Cet article a été repris dans le
livre "Les Arméniens dans l'Empire ottoman à la veille du génocide"
écrit par Raymond H. Kévorkian et Paul B. Paboudjian publié par les
Editions d'Arts et d'Histoire- ARHIS, en 1992 à Paris.
SANDJAK
DU DERSIM
Le sandjak du Dersim est un cas tout à fait particulier dans
l'histoire millénaire de l'Asie Mineure. En effet, cet îlot
montagneux couvert de forêts est presque toujours resté en
marge de l'histoire, avec ses populations repliées sur
elles-mêmes, aux particularismes venant du plus profond des
âges. Divisée, comme nous l'avons dit, en plusieurs
principautés arméniennes de l'Antiquité, la région ne fut
jamais totalement arménisée, bien que le nombre
impressionnant d'églises (107) et de monastères (50) ruinés
témoigne de la christianisation avancée qu'elle connut à
certaines époques. Enclavée et rebelle à toute interférence
extérieure, elle ne fut jamais soumise au pouvoir ottoman,
qui n'en tirait aucun impôt et ne réussit pas à y imposer
son administration. A cet égard, il est significatif de
constater qu'aucun recensement sérieux n'y fut pratiqué et
que plus souvent on ignorait jusqu'aux noms même des
villages qui s'y trouvaient. Ce n'est qu'en 1937 à l'époque
kémaliste, que la résistance des montagnards du Dersim fut
brisée et que l'armée turque y pénétra. Réputée dangereuse
pour quiconque lui était étranger, la région ne fut
quasiment
visitée par les voyageurs occidentaux et même les
missionnaires ne s'y aventurèrent pas. Seuls quelques
négociants arméniens et quelques prélats courageux s'y
risquèrent, sous la protection des bègs locaux. Grâce à ces
quelques témoignages, il est possible de dépeindre
approximativement la situation sociale et politique qui y
prévalait avant la Première Guerre mondiale. Il est acquis
qu'à cette époque, outre les 16 657 Arméniens apostoliques
recensés par le Patriarcat de Constantinople, deux autres
groupes ethniques y vivaient: au sud et au sud-est, les
Seyid-Hassans qui seraient venus s'y établir à une date
indéterminée en provenance du Khorassan persan; dans le
reste du sandjak, dans les régions les plus inaccessibles,
les «Dersimtsi» ou «naturels du pays" que certains
considèrent comme des proto-arméniens, parlant un dialecte
fait d'un mélange d' arménien et de kurde. Bien qu'en partie
turquisée dans son mode de vie, l'écrasante majorité de ces
deux groupes - notamment les Dersimtsi - avait, sous
diverses influences, élaboré un syncrétisme religieux très
particulier, dans lequel plusieurs strates païennes,
zoroastriennes, chrétiennes musulmanes cohabitaient.
Absolument hermétiques à ces croyances, les sunnites de la
région et le pouvoir ottoman observèrent toujours avec la
plus grande méfiance et un mépris certain ces pratiques
religieuses secrètes, dont les adeptes kyzilbachs (ou «têtes
rouges», par référence aux tribus turcomanes de Perse, dont
les hommes portaient un bonnet rouge) étaient et sont encore
qualifies de giaour («infidèles») au même titre que les
chrétiens. Il y avait en effet de quoi troubler un musulman
orthodoxe dans les seules apparences ou manifestations
extérieures de la foi des kyzilbachs. Parallèlement au culte
de Saint-Serge, précédé chaque année de sept jours de jeûne,
encore de celui des Douze Apôtres, de la Sainte Croix, du
Haké Soun (la fête des "oeufs rouges" c'est-à-dire Pâques,
qu'ils fêtaient en commun avec les Arméniens chrétiens), les
adeptes de cet ésotérisme priaient en se tournant vers l'est,
signaient la pâte sortie du pétrin, fréquentaient assidument
les monastères arméniens à l'occasion des pèlerinages et les
protégeaient vigoureusement contre toute incursion
extérieure, comme s'il s'agissait de leur propre patrimoine.
Ils n'en fêtaient pas moins Ali, Husseïn et Moïse, mais
ignoraient complètement le Ramadan, tout en respectant un
rituel spécifique, accompli de nuit et dans le secret des
maisons, fait, nous disent les mieux informés, de chants et
de danses , selon une codification élaborée, dont une caste
de religieux,tous issus de la même tribu, veillait au
respect (10).
Parmi ces tribus, celles des Mirakian et des Der-Ovantsik'
étaient arméniennes. La première dont les territoires
étaient situés vers Doujig, Tchoukour, Ekez/Hakez et Toroud,
était capable d'aligner 3 000 combattants, réputés et
respectés pour leur courage par les autres tribus. On sait
du reste que ces hommes s'opposèrent régulièrement aux
armées ottomanes et réussirent à plusieurs reprises à leur
interdire l'accès du Dersim. Vivant essentiellement de
l'élevage de moutons et de confection de tapis et de kilims,
ces gens finirent par se disperser vers le sud en 1890 et
furent en partie liquidés en 1915, tandis qu'une minorité
d'entre eux parvenait à gagner Ies hauteurs du Dersim. «Montagne-refuge»
par excellence, le Dersim tribal et semi-nomade s'imposa aux
sédentaires de vieille souche, comme les Mirakian, qui
s'adaptèrent au nouveau contexte local en adoptant le mode
de vie de leurs voisins pour mieux résister à leur pression,
phénomène de régression d'une société sédentaire vers le
nomadisme que l'on retrouve ailleurs, notamment dans le
Mok's et le Chadakh.
Parmi les sanctuaires les plus fréquentés par les gens du
Dersim - toutes confessions confondues - on peut citer le
monastère Saint-Serge, à l'ouest de Kyzil-Kilissé, et celui
de Saint Garabèd de Doujig, à une demi-heure d'Halvori/Alévori,
qui restait le seul couvent en activité de la région. Une
vaste famille y vivait, dont le chef était en même temps le
supérieur du sanctuaire, la succession «héréditaire» se
faisant d'oncle à neveu. Archevêché jusqu'en 1860,
Saint-Garabèd perdit progressivement de son lustre, après
plusieurs attaques qui contribuèrent à accélérer sa
dégradation. Le monastère Rouge de Yergayn, fondé au IXe
siècle, était également un des hauts lieux de pèlerinage du
Dersim et bénéficiait de la protection de bègs kyzilbachs
(11).
- Caza de Khozat
Malgré ses dimensions considérables, le caza de Khozat
était, en 1915, l'un des districts les moins peuplés du
sandjak de Dersim. On y dénombrait alors 2 299 Arméniens,
principalement établis dans treize localités et entretenant
dix-huit églises, onze monastères et cinq écoles fréquentées
par 180 élèves. Néanmoins, les innombrables ruines de
villages, de places fortes, d'édifices religieux (20) encore
visibles à l'époque, laissent deviner ce que fut le niveau
économique et culturel de cette région, qui semble avoir été
comme brisée dans son évolution par la pénétration nomade.
Le chef-lieu du sandjak, Khozat (1), ne se développa que
tardivement, à la fin du XIe siècle, à partir d'un minuscule
hameau. En 1914, on y comptait 350 Arméniens (60 maisons),
360 sunnites et 250 kyzilbachs. Les nationaux y
entretenaient l'église du Saint-Sauveur et deux
établissements scolaires (70 élèves), et y pratiquaient
l'artisanat ou le travail de la terre, tandis que leurs
voisins étaient éleveurs.
Les autres villages habités par des Arméniens étaient les
suivants:
- Endjeghag/Endjeghga/In (2), 240 nationnaux (40 familles),
200 sunnites et 26 kyzilbachs, église Saint-Minas, une école
(30 él.);
- Yergayn/Ergan (3), 30 nationaux et 70 kyzilbachs, église
Saint-Harout'ioun/Résurrection et monastère Rouge;
- Havchak'ar (5), 260 Arméniens (40 maissons), églises
Saint-Georges et Saint-Serge, une école (30 él.);
- P'éyig (6), 35 nationaux et 52 kyzilbaachs. , une église
et un monastère en ruine; - Siguédig (7), 66 nationaux (10
maisons) et 65 kyzilbachs, église Saint-Georges; -
Sorp'ian/Sulpiyan (8), 130 nationaux (20 maisons) et 62
kyzilbachs, église Saint-Georges et six monastères;
- Zembègh/Geulbahar (9), 81 nationaux (110 maisons) et 92
kyzilbachs, églises Saint-Georges et Saint-Minas;
- Tachdag/Téchtèg (10), 135 nationaux ett 62 kyzilbachs,
église Saint-T'oros et monastère SaintThomas;
- Sin (11), 55 nationaux (10 maisons) ett 200 kyzilbachs,
église Saint-Georges;
- Dekké/Tékia (13 quater), 42 Arméniens,, églises
Saint-T'oros et Notre-Dame de Bétrétil/Beyrét'il (à l'est du
village). Les trois derniers villages bien que situés à
l'est du caza de Khozat, étaient rattachés au diocèse de
Tchemchgadzag, dont ils étaient géographiquement plus
proches 12.
- Caza de Kyzil-Kilissé/Nazimiyé
Situé dans l'extrême nord-est du sandjak de Dersim, le caza
de Kyzil-Kilissé comptait officiellement, en 1915, 89
Arméniens, établis dans le chef-lieu. Kyzil-Kilissé/Haïdari
(14), dont le nom d'«Eglise Rouge» ou «Monastère Rouge»
évoque déjà l'origine. A l'époque moderne, il prit quelque
importance lorsqu'une garnison ottomane y fut installée. La
construction d'un bazar, de la caserne et de bains,
intégrant les matériaux empruntés aux innombrables ruines
d'églises et de monastères arméniens du district, contribua
aussi à imposer le nom de «Monastère Rouge» pour désigner
l'ensemble du caza, dont l'essentiel des activités tournait
autour de l'élevage de moutons. Parmi les monuments
abandonnés, mais encore debout en 1914, on peut noter les
églises de To-ghanès, Titnik, Chidan, et les cathédrales
Saint-Georges de Géolsourak- et Saint-Serge de Zivé(13).
- Caza de Medzguerdl
Mazguerd/Mazgirt
Localisé dans la partie est du sandjak, le caza de Medzguerd
était dans l'Antiquité et au haut Moyen Age partie
intégrante de la principauté arménienne de Palahovid, dont
l'une des deux places fortes était à l'emplacement de
l'actuelle Medzguerd (15), ou Mazgirt, le chef-lieu du caza.
Entourée de forêts épaisses et située dans un site de
montagne somptueux, la cité conservait encore, au début du
siècle, les traces de son brillant passé et notamment les
ruines de la citadelle arménienne et de sept églises
médiévales, outre les lieux de culte en activités: les
cathédrales Notre Dame et Saint-Jacques, ainsi que les
monastères Saint-Athanase, Saint-Elie, Saint-Mesrob, Saint
Serge, du Saint-Sauveur, Saints-Pierre-et- Paul et
Saint-Georges, situés dans les environs immédiats de la
ville, où l'on trouvait également deux églises
troglodytiques, dont celle des Quarante -Martyrs. En 1915,
Medzguerd n'abritait plus que 1200 Arméniens (150 familles),
360 sunnites et 40 kyzilbachs, avec deux écoles chrétiennes
fréquentées par 155 nationaux. Outre l'agriculture de
montagne, on y pratiquait le tissage de lainages et le
travail du fer. Le chef-lieu et ses huit villages habités
par 1 835 nationaux, étaient rattachés au diocèse de
Tcharsandjak/Péri.
- Lazvan (16), 83 nationaux (8 maisons) et 91 kyzilbachs,
églises Notre-Dame et Saint-Serg deux monastères, dont le
couvent Saint-Anton;
- Dilan-Oghtché/Ibdjé. (17), 5 nationauxx et 65 kyzilbachs,
cinq monastères en ruine dans le environs;
- Tamoudagh/Tamourtagh (18), 155 nationaaux (15 maisons) et
75 kyzilbachs, église Saint Georges, deux monastères en
ruine;
- Dana-Bouran (19), 70 Arméniens (5 maissons) et 145
kyzilbachs, une église et un monastère en ruine;
- Chordan (20), 150 nationaux (15 maisonns) et 93
kyzilbachs, église du Saint-Roi, quatre monastères en ruine;
- Khozenkiugh/Kouchdonn (21), 50 nationaaux et 98
kyzilbachs, monastère Saint-Houssig en ruine;
- Pakh (22), au nord du caza, 72 nationaaux (8 maisons) et
40 kyzilbachs, une église et un monastère en ruine;
- Tchoukour/Tchachadour (non localisé) 550 nationaux et 70
kyzilbachs, une église et un monastère en ruine(14).
- Caza de Tcharsandjak
Situé sur la rive droite du Péri-Sou ou Keghi-Sou, dans la
partie sud du sandjak de Dersim, caza de Tcharsandjak avait
un caractère montagneux moins marqué que les zones nord et
était de ce fait beaucoup plus peuplé. En 1914, on y
dénombrait 7 940 Arméniens (1 136 familles) repartis dans
quarante-trois localités, dans lesquelles les nationaux
entretenaient cinquante-et-une église, quinze monastères et
vingt-trois écoles (1 114 élèves)I5. Le centre historique du
district est incontestablement la forteresse de Kodaridj,
qui fut le siège de seigneurs arméniens vassaux des princes
du Palahovid durant des siècles. En 1900, le chef-lieu était
établi à Péri/Tcharsandjak (23), l'on dénombrait 1763
Arméniens (310 familles), 350 Turcs et 80 Kurdes. Bâtie à
flancs de coteau, le long du Péri-Sou, la cité,
essentiellement agricole, était divisée en six quartiers,
dont cinq habités par des nationaux : Galérou T'agh,
Yégéghétsvo T'agh (quartier de la cathédrale Notre-Dame),
Gamar-Aghpiuri T'agh, Khorchougui T'agh et Don-Aghpiuri
Tagh, à la périphérie duquel se trouvait le monastère Rouge.
Les quatre établissements scolaires de la bourgade étaient
fréquentés par 400 élèves.
Les villages habités par des Arméniens étaient les suivants:
- Bassou/Bousso (24), 240 nationaux (30 maisons), 13 Turcs
et 80 Kurdes, église Saint-Grégoire, une école (30 él.);
- Ourts/Khors (25), 195 nationaux (22 faamilles), 10 Turcs
et 37 kurdes, église Saint-Minas, une école (20 él.);
- Kodaridj[Kurdaridj (26), 300 nationauxx, 60 Turcs et 40
Kurdes, église Saint-Georges, une école (25 él.);
- Lamk (27), 62 nationaux et 14 Kurdes, église Saint-Minas,
monastères Saint-Grégoire, de Sainte- Mère -de-Dieu et
Saint-T'oros;
- Tsorag/Sorèg (28), 130 nationaux (17 mmaisons), 15 Turcs
et 20 Kurdes, églises Saint-Garabè Sainte-Varvar et
Notre-Dame, un monastère en ruine;
- Mastan/Masdan (29), 207 nationaux et 2214 Kurdes, églises
Saint-Serge, Saint-Grégoire Sainte-Youghita, une école (40
él.);
Til (32), 60 nationaux (5 foyers), 12 Turcs et 18 Kurdes;
Kouchin/Kouchdji (33), 177 nationaux (25 foyers), 20 Turcs
et 10 Kurdes, église Notre-Dame et monastère Saint-Anton,
une école (45 él.);
- Kouchin/Khouchdji-Mézra (34), 61 natioonaux (5 foyers) et
17 Kurdes, église Saint-Garabèd; -Paghnik' (35), 93
nationaux (12 foyers)) et 6 Kurdes, église Saint-Minas, une
école (25 él.);
- Hoché (36), 238 Arméniens (29 foyers),, église Notre-Dame
et monastère Saint-Paul, une école (30 él.);
- Ismayiltsik'/Ismaili
(37), 312 nationaux, 10 Turcs et 20 Kurdes, église
Notre-Dame et monastère de la Sainte-Lumière (Sourp-Loys),
une école (50 él.);
Kyzildjoukh/Kouzouldjouk (38),232 nationaux et 12 Kurdes,
église Notre-Dame, une école (20 él.);
Géok-Tépé/Gôk-Tépé (39), 200 nationaux (25 foyers) et 20
Kurdes, église Saint-Garabèd, une école (60 él.);
- Gordjan (40), 130 nationaux (24 maisonns) et 6 Kurdes,
église Notre-Dame, une école (52 él.); - Zéri/Zérin (41), 22
nationaux (4 foyers) et 24 Kurdes;
- Vasguerd/Vazgird (42), 102 nationaux ((20 maisons), 20
Turcs et 30 Kurdes, églises Saint T'oros, des
Quarante-Martyrs et Sainte-Marie, un monastère en ruine-,
- Pachavank/Pachaghag (43), 497 nationauux, 6 Turcs et 22
Kurdes, église Saint-Serge, une école (120 él.);
Pachavank'-Mezra (44),
135 nationaux et 12 Turcs, église des Quarante-Martyrs, une
école (15 él.);
Balachehr/Balacher (50), 166 nationaux (20 foyers), églises
Saint-Serge, Saint-T'oros, Saint Grégoire et du
Saint-Sauveur, monastère de Khrandili, une école (32 él.);
Sorpian (51), 181 Arméniens (24 foyers), église
Saint-Georges, un monastère en ruine;
Soghdjov/Sevdjogh/Sevdjoukh (52), 333 nationaux (53 foyers),
10 Turcs et 115 Kurdes, églises Saint-Jacques et
Saint-Serge, trois monastères en ruine;
Saghman (63), 30 nationaux et 520 Turcs, église Saint-Serge;
Béroch/Bérodj (64), 25 nationaux (3 foyers) et 28 Turcs;
Til/Pertagi-Til (65), 108 nationaux et 45 Kurdes, église
Saint-Serge (l6).
- Caza de
Tchemchgadzag/Tchimich-Kézek
Situé au sud-ouest du sandjak, sur la rive droite de
l'Arsanias/Euphrate oriental, le caza Tchemchgadzag
englobait en gros l'ancienne principauté arménienne du
Dzop'k'-Chahouni, dont les seigneurs siégeaient dans la
forteresse de Tchemchgadzag, la médiévale Hiérapolis, qui
longtemps contrôlée par les Byzantins. C'est ce qui
explique, comme pour la région d'Agn, la survivance, depuis
le XIe siècle, de quelques communautés arméniennes
orthodoxes dans le caza. Après la conquête ottomane, toute
la région fut mise en coupe réglée par des bègs kurdes, qui
s' octroyèrent les terres des paysans arméniens. En 1914, le
district abritait 4 494 Arméniens, dont 267 orthodoxes,
principalement répartis dans vingt-deux localités, avec
dix-neuf églises et dix-sept écoles (729 él.)17.
Situé à 35 kilomètres au nord de Kharpert, le chef-lieu,
Tcherrichgadzag (66), était bâti à 1300 mètres d'altitude,
sur les flancs d'une chaîne de montagnes. On y dénombrait
1348 Arméniens, à peu près autant de Turcs et de Kurdes. Le
quartier de la citadelle, dit de Kassar/Khesser, était
exclusivement arménien, tout comme les quartiers voisins de
Chevod, Saghouin (détruit pendant les massacres de 1895, en
même temps que les églises Notre-Dame et Saint-Jacques, dont
les pierres furent utilisées pour construire la caserne
turque), Djérig, Der-Gasparian/P'iné-Mahlé, Ouchpag, avec en
son centre l'église Saint-Toros et le collège Nersessian,
Tchoukhour, dans la partie basse, où se trouvait la
cathédrale médiévale Notre-Dame, le collège Vartanian et le
temple protestant, fondé en 1895, et, enfin, en périphérie,
le quartier d'Uzbèg (67). Parmi les édifices plus anciens,
on peut citer la cathédrale des Saints-Cosmes et Damien,
fondée au IXe siècle par les princes arméno-byzantins
Kurkuas pour leurs compatriotes orthodoxes, laquelle fut
transformée en mosquée au XVIe siècle, en plein coeur du
Kala-Mahallé. Vers 1050/1100, l'arrivée de réfugiés
arméniens de l'est modifia la situation politico-religieuse
de la région, dont les nationaux orthodoxes furent
progressivement mis en minorité, avec pour conséquence la
fondation d'un évêché apostolique, dès lors cité dans les
documents relatifs aux élections des catholicos.
L'activité commerciale et artisanale de la cité se
concentrait essentiellement autour du bazar, où se tenait un
marché extrêmement actif, attirant chaque mercredi les
paysans des villages environnants. On y trouvait surtout des
potiers, des tailleurs, des bottiers, des orfèvres et des
tisserands, spécialistes des cotonnades, qui étaient
envoyées à Kharpert pour y être imprimées. Bien
qu'administrativement rattachés au caza de Khozat, les
monastères voisins du Saint-Signe Garmrag d'Akrag (situé à
une quinzaine de kilomètres au nord-est du chef-lieu) et de
Saint Garabèd d'Halvori (à 30 kilomètres au nord-est)
étaient sous la juridiction de l'évêché de Tchemchgadzag.
Ils attiraient chaque année, lors des pèlerinages, nombre
d'Arméniens islamisés de force à la fin du XVIIIe siècle.
Ces «musulmans» - évalués à 4 935 âmes en 1915 - étaient
surtout établis dans le nahié de Saint-T'oros, au nord-ouest
du caza, sur la rive gauche de l'Euphrate, autour du bourg
de Barassor (18). Quant aux Arméniens orthodoxes - qualifiés
de «Grecs» dans les statistiques ottomanes -, on en trouvait
encore dans les villages de Mamsa, Khntrguig et Set'rga, où
ils cohabitaient avec des Arméniens apostoliques. Ainsi, à
Mamsa, on en dénombrait 168 (38 foyers), ne parlant
qu'arménien et un peu de turc, et entretenant une église
dédiée à Saint-T'oros, située sur la place centrale du
village, juste en face de l'église apostolique
Saint-Georges.
Les massacres de 1895 provoquèrent un dépeuplement partiel
de la région, dont une dizaine de villages arméniens furent
rayés de la carte: au sud-est, Khatchdoun et Brasdik; au
sud, Vassagavan, où l'on trouvait encore onze églises en
ruine et un monastère, ainsi qu'Achkani ; au nord-est,
Otskiugh, Boghossi, Agnig et Khardichar/Khasichar; à l'est
Oulou-Khala (19).
A la veille de la Première Guerre mondiale, les villages
arméniens restants étaient les suivants: Hazari/Hézéiri
(68), 351 Arméniens (75 foyers), église de la
Sainte-Trinité, une école (88 él.);
- Ardga/Ardegan/Erdikah (69), 11 Arménieens;
- Mamsa/Mamoussa (70), 570 Arméniens apoostoliques (80
foyers) et 168 orthodoxes, églises Saint-Georges et
Saint-T'oros, une école (64 él.);
Situé au nord-ouest du sandjak, le caza d'Ovadjik était le
moins peuplé de ses districts- moins de 4 100 habitants au
total -, car enclavé dans les montagnes du Mouzour ou
Merdjan et très boisé. On y dénombrait officiellement une
cinquantaine d'Arméniens établis dans le chef-lieu, Pardi
(84).
Les notes de 9 jusqu'à 16
indiquent dans l'article les sources des livres dont les titres sont
indiqués ci dessous en français :
YEREVANIAN Kévork, 1956, Histoire des Arméniens de Tcharsandjak,
Beyrouth
KASPARIAN Hampartsoum, 1969, Tchemchgadzag et ses villages, Boston
HALADJIYAN Kévork, 1973, Ethnographie et folklore des Arméniens du
Dersim, Erévan
ANTRANIG, 1900, Voyage et étude documentaire au Dersim, Tiflis