99.07.07
"Manger l'herbe d'autrui..."
La police de Brossard nous annonçait fièrement, dans les
journaux de fin de semaine, la réussite d'un beau coup de filet qu'elle
préparait depuis quatre (4) mois: l'arrestation d'une trentaine de
personnes... coupables de guilis-guilis sexuels ou gestuelle apparentée
dans un motel de la Rive-Sud. Les corps policiers de Longueuil et de Saint-Hubert
ont collaboré en fournissant des fourgons cellulaires additionnels.
Sur la même page, on parle de Julie Payette qui revient de l'Espace.
Pendant que les doués du XXème Siècle se baladent dans
l'Espace, une bande de Pierrafeux anachroniques trouvent utiles de dépenser
l'argent des contribuables à faire des descentes d'inspiration moyenâgeuse
pour embêter quelques citoyens bien adultes et consentants qui ne
font de mal à personne. On croit rêver. On revoit l'agent Courval,
il y a quarante ans environ, stoppant la représentation des Grands
Ballets Africains parce qu'on y voyait des seins, et ajoutant cette phrase
immortelle que "quand ça bouge, c'est obscène"...
Je croyais que le Bill Omnibus de Trudeau, il y a trente ans, nous aurait
débarrassé de ces singeries. Je croyais qu'on avait dit, l'an
dernier, que les participants adultes à des échanges de partenaires
étaient dans leur droit. Je crois me souvenir que la Cour Suprême
a confirmé que la prostitution n'est pas un crime. A quoi ils jouent,
les policiers de Brossard?
N'est-ce pas à Brossard, justement, que quelques jeunes Chinois ont
grillé récemment les pieds de quelques vieux Chinois pour
leur faire dire où était caché leur magot? Pourquoi
les policiers qui ont perdu leur temps à monter une opération
contre les "criminels par impudicité" n'ont-ils pas mis
a profit leurs talents et leurs ressources pour mieux prévenir la
violence? Est-ce que nous n'avons pas assez de problèmes au Québec
- grèves illégales, tensions sociales, pauvreté, chômage,
etc, - sans qu'on y ajoute de se couvrir de ridicule comme aux plus belles
heures de la Grande Noirceur?
"C'est qu'on vise les tenanciers; ils font un paquet d'argent..."
Ils font un paquet d'argent parce qu'il offrent un service que la population
demande, ce qui est plus qu'on ne puisse dire de pas mal de services rendus
par pas mal de fonctionnaires. On est jaloux, ou quoi? Quand la loi vise
les "tenanciers" et autres proxénètes, c'est le
sale type qui pousse à la prostitution des innocents ou des êtres
sans défense pour ensuite leur extorquer le plus clair de leurs gains
qu'elle veut viser, pas l'entremetteur qui se sort une petite ristourne
pour avoir réglé des problèmes de logistique à
la satisfaction de toutes les parties en cause.
Si on ne veut voir que la lettre plutôt que l'esprit de la loi, pourquoi
ne pas aller jusqu'au bout de l'absurde et accuser de proxénétisme
les journaux dont les petites annonces - payées - offrent explicitement
tous les "services" du sexe au sens le plus large avec une jolie
profusion de détails parfois rigolos? Quand un journal publie que
"vieille croûte généreuse cherche jeune soupe à
l'oignon très belle et bien chaude pour la gratiner", à
quel type de "déjeuner sur l'herbe" pense-t-on? Croit--on
qu'il ne se passera pas quelques billets au dessert?
Je ne suis pas impressionné outre mesure par l'opération pour
la morale des policiers de Brossard. Je ne crois pas que les partouzes soient
le premier péril qui menace notre société. Je pense
qu'il s'en passe tous les jours des pires (meilleures) dans toutes les villes
du monde. Je pense que les présumés tenanciers ne seraient
sans doute pas inquiétés, aujourd'hui, s'ils s'étaient
incorporés et avaient pris la peine de se renseigner sur la façon
légalement acceptable de s'annoncer et de tirer profit d'un transaction.
Une fable de Lafontaine, qui dénonce l'hypocrisie et la lâcheté,
nous parle de ces animaux malades de la peste qui, après avoir donné
aux carnassiers l'absolution de crimes autrement plus sérieux, crient
haro sur le baudet ... qui a "tondu du pré la largeur de sa
langue". "Manger l'herbe d'autrui, quel crime abominable !"
Je trouve ridicule tout ce tintamarre et toute cette énergie dépensée
pour que quelques individus ne s'aiment plus les uns les autres, alors que
la société est pleine de vrais carnassiers. S'il faut aux
policiers de Brossard encore un peu de pratique avant de s'attaquer aux
criminels endurcis, je souhaiterais qu'ils se fassent la main sur des adversaires
plus coriaces que les amateurs de partouzes. Ils pourraient, par exemple,
mettre fin au taxage dans les écoles et briser ainsi la carrière
naissante de ceux qui y font leur apprentissage de futurs truands. Serait-ce
trop leur demander?
Pierre JC Allard
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