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